Le jeu de la bouteille
« La prochaine personne désignée par la bouteille devra embrasser la personne la plus attirante ici.
— Attirante comment, Max, demanda Rose.
— Mais comme vous voulez, vous êtes pas obligés de détailler, répondit le brun avec un haussement d'épaule, j'ai pas précisé exprès.
— Rappelez-moi qui a eu l'idée de confier le lancement de la bouteille et le choix des gages à Max, soupira Kim.
— C'était ton idée, et celle de Nino, rétorqua Ondine, vous pensiez que ça pourrait limiter les dérapages.
— Comme quoi on a eu tort, marmonna le DJ.
— Est-ce que quelqu'un peut me rappeler pourquoi j'ai accepté de venir ici, demanda Nathalie tout en adressant un regard noir à Adrien.
— J'imagine que vous vouliez faire plaisir à Adrien, répondit simplement Sabine, mais je suis d'accord que nous laisser entraîner dans une après-midi jeux par les adolescents n'était pas l'idée la plus brillante...
— Maman !
— Vous pouvez rentrer au manoir, si vous voulez, répondit Adrien doucement.
— Non. Je ne suis pas une lâche. J'ai accepté de passer l'après-midi avec vous et vos amis, je ne me défilerai pas. Mais j'apprécierais que Max lance cette bouteille sans tricher.
— J'appuie cette demande, approuva Gabriel, assis à côté de la brune.
— Mais c'est un lancer de bouteille ! Comment diable voulez-vous que je triche ?!?!?
— Tu ne triches peut-être pas, intervînt timidement Sabrina, mais il faut bien admettre que ce ne soit jamais retombé sur la même personne après dix lancers, et surtout qu'elle suive l'ordre dans lequel nous sommes assis c'est suspect. Et puis, c'est juste un calcul de force, même moi je serais capable de faire ça.
— Pourquoi « même toi » ? Tu es une fille intelligente, Sabrina, s'exclama le programmateur en se tournant vers la rousse.
— Bah oui, elle est intelligente, fît Chloé en levant les yeux au ciel, j'allais pas prendre une idiote comme sous-fifre pour faire mes devoirs !
— Chloé ! Sérieusement..., s'étrangla Zoé depuis l'autre bout du cercle.
— Laisse tomber, répondit Sabrina avec un sourire gêné, c'est rien... Même si c'est gentil à toi de me défendre...
— Bon, c'est bien le débat, mais on peut continuer le jeu, les gens ? Lance cette bouteille mon pote, et qu'on en finisse. »
Chacun acquiesça, et Max lança la bouteille avec précision, la regardant tourner longuement au milieu du cercle, faire trois tours complets avant de commencer à ralentir puis de s'arrêter en pointant Nathalie.
L'adolescent fît une grimace désolée, mais au fond il se réjouissait. Malgré le risque de se tromper en lançant trop fort, il avait réussi.
Bien sûr qu'il calculait.
Il calculait tout, tout le temps.
Et là, l'occasion avait été bien trop belle. Gabriel et Nathalie étaient encore pire qu'Adrien et Marinette, ce qui relevait de l'impossible.
Alors autant les aider à sa façon.
La brune s'était crispée, visiblement.
Non.
Même si elle savait que ça allait tomber sur elle, puisque le mathématicien trichait visiblement. Elle savait, mais en voyant la bouteille - l'instrument de torture - tourner encore et encore, elle avait espéré y échapper.
Pas qu'elle n'ait pas envie d'embrasser Gabriel mais...
Ça serait encore pire ensuite.
« Vous pouvez toujours refuser le gage, il faudra juste en faire un autre...
— Non. Je vais le faire. Les règles sont les règles. »
Le silence plana un instant, Alya jetant un regard assassin à Max qui signifiait que le père d'Adrien les détestait déjà assez comme ça, le blond lançant un regard désolé à sa mère de cœur qui secoua la tête avec l'air de dire que ce n'était rien. Mais sans jamais regarder Gabriel.
Ce genre de jeu réclamait par principe l'honnêteté. Et tricher lui arracherait le cœur.
Mais... Agir... L'embrasser... Alors qu'il sentirait forcément à quel point elle était troublée...
Marinette se redressa à côté de Nathalie et lui murmura à l'oreille.
« Faites-le, ça ne sert à rien d'angoisser. Au pire ça ne change rien, au mieux... Les miracles peuvent arriver.
— Pas avec lui, répondit la brune avec un sourire dans un chuchotement, mais merci de vos encouragements.
» Gabriel, ajouta-t-elle en se retournant vers sa droite, à peine un ton plus haut, est-ce que... Est-ce que vous accepteriez ?
— C'est le jeu, répondit le styliste avec un sourire étrangement chaleureux. »
Nathalie inspira profondément, forçant son cœur à reprendre un rythme régulier avant de faire face à son patron, de lever les yeux vers lui et d'unir leurs lèvres, timidement, sentant le temps se figer autour d'elle tandis que leurs bouches s'effleuraient, appuyant inconsciemment comme pour demander un accord.
Et, à son immense surprise, Gabriel répondit, pressant lui aussi ses lèvres contre les siennes.
Entrouvrant légèrement la bouche pour laisser le baiser s'approfondir, laissant éclater l'étonnement, le soulagement et l'espoir chez son assistante, faisant naître en lui la perplexité, un bonheur au goût d'amertume et de curiosité, un trouble bouleversant, il ne comprenait pas.
Il ne comprenait pas.
Mais, sans la conscience des regards des autres, il serait resté à l'embrasser avec une tendresse perdue et un feu inexplicable, des heures peut-être. Il le savait.
Et, quand elle s'éloigna, le souffle coupé et le cœur à l'envers, il sentît un vide vertigineux s'ouvrir en lui.
