Se construire (Partie 1)

 Hi ! Petites précisions.

 Premièrement, cet OS est en AU, Nathalie est un Senti créée par Emilie, idée absolument fantastique (je suis à demi sarcastique) de _CrAzY-M0ileen .

 Secondement, TW pensées suicidaires, surtout sur la deuxième partie mais celle-là est bien déprimée

 Troisièmement, le truc est tellement long que j'ai coupé en deux parties, la suite est juste après

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Janvier 1997.

Nathalie entrouvrit les yeux, le regard perdu, elle ne se rappelait rien, l'odeur de désinfectant lui irritait les narines, la lumière crue déversée des lampes incrustées au plafond au-dessus d'elle l'éblouissait, tout son corps lui semblait endolori. Elle rabaissa les paupières, essayant de rassembler ses idées et souvenirs.

Où était-elle ? Une chambre d'hôpital, oui. Mais pourquoi...? Impossible de s'en rappeler. Elle avait probablement eu un accident, quelconque... Des voix discutaient autour d'elle, n'aidant pas à dissiper sa confusion, des voix inconnues, qu'elle aurait dû reconnaître, elle le sentait...

« Émilie, tu es sûre que c'est une bonne idée ?

— Nous en avons besoin, Gabriel.

— Mais elle saura que nous les avons...

— Pas forcément. Je suis certaine que ça se passera bien. Mais nous n'avons pas fini notre quête, notre mission. Et nous ne pouvons pas continuer seuls. Audrey et André ont décidé d'arrêter. Nous ne sommes bons ni l'un ni l'autre pour nous faire des amis, trouver des gens de confiance. Et nous en avons déjà discuté. Avant.

— Tu as raison. Mais... J'ai peur.

— Ça se comprend, Gabriel. Tout ira bien, je te le promets.

— Lui dirons-nous la vérité ?

— Pas immédiatement...

— D'accord. »

Mais de quoi parlaient ces gens ? Et de qui ? Qui était-il ? Que se passait-il ici ? Nathalie grimaça, laissant échapper un gémissement. Avec un peu de chance, en attirant l'attention, ils lui expliqueraient...

« Oh, elle est éveillée, s'exclama la voix identifiée comme Émilie, viens !

» Bonjour Nathalie, comment vas-tu ? »

La brune inspira profondément, prit son temps avant de répondre que ça allait, même si elle se sentait extrêmement engourdie, et qu'elle n'arrivait pas à se rappeler de quoi que ce soit. Enfin elle avait quelques souvenirs flous, une grande maison dans la campagne, une mère attentionnée, des jeux, des années solitaires à l'école, elle ne les raconta pas bien sûr, mais elle ne se souvenait pas de ses années d'adultes.

La blonde se mordit la lèvre devant ce constat. Elle n'avait pas pensé que ça pourrait être aussi compliqué. Elle avait essayé pourtant, implémentant les voyages, les films, l'entreprise, mais apparemment ça n'avait pas imprimé aussi bien que les faux souvenirs d'enfance...

« Tu ne te rappelles même plus de nos voyages, murmura-t-elle d'un air désappointé.

— Les voy... Ça me dit quelque chose, mais rien de précis, désolée...

— Non, ne t'inquiète pas. C'est normal après tout, tu ne peux pas te rappeler de tout, l'accident... Je suis désolée, je nous ai presque tuées, j'ai complètement perdu le contrôle de la voiture, on a fait des tonneaux, tellement que ta ceinture s'est décrochée... Je ne sais même pas comment je m'en suis sortie aussi bien... Tu es restée endormie pendant trois jours...

— Oh. Je...

— Ce n'est pas grave si tu ne te rappelles pas, murmura la blonde d'une voix brisée, c'est ma faute...

— Ne t'inquiètes pas Émilie. Ça reviendra. Et au pire, ça ne m'empêchera pas d'être amie avec toi, j'ai des souvenirs de notre enfance. Je ne me rappelle pas de Gabriel, mais... J'apprendrai.

— Merci. Merci de ne pas m'en vouloir...

— Ce n'est rien. Après tout, ce n'est que trois jours et quelques souvenirs. Est-ce que tu peux me rappeler les grandes lignes, simplement ?

— Quand on était à la fac, j'ai entendu parler de différents bijoux magiques, et ça m'a énormément intéressée. Après j'ai tourné deux films, avec Amélie, réalisés par André Bourgeois. Et il nous a fait rencontrer une de ses amies de haute société, qui a été très intéressée par cette idée, alors elle a financé nos voyages, avec Audrey et André. On a rien trouvé encore. Mais... André et Audrey veulent se poser, arrêter de chercher... On sera juste tous les trois. Ça sera encore plus dangereux.

— Bien sûr que je vous accompagne. Il est absolument hors de question que vous partiez sans moi. Et on a dit que tant qu'on a pas trouvé les Miraculous, les bijoux, on continue. Puis j'aime explorer le monde.

— Merci Nathalie, s'exclama la blonde en frappant des mains, un immense sourire aux lèvres, merci !

— Tu avais peur que je t'abandonne parce que tu nous a mises dans un accident de voiture ou quoi ? Ça arrive les accidents !

— Oui enfin si je peux pas gérer une voiture..., marmotta Émilie.

— On s'en est sorties, non ? Et en un morceau. Je me trompe, Gabriel ?

— Non. C'est vrai, vous en êtes sorties toutes les deux. À peu près indemne, puisque tu es remise, Nathalie. Tout va bien. Nous allons rester encore quelques temps à Paris, puis nous repartirons, si ça vous va... »

Le styliste avait l'air nerveux, se passant la main dans ses cheveux blonds désordonnés à plusieurs reprises, sans que la brune puisse comprendre pourquoi. Il avait les sourcils froncés, les lèvres serrées, l'expression figée. Il s'était avancé d'un pas en prenant la parole, apparaissant plus distinctement dans la lumière, essayant de sourire. Gabriel ne souriait pas souvent.

