Echapper
Un lundi soir.
« Nooroo, murmura Nathalie en arrivant dans l'observatoire.
— Oui. Vous avez l'air surprise ?
— Je pensais que tu serais avec lui.
— Non... Il m'a laissé ici.
— Pourquoi, chuchota-t-elle en saisissant la broche qui brillait dans le clair de Lune, pourquoi a-t-il renoncé ?
— Il n'a pas vraiment...
— Il a dit qu'il avait besssoin de réfléchir, siffla Sass depuis sa prison, mais il n'a pas renonccé à proprement parler, il a sssseulement repossssé son Miraculous.
— Réfléchir ? À quoi ?
— J'ai discuté avec lui, répondit Nooroo dans un murmure, et... Il m'a dit qu'il avait besoin de réfléchir un peu... Je ne sais pas si je peux répondre à votre question...
— Ce n'est pas grave, répondit-elle distraitement, puis-je faire un test ?
— Oui...?
— Nooroo, transforme-moi. »
Un flash violet illumina la pièce. Nathalie se retrouva habillée d'un costume absolument semblable à celui de Gabriel quand il portait uniquement le Miraculous du Papillon, la tête enserrée dans le même casque qui avait dissimulé son identité. En se contemplant dans le reflet renvoyé par la fenêtre, la brune resta bouche bée. Comment...
D'un murmure, elle se détransforma, tentant de chasser cette image particulièrement dérangeante de son esprit. Le Papillon des débuts, plus petit, les traits un brin plus féminins.
« Nooroo, comment est-ce possible, questionna-t-elle en essayant de retrouver une respiration apaisée, comment se fait-il que j'ai le même costume que lui, ainsi ?
— Les costumes dépendent de l'imagination du porteur. Cette transformation signifie que votre inconscient est majoritairement occupé de lui...
— Je sais bien... Tu ne veux vraiment pas me dire de quoi vous discutiez pour le troubler ainsi, n'est-ce pas ?
— Si vous me le demandez, je n'aurai pas le choix.
— Il a même retiré les Alliances... Je ne compte pas te forcer, Nooroo. Je suis simplement curieuse. Il avait l'air complètement perdu et absent, ce soir. Vous vous êtes disputés ?
— Ça n'est pas possible, intervînt Daizzi, nous ne pouvons pas protester face à notre porteur !
— Mais la discussion était plutôt houleuse, oui, confirma Roarr.
— Re-transforme-moi, Nooroo...
» J'essaie de comprendre, souffla-t-elle, comment a-t-il pu devenir si... différent...? »
Elle se tût, s'approchant de la fenêtre qui donnait sur la ville. Dans sa tête, les souvenirs défilaient, leurs voyages, Shanghai, New-York, Londres, Dakar et sa lumière, la beauté autour de Rio, la magie sous-marine de Sydney, les lieux où elle serait restée des vies entières si ça n'avait tenu qu'à elle, les endroits sauvages, les grottes au milieu de la jungle, les ruines de temple différents et semblables dans tous les cœurs qu'elle découvrait, ce confort si étrange pour lequel elle avait retenu le trio en Grèce plus que nécessaire, les lieux de cultes de l'Antiquité semblant réclamer son aide.
Si ça n'avait pas été pour Émilie, elle aurait élu domicile là-bas, au creux d'une forêt toujours sacrée. Et de toutes ces merveilles, de toutes ces natures sauvages, elle finissait à Paris, dans un lieu où elle n'avait pas eu de coup de cœur, elle qui restait si facilement enchantée d'une atmosphère. Même Londres semblait moins dangereuse et hostile, plus magique.
Maman, pourquoi ici ?
« Nathalie ?
— Pardonnez-moi, Monsieur, s'exclama-t-elle en sursautant, je ne devrais pas être ici et je ne devrais pas...
— Ce n'est pas grave. Je suis désolé de vous déranger.
— Ne vous excusez pas. C'est votre domaine, ici, pas le mien.
— Vous aviez l'air pensive, pour ce que je peux deviner avec ce casque que vous avez... Qu'observiez-vous ainsi ? »
Le passé.
« Seulement la beauté de la ville de nuit.
— Est-ce que vous allez bien ?
— Mieux que depuis longtemps.
— Pourquoi êtes-vous venue ici ?
— Pourquoi avez-vous retiré les Alliances et le Miraculous ?
— J'avais besoin de réfléchir. De faire un pas en arrière...
— À propos de quoi ?
— Tout.
» Vous êtes très belle, ainsi...
— Merci, répondit Nathalie avec un léger sourire.
— Pourquoi votre costume ressemble-t-il tant à celui que j'avais ?
— Nooroo dit que c'est à cause de mes sentiments pour vous, je... »
Elle s'interrompît brutalement, les yeux traversés d'horreur alors qu'elle comprenait ce qui venait de lui échapper.
D'une voix précipitée, terrifiée, elle se détransforma, renonça au Miraculous, elle se précipita vers la porte, vers la sortie.
« Nathalie ? Nathalie, attende... attends ! »
Gabriel se précipita à sa suite, mais elle était plus rapide, et l'élévateur était déjà reparti vers le bureau.
Il s'effondra. Il ne pouvait pas, il ne n'enregistrait pas, ni sa transformation, ni ses mots, ni sa fuite. Il sentait déjà son absence brûler dans son cœur, son départ coulaient sur ses joues. Une seule pensée résonnait, irrévocable comme un jugement.
Je n'aurais pas dû, je ne sais pas, je n'aurais pas dû...
Je n'aurais pas dû, je n'aurais pas dû y aller, je n'aurais pas dû dire ça...
Dans les rues glacées de la ville, les pensées de Nathalie tournaient de même. Jamais, jamais elle n'aurait voulu lui avouer, et certainement pas ainsi. Dans la nuit qui paraissait bien plus sombre, elle courait, égarée, cherchant seulement à s'éloigner. « À cause de mes sentiments pour vous », vraiment ? Ça ou lui donner son cœur sur un plateau, avec un marteau pour le réduire en miettes, ça revenait au même.
Au moins, tant qu'il ne savait pas, elle n'avait pas à entendre son rejet...
************
Le surlendemain matin, cuisine du manoir.
« Père ? Où est Nathalie ? Je ne l'ai pas vue, hier...
— Je ne sais pas, Adrien, je ne sais pas... J'ai... Je l'ai blessée une fois de trop et elle est partie... Je ne sais pas où elle est, murmura l'adulte en détournant le regard, retenant manifestement des larmes.
— Pè... Papa, tu veux que je l'appelle ?
— Ne... Ne fais pas ça pour moi, Adrien. Je mérites sa froideur. Si tu veux, tu peux essayer. Peut-être que toi, elle te répondra...
— Papa ? Est-ce que tu vas bien ?
