Se rencontrer

 Hi ! Petite note pour vous dire que cet OS se place dans un AU, où Nathalie était originellement juste l'assitante professionnelle de Gabriel, engagée après les voyages, elle ne connaît pas vraiment la famille Agreste au départ.

 Bonne lecture ;-)

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 Décembre 2007.

Assis dans son bureau au sommet du quartier général de sa compagnie, Gabriel Agreste réfléchissait. L'éclat qu'il y avait eu la veille avec sa femme résonnait encore dans son esprit.

« Il faut qu'il aille à l'école, Gabriel !

— Non. »

Son refus si net, provoqué par les souvenirs inondant son esprit, les humiliations et la peur, la colère muette d'incompréhension qui avaient marqué toutes ses journées du CP à la troisième. Jamais il ne pourrait...

« Il mérite d'avoir une enfance comme les autres ! »

Ils avaient débattu pendant des minutes entières, Émilie à deux doigts de crier, alors qu'elle n'avait jamais haussé le ton d'un décibel depuis qu'ils s'étaient rencontrés, seize ans auparavant. Leurs arguments se croisaient sans les toucher, à cause de leurs passés si différents qui les poussaient dans deux directions opposées. Le défi final de son amour, auquel il s'était rendu.

Elle ne pouvait pas s'occuper des études d'Adrien. Alors si Gabriel ne trouvait pas quelqu'un pour s'en occuper avant la rentrée de janvier, elle l'inscrirait dans l'école publique de laquelle ils dépendaient. Et en tous les cas, Adrien devait avoir le droit de sortir avec eux, d'explorer et de se faire des amis. Le styliste avait approuvé.

Mais il restait le problème principal. Trouver quelqu'un qui accepterait de s'occuper d'Adrien, dont l'éducation était assez avancée pour que ça ne pose pas de problème, et surtout, qui soit digne de confiance.

« Monsieur Agreste ? Tout va bien ?

— Oui, ne vous inquiétez pas Madame Sancœur. »

Nathalie Sancœur. Son assistante personnelle, qui gérait quasiment à elle seule tous les aspects pratiques de la compagnie, qui engageait les nouveaux salariés, maintenait d'une main de fer l'équipe de marketing, détruisait d'une phrase les partenaires qui ne remplissaient pas leur part des contrats en temps et heures, s'occupait personnellement de l'approvisionnement en matières premières, s'assurait de la gestion rapide des commandes, et de la réalisation des tenues que Gabriel créait.

Une véritable héroïne. Qui semblait capable de tout, et qui gérait tout extrêmement facilement, réussissant même à passer des heures inoccupée.

Il se rappelait du jour où il l'avait engagée, huit ans auparavant et de l'immense liste de diplômes et de stages. Elle était sur-qualifiée. Et peut-être...

« À la réflexion, j'aurais une demande un peu particulière à vous soumettre, lança-t-il, sa voix haussé très légèrement pour porter jusqu'au bureau voisin où elle était retournée.

— Oui, Monsieur, interrogea-t-elle en arrivant devant lui.

— Émilie m'a demandé de trouver un précepteur pour notre fils, et je me demandais si vous accepteriez cette charge... »

Elle fronça les sourcils, et, dans ses yeux qui semblait suivre différents déplacements, des mouvements dans tous les sens, il voyait la réflexion à laquelle elle se livrait.

« Je peux le faire, déclara-t-elle finalement, ce serait un honneur. Merci de me faire confiance. Quand devrais-je commencer ?

— Eh bien... Disons après les vacances, et vous pourriez venir rencontrer Émilie et Adrien d'ici quelques jours... Tenez, vous pourriez venir pour le Réveillon du Nouvel An, si...

— Je n'ai rien de prévu. Et vous le savez pertinemment. Merci beaucoup pour l'invitation.

— Ce n'est rien. »

Gabriel remercia son assistante, tentant d'ignorer à quel point il était étrange de la voir sourire. Elle ne souriait jamais vraiment. Son visage affichait toujours une expression d'amabilité, même lorsqu'elle adressait des reproches, mais jamais un sourire sincère. Et maintenant, elle souriait vraiment et son visage en était illuminé. Le styliste chassa cette pensée tandis que son assistante retournait à sa propre salle de travail. Le plus important était qu'elle avait accepté le travail. Tant mieux si l'idée lui plaisait.

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Quatre ans plus tard, mai 2011.

Émilie regarda Nathalie, venue leur dire au revoir. Les horaires de la brune semblaient de plus en plus chaotiques. Originellement, elle passait deux heures au siège de la compagnie, puis arrivait au manoir vers dix heures, avant de repartir au siège de dix-sept à dix-neuf heures.

Mais à présent, elle restait plus tardivement avec Adrien, tout en travaillant plus à la compagnie.

« Nathalie, il est dix-huit heures. Tu devrais peut-être rentrer directement chez toi ?

— Ne vous inquiétez pas, Émilie, je...

— Tu n'as pas besoin de dormir ? Nous en avons déjà discuté. Et s'il te plaît, tutoie-moi. Tu es mon amie.

— Je...

— Pourquoi est-ce si dur pour toi alors que tu arrives à m'appeler par mon prénom ?

— Vous... Tu restes mon employeuse, et j'ai appris... Ma mère respectait énormément les codes sociaux, et se liait difficilement au gens, ce qu'elle m'a transmis inconsciemment. Même si elle a toujours essayé de me rendre plus ouverte et moins méfiante qu'elle...

— Alors pour sa mémoire, tu devrais essayer de t'ouvrir, tu ne crois pas ?

— Je... Je peux essayer ainsi. Merci Émilie. Tu trouves toujours la solution.

— J'en invente de temps à autre... Si je trouvais toujours, je... keuf, keuf...

— Émilie, tu vas bien, s'exclama la brune en s'approchant de son interlocutrice, courbée en deux.

— Ne t'inquiètes pas. Juste une de ces quintes de toux, elles sont simplement de plus en plus violentes... Si j'avais des solutions à tout, je ne serais pas malade.

— Est-ce que... Est-ce que tu peux estimer combien de temps il te reste ?

— Tu as peur que le monde s'effondre après ?

— Je sais que je devrais encore retrouver un nouvel équilibre, c'est un exercice que je n'aime pas. Tu es la seule amie que j'ai jamais eue, et ton absence ce serait... si étrange.

» Je sais également que ton mari sera... profondément ébranlé. Il tient énormément à toi et ta présence, j'ai peur de ce qui pourrait lui arriver sans toi. Et ton fils aussi. Ils ont besoin de toi...

— Ils s'en sortiront sans moi. Ils sont bien plus forts et résilients qu'ils ne le laissent paraître. Quant à toi, tu sauras également, je n'ai jamais rencontré quelqu'un démontrant autant d'adaptabilité face à la vie. Mais pour répondre à ta question... Je serais étonnée de vivre plus de trois ans.

— C'est peu.