Un coup d'œil à la silhouette figée à ses côtés, le regard rivé aux arbres en face d'elle, l'air impassible, lui serra le cœur. Sans qu'il arrive à mettre le doigt sur ce qui lui faisait si mal. L'indifférence de Nathalie, sûrement, et le trouble qui lui brûlait la poitrine, tant littéralement que métaphoriquement, la broche du Papillon percevant une intensité inégalée, qui le noyait.
Comment diable pouvait-il faire le point sur le désordre que ce baiser provoquait en lui, alors que toutes les émotions autour de lui étaient aussi chaotiques ?
Pourquoi avait-il réagi ainsi ? Qu'elle l'embrasse, c'était le jeu, mais il n'était écrit nul part dans les règles qu'il devait rendre le baiser, encore moins l'approfondir.
Alors pourquoi...?
Pourquoi avait-ce été si naturel ?
Il connaissait la réponse évidente, celle que tout le monde donnerait.
Mais il savait qu'il avait enterré son cœur deux ans auparavant, qu'il s'était transformé en machine, qu'il ne notait les quelques émotions qui lui restaient seulement pour les manipuler...
Alors pourquoi un tel tremblement de terre ?
Pourquoi cet instinct ? Pourquoi la réticence qui l'avait précédé et la froideur qui le suivait éclataient-elles ainsi en éclats de douleur ?
« Père ? Père, vous allez bien ? »
La voix inquiète d'Adrien arracha le styliste à ses réflexions tourbillonnantes, le forçant brutalement à reprendre contact avec l'instant présent. Et à répondre.
« Oui, oui, tout va bien. Pourquoi me demandes-tu cela ?
— Eh bien... Ça fait littéralement quinze minutes et dix lancers que vous fixez le vide. Je voulais juste m'assurer... que vous étiez encore en vie.
— Oui, je le suis ne t'inquiètes pas.
— Moui... »
Max adressa une grimace à Adrien, signifiant qu'il ne pensait pas provoquer une telle réaction avec son gage, le blond secoua la tête avec l'air de dire que ce n'était pas prévisible.
Après quelques secondes d'hésitation, le brun inventa un nouveau défi, lança la bouteille avec force et la fît atterrir sur Mylène, qui exécuta le gage.
Et la bouteille tournait.
Les défis étaient relevés.
Les places étaient échangées.
Le temps passait.
Les rires résonnaient sur la Place des Vosges.
Sitôt Adrien rassuré, Gabriel avait replongé dans ses réflexions.
Il avait décroché.
Parce qu'il ne se comprenait toujours pas.
Qu'il avait besoin de rationaliser, de trouver des explications.
Mais il n'y en avait pas.
Son cœur battait si irrégulièrement, trop lentement, prisonnier d'une peur paralysante, d'une incompréhension glaçante.
Ses lèvres s'étaient resserrées, verrouillées, tentant à la fois de retenir et d'oublier le léger goût de vanille attrapé sur les lèvres de Nathalie.
C'était absurde.
Tant sa réaction que son instinct sur le moment. Pourquoi bloquait-il sur ce non-événement ainsi ? Qu'est-ce que c'était que rendre un baiser ? Franchement, il se mettait la tête à l'envers pour rien...
« Ça suffit. Je suis désolé, mais je ne peux pas rester.
— Adrien, tu es sûr ?
— Oui, Mari... Il a beau dire, mon père ne va pas bien. Je dois au moins le raccompagner au manoir.
— Je peux m'en charger, Adrien, intervînt Nathalie doucement, vous n'êtes pas obligé de quitter vos amis...
— Vous êtes malade aussi. S'il vous plaît.
— Vous n'avez pas besoin de vous inquiéter pour moi. Je vais bien. Nous allons rentrer.
— Je...
— Tu veux que j'y aille, Adrien ? Je peux les ramener au manoir avec Tatsu, puis rentrer... Mère n'a accepté que je vienne seulement parce que tes parents étaient là.
— Mademoiselle, protesta Nathalie.
— Bon, je vais pas dire que t'as tort, commenta Zoé, mais t'aurais peut-être pu être un peu plus... délicate ?
— Je ne vois pas l'intérêt de faire de la dentelle. Autant dire les choses comme elles sont.
— Mademoiselle Tsurugi... Certes, je considère Adrien comme un fils, et j'ai l'honneur qu'il me considère comme une mère, mais... Quand vous m'incluez avec Monsieur Agreste, vous... sous-entendez des choses inexactes.
— Traduction : le père est encore pire que le fils, on est repartis pour deux ans de galère, soupira dramatiquement Alya, vraiment...
— Ça va aller, ma belle, sourît Nino en lui passant la main dans le dos, ça va aller. En plus, si ça se trouve, Max a fait un job suffisant.
— J'ai fait bugger le père d'Adrien, je suis pas certain qu'on puisse appeler ça un job.
— Bah c'est déjà un essai pour sortir Monsieur Agreste de son attitude ridicule, complètement ridicule. Parce que vous avez raison, c'est absurde. Papaaa, fais quelque chose, tu y arriveras sans doute mieux que nous !
— J'essaierai. Mais je suis pratiquement certain d'échouer, soupira André. »
La conversation continua quelques minutes, discutant de ce qu'il fallait faire, de la manière de pousser le styliste à reconnaître son amour, Nathalie souriait en silence, touchée de l'effort que tous mettaient dans ce projet si innocent, mais ils ne savaient pas à quel point c'était inutile.
Il ne l'aimerait jamais, elle s'était habituée à l'idée.
Et même s'il acceptait un jour de l'aimer, il ne renoncerait pas.
Le voir revenir à la raison était un rêve encore plus fou que de sentir son cœur changer, elle le savait.
Il ne réagissait pas, le regard perdu dans le vide, l'esprit manifestement égaré dans un labyrinthe de questions insolubles.
Elle lui prît la main, doucement, l'incitant à se relever, avant de suivre Kagami jusqu'à l'endroit où Tatsu était garé.