— Je dois apprendre à vivre. Sans elle. Et c'est juste... Je ne sais pas. J'ai peur de ne pas y arriver, de mourir en essayant, encore plus qu'avant... J'ai fait tellement de mal... Non. Je ne vais pas bien. Mais je dois ré-apprendre, seul. J'y arriverai, je ne sais juste pas quand...
— Tu n'es pas seul, Papa, murmura Adrien en se levant pour étreindre son père, je suis là. Je t'aiderai, autant que je pourrai.
— Merci, Adrien, répondit l'adulte en rendant l'étreinte, merci d'être là.
— De rien, Papa, c'est normal. »
Ils restèrent encore quelques minutes ensemble, l'adolescent serrant la main de l'adulte pour l'apaiser, lui promettant en silence de rester au manoir quoi qu'il arrive, en dehors de ses activités, mais il devait aller au collège.
Gabriel salua son fils, les yeux voilés de larmes, sentant à quel point il l'avait trahi. Il secoua la tête, perdu.
Elle était partie. Partie, sans doute définitivement.
Et Adrien ne savait pas, ne pouvait tenir son serment.
Il était seul, insupportablement seul. Et il ne savait pas comment vivre ainsi.
Le temps s'égrenait, lentement et insupportablement, la même pensée de l'inexorable solitude tournant en boucle dans son esprit. Des minutes entières, qui n'avaient pas de sens dans le vide de la demeure. Si elle n'était pas là, tout l'espace était désert, et ce désert était une condamnation.
« Nooroo, murmura-t-il finalement en faisant tournoyer la broche entre ses doigts, sais-tu pourquoi elle est partie ?
— Elle n'était pas prête, répondit le kwami doucement.
— Pas prête ? Mais pas prête à quoi ?
— Je ne peux pas parler pour elle...
— Est-ce que je peux comprendre ?
— Vous pourriez, si vous cherchiez vraiment.
— C'est à cause de sa dernière phrase ?
— Oui...
— Ses senti... Nooroo, non ! Elle..., les larmes voilèrent son regard encore une fois, Nooroo...
— Pourquoi cela vous bouleverse-t-il tant, Maître ?
— Tu le sais mieux que moi.
— Et je sais que le mieux est que vous l'admettiez à haute voix.
— Je... Si je pouvais revenir en arrière là, tout de suite, j'irais l'empêcher de développer ce genre de sentiments. Je ne les mérites pas. Je ne vaux pas le coup... ma vie ne vaut pas la sienne. Vraiment pas. Elle est si... Son cœur est bon, d'or même, elle cherche toujours à réconcilier, à sauver, elle garde toujours son sourire et son sens du service, mais elle peut être vraiment dangereuse avec ceux qui la blessent, ou plutôt, qui blessent ceux à qui elle tient. Elle n'a que faire de ses propres blessures, elle pardonne tout, jusqu'à la mort... Je l'ai condamnée à mort en l'emmenant dans cette histoire, Nooroo ! Je suis un monstre, qui ignore la souffrance des autres, l'utilise même, je manipule sans intérêt tout le monde, je ne suis qu'un amas destructeur de mensonges et de haine. Un cas désespéré. Je tue, et si je ne tue pas, je blesse. Je mérite mille fois ce cataclysme qui me consume. Elle, elle est malade pour moi. Je... Même si je... Je ne peux faire que la blesser. Encore et toujours.
— Maître, s'inquiéta Nooroo, vous... Comment allez-vous ?
— Je dois réparer. Et après...
— Vous vous rendez compte que je sens parfaitement ce à quoi vous pensez et que, même s'il faut provoquer une catastrophe, je vous en empêcherai ?
— Cette vie ne me sert qu'à détruire.
— Il n'est jamais trop tard pour devenir bâtisseur. Et d'ailleurs c'est faux, vous ne faites pas que détruire. Vos créations, ce ne sont pas des destructions.
— Les dernières... Les dernières ne servent qu'à détruire...
— Alors re-créez. Vous en êtes capable.
— Je suis brisée, Nooroo. Définitivement. Comme si des doigts peu précautionneux avaient froissé mes ailes.
— Je sens une envie de vivre, pourtant, une envie de créer...
— Peut-être, souffla-t-il avec un sourire hésitant, mais pourquoi... Il n'y aurait que pour elle. Et...
— J'irai. Je la retrouverai, je découvrirai son adresse. Et vous lui écrirez une lettre, vous lui enverrez votre création dans un colis... Si c'est ce qu'il faut pour vous garder vivant, ce n'est vraiment rien.
— Nooroo, comment peut-elle... Comment... Je suis un monstre, je l'ai toujours été...
— Mm... Non, je ne crois pas. Lors de vos discussions avec Émilie, j'ai pu apprendre beaucoup sur vos voyages, vous ne vous comportiez vraiment pas comme un monstre, à toujours prendre les risques pour protéger les autres. Puis vous avez réalisé le rêve d'Émilie d'avoir un enfant alors que vous ne vouliez pas être père par peur de l'échec. Et quand la nuit est tombée sur votre esprit, vous y avez cédé seulement parce que vous ne pouviez pas supporter votre douleur. L'obscurité arrive à tout le monde, vous l'avez prouvé... De manière effrayante.
— J'ai fait souffrir et ai inquiété chaque personne dans cette ville. Je les ai empêché d'être eux-mêmes en manipulant leurs émotions, leurs sentiments, pour mon propre objectif égoïste. Je l'ai manipulée elle, ma seule amie, la seule personne proche de moi. Et le pire... Je veux recommencer. Elle est partie, je veux recommencer, encore, malgré tout, je ne veux pas exister, mais quand je me transforme, quand je prends ces pouvoirs, il y a ce sentiment, ce frisson... Ça dure le temps du combat, jusqu'à ce qu'elle gagne, mais c'est le seul moment où je me sens en vie... C'est... Je suis mauvais.
— Non, sourît Nooroo, irresponsable sûrement, mais pas mauvais. Vous avez fait des erreurs, oui. Vos actes ont été mauvais, en effet. Mais... En tant que personne, vous ne pouvez pas vous définir par ce simple mot, surtout alors que vous ne comprenez pas.
— Pourquoi as-tu dit « irresponsable »?
— Ce que vous m'avez décrit s'appelle une addiction. L'addiction au pouvoir vient d'une irresponsabilité. De grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités. Si on ne prend pas conscience du danger, de la force de ce que l'on possède, le pouvoir se venge. Toujours. Mon seul pouvoir ne suffit pas à en développer une, parce que je ne suis pas si puissant. Pour m'utiliser, un porteur a besoin des autres. Mais vous étiez extrêmement fragile psychologiquement, car dévasté par sa perte, et vous voyiez à la fois une solution et une échappatoire. Ce qui vous a amené à désirer toujours plus. Quand vous avez pris Duusu... La machine s'est lancée. Vous n'aviez pas plus de responsabilité qu'au début, peut-être même moins parce que votre esprit était déchiré entre votre fidélité à Émilie, votre inquiétude pour votre assistante, et tout ce que vous ne vouliez pas voir.
