Réécrire
Hi ! Deux petites précisions. D'abord, cet OS est en AU, où la fin de la saison cinq n'a pas été aussi bien reçue que dans la réalité.
Deuxièmement... "Pas bien reçue" est un euphémisme. Il y a une tentative de suicide. Très graphique. Donc. Si vous risquez d'être mis pas bien, ne lisez pas.
A part ça, la playlist est en comm, bonne lecture à ceux qui restent
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Alix était assise sur le toit de son immeuble, les jambes balançant dans le vide sous le soleil étincelant de la fin d'après-midi. Elle avait eu besoin de sortir après une bataille de taquineries un peu trop longue avec son frère, qui avait effleuré d'un peu trop près ses complexes vis-à-vis de son aromantisme, dont elle n'arrivait toujours pas à parler ouvertement, elle en avait glissé deux-trois mots à ses amies, et tout était infiniment plus facile avec les Rainbow Warriors, mais la plupart des gens ne savaient pas, elle s'inventait des excuses. Et son frère et son père encore moins.
Alors oui, ça pouvait paraître bizarre quand littéralement tous les gens de son âge étaient en couple, mais il n'y avait pas besoin d'en faire un tel drame, si ? Et puis, garder des secrets, faire des cachotteries sur elle-même, ce n'était pas franchement son genre, alors pourquoi c'était si difficile ?
La jeune fille soupira, sortit un yo-yo de sa poche et commença à jouer avec, des pensées désordonnées roulant dans sa tête. Depuis son temps dans le terrier - un bon dix mois quand même - la rosée avait du mal à rester concentrée, à ne pas avoir au moins quatre fils d'idées en tête, défilant comme les moments qui avaient toujours été présents devant elle. C'était compliqué, mais elle commençait à s'habituer, tant que l'extérieur ne demandait pas trop d'attention, qu'il n'y avait pas quarante-six stimuli, ou un brusque changement d'atmosphère.
Écouter quelqu'un, ça se faisait. Aider, garder les secrets, elle avait l'habitude, même si c'était toujours avec nonchalance.
Mais prêter de l'attention à une conversation si une autre se déroulait en même temps, qu'il y avait de la musique en arrière-plan, ou des lumières instables... Ça avait toujours été compliqué, c'était devenu infernal. Parce qu'elle voulait intuitivement être attentive à tout, ce qui était impossible mais avait fait partie de sa mission.
« Alix ? Ça va ?
— Oui, bien sûr, pourquoi ?
— Ça fait quinze minutes que tu n'as rien dit, pas même laissé échapper un son, alors que d'habitude, tu marmonnes au moins une partie de tes réflexions. Mais je comprends, parfois on tombe dans un trou, et on n'en sort pas, à moins d'arriver de l'autre côté, ou de se perdre et de se raccrocher et puis quand on se raccroche on peut passer en l'air ou tomber et se retrouver dans une étoile, et brûler, ou se calmer, puis il pleut, et le monde tourne, mais à l'envers parfois, et c'est une chouette journée qui est en train seulement d'être tranquille avec les deux dernières années de mon temps...
— Fluff, du calme, tu recommences à parler comme un correcteur automatique. Je sais que tu comprends, chou. Je me disais juste... Je crois que j'ai un vrai décalage avec mon monde.
— Tous mes porteurs sont comme ça. Différents.
— Ah oui ? Parle-moi de tes porteurs !
— Je crois que tu en connais certains, déjà, Charles IV, Léonard de Vinci, Lewis Carrol...
— Tu veux dire que tu as été portée par un roi ?? Sérieux ??
— Ça n'a pas sensationnellement bien fini pour la France. Je lui ai été confiée alors qu'il n'était qu'un enfant, il devait avoir dix ans, il a exploré très rarement les terriers avant ses seize ans, il s'intéressait à la politique et cherchait une solution. Mais il y a passé trop de temps, et surtout des nuits, à tel point que ça a eu un impact fort sur sa santé mentale... Tu l'as vu.
— Oui... Je ne sais pas pourquoi ça ne m'inquiète pas tant que ça... Et, attends, Lewis Carrol ? Tu sais que j'ai été nommée d'après son œuvre ?
— Vraiment ?
— Ma mère était une grande fan. L'idée de rêver d'autres mondes si facilement qu'on y était... Contrairement à mon frère et mon père, elle était assez terre-à-terre, et surtout, elle était aphantasique, elle n'arrivait pas à créer des images dans sa tête, enfin seulement des images très brouillonnes, imprécises et en noir et blanc. Elle était la seule à l'être dans la famille, je crois que c'est génétique. Et elle m'a donné ce nom en espérant que je sache rêver. Ça a plutôt bien marché, je projette très facilement, j'ai des images très précises et colorées à l'esprit à chaque instant, et pas vraiment les pieds dans la réalité...
— Oooh c'est intéressant.
— Merci. »
Le regard perdu sur la ville, la rousse profitait des jeux de couleurs, des lumières qui se reflétaient sur les toits et les flèches, s'assombrissaient et se teintaient de rouge contre les nuages, dispersant tout le spectre contre les gouttes encore suspendues de la dernière averse.
Soudain, ses sourcils se froncèrent, sa bouche esquissa une grimace inquiète. Le paysage coloré et lumineux comme ses fresques qu'elle contemplait une seconde auparavant s'était brutalement assombri, s'assombrissait encore d'instant en instant, les couleurs drainées vers un point indiscernable jusqu'à ce que le monde soit devenu si noir que ses yeux perçants ne pouvaient plus distinguer le bout de ses doigts. Un frisson de peur la parcourut.
Elle connaissait cette obscurité.
« Fluff. Il y a un problème. Un gros problème.
— De type ?
— Noir charbon.
— Alors nous devons agir.
