Echappatoire
Un soir.
Gabriel releva les yeux de la tablette où il dessinait en entendant Adrien entrer dans le bureau.
« Père ? Est-ce que vous savez où est Nathalie ?
— Non. Depuis qu'elle est guérie, elle a décidé qu'elle n'avait absolument pas à me rendre compte de ses faits et gestes. Ce qui est vrai.
— Mais... Enfin, je...
— Je sais, il est tard. À tes yeux. Moi, je m'inquièterai le jour où Nathalie ne sera pas rentrée à deux heures du matin...
— Pardon ?
— Du trio que nous formions avec Émilie, elle était clairement la plus festive. C'était assez extraordinaire la manière dont elle organisait des fêtes et des soirées quand nous faisions nos études. Elle a enfoui ça par la suite, mais je ne suis pas si étonné qu'elle ait décidé de sortir le soir.
— Vraiment ? Je ne l'imaginais pas ainsi...
— Si tu veux, tu demanderas à Amélie, elle doit avoir gardé les photos. On ne la voyait jamais sans son appareil. Ne t'inquiètes pas, Adrien, je pense que Nathalie peut largement se débrouiller seule.
— Bien, Père...
— Tu voulais lui demander quelque chose ?
— Non, c'était juste que j'étais étonné de ne pas la voir, elle vient souvent me voir le soir.
— Pour te maintenir un temps de sommeil normal, taquina Gabriel en levant un sourcil.
— C'est sûr que ça me permet de me rappeler d'aller au lit. Je pense que je vais y aller d'ailleurs. Bonne nuit Père.
— Bonne nuit Adrien, fais de beaux rêves. »
L'adolescent sortît du bureau, un sourire aux lèvres. La discussion n'avait pas duré longtemps, mais ça lui faisait toujours du bien d'échanger un peu avec son père. Et glaner des informations sur son histoire était toujours intéressant.
************
Quelque part dans la ville.
Nathalie s'était adossée sur le bord du quai, en face de l'entrée de la boîte de nuit dont elle venait de sortir. Depuis vingt ans qu'elle n'y était plus allée, elle avait oublié l'ambiance étouffante et terriblement sonore de la foule qui riait à l'intérieur aux sons des mélodies dansantes. Elle en était restée engourdie quelques instants, avait réussi à se reprendre et à s'imprégner du ton de cette fête, mais une heure de ce rythme l'avait épuisée et elle avait dû aller prendre l'air.
« Vous allez bien, demanda soudain une voix claire à son oreille. »
La brune se retourna et aperçut une femme souriante, vêtue d'une longue robe vert océan, sans manche et accompagnée de voiles presque transparents qui mettaient en valeur ses magnifiques boucles brun-roux et faisaient se refléter la lumière pâles des lampadaires dans deux lacs d'argent hypnotisants.
« Ou... oui, c'est juste que ça faisait longtemps que je n'étais pas sortie en boîte, j'avais oublié l'ambiance, ça m'a déstabilisée.
— C'est une habitude qui se prend, mais c'est sûr que c'est une ambiance. Surtout que le Heart's Heav' n'est pas la plus calme des boîtes !
— C'est ce dont je me rappelais, oui. Je venais souvent ici avec mes amis pendant nos études. Mais vous, vous avez l'air d'en connaître un sacré rayon sur le milieu de la nuit, Mademoiselle la Nymphe.
— J'aime bien sortir et m'amuser, alors au fil des années j'ai exploré un peu tous les coins et recoins. Et c'est joli ce surnom, à quoi je le dois ?
— Vous êtes très belle, alors j'ai utilisé la première comparaison qui m'est venue, parce que je ne connais pas votre nom...
— Merci, répondit-elle avec un sourire qui accrochait la lumière, et ça me fait réaliser que je ne vous ai même pas demandé le vôtre...
— Mm... Disons Natasha... Et vous ?
— Si on y va en faux-noms, ça sera Kalya. Pourquoi choisir le jeu de rôle ?
— Parce que je veux être libre, répondit Nathalie du tac au tac, et je ne le suis pas dans ma vie ordinaire.
— Alors je vais vous aider à profiter des soirées ! Je suis toujours ravie de me faire des amies.
— Seulement des amies, demanda la brune en haussant un sourcil.
— Eh bien, j'ai affaire à une vraie détective ! Impossible de mentir, je vois. Mais je préfère les relations réelles aux rencontres d'un soir, malgré tout.
— Je vous comprends. »
D'un coup, les mots qui étaient prisonniers se délièrent et les deux femmes commencèrent à parler comme deux anciennes amies qui se retrouvaient, sans parler de leurs vies présentes mais échangeant des mots qui racontaient leurs histoires sans trêve.
