Se construire (Partie 2)
Trois jours plus tard.
Gabriel tenait le Miraculous réparé entre ses doigts, le faisant tourner dans la lumière, observant ses reflets. Il avait retiré la broche du Papillon, parce qu'il voulait se concentrer entièrement sur la guérison de Nathalie. Ce ne serait pas complet, bien sûr, mais... Avec un peu de chance, ce serait suffisant.
« Duusu, transforme-moi. »
Il se retrouva aussitôt vêtu d'un costume bleu nuit, le bas des jambes du pantalon et le bout des manches décorés des yeux de la queue du paon, son visage caché derrière un loup de satin d'un bleu plus clair, ses cheveux enserrés sous une coque d'un bleu grisé.
Avec un soupir, il récupéra une broche à cheveux dans le tiroir de la table de chevet d'Émilie. Il n'avait jamais touché à cette broche, il savait que sa femme ne l'avait plus jamais portée après la création de leur amie. C'était une jolie attache, longue, décorée de fleurs et d'étoiles, envoyant des éclats irisés sous la lumière de la lampe.
Le styliste ferma les yeux un instant puis sortit de sa chambre, traversa le couloir et entra dans la pièce de Nathalie, une boule dans la gorge. À peine l'aperçut-il, endormie sur son lit, qu'une multitude d'informations lui parvinrent, des sons, des souvenirs qu'il chassa d'un geste, des sensations, des impressions fugitives, et enfin, des lignes et des lignes de texte, brillant en vert dans l'obscurité, les informations, indications implémentés par Émilie lors de la création.
Respire, Gabriel, respire. Ça va aller.
Il commença à chercher la ligne de loyauté. L'affection forcée, l'impossibilité artificielle de les trahir, les remettre en question.
Cette ligne n'était pas loyale. C'était de la triche, purement et simplement, Émilie avait dit une précaution, il avait argumenté que c'était une prison.
Et maintenant il en avait la clé.
Il allait la libérer.
Lui montrer toutes ses ombres.
Cette fois, elle verrait le Papillon réellement, la manière abjecte dont il se comportait avec tout le monde, avec Adrien, avec elle, avec la ville.
Elle saurait.
Et il était certain qu'elle ne resterait pas. Elle n'avait pas à rester.
Quand il eut trouvé la ligne, il retint son souffle alors qu'il passait les doigts dessus, imaginant un gigantesque torchon l'effaçant, faisant disparaître les lettres, détruisant la moindre de leur trace.
Un énième soupir lui échappa, mais...
Il avait fait ce qu'il fallait. Il en était convaincu.
Il ressortit de la chambre, le cœur battant, retourna poser le Miraculous dans sa cache secrète derrière le portrait, et partit se coucher. La peur battait en lui, mais il n'avait pas le choix.
************
Le lendemain matin.
Nathalie poussa la porte du bureau. Elle était encore faible, mais une partie de ses forces était revenue, presque miraculeusement. Et surtout, elle se sentait profondément différente, comme plus froide, moins attachée au monde. L'ombre dans son esprit, qui la suivait depuis la mort d'Emilie, qu'elle combattait en se lançant dans la bataille, en s'éclairant de son amour pour Gabriel, avait disparu aussi, étrangement.
Comme si quelqu'un avait reformé l'intérieur de son cœur, avait modifié ses pensées. Et c'était étrange. Pas désagréable, pas vraiment, mais étrange.
« Gabriel ? Que m'avez-vous fait ? Et pourquoi ?
— Bonjour Nathalie... Je... Quand Émilie vous a créée, elle a implémenté en vous certaines caractéristiques, comme on coderait un robot. Des faux souvenirs, une partie de votre détermination, la base de vos connaissances. Et... Un lien de loyauté. Quand elle vous a créée, elle a volontairement inscrit en vous une affection envers elle, envers nous, ainsi que l'impossibilité de nous trahir. Je me suis dit que c'était ce lien qui vous rendait malade de sa maladie. Alors hier soir... je l'ai coupé. J'ai effacé cette partie de vous. Je... J'aurais dû vous demander. Mais... Je n'ai pensé qu'à vous sauver... Après la crise qui a suivi notre dernier combat... Je voulais juste essayer de vous aider...
— Gabriel ? Vous avez véritablement fait ça ? Pour moi ?
— Oui.