» Or, Duusu est infiniment plus exigeant à manier. C'est une vie qui est créée. Une vraie vie. Que vous pouvez supprimer d'un claquement de doigts, qui est esclave, mais cela reste une vie. Mayura le comprenait, elle s'efforçait de ne pas leur donner de conscience, de les laisser sous la forme de jouets robotisés géants. Sauf pour Senti-Bug, dont retirer la vie lui a beaucoup coûté. Vous ne vous en rendiez pas compte, et cette absence de considération... vous a frappé de plein fouet. Vous vous êtes retrouvé prisonnier de cette chasse, sans fin.
— Et si tu me disais un mot... Je te faisais taire, comme j'ai fait taire tous les autres. Et maintenant... Adrien, Nathalie... Ils payent le prix de cette addiction.
— Vous payez aussi.
— Je le mérite. Je mérite d'être puni. Et... Je l'ai choisi. Je suis... Sur la longue liste de mes crimes, j'ai fait de Chat Noir un meurtrier.
— Maître...
— Si je meurs, ce sera mérité. Je voudrais juste ne pas abandonner Adrien seul... Mais le seul moyen pour cela serait de guérir Nathalie, et c'est impossible. Je mourrai, de toute façon... Si je peux éviter le fardeau de la responsabilité à Chat Noir...
— Laissez-moi contacter Su-Han, il trouvera un moyen !
— Non, Nooroo. Je dois seulement... »
Il se tût, pâlissant soudain, portant la main à son cœur, murmurant d'une voix faible d'appeler quelqu'un, de révéler si nécessaire...
Nooroo, paniqué, traversa tous les murs de la demeure, terrorisé à l'idée que Gabriel ne puisse pas survivre, il ne voulait pas, il ne fallait pas, il sentait les effluves de culpabilité de tous les autres monter de partout, quand il trouva le garde du corps il expliqua qu'il avait détecté une douleur et une panique extrêmement forte et comme son porteur était occupé ailleurs, il avait décidé d'aller voir, et il avait suivi les émotions, et il avait trouvé ce Monsieur Agreste dont on entendait parler en permanence dans sa cuisine, manifestement mal, il fallait appeler une ambulance...
Le Gorille écarquilla les yeux, mais hocha la tête et saisît son téléphone, composant le 15, expliquant la situation avec l'aide du kwami qui lui décrivait ce qui se passait. Sa voix était extrêmement rauque des années sans parler, et la petite créature était d'ailleurs surprise de voir que le garde du corps n'était pas muet, mais choisissait de ne pas parler.
Puis Nooroo le vît se diriger vers la cuisine, récupérer le corps évanoui de Gabriel Agreste, et l'amener dans le hall délicatement.
Voyant sa mission accomplie, le kwami traversa un mur et se retrouva dehors, égaré. Cette fois, il devait vraiment trouver Nathalie... Peut-être qu'elle avait besoin d'aide, elle aussi, peut-être qu'elle voudrait des nouvelles, ou peut-être qu'elle avait besoin de parler à quelqu'un... Il aperçut le SAMU qui entrait, et il soupira. Au moins pour aujourd'hui, son porteur était sauf. Mais ces malaises, si impressionnants, imprévisibles, dangereux étaient extrêmement inquiétants. Non, à ce rythme il ne lui restait pas beaucoup de temps...
Mais peut-être, peut-être que la manière dont il s'était distancé de sa part sombre, son trouble en comprenant les sentiments de Nathalie, son attachement à Adrien, peut-être que cela pourrait le sauver, peut-être que si Monarque disparaissait de son esprit, le cataclysme disparaîtrait de son corps...
« Qu'est-ce que tu fais là, toi ? »
Nooroo redressa les yeux. Perdu dans ses pensées, il était monté au-dessus des toits et s'était laissé porter par le vent.
Devant lui, le regardant avec une surprise et une curiosité manifestes, se tenait une jeune fille, ses cheveux bleutés attachés en deux couettes liées par des rubans rouges, son visage dissimulé derrière un loup rouge à points noirs, habillée d'une combinaison au même motif.
« Ladybug.
— C'est moi, oui, s'étonna-t-elle en fronçant les sourcils, tu es probablement le seul être conscient de cette ville à ne pas le savoir. Et toi tu es un kwa... Nooroo ? Tu es le kwami du Papillon, c'est ça ?
— Exact.
— Qu'est-ce que tu fais là ?!?! Pourquoi es-tu dehors ?!?! Tu m'espionnes ?!?!
— Non. J'ai... J'ai quartier libre en quelque sorte. Mon porteur a fait un malaise cardiaque, à cause du cataclysme. Il m'a demandé d'aller chercher de l'aide, j'ai trouvé quelqu'un qui a appelé le SAMU, et maintenant il doit être à l'hôpital. J'espère qu'il s'en sortira...
— Tu... Pourquoi ?
— C'est une personne fragile, Ladybug, et bien plus complexe que tu ne peux le voir. Et puis... Mayura est partie, elle lui a dit une chose qu'elle aurait voulu tenir secrète jusqu'à sa mort, elle ne pouvait pas supporter qu'il le sache, elle s'est enfuie avant-hier soir. Et il ne tient pas sans elle, il a réalisé qu'il s'était perdu et il voulait renoncer. Il n'a pas eu le temps de libérer les autres, c'est tout. Et moi... Il ne porte pas la broche, mais il n'a pas prononcé la formule de renonciation, il voulait discuter avec moi.
— Je ne peux pas vouloir qu'une personne meure... En plus... Chat Noir serait totalement dévasté...
— Tout à l'heure... Il ne tenait pas. Il voulait se tuer. Et il m'a dit qu'au moins ça éviterait à Chat Noir d'être un meurtrier...
— S'il en est à ce point... J'aimerais pouvoir faire quelque chose pour lui, pour le soigner... Mais je n'ai pas ce pouvoir là... Le Lucky Charm a dû disparaître quand je me suis dé-transformée, et... Je ne connais pas assez la magie des Miraculous pour pouvoir réparer sans...
— Je suis certain que le Gardien Céleste aura des idées...
— Si seulement je savais comment le contacter.
— Je le trouverai. Mais ne devrais-tu pas être en cours ?
— J'étais sur le point d'y retourner. Je me suis éclipsée pendant la récréation pour une patrouille.
— D'accord. Bon, ce ne sera plus nécessaire, je pense, sauf si tu veux un prétexte pour retrouver Chat Noir. Bonne journée, Ladybug, ne sois pas en retard !
— Merci... Et bonne chance. »
Nooroo sourît et la regarda partir. Non, il ne l'espionnait pas et ne cherchait pas à avoir des informations sur elle, mais il ne pût s'empêcher de noter la direction dans laquelle elle partait.