— Oui. Fluff, transforme-moi. »
Un instant plus tard, Bunnix ouvrait un de ses terriers d'habitude si lumineux, mais dont l'éclat perçait à peine la pénombre autour d'elle. C'était grave. Très grave.
Ce noir, elle le connaissait. D'un jour où Marinette avait signé un cadeau déposé par Ladybug, d'une fois où sans Sass, le monde se serait écroulé sur lui-même dans un désir de pouvoir. Des jours où elle avait suivi une version plus âgée d'elle-même pour régler les problèmes.
Mais aujourd'hui, ici, elle était seule.
Avec inquiétude, elle observa toutes les fenêtres ouvertes chez les Parisiens, dans le monde, sur la journée déroulée, jusqu'à trouver une fenêtre ouverte plus petite, dont l'éclat était plus faible, clignotait. Un instant sur le point de disparaître.
L'héroïne s'en approcha d'un bond, déposa ses paumes sur l'image d'une chambre qu'elle connaissait pour y avoir observé la force d'Adrien, la folie de Gabriel Agreste, la résistance de Nathalie.
Nathalie qui effleurait une corde nouée largement accrochée au plafond, qui grimpait sur une chaise et passait le nœud coulant autour de son cou, rejetant du pied le soutien sur lequel elle se tenait. Entrée dans une sorte de transe en apercevant la scène, la rousse en fût tirée par un atroce bruit de craquement. Son cœur s'arrêta une milliseconde en comprenant ce que ce bruit signifiait, toutes les implications de ce geste, les répercussions sur Adrien qui venait de perdre son père, qui n'avait personne, le pouvoir de Chat Noir...
Oui. Il était évident que c'était cette seconde qui mettait le futur en danger.
Alors Alix remonta le temps, cinq, dix, quinze minutes avant la seconde fatale, face aux larmes de la mère d'Adrien, à ses gestes précis créant le piège où elle enfermait sa vie. Après une grande inspiration, l'héroïne entra dans la chambre.
« Arrêtez. S'il vous plaît.
— Qui es-tu, s'étonna l'adulte en se tournant vers l'adolescente, que fais-tu ici ?
— Le futur a été mis en danger, et ma mission est de le protéger. Alors je suis venue.
— Si tu dois protéger le futur... Pourquoi as-tu laissé faire, Bunnix ?
— Parce qu'Adrien a besoin de vous. Le monde a besoin de vous. Plus que de lui. Vous pouvez survivre.
— Non. Il n'y a pas une seule partie de moi qu'il n'a pas touchée, qu'il n'a pas emportée. Mon cœur, mon âme, mon amour, tout lui appartenait. Il apaisait mes peurs d'un simple contact de sa main sur la mienne. Et maintenant elles me dévorent, avec mes regrets, mes erreurs, mes incapacités, je voudrais retourner en arrière et changer mon propre avis, mais je ne peux pas. Et je ne peux pas non plus vivre avec ça. Je ne peux pas. J'en suis incapable. J'étouffe chaque seconde.
— Même pour Adrien ?
— Il ne peut pas desserrer le noeud que j'ai autour de la gorge.
— Vous en êtes sûre, demanda la jeune fille avec un sérieux inégalable, son regard planté dans celui de l'adulte qui lui faisait face.
— Certaine.
— Alors venez. Vous pouvez changer d'avis. Vous pouvez changer ce que vous voulez, tant que ça vous concerne. Mais une seule chose.
— Vraiment ?
— Si c'est ce qu'il faut pour sauver le futur.
— J'en ai besoin. Si je suis vitale... ça l'est.
— Alors venez, sourit la rosée en ouvrant un terrier et en y entraînant l'adulte, quand allons-nous ?
— Je... Je veux le voir d'abord. Je veux voir sa mort. Et après, le jour des héros.
— D'accord. »
L'héroïne ouvrît un terrier avec un sourire et entraîna l'adulte, remontant le temps en passant d'un moment à l'autre, cherchant la journée demandée, deux semaines et demie auparavant, le combat de Bugnoire et Monarque, retenant doucement Nathalie de plonger dans la scène qui se déroulait sous ses yeux, lui murmurant que le but était d'empêcher sa mort à elle, pas de changer l'issu d'un combat écrit depuis longtemps.
Avec regret, la brune s'éloigna de la fenêtre, retira ses paumes de la bordure, détendit ses doigts crispés sur le léger relief qui entourait chaque scène, acceptant de simplement regarder les coups qui s'échangeaient, de simplement écouter les phrases et les raisonnements qui ricochaient. Sans intervenir malgré son cœur battant, son index enroulé dans une mèche blanche, regardant Marinette argumenter face à Gabriel, le styliste ne semblant pas l'écouter, mais elle, elle savait qu'il avait entendu, qu'il avait compris, qu'il n'aurait pas abandonné sa vie à Gimmi sans retrouver la raison. La douleur qui battait dans son cœur depuis ce jour-là en était à la fois redoublée et apaisée.
Oui, elle l'avait perdu. Mais dans cette perte, l'homme qu'elle aimait était revenu. Ce qui signifiait que tout n'était pas désespéré. Si elle pouvait sauver sa vie, leurs vies, elle pourrait le détourner de ses folies.
Avec un sourire, elle se tourna vers Alix. Elle ne pouvait toujours pas vivre le présent, mais elle avait retrouvé assez de forces pour changer le passé.
« Amène-moi la nuit avant le jour des héros. Je connaissais le plan, et ça me laissera le temps d'expliquer.
— Vous êtes sûre ?
— Oui. Pour expliquer. Puis le lendemain, pendant le combat. Que je m'en rappelle.
— D'accord... »
L'héroïne plongea dans les profondeurs du terrier, suivie de près par l'adulte au cœur serré. À chaque instant, des dizaines de scènes sur les murs attiraient son attention, mais elle en cherchait une en particulier, presque deux ans auparavant, en octobre 2015, une scène qui s'enfouissait dans les profondeurs, une nuit, un lieu, qui semblaient ne rien avoir de particulier, mais qui avaient leur importance.