— Vous m'avez sauvé la vie, Gabriel. Et vous pensez vraiment que je pourrais vous en vouloir ? Émilie était devenue véritablement mon amie, je n'ai pas perdu mon affection pour elle, et je serais toujours aussi heureuse de la revoir si vous le désirez toujours. Mon amitié pour vous deux a peut-être été encouragée, mais elle n'est pas artificielle.
— Merci, Nathalie.
— De rien. Je suis encore un peu malade, je ne sais pas si je pourrais vous aider beaucoup ces prochains mois, le Miraculous ne m'a pas fait du bien. Mais si vous avez besoin de moi, je ferai tout pour vous soutenir.
— Ne vous surmenez pas. Je viendrai à vous si j'ai besoin... Merci pour tout, Nathalie, vraiment.
— Ce n'est rien. Merci à vous. »
************
3 août 2016.
Nathalie était allongée dans son lit, les larmes coulant sur son visage, indéfiniment.
Elles avaient beaucoup coulé depuis sa guérison partielle, pour des raisons bêtes parfois, pour la joie et la confusion quand il lui avait avoué qu'elle était indispensable, pour l'admiration et la peur quand il avait créé et akumatisé le Senti à son effigie, pour son agacement quand il s'enfonçait, pour sa fierté quand il avait trouvé le moyen de percer les Miracle Charms. En lui retirant son lien de loyauté, en l'amenant vers la voie de guérison, c'était comme s'il avait détruit les digues construites autour de ses yeux.
Ou alors c'était en se perdant ?
Comment avait-il pu dire cela ?
Elle croyait qu'il se souciait d'Adrien.
Quand l'enfant avait été blessé, statufié par Style Queen, il avait été si près de renoncer.
Mais maintenant, il était insensible.
Son fils était malade, complètement, et il répondait froidement. « C'est un Agreste, il s'en remettra ».
Comment ?
Comment en était-il arrivé là ?
Elle aurait voulu hurler, pouvoir lui dire, lui crier toutes les erreurs qu'il faisait, lui faire réaliser qu'il était devenu ce qu'il craignait le plus, que toutes les larmes qu'il faisait couler finiraient par ricocher sur lui, qu'il pleurerait lui aussi, mais elle n'y parvenait pas.
Son cœur était trop lourd de peur, de regrets, de combats intérieurs, il pesait sur son diaphragme, l'empêchait de prendre sa respiration et de hausser la voix.
Elle l'avait perdu, elle le sentait, elle sentait la quête de pouvoir l'étouffer au fur et à mesure, elle avait peur, elle était terrifiée, de ce qu'il devenait et des sentiments qui battaient en elle.
Bien sûr qu'elle l'aimait. Désespérément. Malgré sa fureur. Malgré sa tristesse. Malgré les bris de son cœur répandus au sol. Malgré la froideur dont il faisait preuve.
Il était trop tard pour elle, tant qu'il était là, elle ne saurait pas cesser de l'aimer.
Dans un autre monde, elle aurait certainement considéré l'amour comme une source d'espoir, de vie, de bonheur. Mais ici, l'amour n'était que désarroi, souffrance, violence.
« Nathalie ?
— Laissez-moi, Monsieur Agreste. J'ai besoin d'être seule.
— Je voulais seulement vous donner cela, répondit-il en ouvrant la porte et en déposant un petit peigne sur le sol, ça vous appartient.
— Vous n'avez pas à faire ça.
— Je ne sais pas ce que je fais.
— Pardon ?
— Je sais juste que vous êtes en colère. Et que j'ai peur de ce que je pourrais faire avec votre colère. Prenez-le.
— Monsieur, vous n'apaiserez pas ma colère ainsi. »
Sa voix était froide. Dure comme un diamant, coupante comme une lame. Oui, elle avait conscience qu'il la libérait. Mais elle entendait aussi une hypocrisie qu'elle n'avait jamais perçue auparavant, une tentative de rachat, elle entendait la menace sur Félix, elle sentait sa peur battre, elle devinait que quoi qu'il fasse, il n'était plus le même.
« Je sais. Je sens votre défiance. Je perçois votre colère. C'est normal. Je ne veux pas vous blesser accidentellement, c'est tout. »
Gabriel ne dit pas un mot de plus. Les émotions de Nathalie étaient extrêmement puissantes, et régulièrement, il les sentait venir battre en lui, plus fortes, plus décidées que les siennes. Il avait senti son inquiétude aujourd'hui, la peur pour Adrien, mais les émotions n'étaient pas bonnes, les émotions étaient un danger, alors il les chassait, il s'était protégé intuitivement en la sentant venir, faisant tomber la herse de froideur qui défendait le château-fort de son cœur, interdisait à son âme de se montrer, il ne savait pas abandonner la lutte, tout était guerre, elle n'était pas son ennemie à l'origine, elle n'était pas contre lui même maintenant, alors pourquoi brûlait-il de ce sentiment de trahison ? De colère ?