Puis, poussant un soupir, il ferma les yeux et se concentra, visualisant tous les fils d'émotions emmêlés, embrouillés, noués et profondément enserrés ensemble de la capitale.
Il dénoua, précautionneusement, cherchant un fil en particulier, d'un bleu brillant qu'il connaissait pour l'avoir côtoyé journellement ces dernières années. Le fil de Nathalie Sancœur, la femme qui, au monde, portait le moins son nom. Quand il le repéra, un soupir de pitié lui échappa. Ce cœur d'or était brisé, profondément, et elle ne cessait de lui imposer de nouvelles éraflures en voulant se rendre insensible. Mais au moins, cette torture qu'elle s'imposait la rendait facile à détecter.
Suivant le vent, voletant comme il pouvait, Nooroo se dirigea vers l'endroit où elle s'était réfugiée, un hôtel assez banal mais à l'autre bout de la ville. Il devait lui parler.
« Madame, s'exclama-t-il en traversant la fenêtre et en atterrissant sur la table du salon dans lequel elle lisait, il faut que je vous parle !
— Nooroo ? Que se passe-t-il, s'étonna-t-elle en le prenant entre ses mains, où est Gabriel ?! Il va bien ?!?!
—...
— Nooroo ! Dis-moi la vérité. Je peux tout accepter.
— Il a fait un malaise cardiaque tout à l'heure. J'ai demandé au Gorille d'appeler les secours, sans lui révéler vos identités, et maintenant Monsieur Agreste doit être à l'hôpital...
— Nooroo, il... Je dois aller l'aider, murmura-t-elle en blêmissant, j'aurais dû être là... Je...
— Il ne voudrait pas.
— Comment le sais-tu ?!
— Je lis les émotions, je vous rappelle. Et je sais que vous n'êtes pas prête à rentrer, que vous êtes angoissée, que vous ne voulez pas. Vous souffrez d'être partie, vous vous inquiétez pour lui, mais pour l'instant, vous êtes encore plus torturée à l'idée de revenir au manoir. Vous n'assumez toujours pas votre dernière phrase, et vous avez besoin de temps. C'est compréhensible, et il comprendra. Et surtout, il refuserait que vous rentriez vous occuper de lui, il veut que vous veilliez d'abord sur vous.
— Je n'ai pas grandi ainsi. D'abord les autres et moi ensuite... Anne-Lise vivait ainsi, et même si elle essayait de m'apprendre à poser mes limites, à ne pas prioriser l'autre sur ma propre vie... C'est quelque chose qu'on apprend en suivant un modèle, pas une leçon que l'on peut réciter.
— Si vous avez besoin de le mettre d'abord, dites-vous cela : tant que votre retour sera douloureux pour vous, il souffrira de vous l'imposer.
— D'a... D'accord. Ça... Ça devrait marcher. Nooroo... S'il te plaît, dis-lui que je ne regrette aucune de nos aventures, et rien, absolument rien de ce que j'ai fait pour lui. L'aider est un plaisir.
— Vous êtes désespérants, tout autant l'un que l'autre... Mais c'est d'accord, je transmettrai.
— Je l'aime, Nooroo. C'est absurde, dangereux, je le vois mourir et se perdre dans une folie, mais je ne peux pas arrêter. J'aime son obstination, j'aime sa force, et la faiblesse qu'il dissimule, j'aime sa manière de parler, de vivre, j'aime tout... Et je ne pourrai jamais trouver l'origine de ce sentiment, alors qu'il est si rude d'apparence, si brut et sauvage... C'est absurde comme les personnes qui élisent toujours le bad boy dans les livres et les séries. Je l'aime. Mais je ne peux pas l'accepter, parce que cette douleur-là est bien trop présente. Je ne peux pas vraiment l'admettre. Et je ne peux pas croiser son regard en me disant qu'il sait. Et que, quoi qu'il arrive, il ne me rendra pas ce sentiment.
— Prenez votre temps, sourît Nooroo, et n'ayez pas peur. Vous trouverez la lumière.
— Merci... File donc, avant qu'il ne te rappelle de force...
— Il ne peut pas, il ne l'a pas remise. Mais oui, j'y vais. »
Nooroo traversa la fenêtre, descendit discrètement jusqu'à la rue et regarda l'adresse de l'endroit avant de retourner rapidement se réfugier au manoir. Il savait que son porteur allait s'en sortir, au moins pour cette fois, mais il craignait que les crises ne recommence, que le cataclysme ne recule jamais, que tout s'effondre. Déjà avec cette crise-là, il devinait que l'ambiance du manoir serait bien plus pesante.
Je m'y ferai... Je sais m'adapter. J'espère seulement que les autres seront libres...
************
Cinq jours plus tard, dans l'après-midi.
Attablé dans le salon, Gabriel réfléchissait, une pile de papiers à côté de lui, faisant danser un stylo entre ses doigts. Plusieurs fois, il s'était redressé et avait posé une question à Nathalie, oubliant une seconde qu'elle n'était pas là, baissant des yeux au regard brisé sur les feuilles blanches. Adrien était au collège, une semaine s'était écoulée depuis le départ de Nathalie, le styliste était revenu de l'hôpital après quarante-huit heures en observation et depuis, il se battait avec sa part sombre.
Il n'avait pas remis les Alliances. Il ne portait pas la broche. Mais chaque jour, le combat était plus douloureux.
« Nooroo... Je ne vais pas y arriver.
— Bien sûr que si.
— Nooroo, je refuse de redevenir le Papillon. Mais sa démence... C'est toujours là. Ça ne partira pas. Le cataclysme recule chaque fois que je réussis à refuser de reprendre ce pouvoir. Il disparaîtra. Mais la folie ne s'effacera pas, elle sera toujours là, comme les cicatrices de mon enfance. Et je n'arrive pas à savoir comment le dire...
— Expliquez seulement les faits, alors. Dites que vous avez renoncé, parce que vous avez réalisé le mal fait aux personnes proches. Expliquez-lui le fonctionnement des Alliances. Vous avez essayé, hier, vous avez vu qu'elles peuvent s'utiliser sans moi. Et dites-lui pourquoi vous me gardez quand même.
— Je crois qu'une part de la difficulté vient du fait que... Jamais je n'aurais pensé écrire une lettre de renoncement à Ladybug, ça parait un peu absurde... Mais oui, je pense que je vais faire simple... Est-ce que je lui révèle mon identité ?
— Comme vous voulez... Elle comprendra probablement avec les Alliances, de toute façon...
— Je... Je crois que je dois le dire, quand même... »
Gabriel soupira. Après encore de longues dizaines de minutes à commencer et rayer des phrases sur un brouillon, il finît par obtenir une lettre correcte, qu'il signa de ses deux identités. « Le Papillon, Gabriel Agreste ».
