Mourir d'aimer
Début octobre 2015.
Nathalie toussa doucement. Les quintes se multipliaient depuis un mois et demi, et certaines s'accompagnaient de petites gouttes de sang qui se déposaient comme des pétales sur ses mouchoirs. Elle ne savait pas de quoi elle était malade, mais elle savait que son état s'aggravait. Et qu'elle devait absolument le cacher.
Cacher les quintes.
Dissimuler les mouchoirs ensanglantés.
Effacer la difficulté à respirer, comme si sa gorge était constamment bouchée.
Elle toussa à nouveau, crachant enfin quelque chose dans le mouchoir, en plus des gouttes de sang. Une petite feuille, et un minuscule bourgeon refermé sur lui-même. Un frisson la parcourut aussitôt. Au moins, maintenant, elle savait ce qu'elle avait. Mais... Ça ne la rassurait pas.
Cette maladie-là... Ce serait mortel, elle le savait.
Un vague sourire vint éclairer son visage. Voilà au moins qui résolvait son dilemme. Elle aurait pris le Miraculous interdit de toute façon, si nécessaire, mais maintenant, elle savait exactement pourquoi elle le ferait. Mieux valait mourir du Miraculous que de ça. Et surtout, le Miraculous déguiserait. Il ne devait pas savoir. Surtout pas.
Les yeux fermés, elle inspira profondément.
Tout allait bien se passer. Si elle pouvait cacher la maladie.
************
Seize octobre 2015.
Nathalie se tenait dans l'observatoire, debout à côté de Gabriel. Dehors c'était le chaos, elle le savait. Mais ici, tout allait bien.
Avec un sourire elle lui tendit sa tablette pour qu'il y dépose l'akuma. Sa gorge grattait et elle sentait le besoin de tousser monter, mais elle ne pouvait définitivement pas montrer sa maladie. Pas alors qu'il lui souriait avec tant de confiance, qu'il prenait sa main et la regardait dans les yeux, pas alors que le moment était tellement unique. Tout allait bien se passer.
Une brume violette l'entoura, et un instant plus tard, elle portait un casque noir à la visière rouge, un costume assorti, et elle se sentait forte.
Avec un sourire, les yeux rivés dans ceux de son partenaire, elle saisit sa canne et déclara d'un ton sûr :
« Papillon, je te donne le pouvoir d'envoyer autant d'akumas que tu le désires. Désormais, tu es le tout-puissant Papillon Écarlate. »
Un éclair rouge illumina le corps de Gabriel de bas en haut, et un sourire conquérant éclaira son visage tandis qu'il enchantait les papillons voletant autour d'eux, les teintant de rouge. Elle avait reculé pour éviter de prendre un coup de canne mal maîtrisé, et pour que sa difficulté à respirer ne soit pas visible. Elle s'interdisait de tousser, elle ne pouvait pas tout gâcher, elle ne pouvait pas arrêter le plan en marche, Ladybug et Chat Noir seraient défaits et d'ici ce soir, tout rentrerait dans l'ordre.
Soudain, l'univers entier s'obscurcit, sa vision se réduisant à un vague tunnel de lumière au centre, elle sentait ses jambes trembler mais elle se forçait à rester debout, se forçait à essayer de respirer profondément malgré sa trachée entravée.
Ne pas l'inquiéter.
Ne pas tout gâcher.
Ça allait passer.
Malgré le noir, le silence, le vide oppressant dans sa tête, ça allait passer, elle devait s'en convaincre, elle devait...
« Nathalie ! »
Un éclat violet illumina la pièce alors qu'il se précipitait vers elle. Il l'attrapa dans ses bras juste avant qu'elle ne touche le sol, manifestement inconsciente.
Gabriel ferma les yeux, essayant de décider quoi faire, essayant de retenir la peur. Il sentait encore le désarroi de la ville brûler sa poitrine, l'appeler à profiter du chaos, mais...
Il ne pouvait pas laisser Nathalie dans cet état.
Tant pis pour le plan. Ils trouveraient une autre idée.
Il la prit dans ses bras, doucement, essayant de chasser l'impression de déjà-vu, l'impression d'avoir déjà vu ce film, et il savait qu'il n'aimait pas la fin.
Il remonta jusqu'au salon, l'assit dans un fauteuil et commença à faire les cent pas, nerveux. Il avait vérifié, elle respirait, bien que faiblement, comme si...
Mais bien sûr !
En deux pas il avait retraversé la pièce, il saisit le corps de Nathalie, la suppliant à mi-voix de rester avec lui tandis qu'il appuyait sa tête contre le mur, posant ses mains sur l'abdomen de sa partenaire et pressant vers le haut, régulièrement. Il comptait les pressions, cinq rapides, une pause, cinq à nouveau, comme dans les manuels, terrifié qu'elle ne réagisse pas.