Et surtout pas dans les moments d'inquiétude. Ça, c'était facile à deviner.

Mais la véritable raison de cette inquiétude, Nathalie ne l'apprendrait que bien plus tard.

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Mai 2001.

Nathalie était assise sur le rebord de la fenêtre, cachée de la chambre par les rideaux refermés. Un jour, elle déplacerait ce petit coffre devant la fenêtre et arrêterait de se cacher. Mais pour l'instant, elle était plus à l'aise ainsi. Parce que, malgré les mois, les années qui passaient, elle avait encore du mal à accepter, à se voir autrement que comme une simple dissimulation. Ils lui avaient tout raconté au début de l'année 1999, deux ans après sa création, et tout avait eu plus de sens ensuite. Ça avait fait mal. La douleur s'engourdissait, mais le sentiment d'inadéquation restait. Et pourtant, ces mots, ces explications avaient fait le sens sur ses peurs et ses vides mémoriels, cette impression de ne pas exister du tout sans eux.

Comme un personnage attendant d'être lu, incapable de dérouler le fil de ses actions. Alors la brune regardait par la fenêtre, observait les discussions et les jeux de ses amis, étudiait la vie réelle avec intérêt, comme si ça lui apprendrait à en faire part.

Enfin réelle...

L'enfant à naître, son cousin à venir, ils étaient aussi artificiels qu'elles.

Artificiels.

Des outils. Des choses. Fabriqués non naturellement. Pour un objectif.

« Pourquoi suis-je faite, murmura-t-elle inaudiblement, quel est mon rôle ? Les humains n'en ont pas de prédéfini, c'est eux qui choisissent qui ils sont, mais...

— Nathalie ? Que fais-tu dans le noir ?

— Oh, je ne suis pas dans le noir. Mais... Je préfère être isolée. Comment vas-tu, Amélie, répondit la brune en entrouvrant ses rideaux, laissant la lumière éclairer le désordre de la pièce.

— Ça va... Colt est étrange en ce moment, mais plus détendu. Ça fait depuis que je suis enceinte qu'il est comme ça... C'est rassurant. Pourquoi t'enfermes-tu ici, dis ? Il fait si beau dehors...

— Je... Tu sais, il y a des moments où on se sent comme étranger au monde, comme si tout était irréel ?

— Oui...?

— Ça m'arrive assez souvent, surtout avec le bonheur. J'ai l'impression que tout est chorégraphié, et que si j'avance dans une scène, je vais tout casser, que ma présence pourrait déranger l'ordre de l'univers. Je ne sais pas trop comment apprivoiser ce sentiment et m'en débarrasser, alors je reste de côté. C'est plus confortable.

— Tu sais, si tu attends simplement, ça ne partira pas. Essaie de rentrer dans ces scènes-là, de constater que tu ne les brises pas. Tu es une fille géniale, Nathalie, vraiment, et Gabriel et Émilie tiennent beaucoup à toi, tu ne gâcheras rien. Je te le promets.

— Merci, Am'...

— Allez, viens. »

La brune hocha la tête et suivit son amie jusqu'à la cour arrière du manoir. Son esprit battait encore de considérations existentielles trop profondes, sur son but, sa présence, elle avait été créée pour accompagner Gabriel et Émilie dans leurs voyages, mais cette période était achevée à présent... Alors oui, elle avait développé une véritable personnalité, elle était devenue amie avec Émilie, mais il n'y avait rien d'autre.

Elle n'osait pas descendre. Amélie avait rejoint sa sœur et son beau-frère dans la cour mais Nathalie restait en haut des marches, plus proche mais toujours sans s'intégrer.

Soudain, une main se posa sur son épaule, doucement, l'incitant à se retourner, provoquant un froncement de sourcils. C'était le nouvel employé de Gabriel, nouveau garde du corps, Dario Tornamen. Peut-être un nouveau membre dans la famille, si le temps passait suffisamment, même si son tempérament taciturne ne s'y prêtait pas.

« Est-ce que vous pouvez même parler, s'étonna-t-elle presque malgré elle, sans attendre de réponse. »

Et pourtant, la réponse vint. Elle ne fut pas sonore, mais les doigts du garde s'agitèrent, expliquant qu'il pouvait, mais ne voulait pas. Son expression montrait son doute quant à la compréhension de la brune, mais elle répondit en signe elle aussi, s'étonnant d'un tel choix, ça ne devait pas être facile à vivre.

Je préfère l'isolement plutôt que devoir parler de mon passé.

C'était si terrible ?

Vous ne voulez pas savoir à quel point.

Leurs mains dansaient presque, alors qu'ils échangeaient, partageaient leurs réflexions, le garde du corps soulignant l'étrangeté de la voir toujours seule, elle répondant que c'était un choix parce qu'elle ne savait pas vraiment qui elle était, ce pourquoi elle était faite, et la connaissance du monde et du bonheur semblait venir si facilement à la plupart des gens que ça l'effrayait. Un sourire apaisant vint éclairer doucement le visage de son interlocuteur, murmurant que personne n'était fait pour quelque chose et que oui, avoir à se créer et s'apprendre était angoissant, mais ça se faisait.

Une fois qu'on a compris que tout le monde ne fait jamais que porter des masques pour dissimuler l'angoisse, c'est plus simple.

Pourquoi, plus simple ?

Parce qu'en grandissant, on apprend que tout le monde a sa place et qu'il faut correspondre pour être apprécié, sans voir que tous les groupes sont artificiels. Qu'il faut être soi d'abord, puis on trouve les gens qui sont comme nous. Est-ce que vous savez qui vous êtes ?