Quelques minutes plus tard, ils étaient de retour au manoir. Avec un soupir, la brune suggéra à Gabriel d'aller se reposer. Il était encore tôt, mais son patron avait visiblement été ébranlé, et Nathalie savait que si on pouvait discerner ainsi son trouble, c'était sans doute mille fois pire à l'intérieur. Le meilleur moyen que le choc passe était visiblement le sommeil, alors elle prenait les décisions.
Comme chaque fois qu'il ne savait plus quoi faire, qu'il se perdait, elle s'incendiait pour le guider. Calmement.
Et si demain le choc n'était pas passé, alors seulement elle réfléchirait.
Pour l'instant, ils avaient simplement besoin d'automatismes et de règles, elle les suivait docilement.
************
Quatre jours plus tard, cuisine du manoir.
« Bonjour, Père, comment allez-vous ?
— Je vais bien, Adrien, arrête de t'inquiéter pour moi, protesta Gabriel.
— Si vous arrêtez de fixer les murs comme s'ils détenaient les secrets de l'univers. Qu'est-ce qui s'est passé mercredi pour vous ébranler ainsi ?
— Rien.
— Et vous croyez vraiment que je vais vous croire ?
— Je...
— Quand votre ami m'a donné ce gage, Gabriel m'a rendu mon baiser, intervînt Nathalie depuis la porte, et apparemment ça le perturbe. Ce qui n'est pas nécessaire. Les instincts ne se contrôlent pas, et c'était purement instinctif.
— Ce n'est pas si simple. Refouler des questions que l'on se pose est difficile, et comme les instincts, les pensées sont hors de contrôle.
— Ce n'était qu'un jeu.
— Vous essayez de vous en convaincre.
— Et vous le savez. Ça ne voulait rien dire. »
Gabriel se mordît la lèvre.
Non, pour lui ça n'avait pas été qu'un jeu.
Depuis quatre jours, il avait encore le goût du baiser échangé sur les lèvres.
Depuis quatre jours, ses pensées étaient tournées exclusivement vers ce moment, et tout ce qu'il avait ressenti. La joie, l'excitation et le dépit de Nathalie. Son propre bonheur, et l'envie irrépressible que ça ne s'arrête jamais.
Depuis quatre jours, il se retenait de dire les mots qui lui brûlaient à présent les lèvres.
Je vous embrasserais encore, si vous me le demandiez.
Adrien regardait les deux adultes avec curiosité, se demandant ce qui se cachait dans leur silence, dans leurs yeux qui s'évitaient et se cherchaient à la fois. Avec un soupir, il déposa son assiette dans l'évier, s'apprêtant à s'éclipser.
Mais le regard que Gabriel posa sur lui figea l'adolescent. Il y avait une supplique dans les yeux d'acier, une demande de ne pas l'abandonner.
Alors le blond se rassît.
Il devinait un besoin inavoué dans l'attitude de son père, une frayeur, une curiosité peut-être. Maintenant, l'adulte voulait parler.
Mais il ne pouvait pas le faire devant Nathalie, debout à la porte, hésitant à entrer, elle aussi voulant exprimer des tempêtes gardées secrètes, mais tout autant paralysée par la présence de son patron.
Ce n'était qu'un jeu.
Adrien savait que non, ça n'avait été un jeu ni pour l'un ni pour l'autre.
Il fallait simplement réussir à le leur faire admettre.
Mais sa mère de cœur se barricadait derrière une indifférence feinte, derrière une froideur artificielle, pour ne pas se laisser noyer par les élancements de son cœur.
Et son père ne supportait pas l'idée de vivre, il s'enterrait dans la mort depuis des années, il se dissolvait derrière un masque de désarroi qui ne laissait rien d'autre se révéler.
« Adrien ? Tout va bien, s'inquiéta Nathalie en s'asseyant à côté de lui.
— Oui. Je réfléchissais. Ce n'était pas un jeu, pour vous deux. Vous essayez de vous en convaincre mais un jeu n'a pas autant de conséquences dans la vie extérieure. Quand on joue, on enfile un masque, plus ou moins épais, ce qui est dans le jeu reste dans le jeu, même quand on doit agir avec des éléments de l'extérieur. Même avec des gages qui nous demandent d'être impliqués, d'être sincères. Mais vous deux, vous ne jouiez pas. Tout ce qui était dans le jeu était réel pour vous. Et c'est pour ça que vous avez la tête à l'envers.
— C'est... D'où tires-tu une telle sagesse, s'étonna Gabriel.
— Je connais un paquet de choses sur les masques, et pas franchement volontairement, répondit le blond avec une grimace, mais est-ce que j'ai visé juste ?
— Pour moi oui, en tout cas. Je... Je ne sais pas jouer. Je ne sais pas séparer, si je porte un masque quelque part, ses actions m'influencent en permanence.
— Et vous, Nathalie ?
— Je peux porter des masques, mentir et agir différemment. Mais... je reste présente intégralement dans tout ce que je fais. Même un jeu aura tout mon cœur. Alors forcément, ça reste imprégné même après la fin de la partie. »
L'adolescent hocha la tête, enregistrant simplement l'information. Des idées commençaient à dérouler dans son esprit, des plans. Mais pour ça, il fallait réussir à les décider. Et impossible de les faire bouger l'un devant l'autre.
Il les pousserait, s'il le fallait vraiment.
Du coin de l'œil, il vît Nathalie se relever, déclarant que Gabriel avait apparemment besoin de discuter avec lui, qu'elle allait les laisser.
Et, dès qu'elle eut refermé la porte, le styliste se tourna vers son fils, les yeux emplis de questions qu'il n'osait pas poser.
« Père... Qu'y a-t-il ? Sincèrement.
— Je... Pourquoi est-ce que je veux l'embrasser à nouveau ?
— Vous n'osez pas comprendre la signification de cette envie.