La rousse finit par dégoter le moment désiré. En face d'elle, une version préoccupée mais excitée de Nathalie, en pleine forme, faisait les cent pas dans la même chambre d'où l'adolescente était arrivée dans le terrier, mais moins encombrée, plus neutre. Une chambre où les catastrophes n'avaient pas encore eu lieu.
« J'y vais d'abord, décréta Bunnix, et je lui explique ce qui se passe. Écoutez bien. Vous pourrez tout vous dire, mais soyez organisée. Je viendrais vous chercher dès qu'elle aura donné son accord.
— Bien. Je t'attends.
— Merci, murmura-t-elle en se faufilant au-dehors.
» Bonsoir Madame. Je suis désolée de vous déranger. Mais le futur est sur le point de basculer sur une pente dangereuse.
— Que racontes-tu ? D'où viens-tu ??
— Du futur, pour faire court.
— Et qui es-tu pour venir ainsi chez moi ?
— On n'est pas chez vous, techniquement. Mais je viens vous sauver la vie. Et sauver votre cœur.
— Je n'ai rien à faire de ma vie. Quant à mon cœur, il ne m'appartient plus depuis longtemps.
— Je ne vous connais pas assez pour vous convaincre. Mais j'ai avec moi quelqu'un qui saura sans doute faire. Je l'ai amenée ici car le futur, celui du monde d'où je viens, est en grand danger. À cause d'elle.
— Que veux-tu dire ?
— Venez, répondit l'adolescente en passant la main dans le terrier.
— Merci, répondit la Nathalie de 2017 en apparaissant dans la pièce.
» C'est étrange de revenir ici, avant...
— Avant quoi, s'étonna son alter-ego de 2015, confuse en voyant cette version épuisée, visiblement détruite d'elle-même.
— Avant mon erreur. Notre erreur. Avant Mayura et toutes ses conséquences...
— Mayura ? Qui est-ce ? Et pourquoi ta teinture est-elle défaite ? Que s'est-il passé ?
— Attends, s'il te plaît, murmura la plus âgée, une question à la fois. Asseyons-nous, ce sera plus facile.
— D'accord...
— Je vous laisse, lança Bunnix en se faufilant à nouveau dans son terrier, je reviens d'ici une heure.
— À tout à l'heure. »
Les deux Nathalie regardèrent l'adolescente disparaître, celle de 2015 avec perplexité, sa version plus âgée avec inquiétude. Une heure. Une heure pour tout raconter.
Elle prit une grande inspiration puis commença son récit.
« Mayura, c'est moi. C'est nous. Avec le Miraculous du Paon. Ma teinture est partie parce que je n'avais pas l'énergie de la refaire. Non, ce n'est pas la maladie, enfin pas seulement. Et le monde s'est effondré. Je... Je voulais mourir. Et ça aurait eu un impact si monstrueux que Bunnix s'est forcée à intervenir. Apparemment, je ne peux pas mourir. Je vais tout te raconter.
» Cet après-midi, Gabriel sera acculé par les héros. J'ai pris le Miraculous, pour le sauver. Mais... »
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L'après-midi.
Catalyste se tenait dans l'observatoire, la gorge nouée. Gabriel était bloqué, prisonnier des héros, le Miraculous du Paon brillait dans sa main, mais les mots échangés dans la nuit résonnaient encore, le Gardien, les attaques, Félix, son inquiétude pour elle, le vol de la tablette, la réparation du Miraculous du Paon, la naissance de Papillombre, son addiction de plus en plus visible, des moments montrés par la porteuse du Miraculous du Lapin, la soirée où Adrien s'était senti si mal, où elle avait essayé d'attirer l'attention du styliste sur son fils et sa réponse si froide, puis les manipulations de son neveu, dévoilées partiellement par la Nathalie du futur puis intégralement par la jeune héroïne, Monarque dont le récit faisait trembler la voix de son alter-ego, les manipulations d'Adrien et Kagami, le combat final, la mort de Gabriel et l'obscurité où elle, Nathalie, était tombée immédiatement, incapable de se relever, ayant perdu tous ses repères et ses buts, Adrien étant libre elle n'avait plus à le protéger, et son patron étant mort.
Nathalie brûlait de porter ce Miraculous. D'aider Gabriel, de le sauver, elle le pouvait. Mais elle savait.
Elle savait que ce ne serait qu'à court-terme, qu'à long terme ce serait pire, il perdrait la raison et la vie, elle perdrait tout.
Oui, d'instinct, elle avait couru à l'armoire, elle avait saisi la broche.
Et pourtant, elle ne l'utiliserait pas. Les regrets l'assaillaient déjà alors qu'elle se détransformait, que l'akuma se purifiait de lui-même, cependant elle les rejetait. Effondrée au sol sous la fenêtre, la brune n'avait pas même la force d'ouvrir son téléphone, de chercher à savoir ce qui se passait, elle ne voulait pas savoir, elle ne pouvait pas savoir. C'était trop difficile.
Son cœur battait contre ses tempes, elle espérait seulement qu'elle pourrait le revoir, qu'ils ne le mettraient pas simplement en prison... Et que se passerait-il si elle utilisait le Paon maintenant ? Qu'elle se dressait à son tour pour récupérer les Miraculous ?
Non.
Même si elle y arrivait... L'utilisation du Miraculous, le recours à Mayura donnerait toujours la même chose, arriverait toujours au même point, à des utilisations irraisonnées, au mal, à la mort... Son cœur se brisait à cette idée, mais... Pour une fois, il n'y avait pas de solution visible, et les larmes de défaite roulaient sur ses joues silencieusement, la noyant dans sa réflexion et une culpabilité intense.