La brune prit son temps avant de répondre. Elle avait des idées, mais elle ne savait pas vraiment qui elle était. Quelques caractéristiques pouvaient bien la décrire, mais c'était difficile d'en tirer une identité réelle, exacte. Elle était curieuse, aventureuse, attentive, déterminée, têtue, elle réfléchissait à chaque aspect d'une décision avant de la prendre, elle avait le tic de se mordre la lèvre inférieure quand elle pensait, elle aimait dessiner, organiser, aider.

J'ai l'impression de ne pas avoir droit à une vraie vie. Je ne sais pas qui je suis.

Émilie est votre amie, non ?

Oui. Ça... J'en suis certaine. J'apprécie Amélie, Gabriel... Je lui fais confiance mais il m'impressionne. Émilie c'est une amie. Je peux raconter tout et n'importe quoi, nous nous faisons confiance, je ne sais pas qui je suis mais avec elle, je n'ai pas besoin de prétendre. Parfois j'ai le sentiment qu'elle me connaît mieux que moi-même.

Alors parlez-lui. Dites-lui comment vous vous sentez, par rapport au bonheur, à la réalité. Je suis certain qu'elle saura vous aider, vous rappeler que votre vie a de la valeur. C'est mon amie qui m'a appris ce que je voulais, qui m'a fait comprendre que je ne pouvais pas rester là-bas. Les amis aident à se trouver.

Merci...

Ce n'est rien.

Nathalie hocha la tête, et finit de descendre les marches. Parler en silence avait apaisé son chaos, ses questions. Et les conseils du Gorille l'encourageait à aller de l'avant. Peut-être qu'elle pourrait se trouver, finalement, avec l'aide de ses proches.

L'idée faisait battre son cœur, irrésistiblement. Elle voulait devenir elle-même. Elle se trouverait.

Et, en s'incrustant simplement dans la discussion entre Amélie, Émilie et Gabriel, elle sentit un poids s'envoler. Elle détenait les clés à présent, et son existence n'était plus une prison.

************

Dix-huit août 2014.

Nathalie fixait le vide, le cœur battant la chamade, son esprit incapable de former une pensée cohérente. Elle ne pouvait pas parler, elle regardait Gabriel, Amélie, Dario, Félix et Adrien, Tomoe et Audrey, André. Kagami, la fille de Tomoe se tenait sur le côté, près de la grille du cimetière, sans adresser la parole à personne. C'était la première fois que la brune voyait la jeune fille, et elle était curieuse. Mais pour l'instant, elle ne pouvait penser à rien d'autre qu'à la peine dans son cœur, à la difficulté de sa respiration, à la migraine qui rendait tous les sons distants, lui faisait voir des points noirs. Elle se dirigea vers un banc et s'assit.

Depuis deux ans, depuis que la maladie d'Émilie s'était aggravée, elle en subissait des répercussions inattendues, des migraines régulières parfois très violentes, des crises d'asthme déclenchées par la moindre poussière, sans que personne ne comprenne. Elle était certaine que c'était lié à la maladie du Miraculous qui avait fauché la vie de son amie, sa créatrice, et depuis sa mort, deux jours auparavant elle en était encore plus convaincue. Son cœur semblait s'être physiquement brisé sous le poids de l'émotion, son état s'était dégradé de manière extraordinaire en à peine deux jours, elle n'avait aucune idée d'où les forces lui étaient revenues pour assister au pseudo-enterrement ce matin. Oui, pseudo, le corps d'Émilie n'était pas là, mais enfermé dans la cave. Elle avait trouvé cela absurde, un déni puéril, mais elle n'avait pas eu la force de s'y opposer.

« Nathalie ? Vous allez bien ?

— Oui Adrien, ne vous inquiétez pas. Je réfléchissais simplement. La vie est une chose tellement étrange... La mort encore plus.

— Vous croyez qu'on saura faire ?

— Nous avons tous appris à vivre. On peut toujours apprendre. J'en suis certaine. C'est juste un changement de plus. Nous vivrons avec.

— Vous n'allez pas mourir, hein ? Ce serait... encore plus compliqué...

— Adrien ?

— Ne soyez pas surprise. Vous avez toujours été là pour moi. Vous avez toujours veillé sur moi, et la plupart de mes connaissances viennent de vous. Vous me comprenez, mieux que n'importe qui d'autre, même Félix et Chloé, qui sont mes amis. Je tiens à vous. Je ne veux pas vous perdre.

— Je n'avais pas réalisé que vous teniez à moi à ce point. Je ne peux pas promettre de ne pas mourir, parce que ce genre de choses ne dépend pas de moi, mais je ferai de mon mieux. Je ne vous abandonnerai pas Adrien.

— Merci, Nathalie, s'exclama-t-il en la serrant dans ses bras, merci ! »

Un sourire éclaira le visage inquiet de Nathalie tandis qu'elle rendait l'étreinte. Jamais elle n'avait pensé avoir une importance telle. Elle ne réalisait que maintenant qu'elle faisait réellement partie de la famille, qu'elle existait aussi pour les autres. Apprendre à être lui avait pris tellement d'attention que son impact sur l'extérieur lui avait échappé, mais maintenant, elle réalisait. Et parmi toutes les certitudes acquises sur elle-même au cours des ans, une nouvelle s'y ajoutait, le serment de ne jamais abandonner la vie et son espoir.

************

Un an plus tard, été 2015.

Assise sur son lit, Nathalie essayait de retrouver sa respiration. Il avait beau être tard, elle venait à peine de se réveiller, d'un de ses sommeils tourmentés de cauchemars. Plus le temps passait, plus la situation devenait compliquée.

Émilie... Tu me manques...