— Adrien, je n'ai pas de cœur, plus assez pour aimer. Je l'ai supprimé sous des couches entières d'obscurité.
— On ne peut pas supprimer son cœur. Même brisé, même ignoré, même piétiné, même moqué, un cœur continue toujours de battre. De se battre.
— Et quand il s'arrête dans la mort ?
— Tant qu'on est encore en vie, il peut repartir.
— Pourquoi en es-tu tellement persuadé ?
— Pourquoi cela fait-il quatre jours qu'il n'y a pas eu d'attaque du Papillon, alors qu'il y en avait tous les jours auparavant ?
— Mais qu'en sais-je ? Je ne suis pas dans sa tête, protesta l'adulte en fronçant les sourcils.
— La coïncidence est un peu grosse, vous ne trouvez pas ?
— Pourquoi réfléchis-tu ainsi ?
— D'abord, nous sommes dans un monde où nos noms ont étrange à voir avec qui nous sommes, d'une manière ou d'une autre, soit par contraste comme pour Nathalie, soit très littéralement, comme les parents de Marinette. C'est Nino qui m'a fait remarquer ça, il m'a dit qu'au collège, beaucoup de noms de famille faisait des jeux de mots, ou des références. Sauf le sien, pour lequel personne n'a d'explication. Et... C'est peut-être stupide mais ça a un peu attiré mon attention. Puis je me suis rappelé que les agrestes sont un type de papillon. Comme les monarques. C'était juste une remarque comme ça, et je ne sais pas pourquoi j'y ai accordé tant d'attention.
» Ensuite... Monarque a transformé les Miraculous en bagues. Des bagues qui doivent lui servir à transmettre les pouvoirs, d'une manière ou d'une autre. Et... les Alliances. Tout le monde en a. Tout le monde est akumatisé avec. En réfléchissant, le parallèle se fait.
» Par ailleurs, le symbole de la marque Agreste est littéralement un akuma, et il est gravé sur les bagues. Il y a aussi le fait que je n'ai jamais été akumatisé, ni même failli l'être, comme si le Papillon ne voulait pas me prendre pour cible, alors qu'il ne se gêne pas avec mon entourage. Puis, Félix a quand même réussi à récupérer le Miraculous du Paon.
» Séparément, ça n'aurait pas été étrange, ce n'est pas grand-chose, sauf pour Argos, mais Félix est capable de beaucoup. Tout ensemble c'est perturbant.
— Mais... Il y a autre chose, n'est-ce pas ? Qu'est-ce qui te croire en cette théorie ? Qu'est-ce qui la confirme pour toi ?
— Le fait que je ne puisses pas y croire. Ce n'est pas du déni, j'ai entièrement accepté la possibilité que vous soyez Monarque. Ce n'est pas un refus de ma part. Mais chaque fois que j'essaie de le formuler, il y a comme une pensée étrangère qui me force à me dire que c'est impossible. Les Miraculous sont faits pour protéger l'identité de leurs porteurs, à moins d'un aveu. Et quand je ne peux pas dire à haute voix, simplement, ma théorie, c'est cette magie protectrice qui est à l'œuvre.
— Et que vas-tu faire maintenant ?
— Trouver Su-Han et lui demander un moyen de guérir le cataclysme. Tuer n'est pas dans mes plans normalement, vous tuer encore moins. Ensuite, m'assurer que le Papillon ne reviendra plus.
— Et comment comptes-tu faire cela, interrogea Gabriel avec curiosité, essayant de ne pas s'attarder sur le choc de découvrir Adrien derrière le masque de Chat Noir.
» Je n'ai pas la force de renoncer. Je ne peux pas m'en sortir.
— Vous n'êtes pas seul.
— Tu voulais savoir pourquoi il n'y a pas eu d'attaques. Normalement, quand je n'attaque pas, ça me demande un effort, car le pouvoir est tapi dans mon esprit et demande sans cesse plus de place, plus d'autorité, plus d'efforts. Pas là. Le Miraculous du Papillon se nourrit des émotions des autres, or je ne pouvais simplement pas les percevoir tant les miennes étaient en désordre. Mon propre trouble était trop bruyant.
— Pourquoi cela vous trouble-t-il tant ?
— Ai-je le droit d'aimer après tout ce que j'ai fait ?
— On a toujours le droit d'aimer. Surtout si c'est une manière de se réparer.
— Adrien, l'aimer, ce serait comme me moquer de son sacrifice.
— Non. Ce serait le reconnaître.
— Je ne suis pas prêt, encore. J'ai... Je crois que j'ai compris. J'ai le désir de pouvoir l'aimer, de l'aimer réellement, mais... Je ne sais pas. Comme si cette volonté d'aimer s'opposait à une autre, plus ancrée, de rester dans le noir.
— Alors il faut renforcer la volonté d'aimer. Et puisque vous l'avez déclenchée avec un baiser, il faut l'embrasser encore.
— Sérieusement ?
— Je sais que ça paraît stupide. Mais... Je ne sais pas ranimer un feu autrement qu'en soufflant les braises.
— Je ne tiendrai jamais.
— Essayez. Il va falloir jouer, autour de vos ombres, et c'est le seul moyen que je vois.
— Je serai un pion si c'est un jeu.
— On joue pour la réalité. Mais c'est noté, je guiderai. À une condition.
— Oui ?
— Que je ne sois pas pion dans un autre jeu. Soit vous restez bloqué en ayant conscience de votre enfer, soit vous nous libérez tous les deux.
— ...
» Je te le promets, répondit le styliste, je me retire. Même si ta liberté ne dépend pas uniquement de moi, je te promets de ne plus interférer dans ta vie. Et j'accepte d'être ton pion.
— Merci, sourît Adrien, maintenant il faut que j'arrive à faire dame. Ça se fera...
— Nous jouons aux dames alors ?