— Je suis malade depuis dix ans, Nath, c'est extraordinaire que je tienne autant. Et c'est toute cette durée de maladie qui me permet d'estimer. Je sais à quelle vitesse mon état se dégrade maintenant. Dis, tu ne les abandonneras pas, hein ?

— Je ne pourrais jamais.

— Merci. Tu rentres, maintenant ?

— Je ne peux pas, je...

— Nathalie ? Tu es encore là, s'étonna Gabriel depuis la porte.

— Oui, je suis désolée Monsieur, je...

— Tu n'as pas besoin de t'excuser Nathalie. Et s'il te plaît, appelle-moi par mon prénom. Je te l'ai déjà dit.

— C'est... c'est extrêmement compliqué pour moi. Je ne peux pas réussir à me rapprocher de vous ainsi...

— Et pourquoi pas ? Tu es notre amie, tu fais même presque partie de la famille, maintenant... »

La brune secoua la tête, essayant d'oublier toutes les heures passées au manoir, au-delà des cours pour Adrien, les soirées, les dîners où Émilie l'invitait, toutes les soirées de fête depuis quatre ans, réveillons, nouvel ans, quatorze juillets, les soirées à l'Hôtel Bourgeois où elle avait été traînée, rencontrer les connaissances d'Émilie et Gabriel, s'approcher d'eux deux, les rires d'Adrien lors des après-midis de week-end qu'elle acceptait de passer à jouer. Elle ne voulait pas de ça, elle n'acceptait pas cette proximité, ces rires, ce tableau étrange où elle avait l'impression de faire tâche.

« Nathalie ? Pourquoi ne peux-tu pas le faire ?

— Je n'y arrive pas. Je... Je suppose que je n'ai pas grandi avec la possibilité de m'approcher. Anne-Lise avait une grande conscience des règles, des statuts, et... Déjà avec Émilie c'est difficile, mais vous, Monsieur, vous êtes vraiment mon patron et je n'arrive pas à... franchir la barrière.

— Si c'est la véritable raison, c'est compréhensible, même si ça fait des années que j'essaie de changer ton point de vue. Mais est-ce la vérité ?

— Bien entendu. »

Non. La vérité c'est que je sais que si je m'approche, je risque de tomber, et j'ai déjà le vertige...

Gabriel hocha la tête, mais son regard exprimait un doute clair. Puis il l'informa qu'il avait fermé la porte du siège et installé les systèmes de sécurité en partant, il avait pensé qu'il était trop tard pour qu'elle retourne travailler. Elle leva les yeux au ciel, retenant à peine un soupir. Vraiment, elle pouvait encore travailler. Au pire, elle avait sa tablette, elle pourrait toujours...

Émilie se mordît la lèvre pour ne pas faire de remarque, puis convia son amie à rester dîner au manoir, ce que la brune accepta avec un sourire. Elle trouverait bien un moyen de travailler depuis chez elle. Mais ils exagéraient. Ce n'était pas comme si travailler tard la ferait rentrer après minuit, elle habitait à un quart d'heure du siège à La Défense et un quart d'heure du manoir place du Châtelet.

Adrien l'accueillit à table avec un immense sourire, et son babil presque enfantin du haut de ses neuf ans et demi, son excitation et son amour sans borne. Le blond était adorablement attachant, et elle remerciait toujours le destin de lui avoir permis de rencontrer un tel ange, et de lui confier son épanouissement.

La famille Agreste était un refuge, un nid de confort et de joie qu'elle était extrêmement heureuse d'avoir trouvé, elle, la solitaire première de classe, enviée et à-demi détestée, elle avait enfin trouvé un endroit où appartenir. Et elle donnerait tout pour conserver cet équilibre.

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Trois ans plus tard, sept janvier 2014.

Enfermée dans sa chambre depuis deux jours, gérant toute la compagnie sans adresser une seule réponse aux dizaines de messages de Gabriel et Émilie, Nathalie essayait de digérer ce qu'elle avait appris. Deux jours auparavant, tout était parfait, elle avait ses amis, Adrien, leurs connaissances. Émilie, qu'elle arrivait enfin à tutoyer, avait décidé de l'honorer avec son plus grand secret. Une confiance que la brune avait toujours rêvé de mériter de la part de quelqu'un, mais ce secret... Pourquoi devait-il être si sombre ?

Ses amis jouaient avec des forces beaucoup plus grandes qu'eux, qui allaient les écraser s'ils faisaient un mauvais geste, mais ils n'en étaient pas conscients, et tous ses souvenirs avec eux se teintaient du noir du regret, de l'orangé de l'incompréhension, de l'indigo de la terreur, ils ne réalisaient pas, et pourtant Émilie le sentait dans ses os, elle aurait dû comprendre le danger, rejeter ces pouvoirs trouvés par hasard...

Ses yeux de ciel s'étaient assombris depuis les révélations. Mais elle avait fait comme si de rien n'était. Elle avait remercié la blonde de sa confiance, avait continué la fête, discutant, dansant avec grâce dans la robe achetée quelques années auparavant pour un bal organisé par ses amis...

Amis.

Le bleu de tristesse et d'inquiétude dans lequel elle se noyait depuis l'empêchait de prononcer ce mot avec certitude.

Elle comprenait, elle comprenait parfaitement, tout ce qui les avait menés là, les raisons pour lesquelles ils avaient agi ainsi, elle les estimait encore tellement, mais il y avait une telle différence entre eux et elle, peut-être le courage, ou peut-être la témérité, d'un coup elle ne se sentait plus dans leur monde. Comme un fossé ouvert qu'elle ne pouvait combler, et comme d'habitude, comme elle avait toujours fait, elle préférait ignorer.

Enfouir.

Le lendemain de la fête, et encore aujourd'hui, elle avait prétendu être malade et ne pas pouvoir venir ni au bureau, ni faire cours à Adrien.

Elle évitait, parce qu'elle ne savait pas comment elle réagirait, par quel miracle elle pourrait affronter le regard de Gabriel, elle ne savait pas si elle les détestait ou les admirait et les aimait plus encore, tout ce qu'elle savait c'était que son cœur la poussait plus encore vers eux, et que son esprit avait terriblement peur du risque, un vertige plus grand que jamais.

Son téléphone vibra, et par réflexe, elle regarda le message. Adrien.

« Nathalie ? Père m'a dit que vous êtes malade. Je ne le crois pas. On sait tous que vous ne pouvez pas tomber malade. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé avec mes parents, mais s'il vous plaît... Les cours me manquent. Vous me manquez... Est-ce que vous accepteriez de revenir, pour moi ? 🥺🥺 »

La brune ne pût retenir son sourire.

Après tout, pourquoi pas ? Elle pouvait bien revenir pour lui. C'était sa mission d'origine d'ailleurs, c'était pour lui qu'elle était rentrée dans la famille, ce serait pour lui qu'elle resterait.

Elle s'occuperait de lui.

Elle le protègerait.

Et à tout prix, elle empêcherait qu'il découvre ce secret qui lui brûlait le cœur.

Le garçon ne supporterait pas de découvrir tout cela.