Jusqu'à ce qu'elle sente un contact léger contre son épaule, une pression hésitante.
« Nathalie ? Nathalie, tout va bien. Vous avez bien fait. Je ne veux pas vous perdre.
— Vous croyez ?
— Ce Miraculous est dangereux. Et vous êtes importante.
— Vous l'êtes bien plus. J'aurais dû... J'aurais dû le faire, j'aurais dû vous sauver, je suis désolée...
— Nathalie... Je ne suis qu'un styliste, terroriste à mi-temps. Et même si j'ai de l'importance d'après toi, je ne serais nulle part sans toi, je serais mort dans une crevasse gelée ou quelque chose de stupide dans ce genre. Tu es plus importante. D'accord ?
— Si vous voulez, répondit-elle avec un sourire mi-amusé mi-dubitatif, si vous voulez.
— Et puis, peut-être que je vais pouvoir apprendre la vie comme ça... Je ne peux rien faire maintenant. Rien d'autre qu'accepter qu'Émilie est morte, et pas seulement endormie... Dis, tu accepterais de m'aider à m'y faire ?
— Je suis là, Gabriel. Quoi qu'il arrive. Je ne partirai pas. Oui, je vous aiderai. Je vous le promets.
— Merci, sourit-il, merci pour tout.
— Ce n'est rien. »
Avec un sourire d'espoir partagé, ils repartirent vers le bureau.
Peut-être qu'une nouvelle vie pouvait réellement commencer.
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Trois semaines plus tard.
Nathalie se tenait debout contre le chambranle de la porte de la chambre de Gabriel. Il était tôt, mais pas assez pour que ce soit normal de le trouver endormi.
« Gabriel. S'il vous plaît. Réveillez-vous. »
Pas de réponse.
Comme d'habitude. Depuis la défaite, il ne vivait qu'à-demi. Restait dans son lit des heures. Grignotait à peine de quoi survivre du bout des lèvres.
Avec un soupir, la brune s'assit sur le lit, effleura le visage de son patron du bout des doigts, passant légèrement autour de ses yeux exposés, faisant tressaillir ses paupières, murmurant tendrement qu'il devait se lever, que rester endormi ne changerait rien. N'épuiserait pas son besoin de changer le monde, d'en détruire les parcelles, de l'inonder de larmes, dormir ne l'aiderait pas à guérir, il ne pouvait pas s'enfouir dans le sommeil ainsi.
« Et pourquoi pas, murmura-t-il d'une voix pâteuse, pourquoi est-ce que je ne pourrais pas simplement dormir ?
— Elle... elle ne voudrait pas, répondit la jeune femme avec un soupir, elle ne voudrait pas. Pensez à elle, à votre promesse. Vous lui avez dit que vous vivriez sans la rejoindre. Je sais que vous en êtes capable.
— Vous croyez ?
— La mort est difficile, toujours, et en perdant la chance de récupérer les Miraculous, vous devez y faire face à nouveau, comme si elle mourait une deuxième fois. Mais vous vous êtes relevé une fois déjà, vous pouvez le faire à nouveau.
— Je ne sais pas si j'en ai la force... »
Nathalie grimaça devant la faiblesse de la voix de Gabriel, devant les larmes qui faisaient scintiller à nouveau ses yeux de metal, devant ses soupirs.
« Je ne sais pas si j'ai la force de me relever, avec la certitude que je tomberai encore, et encore, j'ai l'impression que je ferais tout aussi bien de rester au sol à saigner, si c'est pour me blesser à l'infini.
— Je sais, Gabriel, je sais, soupira-t-elle avec tristesse, je sais que c'est atrocement dur. Je suis désolée, je... Je n'aurais pas dû avoir peur... Quitte à mourir...
— Ne m'abandonne pas, s'il te plaît Nathalie, s'exclama-t-il en se redressant, s'il te plaît, ne fais pas ça. Sans toi, je n'y arriverais jamais, mais avec toi, peut-être que c'est possible... Alors reste, je t'en prie. Et ne t'en veux pas. Tu as le droit de ne pas mourir pour moi. C'est même un devoir, d'accord ? Ne regrette pas d'avoir choisi de rester auprès de moi.
— J'essaierai, Gabriel. J'essaierai. Mais pourquoi me tutoyez-vous ?
— Je voudrais... J'ai besoin de ne pas être seul, j'ai besoin de proximité. Et tu es la seule personne qui puisse être mon amie... Si tu acceptes bien sûr.
— Avec plaisir, Gabriel. J'aurai sans doute un peu de mal à m'y faire, mais ça ne me dérange pas.
— Merci. Je te suis déjà reconnaissant de m'appeler par mon prénom, je sais que ça ne t'es pas naturel et tu t'y obliges depuis... Depuis la défaite. »
Elle sourit doucement. Chaque fois, c'était une lutte, car elle savait que chaque rapprochement approfondirait encore ses sentiments, comme son cœur battant à se rompre le lui indiquait. Et ces sentiments l'effrayaient, la terrifiaient de leur force, de leur irrationalité. Mais... c'était lui qui demandait. Lui qui s'approchait, avec un sourire et une supplication. Elle ne pouvait pas le repousser, elle en était incapable, malgré l'impression de suffoquer.
« Nathalie ? Est-ce que tu sais comment va Adrien ?
— Il ne comprend pas. Il vous en veut, il se considère trahi, il a l'impression d'avoir été utilisé. Il est chez son ami Nino, il refuse de rentrer. Je suis désolée...
— Ce n'est pas ta faute, sourit-il doucement en lui prenant la main, en s'adossant plus confortablement contre le bord de ton lit, ce n'est pas ta faute. D'accord ?
— Si vous le dites...
— Non, ce n'est pas ta faute. Je trouverai un moyen de t'en convaincre. C'est la mienne. J'ai trahi sa confiance, je l'ai mis en danger, je l'ai empêché de vivre une vie normale. Sa colère est logique... Je lui parlerai, j'espère qu'il saura comprendre un jour...