« Keuf, keuf... »

Cela faisait un an déjà. Un an qu'Émilie était morte, et presque autant que Gabriel essayait de la ramener.

Un an que Nathalie faisait des cauchemars, voyait son amie en rêve, lui souriant doucement, un an que la brune n'arrivait pas à détacher ses pensées de la morte, de la mort.

Un an qu'elle avait promis. Promis de ne pas mourir. Et quand elle avait rassuré Adrien, qu'elle avait prononcé son serment, elle y croyait véritablement. Mais maintenant...

Son esprit ne savait s'illuminer, il pleuvait continuellement dans sa tête, elle apercevait des lueurs de temps en temps, les sourires de Gabriel, la joie d'Adrien en parlant de ses camarades, mais ces vagues éclaircies ne dissipaient pas la tempête.

Un soupir lui échappa. Encore.

Les quintes de toux se multipliaient. Les migraines détruisant son esprit se faisaient de plus en plus fréquentes. Les cauchemars la hantaient presque chaque nuit. La mélancolie collait à sa peau sans qu'elle puisse l'expliquer.

« Nathalie ? Comment allez-vous ?

— Je... Ça va, je suppose. Ma santé ne s'améliore pas, elle ne s'améliorera jamais, pas sans Émilie, mais... Je survis.

— Vraiment, demanda-t-il en poussant la porte.

— Ne vous inquiétez pas pour moi. Je vais bien.

— Pourquoi avez-vous tellement besoin de prétendre ?

— Je ne sais pas.

— Je voudrais pouvoir vous aider. Vous aider à guérir. Mais...

— Ce n'est pas grave, Gabriel. Personne ne peut rien y faire. »

Il soupira. S'il trouvait un moyen... Il était pratiquement certain que réparer le Miraculous du Paon pourrait l'aider, peut-être la guérir entièrement, mais c'était impossible. Les passages qui pouvaient éventuellement en parler demeuraient indéchiffrables, Nooroo demeurait ignorant, Duusu restait sans doute incompris, et Nathalie continuait d'être malade, et les mots que son amie lui glissait, avouant progressivement ses difficultés, n'étaient guère rassurant.

Elle éprouvait des difficultés à rester concentrée, à former une pensée cohérente, à penser à autre chose qu'à leur partenaire, à trouver la volonté de vivre. Alors il l'encourageait, retrouvait son humour de jeunesse pour elle, jouait d'acrobaties, prêt à se briser le dos si ça pouvait la faire sourire. Il n'hésitait pas car il savait que, s'il la perdait elle aussi, il ne saurait pas continuer à avancer. La simple présence de Nathalie l'aidait à se battre.

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16 Octobre 2015.

Catalyste serrait les dents. Gabriel était sorti, et elle était persuadée que c'était une mauvaise idée. Son cœur se serrait en pensant à son regard quand il avait élaboré ce plan, quand il lui avait demandé son aide. Ces derniers mois, elle avait réussi à trouver une raison de combattre la maladie, la mélancolie qui s'emparait d'elle. L'aider, lui redonner espoir, répondre à ses suggestions, les sourires qu'il lui arrachait étaient de plus en plus sincères, de plus en plus nombreux, et, sans qu'elle ose nommer le trouble qui faisait battre son âme, elle savait. Chaque seconde.

Il avait recoloré sa vie, lui avait montré des teintes d'émotions qu'elle ne pouvait voir avec personne d'autre.

Et pour lui, elle se ruinerait à l'infini. Elle mourrait vingt fois pour le savoir heureux.

Alors quand elle réalisa qu'il avait été piégé par les héros, elle n'hésita pas une seule seconde.

Oui, elle avait promis de vivre et ça ne pourrait pas aider sa santé.

Mais survivre n'était pas vivre.

« Papillon ? Je suis Mayura. Te voilà dos au mur, en proie au plus profond désespoir. Laisse-moi donc t'aider.

— Non, ne faites pas cela !!

— Que ton désespoir s'incarne sous la forme d'un protecteur. »

Elle sentit la résistance de Gabriel tenir encore une seconde, avant de s'effacer brutalement, laissant un gigantesque papillon violet apparaître derrière lui, propulsant l'équipe de héros au loin. Ladybug s'accrocha à la queue du Senti-Être, mais Nathalie le fit disparaître sans hésiter.

La catastrophe avait été évité. Même si elle venait de révéler au monde le secret du second Miraculous. Même si elle avait fait un pas de plus au bord du gouffre.

Elle s'effondra au sol. Son pouls battait dans ses tempes, assourdissant le monde alentour, l'univers entier tourbillonnait devant ses yeux, flouté de points noirs clignotant, ses poumons se battaient pour réussir à ingérer de l'air alors que son diaphragme se contractait violemment, la faisant tousser de manière frénétique.

Soudainement, deux bras se refermèrent sur elle, une chaleur se répondit autour d'elle, lui permettant de reprendre son souffle, d'apaiser les battements de son cœur. Elle avait enfin un point d'appui, quelque chose à quoi se raccrocher. Et, le temps qu'il la porte jusqu'au salon et l'asseye dans un fauteuil, elle allait déjà un peu mieux.

« Je vous avais pourtant dit de ne jamais utiliser le Miraculous du Paon.

— Je n'avais pas le choix Monsieur. Il fallait que je vous sauve... Keuf, keuf...

— Il est endommagé, c'est beaucoup trop dangereux !

— Je tiens à vous aider. Quel qu'en soit le prix... »

Elle entendait la colère de sa voix, mais elle percevait surtout l'inquiétude de son cœur, engourdissant les craintes qui battaient en elle, elle savait pourquoi elle l'avait fait, et elle le sentit renoncer à le lui reprocher, s'apaiser devant le sourire qu'elle affichait. Il sourit à son tour, avant de déclarer doucement :

« Je vous remercie Nathalie. Pour tout. »

Il déposa sa main sur celle de sa partenaire, doucement. Il avait extrêmement peur pour elle. Il était sincèrement reconnaissant, aussi, mais il était terrifié.