Sa décision prise, elle se redressa, envoyant un message à Adrien lui promettant qu'elle serait là le lendemain.

Elle continuerait également de travailler à la compagnie, en essayant d'éviter Gabriel, en faisant un maximum à distance.

Et elle essaierait d'oublier, de passer outre ces révélations, de ne jamais les mentionner, de faire comme si elles étaient un rêve, une illusion de fièvre. Elle oublierait, jusqu'à oublier pourquoi elle avait besoin de le faire.

Elle était prête, son armure reconstruite et plus solide que jamais, malgré la fissure creusée par l'amitié, la peur et l'admiration.

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Dix-huit août 2014.

Nathalie laissait les larmes couler. Pour la première fois depuis des années. De toute façon, la pluie et l'obscurité qui entouraient la cérémonie les dissimulaient.

Émilie.

Émilie le soleil, Émilie qui incarnait la joie et la confiance.

Émilie son amie, la seule qu'elle ait jamais eue, celle qui lui faisait confiance.

Émilie dont elle avait eu si irrationnellement peur ces derniers mois.

Émilie était morte, enfermée sous la terre, peut-être pas dans le cercueil enfoui, mais tout de même sous terre.

Inaccessible.

« Nathalie ? Est-ce que ça va aller ?

— Oui, Adrien, répondit-elle en s'agenouillant devant le garçon et en chassant du bout des doigts les larmes échappées de ses yeux d'émeraude.

» Je vous promets que tout va bien se passer. Vous avez toute la force nécessaire pour vous en relever, et elle vous faisait confiance pour que vous viviez et soyez heureux même sans elle. Vous allez y arriver.

— Merci Nathalie, merci d'être là, murmura-t-il en l'enlaçant, niché dans son cou, ses larmes coulant à nouveau, merci, je sais pas comment je ferais sans toi... Dis, tu veux bien rester ?

— Bien sûr, Adrien, je resterai avec toi. »

La pluie continuait de tomber autour d'eux, incongrue et triste, mais elle frappait moins fort, maintenant qu'ils avaient réalisé qu'ils auraient toujours au moins un soutien.

Tous les autres étaient déjà partis.

Gabriel était resté le moins longtemps possible, ne supportant pas d'être vu aussi faible, ne supportant pas ces scènes, même s'il gardait Émilie près de lui, tout ce noir et cette tristesse lui rappelait terriblement qu'elle était partie, il n'avait pas supporté. Il ne pouvait pas voir cette obscurité, il ne pouvait pas.

Les amis, la famille étaient restés un peu plus, tentant de dompter le chagrin en contemplant la tombe, en échangeant quelques mots, en se réconfortant. Et ils étaient partis au fur et à mesure. Ne laissant plus qu'un Adrien abandonné et une Nathalie perdue sous la pluie chaudement poisseuse du mois d'août.

Ils étaient restés figés des minutes entières, les larmes perçant progressivement leurs carapaces, leurs sanglots résonnant dans l'immense espace vide, jusqu'à ce qu'ils arrivent à parler.

Et maintenant, main dans la main, ils arrivaient à s'éloigner, à partir, à retourner vers le manoir.

Pendant leur marche, Adrien posa une question, surprenante, qui serra le cœur de Nathalie. Serait-elle d'accord pour venir habiter au manoir ? Elle utilisait régulièrement la chambre d'amis depuis des années, et... Lui et son père auraient besoin de compagnie et d'amitié pour ne pas devenir fous de détresse, il le savait...

La brune hésita longuement. Quand ils arrivèrent sur la place du Châtelet, elle répondit qu'elle réfléchirait. Elle raccompagna l'adolescent jusqu'à la grille, le salua, lui rappelant doucement qu'il était fort.

Puis elle pénétra dans la station de métro, faisant extrêmement attention à ne pas se laisser prendre dans ses pensées. Elle avait beau connaître la station par cœur, à force, une réflexion trop intense pouvait encore lui faire manquer son couloir et lui faire perdre des minutes entières. La brune savait déjà que, une fois chez elle, elle s'allongerait dans son lit et y resterait des heures entières à essayer de comprendre sans pouvoir accepter.

Sa raison était toujours plus forte que ses émotions. Mais pour une fois, unique, la raison renonçait définitivement, laissant la place à l'orage destructeur dans ses yeux et son cœur, à la détresse.

Ça irait, un jour, elle se le promettait.

Mais pas aujourd'hui.

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Dix-sept octobre 2015.

Nathalie, allongée dans son lit au manoir Agreste tentait de passer outre la fatigue qui s'était emparée d'elle la veille. Elle allait bien, elle devait s'en convaincre. Et en persuader tout le monde. Adrien, qui avait décrété au début de l'année précédente qu'elle ne pouvait pas tomber malade, qui surtout ne supporterait pas de revivre les inquiétudes des derniers mois de sa mère. Et Gabriel, qui ne pourrait aller nul part sans elle, qui avait besoin de ses conseils et de son soutien, mais qui deviendrait purement fou s'il avait à s'inquiéter pour elle.

Oui, Mayura reviendrait. C'était une promesse à sa flamme de vie, à son espoir.

Mayura reviendrait, peu importaient le coût et les blessures.

Car, confirmant ses anciennes craintes et ses premiers vertiges, Nathalie était tombée, violemment, elle était psychologiquement en sang de cette chute, de ce sentiment qu'elle refusait de nommer mais connaissait parfaitement, de l'impossible échec de son cœur.

Et, avec ce feu en elle, la brune savait qu'elle pourrait faire n'importe quoi, absolument n'importe quoi pour lui, pour voir un sourire illuminer à nouveau son visage.

Elle ne regrettait pas. Qu'est-ce que c'était que sacrifier sa vie, face à la manière dont ces actes donnaient un sens ?

Rien. Absolument rien.

Tout était insignifiant si ce n'était sa lumière obscure, son attraction si inéluctable et dangereuse. Cette voie était traître, cet amour était inconscient, mais, pour la première fois, elle aimait ça. Elle arrivait enfin à lâcher prise, à s'approcher, quitte à se brûler les ailes.

« Nathalie ? Est-ce que vous allez bien, demanda Gabriel derrière la porte, audiblement inquiet.

— Oui, ne vous inquiétez pas, Monsieur. Je suis simplement un peu fatiguée.

— Reposez-vous bien, alors... Faites attention à vous, s'il vous plaît.

— Je vous le promets, Monsieur Agreste.

— Vous ne voulez vraiment pas m'appeler par mon prénom, n'est-ce pas ?

— Au point où j'en suis, murmura-t-elle pour elle-même.

» C'est toujours compliqué, mais... J'essaierai... Gabriel.

— Merci.

— Vous ne me blâmez plus pour le vouvoiement ?

— Ce serait hypocrite, puisque je m'y suis ré-enfermé aussi... Peut-être qu'un jour nous réussirons à nous parler sans ces barrières ?

