Doivent-elles toutes mourir ?

 « Salut Gabriel ! Ça va ?

— Oui. Tu es là, comment est-ce que je pourrais aller mal ?

— Gabby ! Arrête avec les flatteries, un peu. Ça va vraiment bien ?

— Ce ne sont pas des flatteries, Laure. Dès que tu es avec moi, je vais bien.

— Et quand je ne suis pas là ? »

Gabriel ne répondît pas. Il ferma le carnet de dessin qu'il avait sur les genoux, et regarda au loin.

André et sa bande de durs à cuire le regardaient. Comme toujours. Tout à l'heure, ils n'étaient pas aussi loin, mais dès que Laure était apparue, ils avaient tous reculé de vingt mètres.

C'était logique : Laure l'appréciait, et on ne pouvait pas embêter Laure à moins d'être suicidaire. Elle avait un frère âgé de cinq ans de plus, et qui avait la réputation de ne pas être commode.

Quand elle n'était pas là, par contre... Gabriel ferma les yeux, essayant d'empêcher les souvenirs de remonter. Cris, insultes, coups, violences systématiques. Une haine débordante de la part des autres.

Tout ça parce qu'il préférait le dessin et la mode aux jeux de bagarre, à la violence, à la colère. Et parce qu'il avait de meilleures notes qu'André, aussi. Bien obligé : il éviterait les coups de ses camarades, certes, mais ne pourrait échapper à ceux de son père. Et il savait lesquels faisaient le plus mal.

« Gabriel...tu ne devrais pas te laisser faire. Ils prennent ta passivité comme une provocation ! Si tu te rebellais, même une fois, ils comprendraient. Ils comprendraient qu'il vaut mieux ne pas t'embêter.

— Si ce n'est pas moi, ce sera quelqu'un d'autre. Je suis habitué, ça ne me fait plus rien. Je préfère prendre les coups que les jeter sur un autre.

— Il ne faut pas s'habituer à la violence ! Sinon, ils ne cesseront jamais...

— Je suis sûr qu'ils finiront par grandir. En attendant, je les subis depuis la maternelle, et à force, je sais que je ne peux pas les calmer.

— C'est nul comme argumentaire, ça. C'est pas parce qu'ils t'embêtent depuis longtemps que tu dois rester passif. Au contraire, même !

— Ça va, Laure. Tu sais bien que tu ne me feras pas changer d'avis. On a cette discussion tous les mois depuis que tu es arrivée à l'école, en CM1.

— C'est pas faux ça, répondît-elle en éclatant de rire. »

Elle demanda à voir les croquis de son ami. Il les lui montra avec un sourire.

Laure, c'était le bonheur incarné. Elle était toujours joyeuse, lumineuse, partait dans de grands éclats de rire sans raison, et surtout, surtout, elle était sa rémission.

Quand elle était arrivée dans l'établissement, elle avait tout de suite remarqué que Gabriel était à l'écart. Elle s'en était étonnée, et avait mené sa petite enquête.

Au bout d'une semaine, elle était intervenue dans une bagarre, interpellant les harceleurs vivement. Elle leur avait reproché leur idiotie, les avait renvoyés ailleurs avec une force verbale impressionnante.

Gabriel lui avait dit qu'elle n'aurait pas dû faire ça, que maintenant elle n'allait plus pouvoir se faire des amis et qu'ils lui pourriraient la vie, à elle aussi.

Elle avait éclaté de rire, son rire si chaleureux qu'il donnait envie de rire aussi. Et sa réponse avait étonné le jeune garçon.

« Ça me pourrir la vie, j'aimerais bien les y voir ! Personne ne peut m'embêter sans que Nicolas n'intervienne, et comme c'est mon aîné de cinq ans, je suis tranquille.
Quant aux amis, je préfère en avoir peu et de valeur qu'une tonne d'imbéciles violents ! »

Il avait souri. Et avait accepté son amitié.

Aujourd'hui, quatre ans après, Gabriel ne regrettait pas son choix. Laure et lui étaient devenus inséparables. Et, de son côté, l'amitié simple s'était muée en amour timide. Il n'osait pas lui dire, bien sûr, mais il le manifestait comme il pouvait.

Il l'entendît rire, et observa le croquis qu'elle regardait.

Il avait dessiné deux tenues sur la même page, ce qui ne lui arrivait jamais. Et il s'était amusé à dessiner des vrais personnages à la place des traditionnelles silhouettes qui servaient de mannequins à ses créations.

« C'est nous, Gabriel ? Ils nous ressemblent !

— Oui, c'est nous...Je n'aurais pas dû faire ça, je suis mauvais pour les visages...