Leurs yeux brillaient sous le pâle faisceau de la lune mêlé à la lueur jaunâtre des réverbères tandis que les mots dansaient dans la lueur.
Nathalie ne sût pas combien de temps leur échange dura, avant qu'elle ne considère qu'elle devait rentrer.
« Est-ce qu'on se reverra ?
— Ce serait avec plaisir. J'ai cette étrange impression d'avoir trouvé une véritable amie au coin d'une rue.
— Demain, ici ?
— D'accord !
— Aussi, Natasha, tu devrais faire attention à ton regard...
— Que veux-tu dire ?
— J'ai un défi à te proposer.
— Dis !
— La première de nous deux qui attrape des sentiments pour l'autre a perdu.
— C'est d'accord ! Ça ne devrait pas être trop compliqué. Mais tu parles de l'amour comme si c'était une maladie...
— N'est-ce pas le cas ?
— Je peux difficilement argumenter l'inverse...
— Tu vois, j'ai raison !
— Bien sûr... Bon, à demain...
— À demain, bonne nuit ! »
Nathalie s'éloigna avec un sourire fantôme sur les lèvres. Elle sentait que les prochaines semaines seraient très intéressantes.
************
Trois semaines plus tard.
Adrien observait silencieusement son père depuis la porte du bureau. L'adulte était manifestement extrêmement nerveux, traversant la pièce à grands pas, faisant les cent pas avec l'air préoccupé, tapotant nerveusement les murs au passage.
« Père ? Que se passe-t-il ?
— Je suis désolé Adrien. Pour tout.
— Père ? Pourquoi vous excusez-vous ? Que se passe-t-il ?
— Je fais n'importe quoi, je brise et perds tout ce que je touche, je... Tu ne devrais pas être là, Adrien. Tu ne devrais pas t'inquiéter pour moi, murmura-t-il en s'effondrant au sol, tu devrais...
— Je ne peux pas vous abandonner, Père, même dans la pire des situations. Vous êtes mon père. Même si vous êtes distant, parfois froid... C'est grâce à vous que je suis en vie, que j'ai un toit, et même grâce à votre permission que j'ai des amis !
— Adrien... Non. S'il te plaît... Ne dis pas cela. Je suis dangereux, fou... Je t'ai utilisé plus que ce n'est imaginable, je... J'ai... C'est à cause de mes caprices que ta mère est morte, de mes folies que Nathalie s'est condamnée, mais je ne voulais pas le voir et...
— Tout va bien, je suis là, déclara Adrien en s'asseyant à côté de son père et en lui serrant la main.
— Tu sais que c'est la première phrase que tu m'as dite ? Mais les choses vont simplement empirer, maintenant... Ça ne peut pas s'améliorer.
— Parfois, les choses ont besoin d'empirer avant d'aller mieux. Mais ça ira, vous pouvez me faire confiance, affirma l'adolescent en renforçant sa pression.
— Tu ne peux pas, rétorqua Gabriel en s'éloignant brusquement.
» Tu ne dois pas me faire confiance à moi, Adrien. Le mauvais père n'est que le meilleur de mes aspects. Il y a pire, Adrien, mille fois pire. L'enfant capricieux qui refuse son destin et brise celui des autres, le fou qui détruit la ville chaque semaine, presque chaque jour... Adrien, je suis le Papillon et...
— Et vous êtes brisé et perdu. Et vous avez renoncé. Père, les héros ne sont pas là seulement pour protéger les civils normaux. Ils sont là, ils doivent être là, pour guérir les méchants, les libérer de leur douleur et de leurs tourments. Et je suis là. Je vais vous aider. Parce que vous n'avez pas brisé mon destin, vous l'avez réalisé. Je vais vous aider.
— Tu n'as pas à faire ça, Chat Noir. Pas alors que...
— Bien sûr que si. Même si je ne suis pas humain, que je ne suis pas à cent pour-cent votre fils, je vous aime réellement comme un père, je vois votre douleur, et je sais que je me trouverai encore en vous aidant. Alors on va s'en sortir. Je veux vous aider et vous ne pouvez pas m'en empêcher.
— Comment...?
— Chaque fois que je me rebellais, vous me demandiez seulement d'arrêter et je n'avais pas le choix. Avec votre révélation, j'ai compris.
— J'ai abusé. Quand Félix m'a pris la bague que je portais et qui contenait son amok, j'aurais dû laisser les choses ainsi, ne pas prendre le tien et...
— Vous ne pouviez pas, Père. Vous vouliez la présence de Maman et c'en était un symbole. Les alliances. Mais ce n'est pas grave.
— Tu as une âme d'une grandeur et d'une noblesse incroyables. Aussi, Félix...
— L'anneau et les Miraculous. Mais contre quoi ?