— Je l'espère... »

Il la salua, puis repartît, un nœud dans le cœur. Il lui avait dit de ne pas le faire, de ne jamais prendre le Miraculous, à aucun prix... Mais elle avait désobéi, et la peur revenait, lancinante, paralysante, une lame de froid qui revenait découper ce qu'il restait de son cœur.

Et, pour la première fois depuis plus d'un an, ses pensées s'attachaient à quelqu'un d'autre qu'Émilie, le sortant un peu de la torpeur de mort où il s'enfonçait sans fin.

Il la sauverait.

Il l'empêcherait de mourir ainsi.

Il ne savait pas comment il pourrait y parvenir, mais il savait une chose.

Il refusait de la voir mourir, elle aussi.

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Début novembre 2016.

Mais à quel moment la situation avait-elle dégénéré à ce point ?

Gabriel, le cataclysme lui rongeant la vie avec une voracité terrifiante.

Adrien, mentant et trichant en espérant pouvoir voir son amoureuse.

Kagami torturée entre ses doutes, ses amitiés, sa volonté de protéger Adrien et son besoin de se confier à quelqu'un qui ne jugerait pas.

Et elle, Nathalie. Malade, terrifiée, tentant de maîtriser son envie pure et simple de fuite. Servant de conseil aux adolescents qui venaient la voir, essayant de retenir Gabriel dans les bornes du raisonnable, s'escrimant à ignorer la tornade de sentiments contradictoires qui l'agitait.

« Nathalie ? Vous allez bien ?

— Je... Oui, répondit-elle, réalisant d'un coup ce dont elle avait réellement besoin.

» Monsieur ? Est-ce que je pourrais retourner travailler au siège, de temps en temps ? Je crois... Je crois que j'ai besoin d'espace.

— Bien sûr, Nathalie. Faites attention à vous, simplement... Le Gorille vous emmènera...

— Monsieur, c'est à vingt-cinq minutes d'ici en métro. Je peux largement le faire seule. Et au pire du pire, je ferai un malaise dans la rame, le train s'arrêtera quelques minutes le temps que je me reprenne, et j'aurais causé un retard. Ça arrive tout le temps. J'ai besoin de pouvoir être... dans la vie. Vous voulez bien ?

— Si vous insistez... Mais ne vous surchargez pas, ne faites pas trop, et... S'il y a une difficulté, ou si vous faites un malaise... Ne vous obligez pas à...

— Je ferai attention, Gabriel. C'est étrange de vous voir vous inquiéter pour moi.

— Pourquoi donc ?

— Je... J'avoue que je me demandais si vous aviez encore de quelconques émotions, et je suis soulagée de voir que c'est le cas... Même si cela diffère de vos attitudes habituelles... Merci de me permettre de retourner travailler.

— Ce n'est rien. »

Gabriel tenta d'adresser un sourire confiant à Nathalie. Mais les paroles de la brune semblaient avoir ouvert un vortex en lui, un vortex où il se noyait, aspiré dans la colère et la peur à peine couvertes, aspiré par la vision qu'elle lui renvoyait de lui-même, plus impitoyable qu'aucun miroir.

Dans ses yeux si clairs de défi et de sincérité, il n'apparaissait plus que comme un monstre conduit uniquement par le pouvoir, par la dévastation.

Et peut-être qu'il n'était que cela, en effet. Peut-être qu'elle avait raison en doutant de ses émotions.

Et pour la première fois, alors qu'elle s'éloignait, qu'elle reprenait sa liberté, il voyait une partie de l'obscurité de Monarque. Une partie seulement, et qui le terrifiait, car il ne se sentait ni la force ni la motivation de lutter contre cette noirceur qui lui mangeait le cœur.

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Le lendemain, siège de la compagnie.

Nathalie poussa la grande porte vitrée, une étrange boule au ventre. Cela faisait plus de deux ans qu'elle n'avait pas remis les pieds ici, et revenir était incroyablement étrange. Il était à peine huit heures et demi, elle s'était arrangée pour arriver avant la plupart des gens, comme elle le faisait auparavant, prenant la clé de Gabriel, demandant les codes des systèmes de sécurité à une des plus anciennes employées, qui lui avait toujours servie de seconde dans l'accomplissement des tâches.

Une minute plus tard, elle était au dernier niveau, dominant dix étages de salles de réunion et de livraisons, d'ateliers, de bureaux, où se réunissaient tous les jours comptables, couturiers, responsables marketing, gestionnaires numérique, organisateurs de l'espace, assistants en tout genre.

Une fourmilière véritable, qu'elle, Nathalie Sancœur, l'insignifiante de l'enfance, avait dirigé d'une main de fer pendant quinze ans. Sa poigne s'était un peu relâchée ces deux dernières années, mais en traversant les couloirs, en remarquant l'organisation millimétrique des stocks de feuille dans les imprimantes, elle savait que sa marque ne s'était pas effacée.

Le couloir du dernier étage menait à quatre bureaux, le sien connecté à celui de Gabriel et, de l'autre côté, celui de sa seconde, Éloïza Vertilstede, et de la responsable des ressources humaines, Athéna Mittel. Nathalie s'assît à son bureau, le regard perdu sur les tours autour d'elle, se rappelant des taquineries d'Athéna et Éloïza, de leurs rires et de leur amour si brillant, qui les poussaient toujours dans les insinuations sur Gabriel et elle.

« Madame Sancœur ! Vous êtes revenue, pour de vrai, s'exclama une rousse au regard bleu scintillant d'excitation en pénétrant dans la salle.

— Oui, Éloïza, je suis là, je ne t'ai pas demandé les codes pour décorer ma boîte mail. Et pourquoi me vouvoies-tu et m'appelles-tu par mon nom de famille ? Je suis la même qu'avant...

— Mouais...

— Qu'est-ce que tu racontes encore ?

— Mais rien... Patronne.

— Éloïza, on en a déjà parlé. Vingt fois. Au moins.

— Il s'est passé deux ans depuis la dernière fois, et il n'y a plus...

— Ne le dis pas. Éloïza, je t'interdis de parler d'Émilie ainsi. Monsieur Agreste et moi ne sommes pas des personnages d'une série entre lesquels tu pourrais inventer des intrigues. Et Émilie était mon amie, la seule véritable amie que j'ai jamais eue, la seule personne en qui j'ai eu confiance. Elle n'est en aucun cas un quelconque obstacle dans tes fictions. Il n'y a rien entre lui et moi, à part peut-être un peu de confiance.

» Maintenant, ça suffit, s'exclama Nathalie d'un air profondément agacé, le regard rivé à la porte.

— Nathalie ?

— S'il te plaît. Il est absolument insupportable depuis sa mort et si je suis ici c'est parce que j'avais besoin de m'éloigner. Il... Il se laisse faire des choses qui pourraient être dangereuses pour Adrien, qui sont dangereuses pour lui et... Mon incapacité à le dissuader de continuer me rend folle. Tu n'as pas à t'excuser, mais n'en parle plus. Et fais passer le mot. Aussi, j'ai vu qu'Athéna avait embauché une nouvelle couturière, est-ce que tu pourras me l'envoyer s'il te plaît ? J'aimerais bien la rencontrer.