— Plus simple que les échecs. Avec moins de détours possibles. Et je gagne plus.
— Cette fois je joue avec toi, pas contre toi.
— C'est une bonne chose, sourît l'adolescent en se levant et en se dirigeant vers la porte.
— Oh, et, Chat Noir, interpella le styliste alors que son fils avait la main sur la poignée.
— ... Oui...?
— Tu n'es pas coupable. Le cataclysme est mon choix, pas le tien.
— Si... Si vous le dites... Merci, sourît Adrien en se retournant avec un sourire avant de pousser la porte. »
Une fois dans le hall, il grimpa jusqu'à la chambre de Nathalie, sachant qu'elle voudrait en parler également.
Simplement, le plan qui s'esquissait dans son esprit ne plairait sans doute pas.
Et il avait peur d'échouer.
Il n'avait qu'un coup, il le savait.
Une seule chance de faire progresser la relation entre ses parents.
Si elle refusait...
Le blond secoua la tête et toqua à la porte.
« Entrez, lança Nathalie d'une voix douce.
» Adrien ? Tout va bien ? Vous avez l'air préoccupé.
— Ça va. Je me demande si je pourrais tenir la promesse que j'ai faite à mon père...
— Qui est ?
— Le pousser à ne jamais recommencer. Mais pour ça, il faut qu'il soit heureux, et je n'ai pas directement le moyen de le faire.
— ...
— Oui, je sais.
— Je suis désolée.
— Ce n'est pas la peine. C'était la chose à faire. Parce qu'à l'époque, j'aurais explosé de colère et de haine, et je ne m'en serai jamais vraiment remis. Maintenant... J'ai réussi à comprendre seul. À voir tout ce que Chat Noir m'a apporté, et il n'y aurait pas eu Chat Noir sans le Papillon. À deviner aussi ce que le Papillon et Mayura ont protégé, malgré les tendances destructrices. Ça reste compliqué, mais j'ai grandi assez pour savoir ce que j'ai à faire. Trouver notre paix. Réparer les tortures. Mais j'ai besoin de vous.
— Pourquoi ?
— Parce que vous êtes la clé.
— Et comment cela...? »
************
Trois semaines plus tard.
Assis dans la salle à manger, Adrien réfléchissait à l'évolution de son plan, aux conséquences qui se déroulaient sous ses yeux, à la mort de Monarque, se lançant dans un dernier combat de parade avec Ladybug et Chat Noir, avant de s'agenouiller devant eux, reconnaissant sa défaite, ôtant les bagues, restant immobilisé dans son attitude de soumission jusqu'à ce que le héros déclare doucement « Relevez-vous, Père. Merci pour ce duel en règles. Et pour votre rémission. », puis la destruction des bocaux où les kwamis avaient été retenus prisonniers. Le tout début de la paix.
Sa partenaire avait été ébranlée par cette journée, visiblement, mais... Après quelques temps, elle avait réussi à accepter la paix. À commencer à défaire ses réflexes paranoïaques. À ne pas sursauter au moindre bruit. Avec Chat Noir et tous les autres héros, Ladybug se reconstruisait.
Au manoir, l'ambiance était toujours étrange. Gabriel et Nathalie n'arrivaient pas à se rapprocher. Ils se fuyaient, sauf quand l'adolescent les mettait au défi de s'approcher. Quand il défiait sa mère de cœur d'embrasser le styliste. Quand il appuyait délicatement sur l'attirance de son père envers la brune.
Au fil des jours, le blond avait vu évoluer les perceptions des adultes.
De « j'ai envie de l'aimer », Gabriel était progressivement arrivé à admettre qu'il aimait son assistante, mais sans réussir à réunir assez de forces pour voir la réciprocité de cet amour, pour oser le déclarer.
Quant à Nathalie...
« Adrien ? Puis-je te parler s'il te plaît ?
— Oui, qu'y a-t-il, répondit le blond en relevant à peine les yeux par-dessus le bord de son livre.
— Je ne peux plus. Je n'en peux plus ! Cette situation est infernale !
— Alors prends les devants.
— Je ne peux pas jouer ainsi, Adrien ! C'est... beaucoup trop complexe comme jeu.
— Personne ne joue. Ni Papa ni toi ne savez jouer. Vous avez besoin de l'excuse du jeu et des gages, alors je l'utilise. Mais quand vous vous embrassez, que vous échangez des câlins ou que vous flirtez, c'est pour de vrai. Les mots que vous échangez sont réels.
— Je ne crois pas, non.
— Pourquoi ?
— Il ne peut pas renoncer. Et même s'il y arrivait, j'ai peur qu'il ait trop souffert pour pouvoir encore aimer.
— Tu es épuisante, Mam's. Il t'aime.
— Pourquoi cherches-tu ?
— J'ai promis. J'ai promis qu'il serait heureux. Je sais qu'il n'a pas la force de te le dire. Alors... C'est à toi d'accepter et de le faire. J'ai fait tout ce que j'ai pu...
— Merci pour tes efforts, Adrien. Je verrai... »
L'adolescent soupira. Il savait très bien qu'elle ne saurait pas plus avancer. Et il était à court d'idées. Il ne pouvait décemment pas la défier de se déclarer, il savait depuis le début que ce serait le seul gage qu'elle refuserait totalement. Être claire.
Mais son père refusait lui aussi, s'estimant indigne...
Le regard perdu sur la cour qui s'obscurcissait peu à peu, Adrien murmura pour lui-même une espèce de prière, suppliant que quelqu'un les aide.
Puis il souhaita une bonne nuit à Nathalie et grimpa à sa chambre, constatant qu'il se faisait tard.