— Le Paon. J'ai fait l'erreur de le menacer, il a voulu me le prendre. Et je crois qu'elle m'en veut.
— Nathalie ?
— Oui. Elle tenait énormément à Duusu, et elle n'aime pas Félix. Elle ne lui fait pas confiance.
— C'est compréhensible... Il n'est pas fiable. Juste une chose... Vous étiez extrêmement nerveux quand je suis arrivé, et il a suffit d'un rien pour que vous vous effondriez. Alors qu'il est habituellement plutôt difficile de vous ébranler. Que se passe-t-il ?
— Tu te rappelles, il y a trois semaines, quand tu t'inquiétais que Nathalie ne soit pas là ?
— Oui, bien sûr.
— Eh bien... Elle sort tous les soirs, maintenant, jusqu'assez tard. Je l'attends mais... Ça me tue, bon sang, voir son expression quand elle rentre, on dirait qu'elle revient en prison, elle est si malheureuse, je ne peux pas supporter ça, je voudrais pouvoir la rendre heureuse mais je sais à quel point j'en suis incapable, et je ne fais que la briser, encore et toujours, comme depuis qu'elle a pris ce satané bijou au péril de sa santé, et je voudrais pouvoir réparer, et savoir qu'il y a quelqu'un, là, dehors, qui sait la faire sourire, ça me dévore, si ça continue je vais devenir fou, encore plus fou que je ne le suis déjà. Je ne peux pas supporter ça.
— Il faut lui dire, Père. Vraiment.
— Je pense que tu te doutes que j'en serai absolument incapable.
— Il y a d'autres moyens que les mots ! Que voudriez-vous faire ?
— Je ne sais pas... Pour cette fois, je crois que je ne saurais pas créer une tenue... Elle est si parfaite, rien de ce que je pourrais faire ne saurait convenir.
— Un bouquet ? Ça peut être très parlant...
— Je vais avoir besoin de ton aide... J'ai cru comprendre que Chat Noir s'y connaissait en langage des fleurs ?
— Bien obligé ! Ladybug refuse les roses rouges parce qu'elles symbolisent l'amour et la passion, j'ai dû faire des recherches !
— Alors qu'est-ce que je pourrais donner à Nathalie, à ton avis ? Mis à part que je veux y mettre des iris.
— L'espoir. Pourquoi ?
— C'est sa fleur préférée.
— D'accord... Mm... De l'asphodèle ? En plus d'être beau, c'est pour l'amour perdu... Et, sans vouloir être pessimiste...
— Ça convient parfaitement. Il faut au moins une rose rouge, aussi...
— Bien entendu. J'ajouterais une jaune, pour l'amitié, mais c'est subjectif...
— Si. Parce que ça aussi je l'ai perdu. Comme un idiot. Et... Il y a une fleur pour dire que l'on est désolé ?
— Le langage des fleurs comprend tout, Père. Il y en a plusieurs, mais les plus utilisés sont la jonquille et l'anémone.
— Ce sera l'anémone. Par pur goût personnel.
— Ça se comprend, répondit l'adolescent avec un sourire, étouffant un bâillement.
» Je pense que je vais aller me coucher, maintenant. Merci de m'avoir parlé, révélé tout cela...
— C'est normal. Merci à toi de l'avoir accepté, et de vouloir m'aider. Bonne nuit, Adrien.
— Bonne nuit, Père. »
************
Du côté de Nathalie.
« Faudra quand même que tu m'expliques comment t'as trouvé ce passage, Kalya !
— J'explore toujours, tu sais bien ! »
Les deux femmes s'aidèrent mutuellement à franchir les derniers mètres qui les séparaient du toit qui leur servait depuis quelques jours de lieu secret.
Arrivées en haut, elles allèrent s'asseoir à la limite du terrain, les jambes balançant dans le vide. Leurs yeux rivés sur le ciel et les quelques étoiles visibles, nappées de la lumière du clair de Lune, elles riaient des blagues qu'elles échangeaient, leurs vies, narrées entre elles avec une honnêteté incroyable malgré les pseudos appliqués partout, avaient tissé des liens extraordinaires. Le caractère joueur, doux, attentif et compréhensif mais joyeux, dynamique et inventif de Kalya avait encouragé la création de ce lien, et Nathalie l'avait accueilli avec plaisir, voyant renaître ses sourires et son côté festif. Passer du temps avec Kalya devenait, au fil des jours, aussi naturel et vital que respirer.
Elles pouvaient rester ainsi des heures à discuter, blaguer, se draguer à-demi et jouer à l'amour, se voler des baisers discrets et rapides, rire et s'écouter.
« Natasha ?
— Oui ?
— Je crois que j'ai perdu notre défi...
— En si peu de temps ?