Elle était malade, déjà, et maintenant elle se condamnait encore plus, en prenant un Miraculous endommagé...

Ses doigts vinrent effleurer la joue de son amie, presque malgré lui.

« Nathalie... Pourquoi faites-vous cela ?

— Je ne veux plus survivre, Gabriel, répondit-elle en détournant le regard, j'ai besoin d'une raison de vivre. D'exister. Et... J'en ai trouvée une dans le fait de vous aider. Même si cela doit me coûter ma vie... au moins j'aurai vécu.

— Nathalie...

— Ne vous inquiétez pas. Je trouverai un moyen de vivre encore. Je ne vous abandonnerai pas, Gabriel. Je vous le promets.

— Merci... Nathalie, je vous en supplie, faites attention à vous. Ne prenez pas de risques inutiles.

— C'est promis.

— J'ai un Miraculous lié aux émotions aussi, vous savez ?

— Je veux vous aider. Ou je ne sortirai jamais des ténèbres de mélancolie et d'instabilité mentale où je suis plongée depuis un an et deux mois.

— Vraiment ?

— Je le crois.

— Alors nous essaierons. Nous sommes ensemble, maintenant.

— Oui. Ensemble contre le reste du monde s'il le faut. »

Il sourit et se releva. Sa peur n'était pas dissipée, pas totalement, mais elle était apaisée. Et surtout, Nathalie l'avait convaincu qu'elle risquait de dépérir quoi qu'il fasse. Son lien avec Émilie était trop fort pour accepter d'être brisée, et la tirait vers la mort psychologique à chaque instant il le savait. Alors s'il y avait un moyen de l'apaiser, il le ferait.

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25 Janvier 2016.

Nathalie était effondrée sur son lit. La douleur pulsait encore en elle, depuis trois heures, elle avait vomi tout ce qu'elle avait pu ingérer ces derniers jours et le goût de bile qui lui restait dans la bouche lui donnait envie de recommencer, son cerveau ne pouvait aligner deux pensées cohérentes, ne lui laissait voir que du noir, avec quelques points de couleurs qui tourbillonnaient à lui donner le vertige, tout son corps criait de douleur, ses muscles paralysés par l'effort fait pour retourner jusqu'à sa chambre, son cœur pulsant avec fracas, déchirant son cerveau d'un tonnerre lancinant, sa respiration était hachée, difficile, l'air rentrait à peine dans ses poumons, son esprit inventait des images de cauchemar, un monde en feu puis figé dans une glace indestructible, sa température corporelle était tout aussi chaotique, elle voyait sa création revenir du néant où elle l'avait envoyée, lui arracher les yeux de rage, lui retirer les ongles avec mépris, la douleur physique réelle presque dépassée par celle de ses hallucinations.

Elle se mordait la lèvre pour ne pas gémir, ne pas laisser échapper les sanglots qui l'attaquaient. Elle avait mal. Elle avait peur. Elle culpabilisait. Le monde s'effondrait autour d'elle, et elle avait rejeté la seule personne qui aurait pu l'aider. Gabriel. Elle lui avait ordonné de la laisser seule, elle l'avait éloigné avec hargne, mais maintenant elle avait l'impression de mourir et d'être abandonnée.

Et cette voix dans sa tête lui disait qu'elle le méritait, qu'elle méritait la solitude et la douleur, l'impression d'imploser, de mourir, elle méritait de mourir, elle avait fait échouer le plan de Gabriel, elle avait créé un Senti-être presque aussi conscient qu'elle-même, aussi intelligent, avec de l'amour et une vie à donner, des choix à faire, elle l'avait créé pour le mal et l'avait détruit sans pitié, sans hésiter quand elle s'était retournée contre elle, elle était plus un monstre que n'importe laquelle de ses créations pour avoir retiré une vie semblable sans hésitation, c'était contre-nature et tout son être le lui faisait comprendre.

Le lui faisait regretter.

La douleur bouillait en elle, mais jamais Nathalie ne la laisserait la dominer.

C'était une promesse. Un serment.

Plus jamais elle n'utiliserait son pouvoir ainsi. Les robots in-intelligents, les automates pilotés par leurs akumatisés, d'accord. Les êtres assez conscients pour éprouver quelque chose, plus jamais.

La brune se redressa.

La nausée ne passait pas.

La douleur ne s'estompait pas.

Les hallucinations ne disparaissaient pas.

Mais elle avait confiance en elle-même.

Elle pouvait y arriver.

Il lui fallait juste tenir un moment.

Et se remettre suffisamment d'ici mercredi, pour le plan final de Gabriel, qui devait leur permettre de récupérer la Miracle Box, et tous les secrets du Gardien.

Ça allait bien se passer.

Il fallait que ça aille bien.

Elle arriva à pousser la porte, sa vision revenait progressivement.

La crise diminuait enfin.

En arrivant devant la porte du bureau, elle toqua, retenant toute sa concentration et sa force pour ne pas s'effondrer.

« Nathalie ?? Retournez vous coucher. Vous devez vous reposer, s'exclama Gabriel en ouvrant la porte, je vous en supplie...

— Je... Je vais bien, s'efforça de répondre la brune, espérant que sa respiration ne soit pas trop sifflante.

— Nathalie. Vous ne pouvez pas mentir ainsi. Vous tenez à peine debout.

— Je... voudrais... vous aider...

— Je... Le meilleur moyen de m'aider sera de vous reposer. De pouvoir être efficace. Il faut se préparer pour mercredi.