La brune, elle, s'effondra sur une des chaises, ferma les yeux et essaya de retenir les frissons qui avaient immédiatement commencé à la secouer. Elle était terrifiée par la puissance des émotions contradictoires qui l'étreignaient, qu'elle ne pouvait pas révéler, sa faiblesse face à l'amour et l'envie qui l'inondaient, son besoin de tout dissimuler. Alors, dès qu'elle se retrouvait seule, elle acceptait d'être submergée, de laisser ses pensées se disperser.
Quand Adrien lui avait souhaité une bonne nuit, Nathalie s'était mordu la lèvre pour ne pas répondre qu'elle ne dormirait sans doute pas beaucoup. Les nuits se faisaient de plus en plus longues et épuisantes depuis le début du jeu. L'étrange équilibre où elle se tenait ressemblait plus à un masque qu'à une réalité, un masque qui s'effritait à chaque seconde.
Elle savait qu'elle ne pourrait pas dormir dans sa chambre, il y avait beaucoup trop de souvenirs dans cette pièce, de déjeuners partagés à des disputes fatiguées, d'une collaboration bienveillante à la constatation effrayée de la folie, de fuites vers la sécurité aux baisers des défis, des souvenirs du passé aux espoirs du futur. Alors elle monta, se préparant rapidement pour la nuit, récupérant deux oreillers et son épaisse couverture, avant de redescendre dans le bureau, d'appuyer délicatement ses doigts sur le portrait d'Émilie.
Une minute plus tard, son lit était installé sous la lumière de la lune, la longue couette repliée en deux pour servir à la fois de matelas et de couverture, les oreillers posés l'un sur l'autre, et Nathalie se blottît dans les draps, ses lunettes déposées juste à côté de sa tête. Et, pour la première fois depuis des semaines, elle s'endormit sans difficulté.
************
Quatre heures plus tard.
Gabriel entra dans l'observatoire, les traits tirés de sommeil. Cela faisait bien trois heures qu'il se tournait et retournait dans son lit, incapable de trouver le sommeil, alors il avait décidé de changer de lieu. Mais à peine arrivé, le styliste s'était figé, laissant un sourire amusé flotter sur son visage.
Apparemment, son assistante avait eu la même idée, et ça avait marché.
« Elle est magnifique quand elle dort, murmura-t-il en s'agenouillant à côté d'elle.
» Non, reprît-il après une seconde d'hésitation, elle est toujours superbe. Mais maintenant... Elle a cet air de paix...
» Nathalie, je voudrais tant pouvoir t'offrir cela, mais... Je n'ai jamais eu le courage d'assumer mes convictions s'il y a du danger, et... Ce danger pour nous est si proche, puisqu'il vit en moi... Non, je ne pourrais jamais te donner la paix, mais... Je me transformerai en feu, et je te garderai au chaud quand les vagues dans tes yeux débordent... Tout le monde, et même moi au fond, croit que l'amour n'existe qu'en spectacle, pour le spectacle, mais... Je mourrais pour toi en secret. Je sais que l'erreur, l'horreur est dans le détail... je serai enfin un ami... Et tu sais, je sauterai les barrières du monde avec toi, que je resterai avec toi dans les tranchées de la vie, je te sacrifierai ma vie et ma sauvagerie, je t'offrirai ce silence qui n'est possible que quand deux personnes se comprennent vraiment... Pourrait-ce même être assez ? Est-ce que ça pourrait suffire, si je ne peux jamais te donner la paix ? Je... Je t'aime tellement... »
Gabriel effleura le front de son amour du bout de ses doigts nus, se demandant s'il aurait un jour la force de lui redire ce genre de mots en face. Quand elle dormait, quand elle ne pouvait pas entendre, ou quand elle n'était pas là, c'était si facile. C'était si simple d'accepter le besoin qu'Adrien lui avait révélé, le détachant graduellement du Papillon, lui permettant de renoncer à l'obscurité, lui ouvrant la porte de la liberté.
« Gabriel ? Vous ne vouliez pas dormir, plaisanta la voix de Nooroo à son oreille.
— Je... Je ne sais plus. Je crois que je pourrais rester ma vie entière à seulement penser à elle. À la contempler. Sans même pouvoir faire quoi que ce soit.
— Pourquoi ?
— Je suis un monstre.
— Et ?
— Elle est un ange. Ça ne va pas ensemble.
— Ah.
— Je l'aime. Et je suis indigne d'elle.
— Je crois que vous êtes tellement fatigué que votre cerveau ne fonctionne plus. Dormez. Le reste, on verra demain. »
Gabriel hocha la tête, salua son kwami, déposa son oreiller le plus loin possible de Nathalie, se convaincant que c'était par respect plutôt que pour la peur qu'il avait de se brûler les ailes en s'approchant.
Et il s'endormît paisiblement, trouvant enfin le sommeil, la nuit s'écoulant paisiblement autour d'eux, le temps coulant doucement.
Des heures plus tard, Nathalie s'éveilla, les yeux pleins de brumes de rêve, le corps légèrement ankylosé de la nuit, mais se sentant extrêmement reposée. La lumière dorée baignant l'observatoire lui indiquait que la matinée devait être bien avancée, la faisant sourire. Elle avait dormi bien plus que d'habitude, malgré le manque de confort de la situation.
En se redressant et en mettant ses lunettes sur son nez, elle aperçut Gabriel, blotti dans un coin de l'observatoire, juste sous la fenêtre, une couverture légère ne le protégeant qu'à peine contre la fraîcheur de la grande pièce. Le Soleil jouant autour de lui le nimbait d'un halo doré...
« Il est magnifique... Et si fort... Je voudrais tant qu'il arrive à voir ses forces, plutôt que seulement ses erreurs... Nooroo, es-tu là ?
— Oui, Madame.
— Pourquoi Gabriel est-il venu ici ?
— Il n'arrivait pas à dormir dans sa chambre. Comme vous, j'imagine.
— En effet...
— Vous savez qu'il vous aime ?
— C'est impossible.