— Le temps ne compte pas pour les sentiments.
— C'est vrai.
— Tu ne sais pas quoi en penser, nota Kalya.
— Je ne sais pas réagir. Je ne connais plus mon cœur et j'ai peur de l'explorer. Parce que quelle que soit la réponse, ça fera mal, et j'ai assez souffert.
— Tu crois que tu aimes encore « Mikhaïl »?
— Je ne sais pas. C'est compliqué. Il est extrêmement important pour moi, tu le sais. Et quoi que je fasse, je n'arrive pas à me détacher de lui. Mais en même temps... Je suis tellement heureuse avec toi, tout va bien, je n'ai jamais vu le monde aussi joyeusement, et même quand on a un accrochage, la paix qui revient toujours est magique et je voudrais que ça puisse durer toujours... Mes sentiments sont un bazar sans nom.
— T'inquiètes pas, je comprends. Je vais faire avec alors. T'attendre le temps qu'il faudra, attendre que tu saches soit m'accepter pleinement soit me repousser définitivement. Je suis assez patiente pour ça, et si je n'ai pas ton cœur, au moins j'ai ta présence, tes sourires, tes rires et tes mots, et même quelques baisers. Si tu acceptes de me les accorder encore.
— Bien sûr. Même sans amour, tes lèvres ont bon goût, taquina Nathalie avec un sourire.
— Merci, rît Kalya, les tiennes aussi. »
Sur ces mots, le silence s'installa. Il y en avait toujours, mais ils n'étaient pas dérangeants. Ils avaient un goût de tendresse extraordinaire. La douceur qui les unissait brillait dans la nuit tandis que Kalya sortait une cigarette et en proposait une bouffée à Nathalie.
« Je t'ai dit combien de fois que je ne fume pas ? Je sors d'une maladie respiratoire sans avoir rien fait, je vais pas prendre le risque de choper un cancer, excuse-moi !
— S'il te plaît, demanda Kalya avec une voix d'enfant et des yeux de chaton, juste une bouffée pour me faire plaisir.
— Tu veux faire ça parce que tu trouves ça romantique, sourît Nathalie, et tu sais que j'aime trop nos jeux et notre espèce de relation pour refuser cet argument...
— Alors c'est d'accord, s'exclama la rousse alors que des paillettes de joie illuminaient son regard.
— Une bouffée. »
Kalya hocha la tête, tira sur sa cigarette quelques secondes puis la tendit à son amie avec un sourire taquin. Celle-ci leva les yeux au ciel, prît délicatement l'objet avec une grâce royale et le porta avec un demi-sourire, tira une bouffée puis rendit la cigarette à la rousse en haussant les épaules, déclarant qu'elle ne voyait pas pourquoi cette dernière en avait fait tout un plat.
L'interpellée rît de la question, répondit que la symbolique lui plaisait seulement et vola un baiser à sa partenaire, qui le lui reprit dans la seconde.
Elles étaient comme des enfants qui jouent à l'amour, et cette joie, ce jeu à-demi innocent manquait infiniment dans leurs vies de jour et elles le savaient toutes les deux, c'était ce qui les liait si profondément.
Et le temps passait dans un battement de paupières comme un oiseau qui s'enfuit.
************
Encore trois semaines après.
Adrien était assis en haut des escaliers, le regard dans le vide.
Même s'ils étaient à l'autre bout de l'étage, il entendait presque son père demander à Nathalie où elle allait, il la devinait hausser à demi les épaules et répondre que ce n'était pas ses affaires, il voyait la douleur dans les yeux de Gabriel, il entendait sa voix se briser tandis qu'il lui souhaitait une bonne soirée, le sourire alors qu'elle le remerciait. La porte qui grinçait le fit sursauter, et il se précipita vers la jeune femme pour l'intercepter avant qu'elle ne descende.
« Nathalie, attendez !
— Adrien ? Que se passe-t-il ?
— Je... Je voulais juste vous demander de... Ne soyez pas cruelle avec mon père. Ses ailes sont extrêmement fragiles, et il est en suspension au-dessus d'un précipice. Ne le faites pas chuter, il en mourrait.
— De quoi parlez-vous ?
— Il voudrait pouvoir vous faire sourire lui-même, mais il est convaincu qu'il en est incapable. Alors ne lui montrez pas trop que quelqu'un d'autre y arrive sans problème. Et ne rentrez pas trop tard, il a besoin de dormir la nuit. Il vous attend... Je sais que c'est dur et que l'ombre reste pour nous tous, mais essayez de vous souvenir de lui, de moi.
— Vous savez que vous parlez par énigmes ?
— Je rends quinze années de secrets. Mais ce n'est rien, j'ai trouvé la réponse, j'espère que vous le ferez aussi avant la fin de notre journée.