Avec un soupir, il retira les deux broches.
Il était tard.
L'akumatisation de la soirée, malgré les difficultés de Ladybug à se concentrer, n'avait mené à rien.
Il n'avançait pas.
Depuis janvier, il n'avançait pas, pas d'un pouce. Même Félix n'avait pas rendu la bague volée.
Le Miraculous avait tellement abîmé la santé de Nathalie qu'elle restait clouée au lit sans l'exosquelette que Tomoe avait offert.
Les broches l'appelaient.
Son cœur gelait.
L'obscurité se refermait sur lui.
Il s'efforçait de respirer, mais il n'était pas certain d'avoir jamais su faire.
Son enfance avait été horriblement oppressante.
Ses premières années d'adulte avaient été excessivement complexes, la monnaie apparaissant par intervalles irréguliers.
Puis il avait rencontré Émilie et elle lui avait révélé un monde, une joie, un espoir, une réalité, une magie, un rêve qui lui coupaient le souffle.
En s'allongeant dans son lit après avoir tourné en rond pendant des minutes entières, Gabriel sut immédiatement qu'il ne dormirait pas.
Il était incapable de comprendre ses pensées.
De les entendre.
Leur manque de clarté le rendait fou.
Avaient-elles jamais été claires ?
Combien de murs existait-il entre lui et son identité ?
Non, il devait essayer.
Ses doigts le déménageaient.
Il devait essayer.
Son cœur battait.
Il devait tenter.
C'était comme ça chaque fois.
Rien qu'une nuit.
Ses pensées tournaient en tempête, d'odieux bruits indistincts dans le lointain.
Il devait tenir.
Il devait se battre.
Il ne savait pas pourquoi.
Pourquoi il s'imposait cela.
Sa gorge s'asséchait en cinq secondes.
Il ne devait pas essayer.
Essayer quoi ?
Les mots étaient incohérents.
La nuit glissait comme pour le noyer.
Absurde.
Que se passerait-il s'il arrêtait de se tendre ?
S'il relâchait la pression de ses poings sur les draps ?
Non, il ne devait pas penser ça.
C'était comme ça chaque nuit.
Mais cette fois, il ne céderait pas.
Il ne savait pas pourquoi.
Mais un cri en lui insistait contre toute la tension accumulée, contre la souffrance fantôme qui le hantait lorsqu'il retirait les bijoux, un cri protestait, lui demandait de se battre, et il voulait essayer, une fois, tant pis pour les cauchemars.
Cette nuit, même s'il n'était déjà plus humain, il écouterait le cri.
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26 octobre 2016.
Nathalie fixait le plafond. La soirée avait été pour le moins mouvementée. Et ce qu'il avait dit... Elle ne parvenait même plus à pleurer, c'était comme si elle avait épuisé toute sa tristesse, toutes les larmes de son âme ; il ne restait plus que l'abattement, le vide.
Le vide. Oppressant.
Depuis quelques temps, la mélancolie, l'obscurité recouvrait à nouveau son esprit.
Elle savait de moins en moins pourquoi elle se battait. Pour quelle obscure raison elle continuait de survivre.
Il n'était plus le même.
Elle avait oublié comment se définir sans lui.
Et maintenant qu'il disparaissait...
Comment faire ?
Le sourire inquiet d'Adrien après sa dernière akumatisation brillait encore dans sa tête.
Pour quoi faire ?
Le cataclysme rongeant le corps de son ami, de son partenaire noircissait encore son regard d'inquiétude.
Ils mourraient.
Tous les deux.
Émilie lui manquait.
La brune regardait les messages, les vidéos laissées en boucle, incapable de s'en détacher.
Ses poumons hurlaient presque à chaque respiration.
Le monde était noir.
Pour quoi faire ?
Que faisait-elle ?
Qui était-elle ?
Que ressentait-elle ?
Que pensait-elle ?
La colère qui brûlait obscurément dans l'angle de son champ de vision.
La tristesse qui brouillait le monde dans un canevas humide.
La peur qui resserrait sa prise dans chaque minute.