— Bon sang je comprends pourquoi Adrien était tellement agacé et désemparé ces temps-ci, murmura le kwami avec agacement, si je le dis c'est que c'est le cas !! Vous êtes véritablement impossibles ! Vous vous aimez, réciproquement, vous savez chacun à quel point vous avez besoin de l'autre pour avancer, vous vous battriez tous les deux contre quiconque mettant en danger le bonheur de l'autre, mais vous êtes incapables d'accepter cette réciprocité, d'accepter que oui, vous valez le coup, oui, vous avez de la valeur. C'est à croire que vous voulez souffrir. Et bien entendu, si quelqu'un essaye de vous l'expliquer, vous niez. Quoique, Gabriel c'est encore pire, parfois il accepte l'idée, mais il veut absolument se punir... S'il vous plaît, croyez-moi. Croyez en vous. C'est le seul moyen d'avancer.
— ... Si tu le dis, Nooroo, si tu le dis. »
Après une seconde d'hésitation, la brune ramassa sa couette et vînt la déposer sur le corps tremblant de son patron, effleurant du bout des doigts son visage tourmenté même dans le sommeil, lui murmurant que tout allait bien se passer, il n'avait pas besoin de se torturer.
Elle se redressa et s'éloigna un peu. Avant de réaliser qu'elle ne voulait pas le laisser seul, que sa simple présence apaisait les tempêtes dans son esprit, de deviner que lui-même serait heureux de la voir en s'éveillant. Un sourire sur les lèvres, Nathalie décida de redescendre à la cuisine, de préparer un petit-déjeuner à partager, de récupérer sa tablette et de revenir, de commencer à travailler ici. Près de lui.
Une vingtaine de minutes après, elle était de retour avec un plateau portant des tartines de confitures, un Thermos de café et une tasse de thé pour elle. Alors qu'elle buvait doucement sa boisson, assise en tailleur devant la porte, elle l'entendît s'éveiller.
« ... Nathalie ?
— Oui, je suis restée. Vous avez bien dormi ?
— Mieux que depuis longtemps. Et vous ?
— De même. C'était étonnamment facile de m'endormir ici...
— Changer d'atmosphère fait apparemment toujours du bien, sourît-il, est-ce que je peux prendre une tartine ?
— Bien sûr, j'en ai fait pour deux. Et le Thermos est pour vous, également, il y a de quoi faire deux tasses de café, je ne savais pas quand vous vous réveilleriez, alors...
— C'était une très bonne idée, approuva le styliste en s'asseyant à côté d'elle et en saisissant une tartine à la confiture de fraises, et... Merci aussi pour la couette.
— De rien, vous aviez l'air d'avoir froid...
— Il ne fait pas très chaud ici.
» Dites-moi, pourquoi évitez-vous si soigneusement de me regarder ?
— J'ai peur de ne plus pouvoir détacher mes yeux de vous si je m'y risque, répondit-elle doucement, se tournant vers lui avec un léger sourire, je crois que vous ne réalisez pas à quel point vous me fascinez. Je suis incapable de détacher mes pensées de vous... Vous êtes si merveilleux...
— Je suis un monstre.
— Non, rétorqua-t-elle, vous ne voulez voir que votre obscurité, mais vous êtes surtout un homme fort, courageux, qui a dû lutter pour chaque bouffée d'air inspirée, que la vie a brisé, mais qui essaye de rester présent. Qui apprend à être lui-même. Vous êtes merveilleux. Vous avez certes fait des erreurs, mais qui n'en fait pas ? Vous les réparez. Vous saurez être bon, avec le temps et la paix.
— Je ne sais même pas regarder et comprendre mes émotions, et j'ai utilisé impunément celles des autres pendant deux ans.
— Accepter ses émotions est un travail compliqué. Ça prend du temps, et il faut s'habituer à analyser régulièrement. Ce que vous n'avez jamais pu faire. Les émotions des autres sont plus faciles, parce qu'elles nous concernent moins. Je serai là pour vous aider à apprendre.
— Je vous ai manipulée.
— Gabriel, vous m'aviez interdit de prendre le Miraculous. Vous n'avez jamais voulu m'emmener dans cette croisade, je m'y suis imposée.
— Je vous ai blessée un nombre incalculable de fois.
— Et je suis incapable de vous en tenir rancoeur. Vous m'avez sauvée, n'oubliez pas.
— Comment ?
— C'est peut-être absurde, mais en veillant sur vous, j'ai réussi à passer l'épreuve moi aussi. Émilie était une amie, et une raison de vivre. J'ai dû improviser à sa mort, avec ce qu'elle m'avait confié. Je devais vous protéger, vous aider à rester vivant. En vous voyant vous battre, refuser le monde, je suis parvenue à l'accepter. En vous voyant vivre une autre réalité, enchanter le monde de vos visions, en vous voyant continuer vivre, à vous ré-inventer dans la mort... Je suis tombée amoureuse de vous, malgré les défauts que vous ne cessiez de montrer, et vous n'avez jamais voulu ça. Chaque fois que vous me demandiez quelque chose, je savais que je finirai par le faire, mais parfois vous refusiez mon aide. Même sans être conscient de vos obscurités, vous ne vouliez pas me mettre en danger. Vous ne m'avez jamais manipulée pour que vous aide. Une fois ou deux peut-être, mais je m'en apercevais. Je sur-analyse, je sur-réfléchis, je suis toujours en hyper-vigilance. Vous avez donné un sens à ma vie le temps que je m'en ré-invente un. Vous avez refait battre mon cœur.
» Je vous aime, Gabriel, même si c'est dangereux, même si c'est irrationnel. Mon rationalisme me fatigue et je vous fais confiance, éternellement. »
Gabriel reposa la tartine qu'il avait entre les mains, bouche bée par la déclaration, parce qu'il ne pouvait plus rien dire, parce qu'il comprenait enfin, parce que les mots de la brune étaient une crème apaisante, parce que son cœur brisé battait enfin correctement, parce que les larmes qui inondaient ses yeux d'orage vibraient enfin de bonheur, parce qu'il vivait à nouveau dans le sourire qui lui était adressé, dans le contact de leurs mains nues, dans la présence qui lui souriait.