Au bout de la dixième pression, elle commença à tousser, fortement, et éjecta quelque chose. Gabriel s'éloigna immédiatement, et ramassa ce qui était tombé sur le sol. Des pétales de rose, et un bourgeon presque éclos, plus une petite fleur qu'un bourgeon. Éléments plutôt étranges à cracher...
« Nathalie, vous mangez des fleurs ?
— On va dire ça, répondit-elle avec un sourire s'efforçant de paraître détendu.
— Nathalie...
— Ne vous inquiétez pas pour moi, Monsieur. Je vais bien.
— Vous...
— Monsieur. Tout va bien. Et si nous retournons à la tâche maintenant, il est peut-être même possible que nous puissions encore profiter du chaos de Volpina.
— Non. Un autre jour. Vous avez besoin de vous reposer.
— Monsieur... Votre inquiétude n'aidera pas. Je vous le promets.
— Nathalie... Je ne peux pas... Vous êtes ma seule amie, mon alliée et... S'il vous plaît, faites attention à vous.
— J'essaierai... »
Une ombre passa dans les yeux de Gabriel, une ombre de peur. Il ne pouvait déjà pas supporter l'absence d'Emilie, qui le dévorait vivant, et voilà que Nathalie tombait malade à son tour, et c'était comme si il l'appelait et qu'elle n'était pas là, il avait besoin de son soutien, de savoir que quelqu'un était en vie, il l'aurait suppliée de ne pas l'abandonner, mais ça ne pouvait pas marcher avec elle.
Du bout des lèvres, il la salua et alla s'enfermer dans sa chambre, serrant la petite fleur dans ses doigts. Quoi que Nathalie ait fait pour que ceci se retrouve dans sa trachée... ce n'était pas bon. Et les pétales étaient même tachés de sang...
C'était de mauvaises nouvelles.
************
Six semaines plus tard, soir du 24 novembre 2015.
Nathalie toussa, cracha des pétales, des épines, et trois petites fleurs. Sa condition ne s'améliorait pas. Elle savait que ça ne s'améliorerait pas.
Parce que chaque regard de Gabriel renforçait le feu dans son cœur. Oui, il restait terroriste, il restait instable, il continuait d'attaquer leur cité, il continuait de tout détruire pour retrouver sa femme mais... Il s'inquiétait pour elle. Quand elle s'effondrait dans une quinte de toux, il venait l'aider. Il lui souriait. Il la suppliait de faire attention. Il arrêtait les attaques si elle ne se sentait pas bien.
Elle espérait pouvoir le gagner, malgré le feu dans son cœur, malgré la glace dans son esprit, malgré les plantes chassant l'air dans ses poumons.
Mais si les murs pouvaient parler, ils diraient probablement « assez, abandonne », même si elle n'écoutait pas. Elle voulait y croire, quitte à en mourir.
Alors elle se tenait dans l'observatoire alors qu'il attaquait, elle restait près de lui quand il perdait, elle suggérait de nouveaux plans, elle essayait de compenser pour sa faiblesse fatale au pire moment.
« Keu eurf, keuf, argh, erf... »
Une traînée de sang rougit ses main tandis qu'une véritable fleur tombait entre ses doigts repliés, accompagnée d'une pluie d'épines et de quelques feuilles. Ses jambes tremblaient violemment, comme au cœur des plus fortes crises, alors se laissa tomber.
Les yeux brouillés, elle contempla la rose un instant, et releva la tête vers la lune qui brillait à travers la fenêtre de l'observatoire. Si elle en était là... d'accord, la fleur n'avait qu'une esquisse de tige, mais il n'y avait pas de doute sur son ouverture totale. Le regard suppliant de Gabriel, la peine, ses demandes désemparées... tout lui revint à l'esprit, et elle ne put s'empêcher de pleurer, de laisser les larmes briser ses digues. Elle ne voulait pas mourir, mais surtout, elle ne pouvait pas l'abandonner, elle ne pouvait pas le forcer à revivre cela, et...
Une nouvelle quinte, une nouvelle fleur, plus petite mais plus sanglante.
Les larmes la noyaient, elle entendit à peine l'élévateur arriver, elle ne sentait plus sa respiration. Elle ne voulait plus la sentir, mais elle ne voulait pas mourir, pas maintenant.
Encore du sang sur ses mains, comme si elle avait commis un crime. Mais était-ce un crime d'aimer sans retour ?