Il faisait noir, si noir.
Un soupir lui échappa, Nathalie se redressa, ses jambes tremblantes de l'effort, elle ouvrit les rideaux en grand, contemplant les lumières se reflétant dans le ciel, l'obscurité de la nuit, encore hantée de la lumière de la Lune Rouge - ou peut-être était-ce seulement son esprit la tourmentant de pensées sombres.
Les mots de Gabriel, la manière dont il avait chassé Amélie résonnaient dans sa tête, accompagné de flashs, tous les malaises, les douleurs qu'il traversait. Elle se mordit les lèvres. Elle aurait voulu le sauver, pouvoir l'aider encore, mais elle ne pouvait rien.
Pas avec la brume dans sa tête, les tornades dans son cœur, l'obscurité qui tournait et l'aspirait, son incapacité à trouver une raison.
Pas avec le chaos dans lequel il s'était plongé de lui-même et dont il ne voulait plus sortir.
Elle ramassa un de ses carreaux d'arbalète sous le lit, le faisant tourner entre ses mains avec fascination, passant son doigt sur la pointe aiguisée délicatement.
Ils mourraient tous les deux, c'était leur tragédie. Et elle n'était pas sûre de savoir attendre encore, alors que ses jambes se dérobaient chaque instant, que ses poumons peinaient à accomplir leur tâche un peu plus avec chaque respiration, alors que son cerveau ne parvenait plus à lui transmettre le monde clairement, alors que son esprit tournait à vide, produisant une anxiété permanente et sans objet.
La flèche entre ses mains tourbillonnaient, cristallisant la lumière faible de la chambre et la répandant en éclats irisés. Longtemps, elle s'était demandée comment une arme si dangereuse pouvait être si belle. Maintenant, elle ne le questionnait plus. Le carreau était beau, c'était tout.
Un vague sourire se dessina sur ses lèvres alors que de vieux souvenirs lui revenaient fantomatiquement. La brune avait toujours su tirer, viser à la perfection avec la puissante arbalète, de la même manière que son corps connaissait d'instinct les gestes de combat, comment désarmer, comment blesser, comment se défendre, comment attaquer. Comme un robot programmé pour la défense et la lutte. C'était sûrement ça d'ailleurs, des consignes gravées par Émilie dans son cerveau avant même son premier réveil.
Comment tuer.
Comment mourir par conséquent.
« Nathalie ! »
Elle se redressa soudainement, clignant des yeux, comme arrachée violemment à une rêverie profonde. Avait-elle rêvé le cri, la voix de Gabriel l'appelant de l'autre côté du couloir ?
Mais les pas qui se pressaient, le tambourinement contre sa porte, elle ne les hallucinait pas, elle en était sûre.
Pourquoi faisait-il si noir ? Elle fit un effort, écarquillant les yeux au maximum, mais sans parvenir à capter la moindre couleur, une quinte de toux lui arrachait les poumons à nouveau, le monde tourbillonnait, se refermant sur une seule idée, obscurité éternelle à laquelle elle était condamnée, le monde tournait, elle gardait les mains serrées sur le carreau d'arbalète, malgré leur engourdissement de plus en plus présent.
« Nathalie ? Nathalie répondez-moi, s'il vous plaît... »
Était-ce encore de l'inquiétude dans sa voix ? Non, elle devait rêver. Il ne pouvait pas... Ça ne faisait plus partie de ses émotions maintenant.
« Nathalie ? S'il vous plaît ? Est-ce que vous m'entendez ? Vous n'avez pas besoin de répondre, faites-moi signe... »
Elle inclina la tête vers la droite puis vers la gauche, sa manière de dire « peut-être », elle l'entendait, mais si loin, il était hors de portée, hors de son système, là où elle ne pouvait pas l'atteindre, où il ne pouvait plus la toucher.
« Nathalie... Je suis désolé. Sincèrement. S'il vous plaît. Ne faites pas ça. »
Où était-il ? Lui parlait-il vraiment ? Ça ressemblait à un rêve, dont elle ne pouvait pas sortir, une espèce d'expérience onirique paradoxale...
Et faire quoi ?
Elle ne pensait à rien, juste à l'obscurité qui régnait en elle, qui étouffait son cœur, l'aspiration au vide, au silence.
« Nathalie ? Donnez-moi ça, s'il vous plaît. »
Ses doigts se resserrèrent sur le carreau, intuitivement. Un contact doux, étrangement chaud vint lui effleurer les mains. Les doigts de Gabriel ? Mais... Il portait ses gants, normalement...