— Il est très intelligent, et compréhensif. Il saura, une fois que le choc sera passé. Il faut simplement que nous soyons bons avec lui, que vous soyez compréhensif et attentif. S'il voit que vous l'aimez quand même, Gabriel, si vous lui montrez que vos errances ne vous éloignent pas de lui, il pourra pardonner. Vivez, et il saura.
— Je le ferai, alors. Merci, Nathalie. Pour tes conseils, pour ta présence. Merci d'être là.
— Ce n'est rien, Gabriel. Je ne peux pas vous abandonner à nouveau. »
Il sourit, puis sortit de sous ses couvertures avec un sourire, lui donnant rendez-vous dans la cuisine pour le petit-déjeuner. La brune hocha la tête, sortant de la pièce avec un air victorieux. C'était la première fois qu'il se levait de lui-même, qu'il décidait d'agir, et elle en était profondément heureuse.
Lui la regarda sortir de sa chambre avec un sourire fantôme flottant sur ses lèvres. Oui, depuis trois semaines, il ne sortait pas de sa chambre, il se laissait affaiblir, mais elle ne le quittait pas, elle le nourrissait, discutait avec lui, l'encourageait, lui souriait, répondait à ses questions, apaisait ses angoisses, dissipait ses regrets. Elle ne voyait pas à quel point elle lui faisait du bien, et instinctivement, il savait qu'il aurait fait de même si elle avait été clouée au lit, il se serait occupé d'elle. Peut-être pas avec autant d'attention et de douceur, il n'était pas un protecteur de nature, plutôt un lutteur, mais il aurait lutté pour elle. Nathalie, sa Nathalie.
Son assistante, son alliée, son amie, sa protectrice. Qui le maintenait à flot. Et, alors qu'il se dirigeait vers sa salle de bain pour se préparer, il commençait à comprendre à quel point elle avait su se rendre importante pour lui alors qu'il était au plus bas. Il commençait à la voir au-delà de ce qu'elle était, une assistante extrêmement talentueuse et une garde du corps hors du commun, à voir qu'elle était véritablement une amie.
Et que si son monde s'effondrait, si ses châteaux de rêves tombaient en miettes, elle serait là et qu'il avait besoin de cette relation pour apprendre à naviguer.
Avec elle à ses côtés, il se sentait enfin prêt à vivre.
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Le soir, chez Nino.
Adrien déposa son sac sur le sol avec agacement. Il revenait tout juste de sa session d'escrime, qui ne s'était pas déroulée à merveille, et surtout, chaque regard désolé de ses camarades appuyait sur la plaie, ravivant sa douleur et sa colère.
« Je ne comprends pas, s'exclama-t-il, je ne comprends pas comment il a pu penser ne serait-ce qu'une seconde que ça pouvait être une solution ! Comment il a pu y croire comme ça pendant un an ?? Et faire comme s'il se souciait de moi, comme s'il s'inquiétait pour moi, quand il est venu jouer avec moi le jour de l'akumatisation de Style Queen qui m'avait transformé en statue, il a fait semblant, il me mettait en danger tous les jours, il nous mettait tous en danger !!
— Eh, calme-toi mon pote, répondit Nino depuis son lit où il était assis en tailleur, c'est la quinzième fois qu'on a cette discussion. J'ai aucune idée de pourquoi il l'a fait, je peux pas t'expliquer. J'comprends que tu sois en colère, c'est normal, mais respire. Ça va pas t'avancer. Tu lui en veux d'avoir mis tout Paris en danger ? On a des super-héros au top du top et Ladybug et Chat Noir ont toujours géré. Tu lui en veux d'avoir voulu lutter contre le destin ? Je comprends pas tout à ton timbré de père, mais je t'avoue que je vrillerais aussi si Alya mourait. Quand on est confronté à un malheur pareil, le nier, le rejeter est logique. Surtout si on a sous la main quelque chose qui peut ressembler à une solution.
» Et... Je crois pas qu'il ait fait semblant de s'inquiéter pour toi. De réaliser que tu étais véritablement en danger et de vouloir se rapprocher de toi. T'sais, la fois où il m'a akumatisé parce que j'étais en colère qu'il te laisse pas fêter ton anniversaire correctement ? Il m'a parlé dans ma tête, et il comprenait ma colère. Il doit pas avoir des bons souvenirs de son école, de ses annivs, et ça influence, il a peur que tu sois malheureux et il ne comprend pas que t'as besoin d'interactions parce que lui en a pas besoin. Mais j'suis pratiquement sûr qu'il faisait pas semblant de s'inquiéter pour toi, qu'il tient à toi même s'il sait pas l'exprimer.
— Merci, Nino, soupira le blond en se laissant tomber sur le lit à côté de son ami, merci de m'avoir accueilli et de me remettre les idées en place, de me montrer que c'est pas la colère qui va m'avancer. Mais... Je sais que si je ne suis pas en colère, je vais juste m'effondrer en pleurant et... Je crois que je préfère m'énerver contre lui pour l'instant.
— Ça s'entend. Tu devrais l'appeler, tu sais. Juste pour en discuter, pouvoir entendre ses raisons et à quoi il pensait.
— Je ne suis pas sûr d'être prêt... Pas tout à fait. Je... Je voudrais bien entendre ses raisons, mais pas de sa bouche. Si ça venait de lui, tout sonnerait comme une justification. Je... Je vais demander à Nathalie. Il n'a pas pu devenir le Papillon écarlate seul, et elle est la seule à avoir pu l'aider pour qu'il ait akumatisé autant de gens... Elle doit savoir.