« Nathalie, Nathalie... Nathalie, est-ce que vous m'entendez ?
— Oui...
— Nathalie...
— Cessez de vous inquiéter, demanda-t-elle d'une voix atrocement rauque, je vous ai dit que ça ne fait qu'empirer les choses...
— Est-ce que... Est-ce qu'au moins vous savez si cette maladie... Est-ce qu'elle a un nom ? Et... y a-t-il des solutions ?
— He... eurf... Hana... keuf... Hanahaki. Il n'y a pas.... C'est incurable. Vous n'avez pas fait de recherche ?
— Je... Je ne voulais pas... Je pensais que vous ne voudriez pas que...
— Arrêtez. Arrêtez de vous soucier de ce que je peux penser. Arrêtez de vous soucier de moi. Je vous en supplie.
— Je... »
Elle détourna le regard. Elle ne voulait pas entendre ce qu'il avait à dire.
Il était la cause de sa mort, autant que si il avait planté un couteau dans son dos, en lui parlant, en restant, elle creusait sa propre tombe, il la torturait en la rassurant.
Les yeux fermés pour se concentrer sur l'effort, elle se releva, se dirigea vers la plateforme et disparut de la salle, laissant un Gabriel effaré, inquiet, tentant de calmer les pulsations erratiques de son cœur, de ne pas lui courir après. Elle ne voulait pas de son inquiétude, c'était clair, et il n'était pas sûr d'en vouloir non plus. D'habitude, quand il ne savait pas quoi faire d'une émotion, il s'enfuyait dans celles des autres.
Mais il y avait déjà eu une attaque aujourd'hui.
Et même s'il ne voulait pas se sentir inquiet, il voulait se soucier d'elle.
Si quiconque pouvait le sauver, c'était elle, parce qu'il se perdait dans l'échange sans fin du déni et de l'enfermement contre l'espoir illusoire et la violence arbitraire. Il savait que ce n'était pas viable.
« Nooroo ? Est-ce que tu sais ce que c'est que l'Hanahaki ?
— Oui, répondit le kwami, mais vous n'allez pas apprécier...
— S'il te plaît.
— L'Hanahaki est une maladie due à l'amour à sens unique... La personne atteinte se met à cracher des bouts de roses, des pétales, des épines, des boutons, puis des fleurs. Cela est dû au développement de rosiers dans les poumons. Plus les sentiments sont forts, plus la maladie s'aggrave. Il... Il y a une solution, il est possible de retirer l'arbre par chirurgie, mais... Cela tue définitivement tout sentiment pour la personne.
— Nooroo. Il faut... Si... Si elle devait mourir, j'en mourrais. Je... Elle n'a pas l'air de vouloir faire ça, mais... Pourquoi ?
— Quand on aime, l'idée de ne plus rien ressentir peut être difficile à accepter. Elle est attachée.
— Je... Et il n'y a vraiment pas d'autre solution ?
— La maladie peut guérir si les sentiments deviennent réciproques.
— Oh...
— Maître, quand elle vous dit de ne pas vous inquiéter pour elle, elle essaie de se protéger. Plus les sentiments sont forts... plus la maladie est présente.
— Je... Nooroo... Je ne peux pas m'empêcher de m'inquiéter. Je... Je voudrais pouvoir la protéger, l'aider, je ne peux pas la perdre...
— Ne le lui montrez pas ?
— Je ne veux pas lui mentir.
— C'est pour l'aider. Puisque vous ne pouvez pas la guérir.
— Je... »
Gabriel détourna le regard. Non, il ne se pensait pas capable de la guérir. Son cœur était encore troué et déchiré d'un deuil qu'il ne savait pas faire. Mais les larmes coulaient sur son visage alors qu'il réalisait que perdre Nathalie serait pire encore. Une voix dans sa tête murmurait que c'était parce que si elle disparaissait aussi, il n'aurait définitivement plus personne, mais un autre murmure le secouait, le suppliait de réfléchir.
Sauf qu'il n'avait jamais su réfléchir sur ses sentiments, ni même réellement les percevoir. Il enterrait tout, toujours, ça avait été plus simple, et il lui fallait des mois d'attention précautionneuse pour déterrer tout ce qui avait été enfoui dans l'espoir que ça disparaisse.
Malheureusement, il n'avait pas des mois. Loin de là, même. La fleur dans ses mains étaient trop grande pour laisser le moindre doute. Ça faisait peut-être des mois déjà qu'elle était malade, sans qu'il l'ait vu, et... il ne pouvait rien faire. S'inquiéter pour elle ne l'aiderait pas. Et il ne pouvait pas se forcer à rendre des sentiments.