L'étonnement et la confusion l'arrachèrent d'un coup à la torpeur nauséeuse où elle était enfoncée depuis de longues, interminables minutes, peut-être même des heures, lui permettant de parler, attraper une idée des événements.
« Gabriel ?
— Oui.
— Que faites-vous ici ?
— Respirez, s'il vous plaît. Vous n'allez manifestement pas bien.
— Répondez-moi.
— Je ne... Je ne vous laisserai pas mourir. Le monde a besoin de vous.
— Je n'allais pas mourir.
— Vous êtes peut-être meilleure que moi en auto-réflexion que moi, mais apparemment ce n'est pas parfait, répondit-il d'un ton taquin.
— Cessez vos bêtises.
— Je porte un Miraculous de perception des émotions, Nathalie. Depuis suffisamment longtemps pour qu'il soit très précis même détransformé. Et je connais ce cocktail, pour l'avoir bu depuis l'enfance.
— Vraiment, s'étonna-t-elle d'un ton inquiet.
— Ce n'est pas moi le sujet.
— Gabriel, je vais bien.
— Psychologiquement, c'est une catastrophe et vous ne pouvez pas me mentir là-dessus. Physiquement, vous tremblez comme une feuille, vous avez les yeux écarquillés et le regard dans le vague comme si vous aviez du mal à me voir, et je vous ai entendue tousser plusieurs fois, en plus de votre difficulté apparente à respirer.
— Je n'ai pas besoin de vous. »
Elle ne le vit pas à cause de sa vision encore troublée, mais il détourna la tête, baissant les yeux, laissant un soupir très léger lui échapper.
« Je sais. Depuis le début je n'ai fait qu'aggraver votre état. J'étais censé vous aider et je n'ai fait que l'inverse, alors que vous vous damniez pour moi. Mais... Il fallait vous sauver. Vous ne l'auriez pas fait seule.
— Un point pour vous, approuva Nathalie, laissant échapper un sourire, et... Ce n'est pas vrai. Sans vous... Vous savez, si vous n'aviez pas été là, j'aurais abandonné bien plus tôt. Il n'y avait pas que l'aspect physique quand j'étais malade à cause du lien avec Émilie, il y avait un aspect mental. Qui m'étouffait et essayait de m'empêcher de vivre. J'ai perdu une grande partie de la personne que j'étais à ce moment-là. Mais vous vous battiez. Vous viviez. Vous étiez inventif. Vous essayiez. Et je vous ai vu agir, j'ai trouvé une raison de vivre, j'ai fait tourner mon monde autour de vous. Et j'ai reperdu mon orbite maintenant, le nouveau soleil que j'avais trouvé a explosé. Je suis une planète errante, une météorite perdue, et je me perds un peu plus chaque fois que je frôle quelqu'un.
— Nathalie... Pourriez-vous survivre sans moi ?
— Je n'en ai aucune idée.
— Je vais mourir.
— Moi aussi.
— Non. Je vous sauverai.
— Ce n'est pas... Gabriel. Vous ne pouvez pas dire ça.
— Si j'arrive à récupérer les Miraculous, je vous sauverai.
— Pourquoi ?
— Vous méritez la vie. Et revoir Émilie... Je la reverrai si je meurs, non ? Je serai avec elle.
— Gabriel... »
Il secoua la tête. Son idée était arrêtée. S'il parvenait effectivement à récupérer les Miraculous, si la tension montait assez pour que les Parisiens puissent tous partager une nuit de cauchemar, si le programme d'Alliance parfaite cessait de bugger, il le ferait. Parce que ce plan-là ne pouvait pas échouer, même Nathalie en avait convenu.
Mais il rechignait à le mettre en œuvre réellement. Il coopérait, bien sûr, il ne niait pas les décisions de Tomoe, mais plus le temps passait, plus il doutait. Il ne savait pas ce qui freinait encore la quête de pouvoir en lui, mais, avec les soucis techniques, il y avait une résistance psychologique.
« Pourquoi en êtes-vous arrivée à de telles pensées ?
— Je ne sais pas.
— Vous mentez.
— Puis-je ne pas vous le dire ? »
Le styliste soupira.