— Encore en train de te dévaloriser ! Il faut quoi pour que tu prennes confiance en toi ? Que je vende mon âme ?

— NON ! Mais...les personnages, ce n'est vraiment pas mon domaine.

— C'est normal, tu es styliste, pas portraitiste. Mais ils ne sont pas si loupés que ça nos portraits. Et ce n'est pas la peine de paniquer, je blaguais.

— C'est à cause de mon père, il est très à cheval sur ça...

— Tu crois en Dieu et tout le bla-bla ?

— Je pense que non... Mais pour mon père, je dois faire semblant. Si je ne suis pas exactement comme il veut, je suis puni...

— Je veux t'aider à régler ça, aussi !

— Tu ne peux pas tout régler Laure. Mais c'est gentil de proposer.

— Tu peux me dire pourquoi tu nous as dessiné ?

— J'avais envie de m'exercer sur les personnages, répondît-il en détournant le regard.

— Menteur. Allez, dis-moi pourquoi tu m'as habillée en ange. Je sais que c'est lié.

— Tu vas te moquer...

— Jamais. Je te l'ai promis.

— Je...

— Regarde-moi. Ou tu vas encore inventer une histoire.

— Pas cette fois. Je t'aime.

— Gabby ? C'est vrai ?

— Oui.

— Merci. Merci de m'avoir épargné de devoir le dire en premier. Je t'aime Gabriel. »

Le sourire qui avait éclairé le visage de Gabriel était le plus brillant du monde. Le bonheur qui l'étreignait était inégalable. Si seulement cela pouvait durer toujours.

************

Six mois plus tard.

Nicolas cherchait quelqu'un dans la cour du collège. Il avait une mauvaise nouvelle à annoncer.

Quand il le trouva, il ferma les yeux.

Je peux pas lui dire ça. Ça va lui faire tellement mal, il tient tellement à elle...

« Gabriel ?

— Nicolas ? Qu'est-ce que tu fais là ? Et où est Laure ?

— Je suis désolé...Laure...

— Elle est partie, c'est ça ?

— Oui. Je sais que vous étiez très proches, je suis désolé de devoir t'annoncer ça. Vraiment.

— Je m'en doute. Mais tu n'as pas à être désolé pour moi, ça doit être suffisamment dur de le supporter toi-même. Est-ce que...est-ce que tu pourrais me dire comment elle est partie ?

— Elle...avec Maman, elles allaient au village avec la voiture, prendre des nouvelles de Mamie. Il y a eu un accident. C'est tout ce que je sais.

— Ta mère n'a pas survécu non plus ?

— Non...

— Je suis désolé. Ça doit vraiment être dur de perdre sa mère et sa sœur, en même temps.

— Laure me demandait tout le temps de te protéger, s'il lui arrivait quelque chose. Alors, je vais le faire. Je tenais à te le dire aussi.

— J'ai la paix jusqu'à la fin de l'année, quoi...Et encore grâce à elle. C'est vraiment un ange, même morte elle me protège encore...

— Pour deux ans de plus. Je vais faire ma prépa ici, aussi.

— A cause de moi ?

— Non, c'était prévu comme ça. Ne t'inquiète pas pour moi, ok ?

— Merci Nicolas. »

************

Huit ans plus tard.

« Explique-moi comment tu fais pour toujours décrocher les meilleures notes, Gabriel. Même les profs les plus sévères te félicitent toujours, et nous disent de t'imiter.

— Je suis habitué à donner le meilleur de moi, Émilie. Parce que mon père était quelqu'un de violent, et si je n'avais pas les meilleures notes, il me battait.

— Désolée...

— Ne t'excuses pas, ce n'est pas ta faute. C'est vrai que mon enfance n'a pas été très rose, mais maintenant, je fais ce que j'ai toujours voulu faire, et j'ai des amies merveilleuses.

— Des ? Tu continues, Gabriel ? On sait parfaitement qu'Émilie n'est pas « juste une amie ». Tu ne trompes personne.
Assume toi, un peu !

— C'est vrai ? Gabriel, est-ce que ce que Nathalie vient de dire est vrai ?

— Oui, murmura l'apprenti styliste, c'est vrai. Je t'aime Émilie. »

La jeune femme rougît. Elle n'osait pas y croire. Elle avait tellement rêvé ces mots.

Elle avait tellement espéré que ses sentiments soient réciproques.

Alors à son tour, elle murmura la phrase à Gabriel.

Je t'aime.

Les trois mots magiques qui scellaient leur amour.

Nathalie sourît. Et quand ils s'embrassèrent devant elle, elle applaudît discrètement. Elle avait réussi à les réunir. Depuis un an et demi, ils se tournaient autour, et dans l'université les paris allaient bon train.