Puis il se redressa, et se dirigea vers l'observatoire, où il libéra les kwamis de leurs prisons de verre, confiant à chacun la bague qui lui correspondait. Et à Sass, il confia la lettre. Le kwami de l'Intuition hocha la tête, se faufila dans l'Alliance pour pouvoir tenir l'enveloppe de ses deux pattes, puis salua l'ancien Papillon, suivant les autres au-dehors.
Quelques minutes plus tard, tous se tenaient dans la chambre de Marinette, pépiant de joie de retrouver leur Gardienne, s'interrompant les uns les autres pour raconter le cauchemar, pour transmettre l'incrédulité et le soulagement qui les envahissaient, tous la serrant, dans un câlin de pure bonheur.
« Eh, du calme, s'exclama la jeune fille avec un rire amusé, moi aussi je suis heureuse de vous retrouver ! Mais restez discrets ou mes parents vont se poser des questions... »
Elle resta un moment à simplement se réjouir de leur retour, avant de remarquer les Alliances qu'ils avaient abandonnées sur son bureau, la lettre posée à côté. Elle blêmît immédiatement, terrifiée que la lettre puisse porter de mauvaises nouvelles. Sa discussion avec Nooroo, un peu moins d'une semaine auparavant, brûlait encore dans son esprit. Peut-être que... Non, elle ne voulait pas qu'il meure, mais une part d'elle ne pouvait s'empêcher de se réjouir de la fin du risque... Ou peut-être était-ce des menaces... En un battement de cils, les scenarii catastrophes se multipliaient dans son esprit.
D'un murmure, elle repoussa les peties créatures avant de saisir l'enveloppe, de l'ouvrir délicatement. Ses doigts tremblaient alors qu'elle extirpait la lettre, cherchant à retrouver une respiration apaisée, de se convaincre que tout allait bien.
Bonjour, Ladybug.
Cette lettre est un simple message pour te dire que j'ai renoncé. Et essayer de t'expliquer pourquoi. Nooroo m'a dit de mettre simplement les faits, pour éviter de sur-réfléchir, alors les voilà.
Lundi dernier, Mayura m'a avoué une chose qu'elle aurait préféré garder secrète, par accident. Et elle s'est enfuie, ensuite. J'espère qu'elle va bien, en tout cas. Le fait est que, suite à son départ, j'ai refusé de remettre le Miraculous du Papillon, que j'avais momentanément retiré. En en discutant avec Nooroo mercredi, j'ai réalisé toutes mes erreurs d'un seul coup. À vrai dire... Je me suis pris, en une seconde, tout le mal que j'avais fait aux deux seules personnes qui comptent pour moi. Mon fils et mon assistante, mon unique amie.
« Où veut-il en venir, s'étonna la bleutée dans un murmure, avant de reprendre sa lecture. »
À ce moment-là, j'ai décidé que je ne voulais plus être ce danger pour eux. Que je ne voulais plus être le Papillon. J'aurais renoncé immédiatement à tous les pouvoirs à ma disposition, mais... Mon cœur ne m'en a pas laissé l'occasion. Nooroo m'a dit qu'il t'avait croisée alors qu'il était sorti pendant que l'on m'emmenait à l'hôpital, donc tu dois être au courant. Ce n'était pas le premier de ces malaises, mais... J'espère le dernier. Quand je suis rentré chez moi, vendredi midi, j'ai prononcé la formule de renonciation pour les kwamis qui doivent t'être revenus.
Mais je n'avais pas encore la force de les renvoyer, d'abandonner totalement. Chaque minute a été un effort, pour ne pas retomber. Et cette lutte... Je ne sais pas comment, mais le cataclysme a eu l'air de réagir à cette lutte. Il recule, un peu plus chaque jour, à chaque fois que je me retiens de céder. Tu pourras rassurer Chat Noir, il ne sera pas un meurtrier par ma faute.
« WoW, il a dû être sacrément ébranlé pour se soucier de la conscience de Chat Noir ! Mais pitié... Dites-moi qu'il n'est pas la personne... Dites-moi que j'ai faux !
— Qui penssses-tu voir se dissimuler derrière le masque du Papillon, siffla Sass avec douceur.
— Adrien sera tellement mal... Et puis... Je suis désolée, et j'espère vraiment me tromper, mais... Ça ressemble trop à ce qui s'est passé au manoir Agreste la semaine dernière, soupira la jeune fille, beaucoup trop pour que j'ose croire à la coïncidence...
— Continue ta lecture, suggéra Barkk, je crois qu'il est important que tu lises tout.
— Bien sûr... »
À ce stade, tu as peut-être des idées sur mon identité. Je vais te le dire, pour confirmer ou infirmer. Pour que tu ne te tortures pas de théories, je suis certain que tu es en train de le faire. Je suis Gabriel Agreste. Oui, le styliste dont tout le monde parle tout le temps et que tout le monde admire est la personne que toute la ville déteste. Le nombre d'éléments m'ayant amené là est bien trop long pour le mettre dans une lettre. Si tu veux, tu peux venir au manoir, je répondrai à tes questions.
Aussi, concernant les Alliances. J'ai essayé, elles peuvent s'utiliser comme des Miraculous normaux, sans le pouvoir du Papillon. Tu pourras reconstituer ton équipe, si tu veux. Vous avez tous l'air si heureux de revêtir ces costumes. L'avenir de cette ville est entre de bonnes mains.
Je te remercie de m'avoir lu jusqu'au bout, je te souhaite une bonne continuation et de belles réussites dans ta vie,
Le Papillon, Gabriel Agreste.
Marinette écarquilla les yeux. La fin... Elle s'était préparée pour l'identité de son adversaire, et elle ne pouvait s'empêcher d'espérer que cela resterait un secret. Qu'Adrien ne l'apprendrait pas. L'adolescent serait détruit, à coup sûr, et probablement en colère, d'une colère qu'il haïrait ensuite, elle le savait. De tout son cœur, la bleutée aurait voulu éviter ces tornades à son ami, mais elle savait qu'elle ne pouvait pas.
« Le mieux que tu puisses faire c'est d'être là pour lui, lui souffla Tikki doucement, comme tu sais si bien le faire. Être présente, l'écouter, le soutenir et valider chaque réaction. Et ce sera déjà énorme.
— Merci Tikki... Aussi, tu trouves pas ça bizarre qu'il nous souhaite une belle vie, ainsi...?
— Il a gardé Nooroo pour lui ssservir de conssscienccce, siffla Sass, pour ne pas oublier, mais... Il sait qu'un jour, le cccycle recommenccera. L'arrivée de Bunnix et de Timetagger vous l'a appris. Alors il vous-s-s encourage à vivre et être vous-mêmes, à rire et à briller, autant que vous pouvez.
— Je ne comprends pas vraiment ce qui lui arrive, mais... il a vraiment l'air ébranlé. J'espère que ça ira pour lui... Il faut que j'aille annoncer la bonne nouvelle à Chat Noir... Je ne sais pas...