Son assistante ne le laissait jamais savoir ce qu'elle avait en tête, ce qu'elle pensait. Le Papillon lui permettait d'en avoir des éclairs, le plus vital, mais ça ne suffisait jamais à percer son mystère. Il s'y était habitué, mais parfois, ça ne suffisait plus, il voulait simplement la comprendre.
Je n'ai pas le droit. Pas sur ça.
Alors il hocha la tête, simplement. Si elle ne voulait pas dire pourquoi elle avait voulu mourir aussi profondément, il ne la forcerait pas.
Mais il se battrait pour que ce ne soit plus jamais le cas.
Il essaierait.
Il exposerait son cœur entièrement à l'inconnu, s'il fallait, pour lutter contre le besoin de verser ses tourments sur les autres comme un alcool dans son esprit.
« Vous détestez Monarque, n'est-ce pas ?
— Il n'y a que Madame Tsurugi pour ne pas le haïr. »
Cette sécheresse dans sa voix... Était-ce de la jalousie ? Ça y ressemblait en tout cas. Il ne pouvait plus vérifier, leurs émotions à tous les deux étaient de nouveau barricadées hors d'atteinte, mais cette dureté le secouait. Son esprit se débattait, tentant d'arracher les serres de la froideur artificielle, de la quête voulue obsessionnelle du pouvoir, mais elle était là.
Il ne savait pas ce qu'il faisait.
Et dans les yeux bleus qui le fixaient, on devinait qu'elle ne savait pas ce qu'elle faisait non plus. Pourtant, il y avait la volonté d'essayer.
Il lui chuchota qu'elle n'avait pas besoin d'être jalouse.
Parce que pour elle, il voulait essayer de comprendre à nouveau, de vivre à nouveau, de ne plus être mono-maniaque à nouveau.
Elle était sa seule amie.
Il était son seul appui.
Peut-être qu'ils pourraient trouver un moyen de survivre.
Un moyen de savoir qui ils étaient après tout.
************
21 Mars 2017.
Gabriel éteignit l'écran sur lequel il était en train de travailler et se tourna vers Nathalie avec un sourire léger, lui indiquant qu'il était satisfait de la situation. Dans sa tête, il avait prévu de partir, de retourner à sa chambre ou aller préparer le dîner, mais il ne put pas, son cerveau gela comme un logiciel trop sollicité, alors il se retourna simplement vers l'écran noir, tentant de réunir ses pensées.
Depuis qu'ils s'étaient mutuellement promis d'essayer, ils progressaient, un peu. Elle avait réussi à retrouver sa force, sa détermination, elle brillait avec puissance et douceur, s'occupait à nouveau de la compagnie d'une main de fer, tout en étant attentive à Adrien, organisant ses activités, l'aidant à trouver du temps pour retrouver Marinette à moitié en cachette du styliste. Elle partait régulièrement au siège pour travailler, malgré sa faiblesse physique, et ces journées semblaient durer des semaines entières.
Lui luttait comme il pouvait pour se retrouver. Elle l'aidait. Lui rappelait les souvenirs qu'ils avaient partagé, sa force de résistance, son inventivité, sa capacité de plier le monde s'il s'y attelait avec suffisamment de volonté. Chaque soir depuis, il se forçait à retirer la broche, malgré l'angoisse et la rage de son esprit. Mais la situation s'améliorait, son cœur réclamait de moins en moins de garder le pouvoir en permanence, à tel point qu'il avait réussi à retirer trois Alliances-mères, il ne les portait plus du tout depuis une semaine, et, le mois précédent, il avait réussi à toutes les retirer pendant une semaine. C'était dur, et leur emprise se faisait régulièrement sentir, mais il se battait avec détermination. Parce qu'il savait ce qu'il désirait réellement à présent.
Il y avait toujours des attaques, mais irrégulières, moins puissantes, et le logiciel de l'Alliance Parfaite échouait de manière inventive, piraté avec un malin plaisir par la brune, commençant à fonctionner puis s'arrêtant au milieu de la simulation, lançant un programme d'échecs au lieu de l'application voulue, créant des versions de Kagami et Adrien en train de faire des blagues, de se lancer dans des duels d'escrime, de chanter et de danser. Une fois, elle avait même réussi à faire reprendre aux algorithmes la chanson « Never Gonna Give You Up », faisant sourire Gabriel malgré la colère de Tomoe face à cet énième échec.
« Monsieur ? Vous allez bien ?
— Oui, Nathalie. Mieux que jamais. Je repensais à toutes vos inventions pour faire planter le logiciel, je me demandais où vous trouviez toutes vos idées...