— Gabriel... J'ai détruit la Senti, tout à l'heure... Sans hésiter...

— Vous n'aviez pas le choix, répondit-il doucement en posant les mains sur ses épaules en un geste apaisant.

» Vous n'aviez pas le choix, et vous avez fait ce qui vous semblait le plus logique. Ne vous en voulez pas, vous n'êtes pas responsable. J'imagine bien que ça doit être douloureux, que ça vous paraît monstrueux, mais vous l'auriez laissée vivre, vous l'auriez laissée exister si vous n'aviez pas été au milieu d'un combat, obligée de vous défendre à une contre trois alors que vous étiez affaiblie par la maladie.

— Comment savez-vous toujours dire ce qu'il faut pour me rassurer ? »

Son sourire était sincère. La crise était enfin passée, même si un léger vertige demeurait encore, même si sa veine temporale battait encore avec une force inhabituelle, même si un arrière-goût de bile restait dans sa bouche. Elle allait mieux. Parce qu'il était là, qu'il la rassurait et s'inquiétait pour elle, parce que le temps passait plus facilement avec lui, parce que ses mots attentifs calmaient la panique de son esprit.

Il s'en était peut-être rendu compte, peut-être pas, mais son sourire, l'inquiétude et la tendresse qu'elle sentait battre en lui l'apaisaient.

Il la guida vers le bureau et, ensemble, ils finalisèrent les détails du plan de mercredi, leur grand plan, qui leur permettrait de progresser, au moins un peu, si tout se déroulait correctement.

Gabriel percevait toutes les inquiétudes qui battaient en elle, mais aussi un bonheur immense, un sentiment de sécurité plus grand que tout, une joie qu'il ne comprenait pas, une tristesse affleurante, une anxiété certaine, un regret permanent. Nooroo ne lui laissait pas la possibilité de lire les émotions cachées ou les sentiments profonds mais il avait vécu assez pour soupçonner à quoi ce cocktail complexe et unique pouvait être dû, ça le terrifiait. Parce qu'il n'arrivait pas à ré-ouvrir son cœur à d'autres émotions que le panel du deuil et du manque, qu'il ne savait pas éprouver quoi que ce soit de positif sauf quelquefois aux tréfonds de son âme, qu'il ne parvenait pas à comprendre ce qui pourrait capturer en lui une âme si lumineuse et indépendante que celle de Nathalie.

« Gabriel, vous n'êtes pas un monstre.

— Et vous ne devriez pas vous soucier de moi.

— Vous êtes ma raison de survivre.

— Ça ne devrait pas.

— Pourquoi donc ?

— Je suis un égoïste.

— Vous voulez vivre. Vous voulez vivre pour le simple fait que vous existez et estimez avoir le droit d'être. Ce n'est pas de l'égoïsme, c'est de la conscience de soi.

— Nathalie, je détruis le monde en permanence pour ce soit-disant droit d'exister, je n'ai jamais fait que ça.

— Vous avez été brisé, Gabriel, et vous cherchez un moyen de vous réparer.

— Je n'ai pas le courage de défendre et d'appliquer ce en quoi je crois au fond, je suis un lâche.

— Un lâche ne se lancerait pas sans hésiter dans les aventures que vous avez réalisées, que ce soit l'entreprise, les voyages ou même de simplement vivre, avoir une famille.

— Pourquoi vous entêtez-vous ?

— Parce que je veux vous rappeler qui vous êtes. Que vous n'oubliiez pas d'où vous venez, et que vous ne vous perdiez pas. Parce que parfois, j'ai l'impression que vous oubliez votre vérité, vous oubliez que vous n'êtes pas seulement le Papillon. Et ce n'est pas bon. Alors je vous rappelle que vous êtes quelqu'un de complexe, avec des qualités et des valeurs. Quand vous refusez de vous apprécier, que vous dressez des barrières contre vous-même, vous vous enfermez dans votre obscurité. Vous comprenez ?

— Je crois... Je crois que je comprends...

— Tant mieux.

— Nathalie ?

— Oui ?

— Comment allez-vous ? Sincèrement.

— Mieux. Tuer Senti-bug m'a profondément affectée, mais je me remets. Ça a pris du temps, j'ai encore mal à la tête, mais... Le reste est passé. C'était déjà presque passé quand je suis arrivée, ça fait presque vingt minutes que je suis là, et je... Je me sens toujours mieux avec vous. Je vais bien.

— Faites attention à vous, s'il vous plaît.

— Je vous le promets, Gabriel. Je vais aller me reposer, et je serai en forme mercredi.

— Bien.

— Bonne soirée, Gabriel.

— Bonne soirée, Nathalie... »

Il la regarda partir, un sourire flottant sur ses lèvres. Elle était sa raison, le seul ancrage qui lui permettait de ne pas entièrement plonger dans la folie, il le savait. Elle était sa partenaire, son amie, la seule personne en qui il avait véritablement confiance. Un soupir lui échappa. La manière dont elle s'entêtait à le sauver, à l'aider, n'était pas bonne pour elle. La brune oubliait systématiquement de prendre soin d'elle-même, depuis toujours. Camarade d'exploration, garde du corps, conseillère, amie, assistante professionnelle, partenaire de crime, quel que soit le rôle qu'elle se donnait, qu'elle prenait, elle s'investissait à fond, ne reculait devant rien, se montrait intelligente et créative, toujours à l'écoute.

Ils s'étaient rapprochés ces derniers mois, et il n'arrivait pas à comprendre comment il la considérait, ses sentiments étaient forts, mais il ne pouvait les entendre, il les enfouissait et ne savait pas les déchiffrer.