— Ou... Oui, bien sûr... Désolée pour la gaffe...

— Ce n'est rien. Tu ne pouvais pas savoir. »

La rousse hocha la tête, et retourna à son propre bureau, transmettant à tous les collaborateurs et employés qu'il ne fallait surtout pas parler du patron ou de sa femme décédée à Nathalie.

Le retour de son ancienne camarade lui paraissait quelque peu incroyable, et l'attitude de repli adoptée aiguisait profondément sa curiosité, dénotant probablement des conflits très complexes et intéressants, même si elle ne pouvait pas les évoquer. Le temps lui apprendrait sans doute.

Quelques heures plus tard, elle se tenait à nouveau dans le bureau de la brune, accompagnée d'une trentenaire blonde au yeux d'émeraude, vêtue d'un tailleur blanc cassé.

« Nathalie ?

— Oui, Éloïza, interrogea la brune s'en lever les yeux.

— Je suis venue te présenter Aure Nucté, la nouvelle...

— Bien sûr. Bon... »

Le mot était mort sur les lèvres de Nathalie à la seconde où elle avait aperçu Aure. Ses yeux clignaient désespérément, tentant de chasser les images qui se superposaient, sa respiration s'était légèrement accélérée, son cœur battait de manière terriblement désordonnée.

Respire. Respire. Tout va bien. Il en est encore loin. Tout va bien. Et puis, tu ne voudrais pas donner une mauvaise impression, n'est-ce pas ?

« Madame ? Je... Je peux...

— Non. Tout va bien. C'est juste que vous ressemblez beaucoup à Émilie, et j'ai été surprise. Ça m'apprendra à ne pas regarder les organigrammes. Ce n'est pas votre faute, ne vous inquiétez pas.

— Merci...

— Est-ce que vous vous intégrez bien, ici ?

— Oui. Je suis arrivée depuis seulement deux mois, mais... C'est comme si j'avais une nouvelle famille... Et vous avez l'air très attentive... J'avoue que... J'ai eu un peu peur... quand Athéna m'a dit que je devrais venir vous rencontrer...

— N'écoutez pas tout ce que les autres racontent sur moi, surtout. Je suis très exigeante, c'est vrai, mais j'essaie de ne pas être trop rude. »

La conversation se poursuivît de longues minutes, puis la brune redescendit avec la nouvelle couturière pour faire sa tournée d'inspection et retrouver tout le monde. Réalisant qu'elle avait encore véritablement sa place quelque part, qu'on l'avait attendue, alors que sa vie au manoir était toujours un équilibre inconfortable.

Finalement, ici, son existence était logique.

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Un mois plus tard, dix décembre.

Gabriel était assis sur le toit, le regard rivé au loin, vers les hautes tours de La Défense, là où elle était. Il était tard, vingt-et-une heures, mais Nathalie ne rentrait pas. Et le styliste avait à oublier le trou qui se creusait dans son âme à chaque minute d'absence, il tentait d'effacer son envie de la rejoindre, de ne pas se souvenir de la paralysie qui s'emparait de lui dès qu'il montait à l'observatoire, sentant presque son regard désapprobateur, l'impossibilité de prendre le pouvoir, les bagues qu'il ôtait l'une après l'autre, rejetant le pouvoir. Ce pouvoir si présent la lui avait retirée, et il réalisait que, depuis la mort d'Émilie, il n'avait fait qu'osciller entre deux extrêmes, entre le renoncement pour veiller et la chasse pour oublier.

Donnant tantôt raison à l'un, tantôt à l'autre.

Mais chaque concession avait un prix.

Et il se trouvait maintenant en équilibre, vidé des préoccupations précédentes, les souvenirs comme des lances pointées sur son cœur.

« Gabriel ? Comment allez-vous, demanda la voix préoccupée de Nooroo à son oreille.

— Tu le sais mieux que moi.

— Alors ?

— J'aimerais ne pas l'avoir perdue. Sa présence était comme une crème cicatrisante sur une plaie que je ne peux m'empêcher de gratter. Sans elle, je me fais saigner, encore et encore, arracher la croûte est satisfaisant mais ça ne guérira jamais ainsi, il faudrait que je ne vois pas la blessure mais tout m'y fait penser. Il y a tellement d'origines à cette crevasse... La base étant bien sûr que je n'ai jamais appris à être moi-même. Mon père m'en empêchait, et quand je suis devenu indépendant, je n'osais pas me découvrir. J'ai rencontré Émilie et je suis immédiatement tombé amoureux d'elle, alors j'étais ce qu'elle voulait, elle aurait pu faire n'importe quoi de moi, elle m'a entraîné autour du monde, nous vous avons découvert, Duusu et toi. Puis Adrien est née, et elle est morte, et j'ai oublié tout ce qu'elle m'avait appris, comment sourire, comment me connaître, comment ressentir en paix. J'ai tout effacé, et le vide m'a envahi, alors je l'ai fui, en me convaincant que je pourrais la ramener. Mais je me suis encore plus égaré dans le processus, et quand j'en sortais, c'est parce que je m'inquiétais, pour Adrien ou pour Nathalie... Nathalie... Elle est à elle seule une raison de rester raisonnable.

» Parce que, malgré ma colère, malgré mon obsession, malgré mon mépris, elle est restée, elle est restée jusqu'à se condamner pour m'aider, et moi... Tout ce que j'avais à faire, c'était rester sur terre à côté d'elle, mais je l'ai ignorée, j'ai écarté tout l'amour qu'elle me portait comme si c'était un pistolet chargé. Et elle est partie, elle s'est enfuie pour ré-apprendre à respirer, et j'en reste pantelant, parce que je ne pensais pas qu'elle courrait ailleurs. Je voudrais juste pouvoir être un homme meilleur, mais je ne sais même pas ce que je suis parce que je ne connais que mes défauts et mon obscurité...

— Écoutez-vous. Quand vous vous écoutez, que vous entendez vos propres douleurs, vous pouvez avancer. Qui êtes-vous quand vous vous laissez être ?

— À part un danger public ? Je suis quelqu'un qui ne sait pas faire face, qui s'évite, qui a toujours noyé, ignoré les problèmes. D'abord dans mes dessins, puis dans le sourire d'Émilie, enfin dans la magie. Je suis un égoïste, au sens le plus littéral du terme. Je me donne toujours la priorité sur les autres, et je n'écoute que moi. Même quand une autre personne sait mieux ce qui est bon pour moi. Je considère mes envies comme des besoins, mais négligent ceux de mon entourage. Je suis un manipulateur, je me sers entièrement des autres et de leurs systèmes de valeurs pour arriver là où je veux. Je suis le méchant de l'histoire, et pas un antagoniste complexe dont on pourrait éventuellement comprendre les actions, je suis juste mauvais.