Si il montrait...
Il ne voulait plus la mettre en danger, mais tout, tout empirerait la situation. Alors les larmes de dépit coulaient sans retenue.
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Dix jours plus tard, dix décembre.
Gabriel se tenait debout en haut de l'escalier, les lèvres serrées. Il n'avait pas cessé de réfléchir à une solution, et il en avait trouvé une. Peut-être. Si...
Nathalie sortit de sa chambre, l'air fatigué, des cernes entourant ses yeux. Elle semblait si faible, si blessée. Il s'en voulait. Mais... il savait ce qu'il avait à faire. L'éloigner. Lui cacher son inquiétude.
« Nathalie ? Je pense qu'il serait préférable que vous cessiez de travailler ici.
— Vous... Vous me renvoyez ?
— Non. Mais je pense que vous devriez vous éloigner.
— Monsieur... Non, s'il vous plaît...
— Ne protestez pas, Nathalie. Ma décision est prise.
— Mais... D'a... D'accord. Je... Je prends mes affaires et je pars. J'imagine que vous préféreriez également que je n'habite plus au manoir.
— Si vous pouvez.
— J'ai gardé mon ancien appartement, oui. »
Gabriel se força à ne pas la dévisager alors qu'elle retournait dans sa chambre. Le choc sur son visage lui faisait mal. Elle... C'était pour le mieux.
Dans sa chambre, Nathalie sortit une valise et commença à entasser les affaires, retenant difficilement les larmes, sentant sa gorge se bloquer douloureusement, elle ne voulait pas y prêter attention. Quand la valise fut terminée, elle ouvrit la fenêtre, respirant une dernière fois l'odeur de l'endroit.
Elle pouvait presque sentir son cœur se briser dans sa poitrine, et les pics des épines lui déchirant les poumons. Avec un soupir, elle s'assit sur le lit, désemparée, attendant la quinte de toux. Et quand elle vint, ce fut sanglant, long, douloureux. Des pétales et des épines voletaient partout. Trois boutons déjà largement ouverts, une fleur ouverte avec une petite tige, mais elle toussait encore dans ses mains plus rouges que jamais. Elle allait mourrir, maintenant, elle en était sûre, la toux ne s'arrêtait pas, elle respirait à peine, le monde se brouillait devant ses yeux, et elle toussait, toussait à s'arracher la gorge, les larmes de paniques coulaient sur son visage, elle ne voulait pas, elle ne voulait pas mourir, c'était horrible, ce sentiment... Il la tuait, il la tuait, et elle était incapable de dire d'où cette soudaine froideur de Gabriel était venu, mais c'était peut-être pour le mieux, parce que si elle avait su, elle aurait supplié bien plus, mais maintenant il pouvait être un lâche et refuser de la voir agoniser, et elle pouvait épargner un peu de respect envers elle-même.
Une rose complète finit par atterrir dans ses mains, rouges comme le sang qui la tachait, teintée d'orangé et de rosé, comme l'aube. Magnifique, mais si cruelle. La longue tige était pleine d'épines, sur lesquelles la brune passa les doigts précautionneusement, évitant de se couper. Un soupir lui échappa. Une fleur pareille aurait bien pu la tuer, et elle était plus faible que jamais. Mais elle ne pouvait pas rester. Elle savait depuis le début que cette piste était traître, elle aurait dû savoir depuis longtemps que ce serait plus intelligent de partir...
Elle secoua la tête, rangea sa tablette dans la poche avant de la valise, regardant les livres qu'elle devait abandonner. Avec un peu de chance, elle pourrait revenir les chercher. Le cœur serré, elle prit son ancien porte-clés dans le tiroir de sa commode et caressa l'iris, hésitant à la retirer. Parce qu'elle commençait à perdre espoir.
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Trois semaines plus tard, soir du premier janvier 2016.
Gabriel était effondré dans l'observatoire. Depuis deux semaines, il se sentait s'effondrer. Le jour du départ de Nathalie, il n'avait tellement pas voulu confronter la tornade de sentiments qu'il avait attaqué trois fois dans la journée, au déjeuner, vers dix-huit heures et au milieu de la nuit. Après cela, il n'avait plus attaqué que cinq fois au total. Il cherchait à se convaincre que c'était pour le mieux, qu'elle ne devait pas le voir, qu'il ne devait pas lui montrer son inquiétude, qu'elle ne devait pas savoir, que si elle gardait en tête l'air froid et distant qu'il avait eu en la congédiant, c'était mieux.
Mais ses sourires, sa bienveillance, ses encouragements, leurs parties d'échecs, leurs stratégies, leurs discussions, tout lui manquait, et quoi qu'il fasse, il pensait à elle, elle était dans tout ce qu'il faisait.