Le styliste secoua la tête. Tout ce qu'il voulait, c'était pouvoir retrouver la lumière, et s'il y avait une chose de certaine, c'était qu'il n'y arriverait pas sans elle.

**********

Le mercredi suivant.

Gabriel étendit Nathalie dans la voiture, le cœur retourné. Elle était pâle comme un drap, gardait les yeux fermés solidement, tout son corps tremblait, ses muscles tressautaient, se contractaient soudainement avant de se détendre à nouveau, sa respiration était visiblement laborieuse...

« Oh, Nathalie, les mots me manquent pour vous dire à quel point je suis navré... Malheureusement une fois de plus, j'ai échoué, vous avez épuisé vos forces... Et tout cela en vain...

— Non, répondit-elle en se redressant légèrement, un sourire hésitant apparaissant sur ses lèvres, pas en vain Gabriel. Il y a une version déchiffrée du grimoire sur la tablette du Gardien. Nous allons enfin pouvoir réparer le Miraculous du Paon. »

Il répondit d'un sourire timide. C'était déjà quelque chose, mais...

Nathalie s'était épuisée. Plus que jamais. Les effets de la dégradation du Miraculous étaient terriblement visibles, elle semblait entièrement à bout de force et il s'en voulait terriblement. C'était sa faute si elle était dans cet état, à cause de ses erreurs lors du jour des héros, de son incapacité à se battre seul. Et pourtant elle était toujours là, à côté de lui, plus efficace que lui, trouvant de quoi progresser, même quand il échouait.

Le styliste s'était assis sur le siège du conducteur en réfléchissant et, plongé dans ses pensées, il conduisait automatiquement vers le manoir. La maladie de son assistante pesait sur son esprit, elle s'était endormie à l'arrière, terrassée par la fatigue, il entendait sa respiration, lourde, difficile, il apercevait dans le rétroviseur les tremblements qui l'agitaient, et il sentait son cœur se serrer.

Cette fois, il devait trouver une solution, de lui-même, avancer dans sa propre quête. Elle lui avait donné une clé de plus, la tablette qui lui permettrait de réparer le Miraculous, il pourrait faire quelque chose peut-être...

« Duusu, Nooroo, appela-t-il, j'ai une question.

— Oui, s'étonnèrent les deux kwamis en sortant du siège où ils étaient cachés.

— Est-il possible de modifier un Senti-être après sa création ?

— Je... Je suppose que oui, répondit Duusu d'un ton hésitant, si vous avez l'amok et une idée très précise de ce que vous voulez faire...

— Je veux la guérir. Je sais que je ne peux pas annuler les effets du Miraculous sur son organisme, mais... il y a la maladie précédente, et je dois pouvoir faire quelque chose. Elle me haïra quand ce sera fait, mais c'est mieux ainsi.

— Maître, s'étonna Nooroo, que voulez-vous faire ? Pourquoi êtes-vous si inquiet ?

— Nathalie a été créée par Émilie, il y a dix-neuf ans. Émilie voulait une amie, une personne de confiance, et elle a inscrit en Nathalie une forme de loyauté envers elle. Mais... Quand Émilie est devenue sérieusement malade, en 2012, Nathalie est tombée malade elle aussi. Le seul moyen d'améliorer son état de santé serait de couper ce lien, de détruire la liaison entre elles deux. Mais... Je sais que Nathalie ne me le pardonnerait probablement pas. Ça voudrait dire... Supprimer totalement son affection, sa loyauté envers ma femme. Et c'est une part d'elle qui est importante. Je ne sais pas quoi faire, en réalité. Le choix juste serait mériter sa haine, couper le lien, et en ne le faisant pas, je me rendrais encore plus coupable... Mais j'ai si peur...

— Vous y arriverez, Maître, promit Nooroo doucement, vous trouverez quoi faire.

— Merci... »

En arrivant au manoir, il gara la voiture et ouvrit les portières, prenant sa partenaire endormie dans ses bras, délicatement. Elle était toujours parcourue de frissons, la respiration faible, mais plus régulière que juste après le combat. L'anxiété, quelque peu dissipée par le trajet, était revenue en vagues impitoyables dès qu'il s'était levé.

Il l'emmena jusqu'à sa chambre et l'allongea sur son lit, la déposant par-dessus les draps avant de récupérer une couverture pour l'en couvrir. D'un contact inquiet et délicat, il prit son pouls, laissa échapper une grimace. Régulier, oui, mais faible, si faible... Il avait dû s'y prendre à trois fois et attendre un moment avant de le détecter, et ça ne diminuait pas son inquiétude, au contraire.

Il ne pouvait pas la quitter. Un soupir inquiet s'échappa de ses lèvres, il envoya un message indiquant à Adrien que la maladie de Nathalie s'était empirée, il resterait avec elle jusqu'à ce que ça aille mieux...

Le styliste poussa un soupir, demanda à Nooroo d'aller lui chercher sa tablette, il avait besoin de dessiner pour se changer les idées. Il faisait souvent ça au début, quand la mort d'Emilie était trop présente dans son esprit, que le refus l'envahissait chaque jour, avant que la combativité prenne le dessus, et maintenant qu'il devait veiller une Nathalie retenue à la vie par un fil invisiblement fin, les idées se bousculaient, les couleurs, un haut turquoise, souligné à la taille d'une bande d'or, une jupe longue, fendue à gauche, d'un vert foncé, des chaussures à petits talons, d'un bleu presque noir mais éclairé de touches ciel, une robe noire,au tracé simple, le col en V, des manches légèrement bouffantes, des éclairs gris acier parcourant la jupe, se reflétant par des étoiles lumineuses sur les ballons de tissus autour des épaules, une sur-couche de dentelle un ton plus claire.

Gabriel créait.

Gabriel tissait ses idées.

Gabriel s'apaisait.