— Ok, mon pote. Fais ce qui te semble le mieux. Ce sera toujours bien, je te le promets. Si tu penses que quelque chose peut t'aider à digérer, essaye. Mais n'oublie pas. Il doit y avoir beaucoup de secrets, beaucoup d'histoires cachées et de révélations qui risquent de t'ébranler. Je suis là, quoi qu'il arrive. On est tous là pour toi. Ok ?
— Oui, murmura Adrien d'une voix hésitante, oui.
» Oui, reprit-il avec plus de détermination, oui. Je sais. Je peux tenir. Je vais réussir à me préparer. Je sais ce que je veux poser comme questions. Et surtout... C'est bizarre parce que t'as jamais fait que me répéter ce que tu me dis depuis trois semaines, mais maintenant j'y crois. Je me sens en sécurité, et je... je ne suis plus seul. C'est fou comme ça peut faire du bien de parler, juste discuter.
— Tu vas mieux ?
— Un peu. Je ne suis plus en colère. Et j'arrive à respirer, à comprendre. Je ne suis pas au bout, mais... Ouais, ça va mieux. Merci Nino.
— No problem, répondit le brun en tendant la main pour un Check, t'es mon meilleur pote c'est normal.
— J'ai vraiment de la chance alors. »
Les deux adolescents s'adossèrent contre le mur, échangeant leurs poignées de main spéciale, se laissant rire à la fin, réussissant en une minute à changer de discussion totalement, à se détendre, à rire, à échanger.
À redevenir, l'espace de quelques heures, juste deux adolescents normaux, pas deux super-héros cachés dont l'un avait eu leur adversaire pour père.
Et Adrien réalisait à quel point l'amitié était une relation précieuse, parce que c'était une oasis dans les tornades, quoi qu'il arrive dans sa vie.
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Trois semaines plus tard.
Nathalie regardait par la fenêtre, vers la rue, avec une angoisse indéterminée. Comme si les réponses à toutes ses questions pouvaient venir de là, dehors. Depuis un mois, les choses commençaient à se stabiliser, Gabriel vivait à nouveau, souriant et chaleureux comme jamais auparavant, insistant qu'elle lui avait sauvé la vie, laissant ressurgir sa face taquine et curieuse, qu'elle n'avait pas vue depuis des années, il se sentait assez confortable avec elle pour se laisser être, découvrir même des facettes dont il n'avait pas connaissance. Elle en était heureuse, et ses sourires enfantins faisaient fondre son cœur comme jamais.
Quant à Adrien... Il l'avait appelée, un soir, lui avait demandé des explications, l'avait suppliée de le laisser comprendre. Après une minute d'hésitation et un bref échange de regards avec Gabriel, elle avait tout raconté. Son enfance et son amitié avec Emilie et Amélie malgré leurs parents, la fuite d'Émilie, étouffée par les carcans de sa famille, la rencontre avec Gabriel alors qu'elle se perdait dans une bibliothèque universitaire, leur amour, puis l'infertilité des jumelles, la découverte des Miraculous grâce à Tomoe, et l'exploration, la trouvaille des deux broches, le retour à Paris, le sacrifice de Colt et Émilie, la naissance des deux cousins, la mort de leurs parents, le désespoir du styliste et son échappatoire, les combats pour son espoir.
L'adolescent avait tout encaissé silencieusement. Elle n'avait pas été brusque, mais rien n'avait été adouci par ses mots. Elle avait presque entendu son cœur se briser et l'avait senti devenir distant. D'un murmure, elle lui avait rappelé qu'elle serait toujours là pour lui, et lui avait parlé du désarroi de son père, qu'il pourrait comprendre un jour peut-être. Le jeune homme n'avait rien répondu, l'avait saluée et avait raccroché. Mais une semaine après il était passé au manoir, simplement récupérer des affaires, sans avoir l'air aussi hostile, il semblait simplement épuisé.
« Nathalie ? Tout va bien ?
— Oui. Je réfléchissais simplement. Adrien a dit qu'il passerait aujourd'hui. Je l'attends.
— Veut-il partir ?
— J'ai l'impression qu'il ne sait pas. Il vous en veut encore un peu, mais il est surtout perdu. Vous devriez lui parler.
— Pourquoi ? Il connaît l'histoire et venant de moi, ça ne sonnera jamais que comme des justifications.
— Ce n'est pas pour lui. Enfin... Il a besoin de voir que vous pensez à lui, et vous le faites. Toujours. Ce que vous avez fait pour son anniversaire était adorable.
— Ce n'était qu'une carte en pop-up avec marqué « joyeux anniversaire Adrien », avec une signature à peine lisible, ce n'est pas grand-chose.
— Mais vous vous en êtes rappelé. Et c'est beaucoup pour lui, je le sais. Enfin. Ce n'est pas lui qui a le plus besoin de discuter avec vous. Vous avez besoin de le voir. De rester avec lui. De pouvoir lui parler, partager un moment avec votre fils.
— Oui. J'aimerais pouvoir le faire. Mais comment as-tu deviné ?
— Vous croyez vraiment que je ne vous ai pas vu rester des heures dans sa chambre, et à concevoir des vêtements pour lui ?
— J'oublie toujours à quel point tu es attentive. Je n'ai jamais pris l'habitude d'avoir un regard bienveillant sur moi, malgré le temps.
— Vous étiez trop inquiet quand Émilie était là.
— Possible. C'est fou comme j'arrive à vivre, maintenant. Ça ne fait qu'un mois et demi, et j'ai toujours une douleur dans le cœur, mais elle ne m'empêche plus de respirer. Comme si j'avais appris à porter le poids de la vie.
