Démasqués
« M'accorderiez-vous cette danse ? »
Nathalie regarda l'homme qui lui faisait face, son cœur battant dans ses tempes. Elle ne savait pas vraiment pourquoi elle avait tant tenu à venir à ce bal à l'Hôtel de Ville, mais elle en avait eu besoin. Elle avait ôté son exosquelette, mais parvenait à tenir debout.
Cependant, son état de santé lui défendait de danser.
Mais, malgré le masque de son interlocuteur, elle l'avait reconnu, elle aurait identifié cette voix entre mille, et les yeux d'acier qui lui faisait face étaient si familiers.
« Je...
— Tout ira bien, déclara-t-il d'une voix de velours en lui tendant la main, venez-vous ?
— Avec plaisir. »
Elle tentait d'ignorer les palpitations de son cœur, le cri d'espoir dans son esprit, la manière dont son sourire si naturel l'enchantait. Elle chassait tout cela, avec entêtement.
Ce n'est qu'une danse, rien d'autre, ne te fais pas d'idée.
Alors qu'il l'entraînait sur la piste, elle sentît la maladie se taire. Les gestes ne lui coûtaient plus rien, le bonheur remplaçait la douleur.
Enchaînant les pas avec lui, elle virevoltait joyeusement, oubliant le reste de l'univers, oubliant tout, la maladie, les Miraculous, Émilie, les douleurs.
Elle dansait et, pour la première fois depuis bien longtemps, elle se sentait parfaitement bien. Elle était heureuse, elle se sentait guérie, il n'y avait qu'elle, la musique et son partenaire, et tout s'éclipsait.
Tout en continuant à danser, il engagea la conversation doucement, dans un murmure.
« Votre robe vous va à ravir. Vous êtes magnifique.
— Merci... »
Il jouait le jeu du secret, mais elle voyait à la lumière dans son regard qu'il savait qu'elle savait qui il était.
Il l'entraîna encore, elle ne quittait pas son rêve éveillé, la lumière tamisée qui éclairait la salle lui donnait une teinte d'irréalité merveilleuse.
« Où avez-vous trouvé une tenue qui vous aille si bien ?
— Je ne l'ai pas trouvée... C'est du sur-mesure... C'est mon patron qui me l'a offerte...
» Au début, il ne voulait pas que je vienne, parce que je me remets d'une longue et grave maladie, et je n'ai pas encore retrouvé toutes mes forces. Mais j'ai beaucoup insisté, et il a fini par céder. Mais il a réclamé de faire lui-même la robe que je porterai, ajouta-t-elle avec un léger sourire. »
Il se tût, mais elle devinait la question qu'un inconnu aurait pu poser. Ce n'était pas le genre de cadeau qu'un patron fait à son assistante...
Mais comme il ne parlait pas, elle ne répondit pas.
Il lui fit faire un tour, puis déclara :
« Vous êtes une tête de mule, vous le savez ?
— Ma mère adoptive m'a appris à ne jamais renoncer à ce que je veux.
— C'est une qualité... Mais parfois tu renonces...
— Jamais. Mais mon bonheur passe en second devant ceux auxquels je tiens.
— Tu es forte. Plus qu'aucun héros ne le sera jamais.
— Merci. »
Un voile passa devant ses yeux alors qu'elle répondait, son cœur s'emballait, le décor était soudain flou. Chaque mot résonnait de loin, elle n'entendait plus, la lumière disparaissait, les notes continuaient de résonner mais plus lointaines que jamais, elle luttait pour rester debout mais elle sentait qu'elle tombait.
Assieds-toi !
L'ordre avait résonné, comme une pensée interne et externe à la fois, elle sentît ses jambes se dérober.
Le noir.
Le silence.
Plus rien.
Le temps.
Les sens voilés.
Les sons successifs.
Les lueurs diffuses.
Le temps.
Sa main sur sa joue.
Combien de temps ?
L'inquiétude dans ses yeux.
La lumière à sa main.
La douceur.
« Je vais bien. »
Un sourire inquiet et soulagé éclaira le visage de Gabriel. Elle était revenue à elle. Il se retint de la serrer dans ses bras, et secoua la tête.