Pas besoin de colporter la nouvelle autrement. L'applaudissement ne pouvait vouloir dire qu'une chose. En l'entendant, tous les étudiants présents dans la salle enchaînèrent, les yeux dorénavant fixés sur le couple.

Et un poids en moins pour moi ! Maintenant, faut les faire tenir...

************

Vingt ans après.

Gabriel s'était enfermé dans son bureau. Il ne pouvait pas le supporter.

Pas encore.

Pas à nouveau.

Son cœur explosait dans sa poitrine.

Chaque respiration était douloureuse.

Chaque pensée lui enfonçait un couteau dans les côtes.

Parce qu'il n'arrivait pas à penser à autre chose.

Émilie allait mourir d'un instant à l'autre.

Elle s'était condamnée. Elle avait utilisé un Miraculous brisé, alors qu'ils savaient que ce pouvait être dangereux.

Ils se doutaient tous les deux que les Miraculous influençaient le porteur, puisque Gabriel avait évolué depuis qu'il portait celui du Papillon.

Le pire de cette histoire, c'est qu'il ne savait pas pourquoi elle avait fait ça.

Elle lui avait juste dit qu'elle devait le faire, ou que ce serait lui qui mourrait.

Il était inconscient quand elle l'avait fait.

Et elle refusait de lui dire.

Gabriel releva ses lunettes et essuya ses larmes avec colère. Il ne voulait pas souffrir. Il ferait tout pour empêcher sa femme de mourir. Tout. Il ne supportait pas l'idée qu'elle parte.

J'ai besoin d'elle !

Il entendit toquer à la porte.

« J'ai demandé à ce qu'on me laisse en paix !

— Pardonnez-moi Monsieur. Je ne voulais pas vous énerver.

— Nathalie ? Pourquoi...Pourquoi est-ce que tu me vouvoies ? Pourquoi m'appelles-tu « Monsieur » ?

— Vous le savez...

— Non. Non, non, non. Nathalie...Ce n'est pas vrai ? Je... »

Sa voix se perdît dans ses sanglots. Il avait parfaitement compris.

Au fil des années, la relation entre Gabriel et Nathalie s'était distendue.

Quand ils s'étaient rencontrés, en première année de fac, ils avaient formé un trio extrêmement soudé avec Émilie.

Au moment de la formation du couple, en troisième année, Nathalie avait été un peu mise de côté, forcément.

Mais comme Émilie et elles étaient proches depuis longtemps, l'apprentie actrice lui avaient conservé une place importante dans le groupe.

Ça s'était compliqué à l'entrée dans la vie active. Gabriel avait monté sa propre entreprise de mode, Émilie avait été son associée...et Nathalie s'était proposée comme assistante-secrétaire-femme à tout faire.

Si elle considérait toujours Émilie comme son amie, elle avait de plus en plus de mal à voir Gabriel autrement que comme son patron.

La naissance d'Adrien n'avait pas exactement arrangé les choses. Nathalie le considérait comme son supérieur. Il ne l'était absolument pas, mais elle faisait comme si.

Gabriel avait insisté pour que Nathalie le tutoie et l'appelle par son prénom. Tout pour sauver les meubles...mais leur amitié était trop défaillante.

Quand Émilie était tombée malade, Gabriel et Nathalie avait passé un pacte : tant qu'elle était là, ils conservaient les apparences de la familiarité. Après...ce ne serait plus la peine de faire semblant.

Que Nathalie l'ait vouvoyé, qu'elle l'ait appelé « Monsieur », ça ne voulait dire qu'une chose. Émilie n'était plus.

Gabriel laissait les larmes couler sur ses joues. La douleur lui vrillait le crâne.

Il serra les poings. C'était injuste. Elle était morte pour le sauver.

Alors il la sauverait, dût-il y laisser la vie.

Dans son cœur maintenant, la tristesse, la douleur et le désespoir cédaient la place à la colère. Une colère brûlante, dévastatrice, violente. Une colère qui ne laisserait pas de répit.

************

Un an et demi après.

Gabriel marchait de long en large dans son bureau.

Il avait enfermé Nathalie dans sa chambre et lui avait supprimé le Miraculous du paon, pour la forcer à se reposer.

Il avait beau la supplier, construire des argumentations sans fin, tenter de la persuader par tous les moyens, Nathalie n'écoutait pas un mot de ce qu'il disait.

Je ne sais plus quoi faire. Cette fois-ci, je n'y survivrai pas. Si elle meure...

Il chassa cette pensée immédiatement. Il ne pouvait pas la tolérer, elle le détruisait de l'intérieur.