— J'ai accès à Internet vous savez, des idées pour rendre le monde fou, il y en a plein. Les gens adorent partager leurs idées les plus dingues pour embêter ceux qui les enragent, je me sers. Il faut faire des petits ajustements, mais c'est amusant.
— Tant mieux... Comment allez-vous ?
— Bien. Les pensées noires sont parties. Et physiquement... Ça va. Tant que je ne panique pas trop, que je ne commence pas à me remettre en question en boucle, que je n'entre pas en crise. C'est comme s'il y avait une sécurité pour limiter les crises de panique, mon corps s'arrête presque automatiquement de fonctionner, je ne peux rien faire et mon cerveau s'éteint. C'était un peu le cas ce soir-là, avant que vous n'interveniez, j'étais... C'était comme si j'étais en train de faire un malaise, mais la détresse était plus forte.
— Je ne veux plus vous faire ça, Nathalie, murmura-t-il, presque pour lui-même, je ne veux plus. Parce que dans tout le bleu de désarroi du monde, je ne veux plus voir d'autre teinte que celle qu'il y a autour de vous. Et si vous partiez, je ne tiendrais plus. Je suis un créateur, mais je suis aussi destructeur, car je n'existe que comme une ruine à cause de mon passé, et la seule chose qui définit vers quel côté je penche, c'est la présence de quelqu'un à mes côtés ou la terreur de la solitude. Tant que vous êtes avec moi, je saurai vivre. Je n'appartiens pas au monde, et vous non plus, et je partirai dans mes tornades, mais pas tant que vous êtes là.
— Gabriel... Tant que vous avez conscience de qui vous êtes, tant que vous êtes rationnel et présent, je ne partirai pas. Je n'ai aucune raison de partir. Parce que ma seule place est auprès de vous, même si je sais être moi-même. Je sais qui je suis, une combattante, une amie, quelqu'un qui écoute et qui protège, et je sais aussi ce que je veux. Je veux que vous soyez heureux. Je ne laisserai pas, je ne laisserai plus ce désir m'effacer, mais il reste là.
— On devrait pouvoir s'entendre alors, puisque je veux que vous soyez heureuse, répondit le styliste avec un sourire taquin.
— Vraiment ??
— Oui. Ça fait cinq mois que nous luttons véritablement ensemble, et j'ai retrouvé ma voie. Je ne sais pas si je saurai jamais dire à quel point vous êtes lumineuse pour moi, à quel point vous voir en meilleure santé me soulage, à quel point vos sourires me rendent heureux, à quel point vos absences me font mal. Je sais ce que je veux et j'ai la force de lutter contre le Papillon grâce à ça.
— Je... Je ne peux pas comprendre, Monsieur.
— Nathalie, soupira-t-il en se tournant vers elle pour croiser son regard ciel assombri de questions et de doutes, s'il te plaît, ne sois pas aveugle comme je l'ai été. Je sais que je ne peux que te blesser, mais... J'aimerais juste réussir à te rendre heureuse, au moins pour le temps que nous avons.
— Gabriel... Ce n'est pas de l'aveuglement, c'est de la peur. Je ne sais pas ce que c'est de vivre.
— Est-ce que tu crois que nous pourrions apprendre ensemble ?
— Peut-être... Mais je... Que se passerait-il si je vous blessais ?
— C'est beaucoup moins susceptible d'arriver que l'inverse. Je te promets de tout faire pour ne pas te faire mal, et je sais que si tu me blesses, ce sera par accident, et involontairement. Je ne peux pas être certain de l'avenir, mais Nathalie, si tu acceptes, je te promets de toujours essayer de comprendre, et pardonner.
— Êtes-vous sûr de le vouloir ?
— Je te l'ai dit déjà. Si j'avais un vœu, ce serait que tu vives et sois heureuse.
— J'ai du mal à y croire. Mais... Je veux essayer, Gabriel, parce que tu es merveilleux, tu crées, quand tu trouves ton combat, tu te passionnes, j'aime la flamme de vie qu'il y a en toi... Je t'aime Gabriel. Je ne sais plus depuis quand, depuis longtemps, mais je t'aime. Je veux que tu sois heureux, et je veux aussi ton bien, je voudrais... Je voudrais pouvoir tenter cette aventure avec toi, mais j'ai peur.