— Adrien ?
— Je crois que vous avez envie de partir. Allez-y.
— Merci... »
Nathalie partit presque en courant, la tenue de ses nuits libres, une robe bleue nuit augmentée de paillettes qui l'illuminait des poignets aux genoux, lançant un éclair qui s'imprima dans les yeux de l'adolescent. Il la regarda franchir la porte du hall et la claquer dans une sorte de fuite, désolé de l'avoir effrayé, puis il se dirigea vers le bureau.
Là, Gabriel l'accueillit d'un pâle sourire et le serra dans ses bras, murmurant qu'il ne savait même plus comment avancer, comment la saluer, comment lui parler, la jalousie lui brûlait le cœur et il avait l'impression de la blesser par un simple regard et...
Comme souvent depuis les révélations, les larmes se mirent à couler seules et les mots à se mélanger, à s'embrouiller, à s'emmêler dans la gorge du styliste.
Adrien le força à s'asseoir, puis lui demanda doucement s'il avait dormi la nuit dernière, le berça, et l'adulte, effondré comme un enfant se laissa faire.
Le cœur brisé par la faiblesse qu'il voyait, le jeune homme se transforma et transporta son père jusqu'à sa chambre, l'étendît dans son lit, lui intimant de se reposer.
« Mais je dois...
— Père, vous avez besoin de dormir. Il faut que vous alliez vous coucher tôt, au moins ce soir, sinon vous allez finir par aller vraiment mal. Je peux l'attendre à votre place, si vous voulez, et je vous préviendrai quand elle rentrera ?
— Tu ferais ça ?
— Bien sûr ! Je tiens à vous, je vous signale !
— Je sais... Mais j'ai du mal à y croire, parce que je suis loin de le mériter. Merci, Adrien, pour tout.
— Ce n'est rien. »
L'adolescent sourît puis sortît de la chambre et s'assît devant la porte, le cœur lourd. La fuite de Nathalie et son incompréhension, le désarroi et l'épuisement de Gabriel, cela commençait à peser lourd. Surtout si l'on ajoutait la méfiance de Ladybug depuis qu'il lui avait rendu les Miraculous une semaine avant en lui expliquant qu'il avait trouvé un accord avec le Papillon.
Il se frotta les yeux, secoua la tête. Il avait promis d'attendre Nathalie, il ne devait pas s'endormir, même si c'était tentant. Il se leva, alla récupérer un livre dans sa chambre et s'installa en haut des escaliers, juste en face de la porte du manoir. Là, il ne pourrait pas la manquer.
Les heures s'écoulaient lentement, extrêmement lentement, comme les kilomètres d'un désert infranchissable. Il lisait, s'arrêtait par moments et discutait avec Plagg, reprenait sa lecture, baillait, s'efforçait de rester éveillé, les oreilles aux aguets, guettant le grincement du portail extérieur.
Rien n'arrivait, rien ne se passait.
La nuit étirait son voile, dans le lointain une cloche comptait les heures qui passaient, le jeune homme s'était recroquevillé sur son livre, les pages s'accrochant à ses cheveux clairs, mais le sommeil n'arrivant jamais pleinement, chassé par une inquiétude presque inconsciente pour son père qu'il devinait faire les cent pas et essayer de trouver un repos impossible.
Vers six heures, les rayons du soleil vinrent frapper ses paupières, le tirant de sa demi-veille. Il s'étira lentement, étouffant un dernier bâillement, puis grimaça. Elle n'était pas là, il le savait, elle n'était pas rentrée. Sinon elle l'aurait vu, elle l'aurait réveillé et lui aurait dit d'aller se coucher dans son lit.
D'un pas hésitant, il alla à la cuisine et se prépara un petit-déjeuner rapide avant de retourner à son poste, se demandant à quelle heure l'adulte comptait rentrer, si elle s'était même aperçue de l'heure, après avoir fui pour éviter le manoir. La lumière s'étendait lentement sur le dallage du hall tandis que le jour se levait au-dehors, jusqu'à ce qu'il fasse grand jour après une heure de suspension.
« Adrien ? Elle... Nathalie n'est pas rentrée ?
— Je suis désolé, Père...
— Ce n'est pas ta faute. Ça te dirait de venir te promener avec moi ?
— Avec plaisir, Père ! Je vais m'habiller et j'arrive !
— À tout de suite, Adrien. »
Quelques minutes plus tard, les deux Agreste sortaient du manoir en se souriant, et commencèrent à se balader dans le quartier en échangeant presque normalement, essayant de combler le fossé creusé entre eux pendant deux ans et par-dessus lequel ils avaient voulu jeter un pont en se révélant leurs identités. Ils se racontèrent leurs difficultés, leur version des combats et des disputes, ce qu'il ressentait à ce propos, la manière dont ils avaient vécu les deux ans de séparation totale et celle dont ils avaient ressenti les treize années précédentes. Enfin, les neuf années plutôt, puisqu'Adrien n'avait pas vécu les quatre premières années de sa vie.