— Tu peux attendre un peu, commenta Daizzi, tu as l'air vraiment bouleversée !
— Oui... Oui, merci. Je lui dirais demain, on a une patrouille... Il faudra que je lui montre la lettre... Il... Je ne sais pas, j'ai l'impression qu'il sera blessé...
— Ça ira, promît Tikki essayant de ne pas laisser paraître sa propre inquiétude, il ne peut pas être blessé par une victoire, ou en tout cas une reddition...
— Merci, Tikki. »
Marinette sourît, d'un sourire extrêmement sincère et lumineux. Certes, elle avait encore des poids à porter, sa relation avec Adrien, le stress du lycée, Chloé et Lila. Mais, avec les kwamis revenus, c'était comme si le monde sur ses épaules ne pesait plus rien.
************
Le lendemain soir.
Ladybug se tenait sur le toit du manoir Agreste, perplexe. Chat Noir n'était pas venu à la patrouille, il lui avait seulement envoyé un message lui donnant rendez-vous ici, lui expliquant qu'il avait besoin de lui parler.
« Bonsoir Ladybug... Désolé de te convoquer comme ça... C'est juste... La journée a été un peu compliqué.
— Chaton... Ne t'inquiètes pas, ce n'est pas grave... Tu... Que se passe-t-il ? Si ce n'est pas trop... Si ça n'empiète pas trop...
— Je crois que tu apprendras mon identité d'ici la fin de cette conversation, de toute façon.
— Chat...?
— Je n'ai pas envie de... D'être ? Maintenant, il n'est plus une menace, mais... Je ne sais pas... Comment réagir ?
— Je n'ai pas le droit de te dire comment réagir.
— Comment réagirais-tu si c'était ton père ? »
Un millier d'émotions se succédèrent dans les yeux de l'héroïne, qui saisît son partenaire entre ses bras, murmura simplement un « je suis désolée », laissant la peine qui l'étreignait montrer son soutien, laissant son partenaire s'effondrer contre son épaule, leurs larmes se mêlant dans son cou, le silence les rassurant, les unissant. Autour d'eux la nuit les éclairait, faisant tomber leurs masques, évacuant les colères, les rancunes, les inquiétudes, les doutes, la douleur, laissant seulement leur compréhension mutuelle, leur amitié si forte, leur amour à faire trembler les montagnes, leur monde et leurs sentiments enfin à l'endroit.
Tout s'expliquer, se raconter, comprendre, révéler leurs réactions, leurs peurs, leurs inquiétudes pour l'autre, laisser glisser toutes les larmes de détresse et les transformer en rires d'espoir, s'accorder pour garder le secret de l'identité, en somme dessiner un terrain pour la paix, leur prît de longues heures, blottis l'un contre l'autre sous la Lune.
Quand la nuit devint plus noire, ils se séparèrent, promettant de toujours se revoir.
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Le lendemain, fin de l'après-midi.
Adrien était assis sur les marches devant le manoir. Même si la discussion avec Ladybug l'avait apaisé, il avait toujours du mal à accepter l'identité du Papillon, la colère de la première réaction, révélant Chat Noir pour la douleur. Mais l'adulte avait tenu, était resté calme, avait simplement détourné le regard, laissant son fils l'assommer de reproches. Pleurer dans les bras de Ladybug, se laisser aller devant Marinette avait chassé les barrières.
De toute la journée, il n'avait pas été capable de dire un mot à Gabriel, ni le matin pendant le petit-déjeuner, ni lorsqu'il était rentré à midi après les cours, ni maintenant, en revenant de sa leçon d'escrime. L'adolescent restait dehors, évitant soigneusement de faire face. Pendant le déjeuner, il avait envoyé un message à Nathalie, la suppliant de rentrer, lui disant que Gabriel avait renoncé, qu'ils avaient tous les deux besoin d'elle, que c'était l'enfer.
Il l'avait presque vue hocher la tête quand, une seconde plus tard, elle avait promis de revenir rapidement.
Et en entendant des talons claquer sur le trottoir, le jeune homme sauta sur ses pieds et courût à la porte piétonne, l'ouvrant en grand.
« Bonjour Adrien, sourît Nathalie en l'accueillant dans ses bras, comment allez-vous ?
— Mieux, vous êtes revenue !! Vous êtes là !
— J'ai cru comprendre que la semaine avait été quelque peu chaotique ?
— C'est le moins qu'on puisse dire, soupira-t-il en l'entraînant dans la cour et en fermant la porte.
— Racontez-moi...
— Je... »
Adrien ne savait même pas par où commencer, les larmes remontaient à ses yeux à l'idée même de raconter, de se replonger dans cette angoisse qu'il avait ressenti toute la semaine, dans le bouleversement vécu la veille, dans l'instabilité où il naviguait. Les mots ne franchissaient pas la barrière de ses lèvres serrées, seules les gouttes salées roulant sur ses joues démontraient le trouble.
Doucement, Nathalie le guida jusqu'à sa chambre et s'assît à côté de lui, le laissant pleurer et bredouiller des bribes d'informations, le malaise de Gabriel le mercredi précédent et son absence jusqu'au vendredi, comme l'adolescent avait violemment compris que jamais il ne pourrait vivre sans eux, le mal-être visible où le styliste était, la manière dont il avait décidé de reprendre son ancien costume et l'oubli volontaire des questions de son fils, l'impression qu'un fossé était de nouveau en train de se creuser, la solitude comme une chape de plomb malgré ses amis, la discussion de la veille, les révélations, la douleur comme un feu, le besoin de se venger, de détruire, la transformation, sa fuite sur le toit et Ladybug qui l'avait consolé du mieux qu'elle avait pu, l'impression d'évoluer sur une corde raide à des kilomètres du sol, l'impossibilité de parler avec son père, les larmes plus ou moins contenues, le besoin de la revoir, de la retrouver parce qu'il savait qu'il pourrait se confier à elle, le soulagement quand il l'avait vue, l'apaisement qui se complétait maintenant...
« Ça va aller, Adrien. Tout va bien se passer. La route sera sans doute longue avant de retrouver une paix complète avec votre père, mais vous y arriverez...
— Merci, Maman, murmura l'adolescent dans son épaule avant de se redresser, d'essuyer vaguement les larmes de son visage et de lui sourire, merci d'être là, de toujours prendre soin de moi... De nous.
— Adrien, s'exclama-t-elle dans un chuchotement effaré, Adrien... Ne... Ne m'appelez pas ainsi...
— Pourquoi ?
— Je... Je n'en suis pas digne, Adrien. J'ai combattu avec le Papillon, je vous rappelle. Et puis... Ce... Je ne suis pas votre mère...
— Je vous considère comme telle, rétorqua-t-il avec un sourire franc, et elle ne s'y opposerait sûrement pas. Je suis sûr que ma mère « d'origine » serait même heureuse de cette relation.