Du bout des doigts, il composa le numéro d'Éloïza Vertilstede, la responsable des aspects pratiques de la compagnie, la seconde de Nathalie dans la gestion de l'entreprise. Ces deux-là faisaient la majorité du travail, en réalité, et il leur était infiniment reconnaissant.
« Monsieur Agreste ? Que se passe-t-il ?
— Je... Je me demandais si vous aviez des nouvelles de Nathalie...
— Oh ? Oui. Elle est revenue travailler au siège il y a un peu plus de deux semaines, elle avait l'air extrêmement malade, mais ça s'améliore. Elle est même allée au bureau aujourd'hui. Il... il s'est passé quelque chose ?
— Non. Enfin si. C'est... Elle... Elle était tombée amoureuse de moi et je... Je me savais incapable de lui rendre ce sentiment alors... Je lui ai demandé de partir du manoir...
— Oh ? Vous l'appréciiez pourt... Oh seigneur. Ne me dites pas qu'elle a attrapé l'Hanahaki ??
— Si... Je...
— Bon sang... Monsieur Agreste, s'il vous plaît, ne vous culpabilisez pas. Ne vous en voulez pas. Personne n'est responsable des sentiments que les autres développent. D'accord ? Surtout pas quelque chose comme l'amour. C'est noté ?
— Merci... Mais... C'est stupide, mais elle me manque. Sauf que... Si elle va bien maintenant... C'est que l'éloigner était la chose à faire.
— Monsieur. Ne vous blessez pas avec ce genre de pensées..
— Je ne me blesse pas, Mme Vertilstede. Merci pour votre réponse. Passez une bonne soirée.
— Ou... Oui, bien sûr. »
Gabriel raccrocha avec un soupir. Au moins Nathalie était sauve. Étonnamment, ça ne levait pas le poids sur son cœur, mais il souriait. Elle allait bien. Elle guérissait. L'éloigner, refuser de la voir et de lui parler avait fonctionné. Il devait continuer, même si elle était présente dans chaque pensée.
Une quinte de toux le secoua violemment. Allons bon, voilà qu'il avait attrapé un rhume. Il fit tournoyer entre ses doigts la rose qu'elle lui avait laissée, qui lui avait presque coûté la vie quand il l'avait chassée. Miraculeusement, elle n'avait pas fané. C'était son dernier souvenir d'elle, et il ne pouvait s'en séparer.
Un sourire flottait sur ses lèvres, comme chaque fois qu'il pensait à elle. Et savoir, connaître sa guérison...
« Nooroo ? L'Hanahaki peut-il... disparaître ?
— Ça arrive très rarement, mais... parfois, les sentiments disparaissent, et... le rosier fane...
— D'accord.
— Maître ?
— Tout va bien. »
Le styliste ferma les yeux, puis redescendit. Dans son esprit, des images dansaient, des jupes, des couleurs, et son sourire si encourageant.
Je ne vous oublierai jamais, Nathalie, mais restez loin, c'est pour votre bien.
************
Deux semaines plus tard, matinée du quatorze janvier.
Gabriel s'appuya contre sa table de travail, tentant de retenir la quinte de toux qui lui brûlait la gorge. Oui, il était malade, et de manière impressionnante. En deux semaines, la maladie s'était considérablement aggravée, lui faisant cracher des fleurs presque complète. Comme si il s'était empêché de tomber jusqu'à ce qu'elle soit hors de portée, et que tous ses sentiments enfouis rejaillissait en un bouquet éclatant de roses irisées ensanglantées.
Il le cachait comme il pouvait à Adrien, il dessinait la plupart du temps, des dizaines de tenues, des variations pour Nathalie, tous les Miraculous décrits dans le grimoire, les saisons, des fleurs - roses, iris, anémones, asphodèles -, des cieux sous tous les temps, il dessinait mais il était incapable de coudre, d'agir, parce que si il réalisait les tenues... il ne pourrait jamais les lui donner, de toute façon. Il mourrait avant.
Il n'attaquait plus, non plus. Le Papillon était complètement silencieux depuis deux semaines. Il n'avait pas assez de force, et il ne voulait pas. Ça n'avait pas de sens. Récupérer les Miraculous, d'accord, mais pour souhaiter quoi ? Émilie n'était plus dans ses désirs, enfin, et Nathalie... elle l'avait aimé, il avait manqué la tuer, il ne pouvait pas la forcer. Il ne pouvait pas souhaiter quelque chose de pareil.