— Bien, je vois que je vais devoir faire le travail pour vous. Vous êtes un créateur, et vos créations inspirent des rêves partout. Vous êtes déterminé, et méthodique. Quand vous voulez quelque chose, vous savez comment y arriver. Vous êtes attentif, même si vous vous en cachez. Vous êtes fort, vous prétendez fuir loin des épreuves de la vie, mais en fuyant, vous inventez vos propres moyens de faire face. Vous savez être joueur et taquin, pour peu que le bonheur reste assez près de vous. Vous êtes un personnage fascinant, et complexe. Oui, vous avez des parts d'ombre, mais qui n'en a pas ? Vous avez aussi des parts de lumière, comme tout le monde. Vous êtes un humain, vous avez à choisir quelles parties de vous gagnent et sont montrés au monde. C'est un choix permanent et difficile, mais c'est ce qui rend vos vies si intéressantes. Et vous avez vu vos ombres, vous avez décidé de lutter contre elle. Et en cela, vous êtes déjà meilleur qu'il y a un mois et demi. Vous êtes digne d'exister. Vous détester ne vous avancera pas. Apprenez à vous aimer avec sagesse et critique, et vous irez loin. Tant que l'on est pas mort, on peut encore changer totalement.

— Merci, Nooroo. Pour ta confiance, pour tes mots, pour ta présence. Merci d'accepter de me donner ce dont j'ai besoin pour grandir. Je crois que... Je crois que je sais comment réussir à la revoir. Si je ne peux pas l'avoir, si elle me refuse de l'aimer, ce n'est pas grave tant que je peux la voir, l'admirer dans sa manière de vivre, entendre ses conseils, sentir sa présence à mes côtés, savoir que je peux lui demander de l'aide si j'en ai besoin. Et pour l'instant je ne peux pas, car Monarque l'a étouffée si violemment qu'elle a dû fuir pour survivre. Je corrigerai cela... J'irai lui parler... »

Le regard perdu sur la rue sombre, Gabriel sentait son cœur battre paisiblement. Peut-être que cette histoire finirait mal, mais dans sa tête s'esquissait une idée, des mots résonnaient enfin après un silence long et terrifié qui avait duré des années.

************

Quatorze jours plus tard, Réveillon de Noël.

Adrien poussa un soupir. L'attitude de son père et de Nathalie était ridicule, ils se regardaient à la dérobée et se contemplaient tout en jouant la froideur et l'indifférence. L'adolescent avait parfaitement conscience que, pour que sa mère de cœur soit retournée travailler à la compagnie comme elle le faisait depuis novembre, il y avait dû y avoir de nombreuses tensions entre eux. Mais il voyait aussi son père se forcer à vivre, il ressentait l'attention du styliste sur lui comme une couverture chaude.

Bien sûr, son père n'était pas parfait. Mais ces dernières semaines, il s'efforçait d'être meilleur, de vivre et d'accepter ses émotions, et Adrien apercevait les efforts, il encourageait l'adulte à parler, à se découvrir.

Et le blond écoutait aussi Nathalie, ses peurs et ses dénégations, toute la force qu'elle mettait à déraciner des sentiments apparemment à sens unique.

Dans le silence du repas, le garçon réfléchissait, il pensait aux deux cadres emballés dans des paquets sous le sapin, de l'autre côté de la pièce, ses cadeaux pour ses parents, des dessins réalisés avec l'aide de Nathaniel et Kagami, représentant les relations qu'ils entretenaient, décoré de fleurs en relief confectionnées avec des strass offerts par Marinette. Ces tableaux symétriques étaient sa manière de leur dire que tout n'était pas aussi désespéré qu'ils le croyaient.

Nathalie regardait dans le vide, évitant résolument de croiser le regard de Gabriel. Elle savait, profondément, qu'il changeait, qu'il n'était plus Monarque, elle se rappelait la ré-apparition progressive de la Miracle Team, elle constatait l'absence d'akumatisation depuis la fin de novembre, la manière dont il était attentif, et le tutoiement qui s'égarait parfois sur ses lèvres ou dans ses messages, qu'elle rejetait sévèrement pour ne pas oser y croire et risquer la déception. Elle le voyait devenir bon, sans chercher l'approbation qu'elle pourrait donner, simplement s'améliorer. Elle ne savait pas pourquoi il le faisait, elle refusait l'espoir, mais elle s'attachait encore plus à lui, sentait son cœur battre irrégulièrement quand il s'approchait, elle le retrouvait, comme avant que ça n'aille trop loin, elle le voyait vivre de nouveau, elle l'avait vu reprendre ses anciens vêtements, ôter les Alliances, elle avait aperçu son bras moins dévoré de nécrose, elle espérait qu'il vivrait, encore un peu, elle aimait le voir vivre, même si c'était sans elle.

Elle répondait aux questions qu'il lui posait, elle restait civile, polie, même si toute une partie d'elle voulait fuir, sa raison effrayée des sentiments.

« Nathalie ? Vous avez l'air pensive, souligna Gabriel doucement.

— Je... Je réfléchissais. À plein de choses différentes...

— Comme toujours... Tu sais, le monde n'est pas une énigme qu'il faut résoudre, plutôt une expérience à vivre...

— Je ne fais pas confiance aux expériences pures, j'ai besoin de les expliquer, vous le savez Monsieur.

— Ce doit être compliqué de ne jamais suivre son instinct sans le questionner vingt fois...

— C'est fatigant, parfois, c'est vrai, répondit-elle avec un sourire, mais j'ai appris à vivre ainsi, j'ai l'habitude. Et puis, ça me permet de ne pas trop faire d'erreurs, de relativiser celles que je commets quand même, si j'ai posé un acte et qu'il se révèle être une erreur, c'est que les conséquences n'étaient pas prévisibles.

— Est-ce que... »

Gabriel hésitait manifestement sur la formulation de sa prochaine question. Il savait ce qu'il voulait demander, mais il ne savait pas comment le dire. Du coin de l'œil, il aperçut Adrien se lever, l'adolescent les saluant avec un bâillement forcé et déclarant qu'il allait dormir, il leur souhaitait une bonne nuit.

Les deux adultes le remercièrent d'une seule voix, lui souhaitant également une bonne nuit.

Et dès que le blond fût sorti de la pièce, le silence retomba entre eux, alors qu'ils se jaugeaient comme ils auraient fait d'une partie d'échecs, sans avoir conscience qu'ils jouaient dans le même camp.

« Donc Mayura n'était pas une erreur ?

— Pas à cause de la maladie. Je savais que je tomberai malade, mais j'avais accepté le risque.

— Comment est-ce possible de négliger sa vie à ce point ?