— Émilie approuverait sûrement. Mais vraiment Adrien... S'il vous plaît... Il... Il me faudrait trop de questions pour l'accepter...
— S'il te plaît, demanda-t-il avec un regard attendrissant, laisse-moi essayer, Maman !
— Adrien... Tu es comme un fils pour moi, vraiment, mais... Je ne sais pas...
— Tu n'arrives même pas à refuser.
— Je comprends Anne-Lise maintenant... C'est dur, tu sais ? Ce rôle de mère, alors que je ne suis qu'une deuxième, que je suis là en substitution, c'est... Énorme...
— Tu en es capable, et tu rempliras le rôle à la perfection, assura l'adolescent en la prenant dans une étreinte.
— Merci, murmura-t-elle en rendant l'étreinte, merci Adrien.
— De rien, Maman. Et... Je pense que tu devrais aller voir mon père, il serait content de te retrouver.
— Je ne sais pas si j'en ai la force...
— Pourquoi es-tu partie ?
— La semaine dernière, j'ai été dans le repaire du Papillon, et il y avait le Miraculous et les Alliances, simplement posés sur un rebord de fenêtre. Je ne sais pas vraiment pourquoi je l'ai pris, pourquoi je me suis transformée. C'était instinctif. Mon costume était exactement celui de Gabriel au début. Quand je m'en suis aperçue, je me suis dé-transformé et j'en ai demandé la raison à Nooroo, qui m'a dit que c'est à cause de l'importance de ton père pour moi... Je me suis re-transformée, d'une certaine manière ça m'apaisait... Mais il est arrivé, et il m'a vue, il m'a demandé d'où venait la similitude de nos transformations. Je n'étais pas prête, mais ça m'a échappé. Je lui ai répondu avec l'explication donnée par Nooroo, que c'était à cause de mes sentiments pour lui. Quand j'ai compris ce que je venais de dire... J'ai paniqué et je me suis enfuie. Je sais comme ces sentiments ne peuvent pas être réciproques et... Tant que j'acceptais qu'il l'ignore... Au moins le rejet implicite était supportable.
— Tu devrais essayer.
— Je ne veux pas entendre son « non ».
— Il a tourné la page, maintenant. Il a renoncé. Ton absence n'y est pas pour rien. Je suis certain que ce n'est pas si désespéré que tu le crois.
— J'ai un mal fou à admettre que je l'aime, Adrien. En partie parce que j'ai toujours eu besoin de tout rationaliser et... Ce n'est pas le genre de chose qui se rationalise. Je me suis condamnée pour lui, pour le sauver, et c'est comme si ça n'avait servi à rien. Et surtout, il ne l'a pas vu. Il... Gabriel ne sait pas tourner la page...
— Je crois que vous avez tous les deux du mal à le reconnaître. Que sans ces mots-là, vous ne serez pas capables d'avancer, ni l'un ni l'autre. Je sais qu'admettre que l'on aime est compliqué, que c'est se rendre vulnérable. Mais je sais aussi que tu as le courage de le faire et la force de t'en relever. Maman.
— C'est comme la trahir...
— Elle ne t'en voudra pas. Comme je sais instinctivement qu'elle serait heureuse que nous soyons mère et fils maintenant, je sens qu'elle approuverait. Tu ne peux pas l'utiliser comme excuse pour te dérober.
— Merci, chéri. Je vais le faire. Merci pour tout...
— Ce n'est rien. Merci à toi d'être rentrée, et d'avoir accepté. »
Nathalie se leva avec un sourire et sortît de la pièce.
Une fois dehors, elle s'adossa à la porte, fermant les yeux, combattant l'envie de fuir, de disparaître, se répétant les mots de l'adolescent comme un talisman qui pourrait changer l'issue certaine de cette discussion.
************
Même moment, dans l'atelier.
« Nooroo... Je voudrais tant la revoir. Au moins lui dire à quel point je suis désolé. Et... J'aimerais qu'elle puisse savoir que je l'aime, même si c'est ridicule après l'avoir blessée autant. Même si elle m'aime, jamais elle n'accepterait...
— Les humains aiment beaucoup trop dire « jamais », alors même que vous savez l'impossibilité de prédire les comportements des autres.
— Les prédire à cent pour cent est impossible. Mais on peut savoir ce qui est probable.
— Seulement en ayant tous les éléments. Elle est rentrée, vous savez, et elle est en train de parler avec votre fils.
— Je ne la mérite pas.
— Au moins Duusu n'a plus à se casser la tête sur vos labyrinthes qui reviennent toujours au même point. Pourquoi ?
— Je l'ai condamnée à mort, quasiment.
— Elle l'a choisi en connaissance de cause.
— Je l'ai utilisée, j'ai manipulé son dévouement et son amour pour qu'elle m'aide dans mon égoïsme.
— C'était inconscient, vous le savez tous les deux.
— Je suis un monstre.
— Non-recevable. Vous n'avez jamais appris à voir votre valeur, parce que votre enfance ne vous y a pas aidé.
— Je détruis tout ce que je touche.
— Vous créez des œuvres extraordinaires sans même avoir à insister. Vous avez permis aux habitants de cette ville de découvrir leurs forces et de retrouver la volonté de se battre et de vivre. Les émotions sont puissantes mais en les révélant, vous avez permis à chacun d'en retrouver le contrôle. Vous créez.
— Tu n'abandonneras pas, n'est-ce pas ?
— Vous m'avez gardé pour que je n'abandonne jamais.
— Merci... Merci pour tes encouragements. Et pour ton aide, murmura le styliste en saisissant du bout des doigts un tissu blanc doré, une robe accrochée à une des tringles.
— Je ne fais que mon devoir. Vous allez y arriver.
— Je crois que je commence à y croire... »
Gabriel sourît à son kwami et sortît de la petite pièce, laissant la porte entrouverte, fermant les yeux une seconde pour oublier l'immensité du bureau sans elle. Ces vertiges, ces tournis quand ses yeux ne rencontraient pas sa silhouette si familière étaient devenus habituels. Elle lui manquait.
« Monsieur Agreste, demanda sa voix alors qu'elle frappait à la porte, pourrais-je vous parler, s'il vous plaît ?
— Nathalie, s'il vous... Pourrais-tu m'appeler par mon prénom, s'il te plaît ? Et entre, bien sûr.
— Je... J'ai rêvé ou vous m'avez tutoyée, s'étonna-t-elle en poussant la porte.
— Non, vous n'avez pas rêvé. Ou tu ?
— Vous pouvez me tutoyer, mais ne comptez pas sur moi pour faire de même.
— Dommage.
— Monsieur Agreste... Pourquoi voulez-vous faire cela ? Qu'est-ce que cela vous apporterait ?
— Je n'ai pas la légitimité d'être réellement proche de vous, je vous ai trop blessée. Mais vous tutoyer m'en donnerait l'impression, Mademoiselle Sancœur.