Une fleur ensanglantée jaillit dans ses mains, presque sans toux. Elles venaient toutes seules, maintenant, apparemment. Il ne lui restait rien. Son temps... Son temps avait coulé. Il le savait. Et son âme de créateur se réveilla à cette réalisation.
Il ne pouvait pas abandonner le monde sans une dernière œuvre, comme un témoin de tout le bonheur qu'il y avait eu dans son histoire malgré tout.
Il saisit du tissu, instinctivement, une soie orangée, un satin rose, de la dentelle rouge, retraçant la vision de la rose qu'elle lui avait laissée, inversée, une jupe s'ouvrant vers le bas, un dégradé allant du rouge à l'orange, passant par le rose tendre et le rose, des taches comme du sang, une décoration verte sur le col, comme une tige, les couches de tissus se séparant progressivement comme des pétales de roses se chevauchant sans se toucher.
L'image prenait naissance sous ses doigts, enfin, la douceur du tissu se plissant caressait ses paumes, ça faisait si longtemps. Il se sentait revivre, malgré la douleur déchirant ses poumons, malgré la peine écrasant son cœur, malgré le fantôme d'un sourire absent détruisant son esprit. La création avait toujours été son échappatoire, il l'avait remplacée et perdue au fil du temps, mais la retrouver...
Ne pas penser que c'était sûrement la dernière fois.
Simplement contempler. Imaginer son amour danser dans la robe qu'il ne pourrait pas lui apporter.
Ne pas voir le temps qui passait dans la danse des aiguilles, oublier les fleurs qui décoraient le sol de son sang, simplement revivre dans la sensation de création.
Comme si un autre univers était là, entre ses mains, et il voyait le soleil scintiller sur le vêtement, alors même que l'atelier n'était éclairé qu'artificiellement, pour la stabilité de l'électricité.
Tisser, et tisser encore, une robe achevée, une autre naissent, couleur de nuit, bleu, noir et argent, éclairant les poignets de dentelles gris lumière, un plan dansait dans l'esprit du styliste, il chassait enfin l'ombre de mort.
« Père ? Est-ce que tout va bien ? Vous n'êtes pas sorti de la journée... et il est tard.
— Vraiment ? Je n'ai pas vu le temps passer... Quelle heure est-il ?
— Huit heures et demie, père.
— Merci, Adrien. Je... Je cousais, sourit le styliste en ouvrant la porte, je vais bien.
— Vous êtes..., commença l'adolescent avant que son regard ne tombe sur le sol.
» Ce... Ce sont des roses ? Père ?????
— Ça ira, Adrien...
— Non, clairement pas ! Père, vous avez l'Hanahaki !!!
— Oui.
— Et vous...
— Ce n'est qu'un juste retour des choses.
— Que... Que voulez-vous dire ?
— Nathalie l'avait et... Je l'ai presque tuée en voulant la protéger. Mais j'ai bien fait, puisque ses sentiments ont fini par disparaître. Je n'avais pas prévu que son absence me fasse aussi mal, cependant, et... Enfin bref.
— Père. Vous ne pouvez pas... Je refuse que vous vous fassiez du mal juste...
— Adrien. Je ne veux pas la remettre en danger.
— Mais puisqu'elle ne... Si elle ne vous aime plus, elle ne risque rien. Et quand bien même elle vous aimerait encore, ou viendrait à vous aimer de nouveau, vous l'aimez, non ? Donc il n'y a aucun risque.
— Je...
— Père. Je ne peux pas vous perdre. Alors s'il vous plaît, ne vous laissez pas mourir. Faites ça pour moi. Appelez-la. Demandez-lui de revenir. Ou, si vraiment vous ne voulez pas la voir, allez à l'hôpital et guérissez.
— Non.
— S'il vous plaît...
— Adrien. Je ne peux pas...
— Pourquoi ?
— L'amour est le sentiment le plus absurde qui soit, et même quand il tue, l'idée de ne plus rien ressentir est horrible. Surtout quand il tue.
— Père...
— Tout ira bien, Adrien. Ne t'inquiète pas. Et quoi que tu fasses... ne l'inquiète pas. Ce serait pire.
— Si... si vous le dites. »
************
Une semaine plus tard, vingt-trois janvier 2016.
Adrien regardait la statue de sa mère, des larmes dans les yeux. L'ambiance du manoir était pesante. Savoir son père malade et ne pas pouvoir l'aider ruinait le moral de l'adolescent, et il ne pouvait pas s'échapper non plus. Même s'il ne souhaitait pas revoir le Papillon, ne pas avoir la liberté et l'échappatoire de Chat Noir le tourmentait. Et Ladybug lui manquait aussi. Depuis la découverte de la maladie de son père, il appelait Nathalie tous les jours, il ne lui avait pas dit, mais il avait expliqué qu'il se sentait seul, qu'elle leur manquait à tous les deux, que c'était bizarre sans elle.