— Ce n'est pas que je la néglige mais... Ma vie n'avait pas vraiment de sens auparavant. Je n'avais pas d'objectif ou de raison de respirer. J'avais des choses à faire, mais pas de but. Quand j'ai décidé de vous aider activement, quand, en connaissant vos secrets, j'ai aidé le Papillon, d'abord par des suggestions, puis avec Catalyste et Mayura, cette vie a eu un sens. C'était un sacrifice, oui, mais un sacrifice qui me poussait en avant. Je voulais vous revoir sourire, quitte à voir mon propre linceul pour cela. Elle semblait être le seul moyen, alors j'aurais tout donné. Mais après... Ce n'était plus vous. Avec Papillombre, et plus encore avec Monarque, il n'y avait plus ce sens, c'était devenu une simple chasse de pouvoir, et je ne restais ici que pour protéger Adrien. Il a suffisamment grandi maintenant pour pouvoir le faire seul. Alors je suis partie. Et... maintenant je ne sais plus où je suis. Monarque semble mort, et vous brillez d'une attention et d'une espèce de bonheur qui semblaient disparus... Je ne sais pas où je suis...

— Me fais-tu confiance ?

— Rationnellement ou émotionnellement ?

— La confiance c'est émotionnel.

— Alors oui. Je v... te fais infiniment confiance, je marcherai jusqu'en enfer avec toi.

— Est-que ton bonheur serait un but suffisant ?

— Et pourquoi viserais-tu cela ?

— Parce que j'ai enfin réalisé que je ne suis rien sans toi. Parce que j'ai compris que je t'aime, et que la seule manière de le faire correctement, c'est d'apprendre à être une meilleure version de moi-même, d'apprendre à vivre. D'apprendre à faire vivre. Et je voudrais pouvoir te rendre heureuse, mais je ne peux pas le faire sans toi, et même si tu ne me rends rien, je voudrais pouvoir être à tes côtés... Si tu me tolères... »

Nathalie resta silencieuse, essayant de remettre de l'ordre dans tous les sentiments qui se bousculaient dans sa tête. Gabriel se forçait vraiment à être meilleur. Pour elle et sans elle.

Même si elle l'envoyait en enfer, il resterait comme il voulait être, elle le savait. Elle était la raison, mais pas le seul objectif.

Et elle ne pouvait empêcher l'excitation de grandir en elle, elle n'était pas sûre de trouver les mots adéquats pour dire tout ce qui battait en elle, alors elle voulut répondre d'un simple mot, même si elle sentait les discours prêts à couler de ses lèvres.

« Oui. »

Après une inspiration, elle décida de laisser les mots captifs depuis des années s'échapper enfin de ses lèvres trop longtemps closes.

« Oui, j'accepte, bien sûr que je te tolère à mes côtés, j'en ai rêvé, des années debout dans ton ombre pour apercevoir un peu de ta lumière, jusqu'à la voir presque mourir, je rêvais de pouvoir m'approcher, mais j'avais peur, et tu t'enfonçais jusqu'à ce que je crois que cette lumière n'était qu'une illusion d'optique, une toile d'araignée dans laquelle je m'étais empêtrée, et j'ai voulu m'en détacher. Sans réussir, parce que tu as recommencé à briller, de cette lueur de vie que j'ai cru voir disparaître, de ta bonté, de ta détermination, de ton courage, de ta créativité, tu brilles comme une étoile pour moi, et... Simplement en me disant que tu veux participer à mon bonheur, tu me rends incroyablement heureuse, parce que je t'aime, je t'aime sans questionner, c'est la seule chose en laquelle j'ai confiance, la seule expérience que j'arrive à peu près à vivre. Et... Je suis heureuse que tu sois là, avec moi, pour cette vie. »

Gabriel sourît, serrant avec douceur et joie la main de Nathalie.

Ils s'étaient trouvés, et enfin les barrières s'effaçaient, créant un silence de paix, dans lequel ils joignirent leurs vies, leurs lèvres faisant exploser la joie, le soulagement d'en finir avec les guerres, la tendresse, et scellant leur objectif commun, enfin.

Être heureux.

Être libres.

Être bons.

Ensemble.

************

Le lendemain matin.

Gabriel et Nathalie avait passé la nuit à discuter, à rêver, montés sur le toit pour contempler les étoiles étonnamment visibles, échangeant tout ce qu'ils avaient enfoui au fil des années, le refus d'admettre leurs tourbillons d'émotions dans la période d'activité de Mayura, leurs échanges, la peur des tensions, réalisant que le styliste avait vu la pente, sans réussir à s'en écarter, muselé dans une obscurité dont il avait pris l'habitude, et ils discutaient, s'embrassaient comme un rêve, ils avaient amené des couvertures et des coussins et fini par s'endormir, blottis l'un contre l'autre, sous la lueur bienveillante des étoiles.

En se réveillant, Gabriel se redressa avec un sourire, contemplant le visage apaisé de Nathalie, le soleil se reflétant en éclats de joie sur ses cheveux et ses lèvres si lisses.

Et dans cette lueur, il comprit enfin une chose. Il avait gagné sa bataille contre la vie, pour le bonheur. Il la sentît s'éveiller, la regarda papillonner des yeux, souriant quand elle sourît de le voir près d'elle, des souvenirs qui revenaient avec douceur.

« Je t'aime, Gabriel.

— Moi aussi, Nathalie. Tu viens ? J'ai... J'ai un cadeau pour toi...

— Avec plaisir. »

Ils redescendirent, avec les couvertures, le long de l'échelle qui menait du toit à l'observatoire, où ils abandonnèrent les affaires de nuits, retournant dans la salle à manger où Adrien les attendait, un sourire excité sur les lèvres, qui s'accentua en les voyant arriver ensemble.

Pendant qu'ils petit-déjeunaient, discutant joyeusement, les deux adultes remarquèrent les regards curieux d'Adrien vers le tas de cadeaux qui s'empilaient, il savait qu'il y en avait de la part de ses amis, et certains aussi de leurs parents, destinés à la fois à lui et à Gabriel et Nathalie.

Mais surtout, il était curieux des cadeaux que ses parents avaient préparés pour lui, et de ceux qu'ils comptaient s'échanger.

« Adrien ? Tu as l'air très impatient d'ouvrir les cadeaux, commenta son père d'un ton taquin.

— C'est vrai... Je...

— Va donc les prendre.

— Merci, s'exclama le blond en sautant sur ses pieds et en allant chercher d'abord les deux petits cadres emballés qu'il avait faits pour ses parents, avant d'apporter une grande boîte rectangulaire décorée d'étoiles dorées à Nathalie.

» Père, vous avez un don pour les emballages mal-pratiques... Sérieusement, soupira l'adolescent en levant les yeux, tout en déposant une boîte un peu plus petite et décorée de fleurs sur sa chaise.

— Désolé ?

— C'est pas grave, mais ce n'est vraiment pas possible de faire mieux ?

— Non. Pas sans risquer d'abîmer. Tu vas voir.

— J'arrive, déclara Nathalie, j'ai laissé mes cadeaux à part...