Échanger était un effort, mais ils voulaient le faire, ils voulaient se retrouver parce qu'ils se savaient seuls. Nathalie partie, ils devaient créer eux-mêmes le ciment pour lutter contre l'effondrement de leurs vies et ils sentaient que ce serait bien plus facile à deux.
Ils passèrent devant la boutique d'André le Glacier et s'achetèrent des glaces, celle d'Adrien parfumée framboise et mûre et celle de Gabriel pastèque et myrtilles. Puis ils continuèrent leur route, jusqu'à passer devant un fleuriste, où l'adolescent demanda à s'arrêter.
L'adulte leva les yeux au ciel, mais accepta d'entrer pour acheter enfin les fleurs du bouquet qu'ils avaient imaginé pour Nathalie, qu'il n'avait pas osé réaliser. Adrien se chargea de demander les fleurs qu'ils avaient prévues trois semaines auparavant, tandis que Gabriel choisissait les plus belles de celles proposées par le fleuriste. Puis ils ressortirent, continuant leur promenade vers les bords de la Seine, discutant, mangeant leurs glaces par petites bouchées, le styliste ayant calé le bouquet sous son bras.
Soudain, il se figea, le regard fixé sur quelqu'un devant lui. Son fils s'étonna une seconde, puis regarda devant et comprit. Nathalie était là. Avec la personne qui lui donnait le sourire dont l'adulte ne cessait d'être jaloux.
Le héros sût immédiatement qu'il ne fallait pas que son père puisse parler avec cette fille, sinon ça risquait de très mal tourner. Il lui prit la main et l'entraîna dans une petite rue sur le côté, et s'assît par terre, les yeux levé vers lui.
« Père ?
— Je ne vais pas bien, Adrien. Vraiment pas. Il n'y a pas que la jalousie envers cette fille, il y a les doutes, les remises en question, les regrets, à quel point je vous ai blessés tous les deux, même si tu m'as pardonné et qu'elle semble ne jamais m'en avoir voulu, la folie, le vide de son absence, la douleur de la blesser encore et toujours, l'absence de sens... Je ne vis pas, Adrien, parce que je vis pour rien. Ma vie n'a pas de sens et je suis incapable d'en trouver un et c'est insupportable. Et je le dissimule, comme j'enfouis toujours tout...
— Vous savez qu'il ne faut pas se cacher ses émotions, ses doutes ? Que le partage fait toujours du bien ?
— J'ai passé mon enfance à tout cacher et tout ignorer, je n'avais pas le droit aux émotions. C'était dur, je pleurais des heures dans mon lit, mais je croyais que... Quand j'ai franchi la porte pour la dernière fois le lendemain de mes dix-huit ans, je croyais que ce serait fini. Malheureusement, je ne sais toujours pas accepter les sentiments et les émotions. Cette marque-là ne partira jamais.
— Père ? Qu'est-ce que...?
— Je ne crois pas avoir la force de te parler de mon père aujourd'hui, Adrien. C'est le sujet le plus difficile de tous, je suis désolé.
— Ne le soyez pas, ce n'est pas grave, je comprends que certaines choses soient dures à dire. Mais... Vous êtes mon père et je tiens à vous. Je suis là, et vous pouvez me faire confiance.
— Je sais. Ça te dérangerait qu'on monte finir nos glaces sur le toit ?
— Aucun problème. Plagg, transforme-moi !
— Nooroo, transforme-moi. »
Les deux Agreste grimpèrent sur le toit, Chat Noir avec son bâton et Papillon d'un de ses sauts extraordinaires qui lui permettaient d'atteindre les toits.
Une fois là-haut, ils s'assirent l'un à côté de l'autre, les pieds dans le vide, adossé à une cheminée, dégustant leurs glaces et croquant bruyamment le cornet, dans un son qui les faisait sourire tous les deux, même si on voyait dans le regard de Gabriel la cassure et la douleur permanentes.
Quand les dernières miettes de gâteau eurent disparu, l'adulte prît la main de son fils, et murmura doucement :
« C'est fou comme les choses sont plus faciles avec toi. Sourire est facile quand tu es là, alors que c'est impossible sans ta présence, maintenant... Mais, même si j'ai mal à cause de son départ, des sourires que je ne peux lui donner, de la situation impossible où je suis avec Nathalie, je ne l'annulerais pour rien au monde. Parce que cette situation m'a permis de restaurer un lien avec toi, et c'est la chose la plus précieuse que je puisse avoir.