— C'est une bonne chose, sourit la brune en saluant du menton. »
Elle avait aperçu Adrien au bout de la rue et elle descendit dans la cour pour l'accueillir, chassant de son esprit l'excitation qui l'enveloppait chaque fois que Gabriel s'approchait, se confiait à elle, lui adressait un sourire, la réconfortait, la rassurait sur son absence de culpabilité. Elle l'aimait, mais elle ne pouvait l'accepter, il souffrait encore de l'absence de sa femme décédée, il ne la verrait jamais que comme une amie elle en était convaincue. Elle n'avait rien d'extraordinaire après tout, elle n'était qu'une assistante, intelligente et forte, peut-être, avec une formation de garde du corps, certainement, avec de l'empathie et de la tendresse, une compréhension sans faille, mais elle n'était pas une lumière, pas intéressante, elle ne méritait pas plus que son amitié elle le savait, alors elle essayait d'étouffer le serpent en elle.
Mais elle ne savait pas son point de vue, à lui. Le styliste la regardait partir chaque jour avec un sourire aux lèvres, la douleur dans son âme s'apaisait toujours avec elle. Ses sourires étaient des éclats de vie qu'elle lui donnait sans compter et dont il hésitait sans cesse à se servir. Sa présence l'aidait infiniment, elle ne le voyait même pas et ça le rendait fou, parce qu'elle était tout. C'était grâce à elle qu'il était en vie, qu'il souriait, qu'il avançait, qu'il savait s'orienter, malgré la conscience glaçante de la haine de tous les habitants, malgré la connaissance aiguë du rejet de son fils, malgré tous les risques et les menaces, malgré les conséquences. Et il était incapable de détacher son regard d'elle, de s'éloigner de sa lumière, et elle ne savait pas à quel point elle était belle, brillante et honnête, le miracle dont il avait besoin pour vivre.
Je ne t'oublierai jamais, Émilie. Mais tu m'as demandé de vivre et j'y arrive enfin. Je sais que tu es heureuse pour moi. Donne-moi la force de le réaliser...
La porte dernière lui grinça en s'ouvrant, l'amenant à se retourner vers l'entrée de la pièce, il aperçut Adrien et baissa aussitôt les yeux, détournant le regard.
« Père ?
— Bonjour Adrien... Comment vas-tu ?
— Bien, merci. C'est plus facile sans le Papillon, et j'ai commencé à accepter... À comprendre, aussi, en partie. Je ne sais pas vraiment ce que j'en pense, mais... Je ne suis plus en colère, et je n'ai plus cette impression de trahison. Mes amis m'ont beaucoup aidé à passer l'épreuve. Je ne sais pas vraiment quoi vous dire...
— Ce n'est pas grave. Je... Je te remercie d'être venu me voir, sourit l'adulte en relevant la tête, de ne pas me détester tout à fait. Je sais que tu en as tous les droits, et que...
» Je suis désolé, murmura-t-il d'une voix qui se brisait, je suis désolé, je ne voulais pas te blesser, je ne savais pas où aller et je me suis perdu si profondément que je n'ai pas vu l'absurdité et les conséquences de mes actes, j'ai arrêté de penser à toi, j'ai été terriblement égoïste, et je... Il fallait que je te le dise, je suis désolé, je ne peux pas te retenir, j'ai été horrible avec toi, même quand j'ai vu à quel point je te mettais en danger, je n'ai pas su m'arrêter, j'ai mis le monde en feu sans penser que la fumée pouvait t'étouffer alors que je tiens tellement à toi...
» Non, ne me pardonne pas, s'interrompit-il en levant la main en avant, pas pour moi, fais-le si tu veux, mais je... Ne fais rien pour moi, s'il te plaît, sois libre, je.. »
L'adulte cessa de parler soudainement, la gorge nouée, il ne savait pas même ce qu'il voulait dire, les émotions se bousculaient de nouveau chaotiquement en lui, il n'avait jamais appris à exprimer ses sentiments et il se retrouvait noyé devant son horreur de lui-même, ses craintes en pagaille, sa tendresse pour son fils, son regret face à ses actions, sa douleur, il ne savait plus comment naviguer et il le réalisait, il se retourna vers la fenêtre en espérant retrouver une contenance, mais c'était impossible, il s'en doutait, toutes ses barrières s'étaient effondrées des semaines auparavant et s'il reconstruisait un équilibre, faire face à ses ruines l'ébranlait terriblement il n'y avait pas...
Ses réflexions furent interrompues par la douceur d'une étreinte, le contact frais des bras d'Adrien contre son torse, un murmure apaisant dont il ne saisissait pas tous les mots calmes et rassurants, apaisés. Dans cette simple étreinte, Gabriel réalisa que ça allait bien se passer, quoi qu'il arrive, il retrouvait enfin des certitudes.
Après de longs instants serrés l'un contre l'autre, les deux garçons s'assirent sous la fenêtre, discutant simplement, du futur, du passé, de leurs sentiments, comblant un gouffre de quatorze ans, révélant leurs cœurs sans piétiner leurs limites, simplement heureux d'exister l'un près de l'autre.
Oui, la vie reprenait son cours.
************
Trois semaines plus tard.
Nathalie toqua à la porte de l'atelier, inquiète. Gabriel n'en était pas sorti depuis trois jours, et ce n'était pas forcément bon signe.
« Gabriel ? Est-ce que tout va bien ?
— Oui, Nathalie, ne t'inquiète pas. Entre, encouragea-t-il, ce n'est pas fermé.
— Merci, sourit-elle en poussant la porte, je sais que cette pièce est un peu votre sanctuaire...
— Tu mérites d'y entrer, tu sais... Il n'y a pas une seule porte que je te laisserai fermée...
— Vraiment ?
— Absolument. Je n'ai pas toutes les clés du monde, mais celles que j'ai sont à toi.
— Pourquoi Monsieur, s'étonna-t-elle, reculant instinctivement pour lutter contre le trouble battant dans sa poitrine, pour contenir la rougeur qui montait à ses joues.
— Je ne pourrais pas les garder si tu les demandais. Tu es tout...