— Nathalie... Je t'aime aussi. C'est normal d'avoir peur. Parce que changer une relation est compliqué. Parce que nous ne savons pas où nous allons. Mais nous sommes ensemble, je te le promets. Viens, j'ai quelque chose à te montrer, sourit-il doucement en l'entraînant vers l'atelier.
— Gabriel ?? Qu'est-ce que tu as fait encore ?
— Je... J'avais peur de ne pas savoir m'exprimer. Alors je t'ai fait une robe. Je ne sais pas si tu accepterais de la porter, mais... Je voulais te créer quelque chose...
— Vraiment ? C'est adorable !
— Chuut... Voilà, murmura-t-il tendrement en lui tendant un tissu rouge au bord doré, va l'essayer.
— Avec plaisir ! »
Un sourire brillant illuminait le visage de Nathalie. Elle souriait rarement ainsi, mais elle n'avait jamais connu une telle dose de bonheur, et, quand elle revint dix minutes plus tard, la robe rouge coupée droit, presque stricte habillant son corps d'une flamme de vie, elle semblait scintiller comme un astre nocturne. Les larges bretelles qui servaient de manches étaient recouvertes de petits éclats de diamants nimbant ses épaules d'une lumière irisée, la bande d'or au bas du tissu rehaussait la simplicité de la coupe, et les broderies argentées sur toute la tenue, en forme d'étoiles, de fleurs, de soleil reflétaient l'éclairage de la pièce en mille paillettes.
« Tu es sublime, Nathalie.
— Merci. C'est grâce à toi, tu sais. Je ne sais pas être belle sans ton talent.
— Tu es magnifique chaque jour. N'en doute pas, je t'en prie.
— Je te fais confiance, sourit-elle doucement. »
Comment avait-il mis aussi longtemps à se retrouver ?
Comment avait-il ignoré si longuement le bonheur à portée de main ?
Les questions s'attardaient dans leur esprit, mais ils ne s'en souciaient plus.
Car ils étaient enfin ensemble, ensemble contre le reste du monde.
Et il ne leur restait qu'une chose à faire.
Main dans la main, un sourire partagé flottant sur leurs lèvres, ils montèrent à l'observatoire.
Gabriel prit une profonde inspiration et renonça au pouvoir de chaque kwami, l'un après l'autre, leur remettant l'Alliance qui leur correspondait, les encourageant à retourner à leur Gardienne. Puis il libéra Nooroo de toutes ses contraintes, avant de se tourner vers Nathalie avec un sourire.
Ils étaient libres. Ils étaient forts. Leurs sourires se réunirent en un contact délicat, assuré, marquant dans la lumière du crépuscule la force de leur paix.
Ils s'étaient trouvés. Ils s'aimaient.
Aujourd'hui vingt-et-un mars aurait été l'anniversaire d'Émilie, et ils sentaient son sourire bienveillant traverser la mort et les féliciter de leurs progrès.
Aujourd'hui vingt-et-un mars, un nouveau printemps commençait, un printemps de renouveau, de joie et de liberté.
L'histoire s'était enfin conclue dans la joie.
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5009 Mots
Ce qui nous porte à un total de 11887 Mots, vous comprenez pourquoi j'ai coupé.
Et pourquoi je vous ai abandonnés sans publication pendant un mois.
Bon sang je l'ai enfin fini !!! Je suis contente.
Honnêtement c'était génial. Mais réécrire toute la série, essayer de progresser, de trouver des points d'avancement, de recul, c'était galère.
J'me suis lâchée sur les tenues, oui. J'avais envie d'en faire, ça faisait longtemps. Celles que Gabriel fait après Miracle Queen pendant que Nathalie est quasiment dans le coma, il y en a une qui était basée sur "invisble strings" et une simplement en noir, pour la tenue dont on parle au début d'Ephémère. La robe qu'il lui offre à la fin est basée sur un tableau que j'ai dans mes photos, j'ajoute demain matin, là j'ai la flemme.
J'ai bien disséqué mes chatons. En même temps, être en AU me permet de récupérer mon jouet préféré, Gabriel, donc je ne me gêne pas.
Enfin bref. J'espère que ça vous a plu, que c'était bien, que vous avez bien profité de l'OS le plus long du recueil (Union Extraordinaire exclu, mais lui il est spécial), dites-moi tout,
Bises,
Jeanne
(26/03/2024, 01h15, j'ai fini d'écrire à 00h46, oui la publi prend du temps)
PS le 3 avril : voilà la robe dont je me suis inspirée, je l'ai un peu modifiée.
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