Il ne pouvait pas perdre encore une fois celle qu'il aimait. Il ne le supporterait pas.

Quelqu'un toqua à la porte. Essuyant ses larmes, il invita la personne à entrer.

« Père ? Nathalie aimerait vous parler...

— J'y vais. Adrien... Je suis désolé.

— De quoi, Père ?

— De tout le mal que j'ai pu te faire. Et que je pourrais te faire encore.

— Vous...qu'y a-t-il, Père ?

— Je ne suis pas sûr que je pourrai survivre à la mort de Nathalie. Elle est trop importante pour moi.

— Vous devriez le lui dire. Ça l'encouragera à lutter, j'en suis sûr.

— Merci... »

Gabriel prît la clé de la chambre de Nathalie sur son bureau, et se dirigea vers la pièce en question.

Quand il ouvrît la porte, il sourît. Elle était couchée, comme il le lui avait demandé, et sa tablette était posée sur la table de nuit la plus éloignée.

« Vous en êtes réduit à m'enfermer pour que je me repose. Pourquoi refusez-vous tellement mon aide ?

— Parce que je ne supporterais pas de vous perdre, Nathalie.

— Suis-je vraiment si importante ?

— Bien sûr. Vous m'êtes aussi vitale que l'air que je respire, Nathalie. Je ne vous survivrai pas.

— Ne me dîtes pas de telles choses. Ne me faîtes pas espérer.

— Je ne sais pas ce que vous espérez. Je ne sais pas quels interdits vous vous posez.

» Mais je vous aime, et j'ai besoin de vous.

— Non, murmura-t-elle en se redressant dans son lit, je ne peux pas y croire. Je ne peux pas imaginer que ce soit vrai...

— Ça l'est.

— Gabriel...Je t'aime. Et si j'avais su avoir une chance, je ne l'aurais peut-être pas fait...

— Et nous aurions été bloqués, parce que c'est par ton sacrifice que j'ai réalisé à quel point tu comptes pour moi.

» Maintenant que j'en ai conscience, je sais que je ne pourrai jamais vivre sans toi, survivre encore à la douleur.

— Alors je vivrai. Je vivrai pour toi. Je te le promets. »

Gabriel sourît timidement. Il s'approcha du lit. Nathalie l'invita à s'asseoir, avec un vrai sourire.

Elle se sentait déjà mieux, rien qu'à savoir qu'il l'aimait.

Redressée contre l'oreiller, elle lui prît la main avec douceur. Et la serra doucement.

Dans leur trio, ce geste avait une signification particulière. C'était le geste de confiance, la manifestation d'un engagement sûr. Un serment.

Il l'avait souvent échangé avec Émilie. Nathalie et Émilie le faisaient assez régulièrement, dès qu'un sujet important arrivait dans une conversation.

Mais Nathalie et Gabriel ne l'avait jamais partagé auparavant. Ils n'avaient pas été assez proches.

Qu'elle le fasse maintenant, qu'elle appuie sa promesse de tout faire pour vivre, cela voulait dire qu'elle y tenait vraiment.

Qu'elle lutterait contre sa maladie.

Qu'ils auraient droit à leur part de bonheur ensemble.

Il la remercia du regard.

Les yeux dans les yeux, ils savaient qu'ils n'auraient plus jamais besoin des mots. Que leurs sentiments pouvaient se parler sans en avoir besoin.

Alors, il se pencha sur elle, et déposa ses lèvres sur les siennes.

Elle répondît d'une brève pression.

Leur baiser les illuminait de l'intérieur. Il était un nouveau serment. Serment de vivre à fond le temps qu'ils avaient. Promesse de tout faire pour trouver une solution.

Sceau de l'amour éternel, l'amour qui ne s'éteint pas quand il naît dans les cendres de l'amitié. 

 ************

 2715 Mots !

 Cet OS a été commencé le 15 février, alors que je relisais mon OS Saint-Valentin. A croire que je suis allergique à la mignonnerie. 

 J'avais un mal fou à le finir, mais ça s'est débloqué au bout d'une semaine. (On est le 22 Février au moment où j'écris ces mots).

 J'avais du mal avec le moyen de faire survivre mon personnage préféré.

 Sadisme bonjour, j'ai inventé un personnage pour le tuer ensuite. Mais je ne suis pas la première à faire ce genre de choses...

 J'avoue que j'adore totalement la fin de cet OS, les dernières phrases sont magnifiques je trouve.

 Autre plus à mes yeux : réussir à placer un message anti-harcèlement avec Laure. 

 Et vous, qu'est-ce que vous pensez de ma nouvelle broderie sur notre série ?

 Bises, 

 Jeanne.

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