La respiration de Nathalie se faisait sifflante par moment puis s'apaisait, redevenait normale.

Il vérifiait son pouls par moment, et si ce dernier restait faible, il demeurait à peu près régulier.

Tout allait bien.

Ça allait passer.

Elle allait se réveiller d'une minute à l'autre, un sourire aux lèvres, espérant ne pas trop l'avoir embêté, demandant si elle pouvait l'aider.

Tout allait bien.

Le styliste n'avait jamais vu quelqu'un dormir aussi intensément, mais...

Tout allait bien, il devait le répéter.

Son calme venait et repartait alors que le temps passait.

Il avait essayé de la réveiller, mais elle ne réagissait qu'à peine.

Il avait tenté d'ouvrir la tablette du Gardien, mais le système de sécurité la protégeait solidement.

Le temps passait.

Adrien apportait des repas, lui recommandait de dormir un peu, le père l'écoutait à moitié et s'endormait pour moins de vingt minutes, se réveillant avec la peur au ventre, vérifiant immédiatement la respiration, le pouls et les réflexes automatiques de son assistante, terrifié de la perdre.

Il ne savait pas combien de temps passait, peut-être des heures, peut-être des jours.

Moins d'une semaine sans doute, mais l'inquiétude et la fatigue provoquaient un brouillard si dense dans son esprit qu'il ne pouvait juger.

Un jour, après avoir fini un costume inspiré du Miraculous du Paon, il prit le pouls de Nathalie comme chaque fois qu'il reprenait sa respiration et sentit son propre cœur s'arrêter pour une milli-seconde. Il ne le trouvait pas. Passant en pilote automatique, il ôta ses lunettes pour voir si elle respirait, mais aucune trace de buée n'apparut, le pétrifiant un instant. Il hurla à Adrien d'appeler les secours, sans même savoir si son fils était dans la maison, se releva au-dessus du lit et commença à faire un massage cardiaque à son assistante, les lèvres serrées, les sourcils froncés, tout en lui tendu à se rompre.

Non.

Non.

Non.

Non.

Pas ça.

Pas là.

Pas elle.

Pas ainsi.

Pas maintenant.

Ses pensées tournaient en boucle dans sa tête. Tout ce qu'il aurait voulu dire, qu'il ne pouvait pas dire.

Vous êtes irremplaçable.

Vous êtes si forte.

Je ne saurai pas faire sans vous.

Ne me laissez pas comme ça, s'il vous plaît, je ne pourrais pas respirer si vous partiez.

La boucle se refermait autour de lui.

Si rester concentré n'avait pas été aussi important, si leurs vies n'avaient pas dépendu de ses gestes, il se serait probablement laissé aller à la panique, aux peurs, aux tremblements.

Mais elle avait besoin de lui.

Son cœur était arrêté.

Il ne pouvait pas arrêter.

Il ne pouvait pas renoncer et se replier.

Elle avait besoin de lui comme il avait toujours besoin d'elle.

Et, alors qu'il relevait les mains un instant, comme il fallait entre chaque compression pour laisser le sang revenir, il vit sa poitrine se soulever et s'abaisser lentement, il entendit sa respiration redémarrer, il sentit le cœur de sa partenaire repartir.

Un immense soupir de soulagement lui échappa alors qu'il se relevait, qu'il se reculait dans sa chaise.

Elle était sauvée. Pour l'instant au moins.

Et quand ses yeux se rouvrirent, laissant enfin apparaître ses iris si bleues, son regard troublé, un immense sourire vint éclairer son visage inquiet.

« Nathalie ! Enfin vous êtes là !

— Gabriel...? Que s'est-il passé ?

— Je... Vous... Vous vous êtes endormie dans la voiture, et... Vous ne vous êtes pas réveillée depuis, je ne sais pas combien de temps ça fait, j'étais si inquiet... Vous... Votre cœur s'est arrêté tout à l'heure, j'ai cru que le mien allait lâcher aussi... S'il vous plaît, Nathalie, ne me refaites jamais une peur pareille. C'était terrifiant.

— Vous m'avez sauvée, Gabriel, répondit-elle avec un sourire, en se redressant dans le lit, vous m'avez vraiment sauvé la vie. Je ne saurai jamais comment vous remercier...

— Prenez soin de vous, ce sera suffisant. Un nouveau deuil serait insurmontable.

— Alors je vous promets de m'occuper de moi. Avez-vous réussi à réparer le Miraculous ?

— Non, avoua-t-il en détournant le regard, je... La tablette a un système de protection que je n'ai pas réussi à passer. Et même si j'y étais parvenu, je n'aurais pas été expérimenter. J'ai passé ces derniers jours à veiller sur vous.

— Je suis désolée je...

— Ne le soyez pas. Il fallait vraiment que vous vous reposiez, je ne suis pas sûr que votre corps aurait pu tenir une minute de plus.

— Si vous le dites... Y a-t-il la moindre chose que je puisse faire pour vous aider ?

— Vraiment reposez-vous. Et quand vous irez mieux, vous pourrez essayer de craquer ce coffre-fort, sourît-il en lui tendant l'appareil électronique du Gardien, ça suffira.

— C'est noté. Vous devriez aller vous coucher, vous avez l'air de sortir d'une semaine sans dormir un instant. Je vais bien.

— Vous êtes sûre ?

— Certaine. »

Gabriel laissa échapper un soupir de soulagement et la salua, retournant à sa chambre, l'inquiétude enfin apaisée laissant la fatigue lui tomber dessus d'un coup. Nathalie n'était pas si loin du compte, il n'avait pas dû dormir plus de deux heures sur les six derniers jours.

Mais maintenant, ils étaient en sécurité.

Tout allait réellement bien, pour la première fois depuis des années.

Il avait la solution.

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