— J'aimerais pouvoir faire en sorte que cela s'améliore. Je vais tout faire pour.
— Je ne suis vraiment pas sûr que tu puisses faire grand-chose. Mais tu es adorable... Et ça me fait vraiment du bien de t'avoir avec moi.
— Tant mieux. Père, il faut que vous parliez à Nathalie.
— Je suis incapable de parler, Adrien. Tu sais bien... À chaque fois que j'essaie, je m'effondre.
— On a le bouquet... Et vous pouvez lui écrire quelque chose, ça évite d'avoir à parler.
— C'est vrai... Oh ! J'ai une idée... Je vais lui créer... Je sais !!
— Vous comptez dormir cette nuit ?
— Aucune idée. Viens !! »
Chat Noir hocha la tête et suivit son père sur les toits, jusqu'à la sortie secrète de l'observatoire, au manoir.
Ils se détransformèrent, se dirigèrent vers le bureau, Gabriel saisît une tablette et y jeta son idée pour ne pas la perdre, avant d'ouvrir en grand la porte de son atelier, vérifier les tissus qu'il avait, sourire en grand et commencer à découper, à mesurer, à coudre, à assembler les tissus, donnant forme à une robe extraordinaire.
************
Le lendemain, dans le bureau.
Nathalie poussa la porte avec un soupir. La veille, elle avait craint des remontrances de son patron pour sa nuit passée à l'extérieur, mais il était resté enfermé dans l'atelier toute la journée et il y était encore quand elle était allée rejoindre Kalya. Adrien, lui, avait déclaré que, peut-être, cette nuit entière d'absence ne serait pas mortelle, mais qu'elle aurait pu l'être, et lui avait demandé de faire attention.
Maintenant, elle sentait qu'elle aurait à l'affronter. Oui, l'affronter. Le voir lui apparaissait comme une épreuve, puisqu'elle refusait toujours d'examiner ses sentiments mais qu'elle les sentait prêts à lui éclater le cœur, battants dans sa poitrine malgré elle.
Elle commença à travailler, mais elle s'interrompît quand, quelques minutes plus tard, elle entendit la porte de l'atelier s'ouvrir.
« Bonjour Nathalie, comment allez-vous ?
— Bien, merci. Et vous, Monsieur ?
— Je vais bien. Je suis fatigué, mais ce n'est rien.
— Qu'est-ce que vous cachez derrière vous ?
— C'est... Tenez, c'est pour vous, murmura-t-il en lui tendant la boîte en carton blanc qu'il dissimulait.
» Et il y a cela, aussi, ajouta-t-il après un instant, en tendant le bouquet qu'il venait de récupérer.
— Monsieur ? Pourquoi ?
— Parce que ça fait un mois et demi que je me bats avec une folie différente, douloureuse, et que je suis incapable de le dire, alors j'essaie de vous le montrer.
» Vous avez une plume dans les cheveux...
— Oui, c'est la perruche de Kalya, on... Désolée, je vais...
— Ça vous va bien, rétorqua-t-il en posant les présents au sol, attendez. »
Il s'approcha d'elle, récupéra la plume et la recala délicatement au-dessus de l'oreille droite de son interlocutrice, un sourire fantôme sur les lèvres. Puis il alla chercher les cadeaux, lui tendît le bouquet, qu'elle prît dans les mains avec une étincelle de malice dans les yeux tandis qu'elle analysait chaque fleur présente, souriant des messages qu'elle décryptait. Elle reconnaissait chaque fleur et sentait son cœur battre à l'implosion devant leurs sens.
« Je ne savais pas que vous vous y connaissiez en langage des fleurs...
— Adrien m'a aidé.
— Je vois... Et l'autre cadeau ? Qu'est-ce que c'est ?
— J'espère que ça vous plaira, chuchota-t-il en lui tendant le carton.
— Une de vos œu... »
Elle s'était interrompue en soulevant le couvercle. Elle s'assit sur le sol pour pouvoir mieux contempler la beauté qui se présentait à elle. La sortant doucement de la boîte, elle tenta de retenir le cri d'émerveillement.
La tenue qui se déployait devant elle était sublime. Le haut, étroit et sans manche, se composait de quatre bandes de tissus, la plus élevée d'un bleu nuit presque noir, la deuxième légèrement plus claire, la troisième couleur crépuscule, la quatrième encore un ton plus doux. La jupe s'évasait largement et progressivement jusqu'au sol, continuant le dégradé de bleus jusqu'à atteindre le presque blanc au niveau du sol, parsemée de paillettes dorée qui reflétaient la lumière et transformaient la robe en un bijou étoilé.
« Monsieur... Monsieur... C'est... C'est magnifique, c'est splendide, c'est... Il n'y a pas de mot... Je... Pourquoi me donner une telle merveille ?