— C'est une blague, s'étrangla-t-elle en pâlissant, ou une punition pour mon refus de vous appeler par votre prénom ? Et puis n'utilisez pas « mademoiselle », je ne suis pas une enfant.
— Si j'utilise « Madame » ce sera Agreste, pas Sancœur, rétorqua-t-il avec un sourire taquin.
— Pardon ?!?!???!?!?!?!
— Tu as très bien entendu.
— Je n'ai pas dû comprendre, Gabriel.
— Dites-le, qu'on en finisse, soupira Nooroo en apparaissant de nulle part.
— Tu n'aides pas, rétorqua le styliste.
— Gabriel, que vouliez-vous dire ?
— Je crois que tu as très bien compris, répondit-il en venant lui prendre les mains, et je sais pourquoi tu refuses d'y croire. Parce que mes rejets implicites t'ont fait trop mal. Je suis désolé... Je ne veux plus jamais te blesser ainsi, je voudrais pouvoir te faire sourire, rire plutôt que de t'inquiéter et te faire pleurer comme je l'ai fait ces dernières années. Tu es ma lumière, tu es la vie et le bonheur mais j'ai refusé de le voir, j'ai piétiné ta vie, j'ai refusé de te regarder, de te sauver, je t'ai fait un mal fou en me dérobant, en refusant d'écouter mon cœur. Je sais que je ne mérite pas autre chose qu'un rejet, mais je t'aime. De toute mon âme. Et je passerai chaque seconde à veiller à ton bonheur si tu m'en laisses le droit. »
Il effleura sa joue, un sourire léger mais sincère sur les lèvres, avant de reculer de plusieurs pas, laissant voir sa crainte, ses regrets, sa fragilité, son espoir.
Nathalie secoua la tête, laissant apparaître enfin son sentiment de victoire et son bonheur, ne cachant plus la lumière dans son regard, elle s'approcha et saisît Gabriel dans ses bras, blottie contre lui, elle répondît à ses mots, doucement.
« Oui, Gabriel. Je t'aime, depuis longtemps, sans comprendre, sans accepter, j'ai refusé ces sentiments et je les ai fuis, j'ai voulu les condamner à mort en mourant, mais je ne peux m'échapper de ton champ magnétique, tu me fascines et je t'aime, je t'aime sans avoir les mots pour le dire... Je suis prête à tout ce que tu voudras. »
Elle le sentît sourire, elle devina le baiser léger qu'il déposa sur son front, la caresse de ses doigts contre son visage, elle perçut à peine la légère pression qu'il imposa à son menton pour lui relever la tête, elle se perdît dans ses yeux de métal poli, avant de se noyer seulement dans l'explosion des sentiments quand il unît leurs lèvres. Bonheur, soulagement, triomphe, attente, espoir, paix et éternité qui s'échangeaient dans leur baiser magique, signature de l'accord de reconstruction.
Quand ils se séparèrent, à bout de souffle et les yeux brillants, ils réitérèrent d'une seule voie leurs déclarations mutuelles.
« Merci, souffla Nathalie, merci d'être toi...
— De rien. Merci à toi. Viens, j'ai... Je t'ai fait quelque chose.
— Vraiment ?!
— Tu sais que je créée pour me sortir des tornades... Et depuis ton départ, j'en ai subi plusieurs. Alors oui, je t'ai cousu quelque chose. Viens. »
Il la guida dans l'atelier, et saisît la robe accrochée à la tringle la plus proche de la porte. Nathalie écarquilla les yeux, émerveillée par le tissu d'un blanc d'or, elle n'avait jamais vu une telle couleur, elle savait qu'il y avait entremêlé des fils d'or pour donner cette impression de lumière.
D'un pas, elle sortît de la petite pièce, allant examiner la découpe, constatant la longueur du jupon qui couvrirait ses chevilles, et aussi la fente qui libéreraient sa jambe gauche, semblable à celle de la robe de Mayura, les manches courtes qui s'arrêteraient à mi-chemin entre le coude et l'épaule.
Sur le bustier, un motif complexe était tissé avec des losanges bleu saphir, esquissant des papillons, des fleurs légères, des cœurs, tous extrêmement discret et précis, brillant sur la surface lisse de la robe.
Tentant de retenir l'admiration et la gratitude qui l'étreignaient, la jeune femme se précipita dans sa chambre pour se changer, lâcher ses cheveux autour de son visage parce qu'elle savait que Gabriel trouvait cela magnifique. Et, pour se dégager le visage, elle récupéra les lentilles de contact qu'elle gardait toujours au cas où il arrivait malheur à ses lunettes.
Puis elle retourna au bureau, souriante.
« Bonjour, amour, lui sourît le styliste en la voyant revenir, je suis heureux qu'elle t'aille si bien.
— Merci, mon ange, répondit-elle en tourbillonnant, merci pour tout.
— De rien. Comment te sens-tu ?
— Libre.Simplement libre. »
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7972 Mots
WoW. Je savais qu'il était long mais... Je tablais plus sur 6900~7200. Je ne sais définitivement pas estimer la longueur.
Désolée de la longue, très longue période sans publication, plus d'un mois ça faisait un bail que je vous avais pas fait attendre autant... J'étais en train d'écrire des OS en Anglais...
Celui-là s'est écrit vite en plus. J'avais genre 800 mots samedi (la première partie), que j'avais écrits vite fait un matin au milieu de ma lecture de Legend Born, en cédant à l'inspi qui m'embêtait. Je comptais pas en faire quoi que ce soit et je prioritisais ceux en Anglais. Résultat, elle a été frustrée et m'a sortie 7100 mots en une semaine. Oui bien sûr.
J'adore l'énergie Ladynoir/Marichat de la décla, c'est pas du tout leur vibe habituelle mais ça passe si bien ! Tout le délire autour du tutoiement, un vrai bonheur.
La robe. Random, hein. J'avais pas d'idée mais j'avais promis quelque chose. J'suis allée me coucher hier (à 1h du mat... N'écoutez jamais Clio), et deux minutes plus tard j'étais en train de griffoner un truc sur un papier parce qu'elle m'avait dit "oh, attends, tu te rappelles de la tenue de She-Ra ? On peut se l'approprier nan ?"
Aussi, il est définitivement plus naturel d'écrire Adrien en train de tutoyer Nathalie et l'appeler "Maman" que ce n'est avec Gabriel. J'ai adoré cette scène. Je la veux à l'écran. Enfin, il l'a tutoyée à un moment dans la série, je sais plus quand.
Non, sinon, on est tous d'accord que si Nathalie se barre, c'est la fin du monde, hein ? Gabriel est un crétin, mais à part ça, il tient à elle...
*pleure toujours depuis Intuition*
Breef. C'était bien ? Pas trop long ? Ca valait l'attente, j'espère ;-)
Dites-moi tout,
Bises,
Jeanne
(29/04/2023, 21h50)
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