— Monsieur, non, je... Je ne suis qu'une lâche, j'ai piétiné plus d'un de vos rêves, je ne suis rien, je...
— Chuuut, murmura-t-il doucement en lui effleurant la joue, chuuut, tout va bien. Je te le promets. Tout va bien. Respire. Tu n'as pas besoin de t'enfuir, je ne te ferai pas de mal, même si je voulais, je ne pourrais pas, j'en suis incapable... S'il te plaît, calme-toi... Fais-moi confiance...
— Je te fais confiance, Gabriel, chuchota-t-elle avec difficulté en essayant de retrouver son souffle, peut-être même un peu trop, mais je ne me fais pas confiance, à moi...
— Je t'apprendrai alors, je t'apprendrai. Tu mérites de voir ta valeur et de comprendre à quel point tu es fiable.
— Je ne le suis pas... Sinon...
— Je te l'ai déjà dit, Nathalie. C'était la bonne décision. Tu es restée, tu es devenue un phare pour me ramener sur terre, m'amener à la vie, au bonheur. Tu es ma lumière, et tu y arrives sans te brûler. Crois en toi et tu verras la vérité.
— Je n'y arrive pas, répondit-elle, je n'y arrive pas.
— Ça s'apprend. Comme tout. Je crois en toi. Je te montrerai comment faire, comme tu m'as montré la résilience et la vie.
— Pourquoi me dites-vous tout cela ?
— Parce que je ne sais pas ce que je veux dire, je crois... Je sais ton importance pour moi, mais je ne sais pas comment le dire, quels sont les mots, s'ils sont à la hauteur... Je ne sais pas comment te convaincre de les accepter...
— Dis-le, murmura-t-elle avec hésitation et crainte, dis ce que tu penses, dis-moi que ça va aller, même dans mes pires moments, même quand je deviens folle, dis-moi que ce n'est pas ma faute, que...
— Je t'aime, déclara-t-il avec assurance en la prenant dans ses bras doucement, en la berçant tendrement.
» Je t'aime, Nathalie. Ça va aller. Tu es tout ce que je veux, tout ce dont j'ai besoin, aucune de mes tristesses n'est de ta faute, rien n'est ta faute, tu es la lumière, le bonheur, même si tu me brises le cœur, même si tu devenais folle, tu resterais mon univers, ma lumière. Tout va bien.
— Merci, merci, répondit-elle d'une voix brisée, humide de sanglots, merci, je t'aime tellement, j'ai tellement peur, je t'aime, Gabriel, tu es mon monde, et je me brûlerais les ailes pour t'approcher, je t'aime, c'est tout ce que je sais...
— Tout ira bien, je te le promets, tu n'as pas à avoir peur, assura le styliste en déposant un baiser sur son front, tout va bien. Je t'aime. J'ai fait quelque chose pour toi, tu veux bien l'essayer ?
— Je... Oui, bien sûr...
— Vas-y, murmura-t-il en lui tendant une étoffe dorée, va la mettre, je t'attends. »
Elle sourit, s'emparant de la tenue.
Quelques minutes plus tard, elle était de retour. La robe, tissée dans un fil d'or brillant reflétait la lumière et faisait jaillir des éclats étoilés autour de la jeune femme. Les manches ballons qui enserraient ses bras jusqu'aux coudes semblaient mouchetées de diamants. Le col rond recouvert de pierreries argentées faisait ressortir l'ébène de ses cheveux tombant sur son cou, le dos ouvert parsemé d'ambre soulignait la blancheur de son dos, l'évasement progressif de la jupe s'étalant en une flaque de lumière autour de ses pieds libres attirait le regard, mettant Nathalie en évidence comme un joyau dans un écrin précieux. Et si elle n'était pas tout à fait à l'aise avec cette présentation, elle en aimait la beauté, le confort.
« Tu es splendide, chuchota Gabriel en déposant un fin serre-tête de diamants taillés en étoile sur sa tête, tu es absolument sublime. Je t'aime.
— Merci, Gabriel. Je t'aime aussi, lumière... »
Du bout des doigts, il effleura ses lèvres, avant de se pencher sur elle et de l'embrasser avec douceur et joie.
Ils avaient retrouvé la lumière du jour, un amour d'or qui les éclairerait et les guiderait même dans la nuit la plus sombre.
La vie était lumière.
La vie était paix.
Ensemble, la vie était liberté.
************
6834 Mots + TW.
(Vous ne voulez pas savoir en combien de temps je l'ai écrit. Vous ne voulez pas. Même si ça m'a paru beaucoup plus long.)
J'ai adoré l'écrire. Le début était un peu difficile, mais je me suis laissée déteindre un peu, donc ça a facilité la prise en main d'Alix. L'idée que j'aime le plus, c'est le fait que tout devienne noir quand le futur est en danger. Je me disais que devait bien y avoir un signal pour Bunnix, et comme tout est insupportablement lumineux avec Bunnix, l'obscurité c'était pas mal.
Jouer avec Gabriel et Nathalie, comment la relation aurait pu évoluer, ça m'a bien amusée aussi. Revenir en arrière, chercher la réaction d'Adrien, voir la culpabilité de Nathalie, découvrir le désarroi de Gabriel...
La robe. J'ai commencé hier soir, mais je l'ai perfectionnée ce midi, et un peu modifiée ce soir. Ce midi, c'est-à-dire entre le moment où je suis sortie m'acheter un déjeuner et le moment où ça a finit de chauffer. En mesurant dans ma tête, en cherchant sur moi comment j'ouvrais le dos, au milieu du magasin, dans l'ascenseur, dans la cuisine, en marmonnant à propos de la couleur, je me suis dit que j'étais ridicule, mais bon pas grave;
Bref.
J'espère que ça vous a plu, que c'était bien, pas trop long,
Dites-moi tout,
Bises,
Jeanne
(01/02/2024, 00h51)
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