— Pourquoi, s'étonnèrent les garçons en chœur, sans obtenir de réponse bien sûr. »

Quelques minutes après, Nathalie était de retour, et Adrien déchirait avec une joie enfantine ses paquets cadeaux, découvrant un nouveau sac de sport, blanc et décoré de différentes broderies, ce qui le fît sourire car les courroies de son ancien sac commençaient à s'abîmer, il ne pensait pas que son père l'aurait remarqué. Et, de la part de Nathalie, il avait reçu un jeu de société d'enquêtes, constitué de différentes affaires, associées à des plans, des cartes d'indices, différents personnages mis en scène. La brune avait songé qu'Adrien apprécierait de partager ces moments de réflexion avec les gens qui l'entouraient, et il avait toujours aimé les jeux de déductions.

Gabriel avait quant à lui reçu une boîte de forme indéterminable, des éléments glissant autour d'une boîte plus petite qui semblait renfermer quelque chose...

« Tu aimes vraiment les casse-têtes, Nathalie !

— Je ne serais pas tombée amoureuse de toi sinon, rétorqua-t-elle d'un air taquin, mais je te suggère de le résoudre rapidement... Ou de le laisser au frigo... Sinon le cœur risque de fondre.

— Ce sera fait, rît le styliste, ouvrons les cadeaux d'Adrien... »

Il s'interrompît en découvrant le cadre, caressant du bout des doigts le dessin de la chambre du garçon, la lumière d'une fin d'après-midi parfaitement rendue dans les jeux d'ombres, l'adolescent et lui assis devant le piano, les doigts posés sur les touches, des sourires sincères sur leurs visages. Gabriel caressa du bout des doigts les étoiles et les fleurs, les papillons qui décoraient la bordure violet foncé, le souvenir de ce moment dansant dans son esprit, la seule fois où il avait vraiment douté de son combat. Un souvenir heureux, et sincère, comme il en avait trop peu, et l'émotion dans ses yeux, dans le sourire touché qu'il adressa à son fils était un remerciement plus éloquent que tous les mots qu'il aurait pu trouver.

Nathalie, elle, contemplait la représentation de sa chambre, des piles de livres, des rideaux à peine ouverts, laissant une lumière tamisée sur l'œuvre au centre de laquelle elle enlaçait Adrien, souvenir de la scène qui avait suivi sa dernière akumatisation, du moment qui leur avait permis de se rapprocher. Ses yeux brillèrent en voyant les traits, l'application délicate des couleurs, elle savait que son protégé ne l'avait pas fait seul, mais la simple attention, la représentation de ce geste, les efforts manifestes signifiaient plus que tout.

Les deux adultes remercièrent l'adolescent d'une même voix émue.

Puis les deux Agreste se tournèrent vers Nathalie, attendant qu'elle ouvre le cadeau offert par le styliste, Gabriel avec fébrilité, Adrien avec curiosité.

Alors elle ouvrît délicatement la boîte, découvrant des couches de tissus soigneusement pliées, sur lesquelles reposaient un diadème de cristal bleu glace taillé en flocons, ainsi qu'un long collier d'or orné d'un pendentif de cristal transparent cisaillé en une simple étoile reflétant la lumière. Les yeux écarquillés, la brune ne put que bafouiller une vague phrase de remerciement et d'admiration, sans arriver à s'attarder sur la découpe précise de la soie d'un blanc bleutée ou du velours couleur de nuit.

« Va les essayer, suggéra Gabriel doucement.

— Je... D'accord... Gabriel, tu n'as pas... Tu n'as pas fait ça tout seul, si ?

— Quasiment. J'ai eu besoin d'aide pour le diadème, et ça a été sacrément complexe... Les employés n'aiment pas faire quelque chose en cachette de la patronne, comme ils t'appellent, mais ils ont fini par accepter.

— Je vais tuer Éloïza pour ça...

— Mais non... Elle n'a pas complètement tort, si ?

— Pas complètement... Mon dieu, si je lui dis ça, j'en entendrai parler jusqu'à ma mort...

— Ça ira. Elle finira bien par arrêter. Va... »

Nathalie hocha la tête, et partît se changer, revenant dix minutes plus tard, vêtue de la délicate robe en soie bleutée au bord de laquelle des flacons blancs éclataient de lumière, drapée dans la longue cape bleu nuit l'enroulant doucement, les étoiles d'argent qui en parsemaient le dos et décoraient légèrement l'avant capturant la lumière et la réfléchissant à l'infini. Le diadème posé délicatement sur ses cheveux lui donnait un air royal qui fît chavirer le cœur de Gabriel.

Elle était sublime.

Et, alors que les trois souriaient et se souhaitaient encore une joyeuse journée, la paix tant espérée rayonnait enfin sur eux.

  ************

 8038 Mots + note de début.

 Wow. C'est long. Pas étonnant en même temps...

 *regarde son temps d'écran de tél*

 2h05 dans "Notes" aujourd'hui. 1h12 hier (jeudi), 1h51 mercredi... Bref, on a compris. Et je suis dessus comme ça depuis dimanche. 

 Je suis franchement contente de mon truc. Les scènes du début était un peu complexe, mais je crois que j'ai réussi à les gérer. C'était très fun à imaginer, et développer les différentes réactions. L'AU c'est un domaine un peu complexe à gérer, donc je vais probablement pas recommencer, mais c'était fun.

 Les cadeaux. Ma soeur est un génie. Je savais pas quoi offrir de la part de Nathalie. Je lui ai demandé. Le truc de Gabriel, c'est une boîte de chocolat casse-tête, qui s'ouvre quand on l'a résolu (et c'est censé faire un coeur), parce qu'elle a suggéré une boîte de chocolat avec une ouverture mystère. Et pour Adrien, elle avait suggéré quelque chose "en jeu de société, peut-être autour du fait de se libérer."

 J'ai ressorti un jeu d'enquêtes qu'on a depuis des années, et j'ai remis les points essentiels.

 J'ai eu l'idée du cadeau de Gabriel à Adrien seule, après de longues minutes à fixer le vide. Je me suis dit que c'était un moyen intéressant de faire passer que Gabby fait enfin attention à son fils et ses activités, au point de pouvoir remarquer l'usure des courroies.

 La robe...

 Bon. J'en voulais une, vous me connaissez. And. J'avais le bleu en tête, mais je savais pas quoi faire. Donc j'ai ressorti les bons vieux carnets de Top Models, et ça a donné ça :

 Ca a été un peu compliqué, mais j'ai bien aimé de la créer pour de vrai.

 Aussi, j'espère qu'Eloïza, Aure et Athéna vont se tenir tranquilles et pas réclamer des spin-offs, mais normalement ça devrait aller, vu que je les ai bien traitées...

 Also, le média. C'est parce que je l'ai utilisée à  plusieurs reprises en traduction dans l'OS, notamment le craquage de Gabriel sur le toit est une ré-adaptation. Red (Taylor's Version) était l'album d'écriture, et absolument le seul avec lequel j'arrivais à avancer, j'ai essayé les autres, ça marchait juste pas.. Donc le média devait en provenir, et "Better Man" m'a paru la plus logique.

 Bref.

 J'espère que ça vous a plu, que c'était pas trop long,

 Dites-moi tout,

 Bises,

 Jeanne

  (21/10/2023, 01:02)

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