Soudain il entendit le portail s'ouvrir, et il se faufila par la porte arrière, dans l'entrée, se cachant sous l'escalier pour écouter la discussion. Il savait que son père était en haut des marches, il entendit les talons s'arrêter au milieu du hall.
Un long moment de silence s'écoula avant que le styliste ne prenne la parole.
« Nathalie...?
— Oui. Est-ce que vous allez bien, Monsieur ?
— Oui, merci. Désolé, ça fait longtemps, je... je n'avais pas l'intention de vous dévisager ainsi...
— Ce n'est rien.
— Et vous, comment allez-vous ?
— Bien, merci.
— Pourquoi... Pourquoi êtes-vous revenue ?
— Adrien m'a dit que je lui manquais. Et le manoir me manquait également. Et vous bien sûr, vous m'avez manqué.
— Je... Vraiment ?
— Oui.
— Keuf, eurf... Je suis content de vous revoir, Nathalie.
— Monsieur, êtes-vous malade ?
— Ce n'est rien. Ne vous inquiétez pas.
— Vous...
— S'il vous plaît.
— D'accooord. »
Nathalie se mordit la lèvre pour ne pas protester plus loin. Elle avait l'impression d'avoir déjà entendu ce dialogue, mais elle ne savait pas où, elle ne voulait pas chercher, alors elle monta les escaliers pour retourner à sa chambre, espérant pouvoir se ré-installer, et quand elle passa devant son patron, elle lui posa la question et il répondit que oui, bien sûr, elle pouvait rester.
Et, en la regardant ouvrir sa porte, il sentit son cœur se serrer. Enfin, elle était là. Mais dans sa tête, une tornade de suppliques se répétaient, s'il te plaît, ne me souris pas, ne me demande pas comment je vais, ne dis pas que je t'ai manqué si tu ne veux pas de moi...
Il secoua la tête. Retourna dans le bureau. La revoir lui suffisait, quand bien même son inquiétude risquait de le tuer.
Sous l'escalier, Adrien souriait. Il avait senti dans leurs voix la possibilité que l'histoire finisse bien, si ils avaient un peu de temps. Après tout, Nathalie était inquiète, et dans sa voix, il avait senti la peur de la perte, l'hésitation à exister. Même si ses sentiments avaient été diminués, mis en veille par la froideur et la distance forcées du styliste, l'adolescent était certain que tout n'était pas désespéré.
Il fallait juste un peu de temps.
************
Trois semaines plus tard, quatorze février, salon.
Gabriel toussa violemment dans ses mains, grimaçant en voyant les taches de sang sur ses mains. Depuis le retour de Nathalie, l'Hanahaki avait ralenti, mais il restait malade. Il savait qu'il ne pourrait probablement pas la gagner, mais vivre avec sa présence, la voir rouler des yeux quand il faisait des remarques stupides, retrouver sa moue de concentration et ses applaudissements excités lors de leurs parties d'échec, cela lui suffisait. Il voyait aussi son inquiétude pour lui, sa rapidité à venir le secourir quand il s'effondrait dans une quinte de toux, sa joie quand il se montrait reconnaissant. Il aimait l'écouter parler de tout et de rien, des livres qu'elle lisait, des problèmes qu'elle rencontrait avec la compagnie, des dessins qu'elle faisait, de ses promenades dans la capitale, il aimait s'asseoir à côté d'elle, la contempler, la voir vivre. Et il savait qu'elle appréciait son attention, ses remerciements et sa gratitude résonnaient éternellement dans ses oreilles, nourrissant le feu.
Une quinte le secoua, faisant jaillir une rose écarlate, qu'il fut tourner dans ses doigts. Il conservait ses fleurs, sans vraiment savoir pourquoi, mais il avait remarqué que ses derniers jours, elles rétrécissaient, elles se recroquevillaient, il y avait plus de pétales. Il savait que son amour ne s'éteignait pas, mais l'autre hypothèse était bien trop incroyable à ses yeux.
« Gabriel ? Est-ce que vous allez bien, s'inquiéta Nathalie en le voyant assis sur un des fauteuils, le regard dans le vide et les mains rougies.
— On fait aller... Ça va mieux depuis que vous êtes rentrée, Nathalie, vraiment.
— Gabriel. Vous êtes malade, n'est-ce pas ?
— Oui. Et je ne veux pas plus être soigné que vous ne le vouliez.