— Parce qu'elle n'est que pour toi, Nathalie, parce que je veux te voir sourire, être heureuse. Même si je sais que je ne peux pas te rendre heureuse, que je dois partir et m'éloigner... Te laisser t'éloigner, je veux que tu sois heureuse. Et je voulais que tu saches ça, que tu saches que je t'aime, même si je sais tout le mal que je t'ai fait, et que je t'ai blessée indiciblement. Je suis désolé...
» Tu pourras la mettre pour sortir, déclara-t-il d'un ton plus distrait, reculant d'un pas. »
La douleur dans ses yeux, la tristesse dans sa voix... Nathalie sentît son cœur se serrer douloureusement.
Il n'y croyait pas. Il n'y croyait plus. Il ne pouvait plus avancer mais tout ce qu'il voulait c'était qu'elle puisse vivre. Elle le voyait et elle était touchée, plus qu'elle n'aurait voulu l'admettre.
Le silence s'étirait, elle n'arrivait pas à réagir, elle ne savait pas quoi faire. Elle ne voulait pas le briser, surtout pas. Mais comment...
Son cœur criait devant la cassure, l'état où elle voyait Gabriel, à présent recroquevillé dans l'entrebâillement qui le séparait de son atelier, son domaine, son refuge.
Elle aperçut une larme briller au coin de ses yeux, agit par automatisme, arrêtant enfin de réfléchir et de questionner, elle s'approcha et essuya la perle de désarroi, son cœur guéri acceptant finalement la clarté de l'évidence. Elle aurait beau essayer de l'oublier elle ne pouvait se séparer de lui.
« Gabriel... Ne pleure pas. Je suis là. Je serai toujours là. Je n'ai pas besoin de fuir pour être heureuse, j'avais peur mais... C'est maintenant que je suis le plus heureuse. Parce que je t'aime, et je ne peux pas faire autrement, même si je fais semblant. Je t'aime depuis trop longtemps pour que je puisse m'en séparer. Je t'aime, mais la distance et l'ambiguïté m'ont fait tant de mal que j'ai préféré fuir...
— Je... Vraiment ?!
— Oui, Gabriel. C'est la vérité. Et... Je ne l'aurais jamais reconnue sans ton geste. Merci.
— Merci à toi de croire qu'il y a du bien quelque part dans l'épave que je suis...
— Il y a un trésor, murmura-t-elle en se redressant sur la pointe des pieds, mais il est caché. »
Elle lui caressa les lèvres du bout des doigts, puis l'embrassa doucement, d'un baiser rapide et volatile qui disparut aussitôt, mais il la serra contre lui, l'empêchant d'emporter son bonheur au loin, se baissa vers elle et l'embrassa à son tour, dans un baiser long, chaleureux et réparateur pour leurs esprits abîmés.
Ils étaient là, l'un pour l'autre et ensemble, et ils iraient bien, heureux. Toujours.
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5557 Mots.
Je l'ai terminéééé ! Bon, ça m'a pris qu'une semaine de l'écrire, mais c'est surtout que j'ai procrastiné une semaine avant de commencer.
J'adore Kalya, c'est dit. Non, elle n'a pas de vrai prénom, parce que comme elle le dit, elle est partie sur un pseudo, sauf que je suis trop fière de ce pseudo que j'ai juste dérivé de "kala", belle en grec et... J'ai la flemme de lui trouver un vrai nom parce que ça lui va trop bien.
(Hum ? Moi, en train de m'étaler ? Je vois pas de quoi vous parlez...)
(Moi, être partie dans l'OS avec juste comme ligne d'inspi pour elle "fille parfaite"? Absoooolument... Oui, du coup elle a un caractère complet au-delà de ça et je...Mm, fermons cette parenthèse)
Aussi, la robe, je l'aime trop. A la base, j'avais pas d'inspi pour une robe, d'où le bouquet, et puis j'écris en musique et quand ils étaient sur le toit, mon tel a lancé "Starlight (Taylor's Version)". Et la réaction que j'ai eu en l'entendant est exactement celle que j'ai donnée à Gabriel. Parce que je voulais une robe. Bien entendu. J'ai abandonné une vocation de styliste quelque part en fin de collège...
Aussi, mon reveal Adrien/Gabriel est mon préféré de tous ceux que j'ai écrit, je le trouve parfait. Et j'ai adoré écrire Gabriel en dépression... Je suis peut-être sadique mais en même temps, il le MERITE.
Est-ce que cette NDA est trop longue et ne dit rien ? Oui. A vous de parler.
Vous avez aimé ? C'était bien ? Vous pensez quoi de ma choupette ? Dites-moi tout !
Bye,
Jeanne.
(13/05/2022)
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