Alors, du bout des lèvres, il parvînt enfin à mettre en mots le sentiment qui le tenait éveillé du plus noir de la nuit jusqu'à l'aube, qui agitait ses doigts au-dessus du tissu, qui faisait battre le monde, qu'il avait refusé d'écouter.
« Nathalie... Nathalie, je t'aime, souffla-t-il, j'ai enfin compris pourquoi le monde est si sombre sans toi, pourquoi j'ai tant besoin de ton sourire, de ton regard, pourquoi je n'arrivais pas à m'éloigner quand tu suivais les défis... C'est peut-être stupide, mais je viens de comprendre pourquoi je suis devenu obscur, seulement parce que je me suis éloigné de ta lumière... Je n'ai pas assez de mots pour dire à quel point je t'aime, et à quel point j'ai peur de tout briser... Accepterais-tu d'essayer l'aventure de la vie avec moi ?
— Oui, Gabriel, j'accepte le jeu. Je t'aime, murmura-t-elle en se blottissant contre lui, heureuse enfin. »
Et les battements de leurs cœurs désemparés se calmèrent finalement, l'un contre l'autre dans la lumière du jour, la fin de leur guerre se dessinant enfin, dans des échanges amusés et complices, dans des discussions enfin à l'unisson.
Leurs voix résonnaient dans l'observatoire, enfin reliée par la compréhension, leurs douleurs s'effaçaient doucement, leurs rires éclairaient enfin l'espace.
Après un temps infini et pourtant si court, Gabriel se redressa, et tendît la main à Nathalie pour l'aider à faire de même, murmurant qu'il avait quelque chose à lui montrer.
Ils abandonnèrent les restes de leur petit-déjeuner, décidant qu'ils reviendraient le chercher plus tard.
Et quelques dizaines de minutes plus tard, ils tourbillonnaient ensemble dans leur domaine, dansant à une musique qu'eux seuls entendaient, la musique de leur bonheur.
Quand ils étaient redescendus jusqu'à l'atelier, Gabriel avait tendu à Nathalie une robe écarlate, à la coupe très droite, donnant un air presque strict cassé par l'ouverture du jupon tout le long de la jambe gauche, le styliste ayant joué dans toute la confection de la tenue sur l'ambiguïté entre couvrir et découvrir. Si le bas était un simple jupon d'une épaisseur, le haut était recouvert de dentelles noires dessinant des roses, des tulipes et d'autres fleurs, recouvrant la brune d'une étrange armure de plantes, dont ses bras se dégageaient, la broderie s'arrêtant juste en dessous des épaules pour dévoiler les manches mi-longues aux bords découpés irrégulièrement, trace des épreuves de leur chemin. La robe présentait également un col, un ton plus foncé que le reste, montant jusqu'à son menton, mais fendu en V sur l'avant, ce qui avait fait sourire la destinataire de la tenue, qui avait promis qu'elle ne se réfugierait plus dans ses armures avec lui.
Elle avait été enfiler la robe. Elle avait coiffé ses cheveux encore désordonnés de la nuit, et les avait arrangés en une couronne tressée autour de son visage, et échangé ses lunettes contre les lentilles de secours.
Pour le jour de la paix, elle voulait avoir le visage dégagé.
Et, quand elle était revenue, Gabriel avait sourit, lui avait redit à quel point elle était magnifique et l'avait entraînée dans une danse merveilleuse, une danse à travers le temps, et, miraculeusement synchronisés malgré leur manque d'exercice, ils arrivaient à nouveau à être.
Ils étaient, simplement.
Sans trouble et sans désordre.
Comme avant tout.
Mais cette fois, ils étaient ensemble.
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6771 Mots.
Bon, ça sort d'où cette idée ?
Pour le contexte de quand ça m'est venu, j'étais en rando aux JMJ, le... 30 juillet, j'avais pas fini d'écrire "Sans eux" et j'avais déjà besoin de me mettre une petite dose de mignonnerie et de calme. Là-dessus, l'histoire de @GreenPomme avec ce titre m'est revenue, et j'ai commencé à broder la première partie.
Sans aucune idée d'où j'allais aller, bien entendu. Je ne sais jamais où je vais. Pour une raison très simple, j'obéis aux personnages plus qu'ils ne m'obéissent. J'ai terminé "Sans eux". J'ai écrit "No Matter The Season" le 27 août. Mon cerveau m'a fait la guerre le 29, j'ai commencé à écrire cet OS. J'ai écrit "Chosen Last". J'ai ajouté quelques mots par-ci par-là. J'ai écrit "Under covers".
Et, vingt-trois jours après, j'ai ENFIN terminé ! La robe a été l'enfer à trouver, mais comme j'avais mentionné plusieurs fois que ce clown de Gabriel se réfugiait dans son atelier, je me devais de le faire. Puis ça me manquait. Donc hier j'ai ressorti les quatre carnets de Top Model qui me restent, j'ai regardé les modèles, les tissus, les pochoirs, et j'ai fini par avoir une idée. Affinée aujourd'hui. J'espère qu'elle rend bien, au moins.
A part ça... Wha, un OS narratif sans warning au départ. Ca fait combien de mois qu'on a pas eu ça ? Que ce soit la note de "Folie" ou les TW sur les autres d'ailleurs. C'est cool de se dire que celui-là pourra être lu par tout le monde...
Bref, j'espère que ça vous a plu, que c'était bien, que j'ai pas trop sauté d'éléments et que vous avez perçu la logique,
Dites-moi tout,
Bises,
Jeanne.
(20/09/2023, 23:53)
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