— Pa... Pardon ?
— Nous avons le pire sens du timing de l'univers, mais ce n'est rien. Je peux vous voir et être avec vous, et ça me suffit.
— Gabriel ! Ne... Ne dites pas des choses comme ça. Ne... Il doit bien y avoir... Je ne vous laisserai pas mourir, Gabriel.
— Et vous pouvez forcer les sentiments que j'ai détruits à revivre ?
— Peut-être. Vous n'êtes pas... Vous vous êtes forcé à être froid, distant et cruel pour que j'éteigne mon amour. Mais vous n'êtes pas ainsi, vous êtes optimiste, créatif, bienveillant, déterminé. Reconnaissant. Attentif. Vous voulez le bonheur de ceux autour de vous. Dites-moi, que voudriez-vous que nous fassions ? Avec toute la poésie dont vous êtes capable.
— Je... Je voudrais voyager, aller aux endroits où les poètes fuient et meurent, je n'ai pas ma place dans le monde, et... Je crois que toi non plus. Je voudrais partir, mais pas sans mon inspiration, ma muse, non, pas sans toi, je t'aime, et... Je vis par toi, même si ça doit me tuer. »
Nathalie resta bouche bée, son regard pétillant. Oui, c'était pour lui qu'elle était tombée malade, elle s'en rappelait maintenant, pour ses phrases invraisemblables, pour son inébranlable détermination, pour la manière dont il ne savait pas agir, et elle vint s'agenouiller au pied du fauteuil où il était assis, elle lui prit les mains et elle releva les yeux vers lui, comme dans ses rêves, réalisant qu'elle avait été archère et proie dans leur fuite de vie, dans leur histoire de destruction, mais que maintenant, elle avait les clés en mains, enfin, elle sentait son cœur repartir.
« Gabriel. Je vous aime, et je n'ai cessé de vous aimer, mes sentiments se sont simplement tus quand j'ai cru que je n'aimais qu'une illusion, mais vous êtes là, et avec vous, j'irai au bout du monde, car je sais que, même dans mes pires moments, tu resterais avec moi, et je resterai près de toi toujours, même si je pars, je reviendrai, je le sais, car je ne pouvais pas cesser de te retrouver en pensée, et je sais que cette amour vaut de se battre pour elle. Je t'aime, Gabriel. »
Elle vit l'incrédulité et la joie dans son regard alors qu'il se relevait et la prenait dans ses bras, réunissant leurs cœurs sur le même rythme, dans une étreinte réparatrice.
Ils avaient failli mourir d'aimer, mais ensemble, ils étaient plus en vie que jamais.
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5344 Mots.
Ah, enfin terminé ! Oui, j'ai l'impression d'y avoir passé des plombes alors que probablement pas tant que ça. Bon aussi, il s'est passé beaucoup de trucs depuis que j'ai commencé...
Ecrit avec beaucoup de gens, comme vous pouvez constater si vous avez la playlist. Et beaucoup de gens qui ont influencé. Vraiment. J'ai fini la partie où Gabriel apprend qu'elle a l'Hanahaki, j'avais "Want You Back" de Maisie Peters, et c'est ce qui m'a donné l'idée de l'éloigner, à cause du bridge, "you left like an assassin and maybe that's for the best, cause if you told me what would happen, I think I would've begged". Ensuite, quand Gabriel était au tél avec Eloïza (qui ne se laisse définitivement pas effacer de la narration), j'avais "I Bet My Life" d'Imagine Dragons, ce qui m'a dirigé sur la piste de le rendre malade à son tour. Enfin, j'avais commencé et dans ma tête il crachait des fleurs tous les deux, ID a ré-activé et donné le "comment". Alex a approuvé, même si je doute qu'iel a réalisé que ça voulait dire les avoir malades tous les deux, n'est-ce pas @Cookie_Noir ? Personne ne veut entendre le rire sardonique dans lequel je suis partie en recevant ton "yep", d'ailleurs.
Et la fin, y a the lakes pour la déclaration, je suis troooop contente de l'avoir casée, et un mélange The Archer/Afterglow pour la réaction de Nathalie.
Enfin bref.
Ah aussi, la robe ! Je fais un stage avec une prof de lycée, et vendredi, les secondes bossaient sur un sonnet de Ronsard, à propos d'une rose qui ressemble au lever de soleil. Mon cerveau a inventé la rose. Et j'étais incapable de me la sortir de la tête jusqu'à samedi soir. Donc forcément ça s'est retrouvé.
Voilà, je crois que j'ai tout dit,
Bises,
Jeanne
(02/12/2024, 00h45, comment ça on est déjà en décembre ???)
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