Non, elle n'allait pas bien.
« Combien de temps, demanda-t-elle d'une voix faible.
— Je ne sais pas... Longtemps, trop longtemps. Oh, je suis désolé, Nathalie, je n'aurais jamais dû demander un tel effort de ta part, je suis désolé, désolé... Je...
— Monsieur, ce n'est pas...
— Arrête.
— Arrêter quoi ?
— Me vouvoyer, m'appeler Monsieur, dire que ce n'est pas ma faute alors que ça l'est... Complètement. Je...
— Gabriel, murmura-t-elle en secouant la tête, comment pourrait-ce être ta faute ? Tu n'as pas demandé que je tombe malade, au contraire... Tu as espéré que ce ne serait jamais le cas...
— Tu peux marcher ? Je voudrais... Te montrer quelque chose. »
Elle secoua la tête. Elle savait qu'il voulait partir de la salle de bal pour pouvoir parler librement, même si personne ne semblait faire attention à eux, elle assise sur une chaise tendue de velours dans un coin de la salle et lui agenouillé en face d'elle, son regard d'acier rivé sur son visage.
Elle n'avait pas assez de forces pour marcher, elle le sentait, elle n'y arriverait pas.
Gabriel le devina à son regard attristé, il hocha la tête et, se relevant, il lui tendit la main et lui demanda doucement :
« Accepterais-tu que je t'aide ?
— Tu... Tu es sûr, murmura-t-elle, devant tout le monde ?
— Je me fiche de ce qu'ils pensent.
— D'accord. »
Gabriel sourît, l'aida à se relever et la guida à travers la salle, elle s'appuyait contre lui, doucement, la tête posée sur son épaule, la main de Gabriel serrée dans la sienne. Elle sentait ses jambes trembler, entre faiblesse physique et panique émotionnelle d'être si près de lui. Mais elle s'obligeait à rester ferme.
Ils traversèrent la salle discrètement, et arrivèrent auprès de la porte sans encombre. Mais à l'instant où le styliste posait la main sur la poignée, Audrey Bourgeois jaillît de la foule en poussant un piaillement.
« Gabby-chou ! Où vaaaaas-tuuuu ? »
Non mais c'est pas possible ! Elle m'a posé un mouchard ou quoi ?
« Madame Bourgeois, combien de fois vous ai-je dit de ne pas m'appeler ainsi ? Et, que je sache, je suis encore libre de mes mouvements, je n'ai de compte à rendre à personne.
— Tu es mon invité, répondit-elle en haussant un sourcil.
— Madame Bourgeois, en quel langue Gabriel doit-il vous dire que vous êtes insupportable et qu'il ne veut pas entendre parler de vous ? Laissez-le tranquille, s'exclama Nathalie en se redressant et en s'éloignant de Gabriel.
— Nathalie...
— Vous croyez vraiment que vous êtes en mesure de me faire la morale ? Vous n'êtes même pas capable de tenir debout seule !
— Mais bien sûr, s'exclama-t-elle, et là je suis par terre ?
— Sans Gabriel, vous n'auriez pas su traverser cette salle, rétorqua la femme du maire d'un ton débordant de mépris.
— Ça suffit. Arrêtez vos enfantillages. Audrey, retourne à ton mari, ou mieux, à New-York et, pour la millionième fois, fiche-moi la paix ! Viens, Nathalie...
— Eh ! Depuis quand tu la tutoies ? Gabri-chouuuu...! »
Gabriel saisît la main de Nathalie, poussa la porte et la claqua derrière eux, dans l'espoir improbable de mettre une barrière entre Audrey et lui. Et eux.
Ce comportement n'était pas systématique, mais quand elle retombait dedans, ça pouvait durer des semaines. Il n'arrivait pas à comprendre exactement ce qui la poussait à agir ainsi, quelles bêtises elle s'était enfoncées dans le crâne, mais ça lui faisait peur.
Il espérait lui avoir fait assez mal pour cette fois en lui disant de retourner à New-York, pour qu'elle le lâche.
Regardant Nathalie avec tendresse, il s'excusa, murmurant qu'il était désolé qu'elle ait dû faire face à cela...
« Ne vous excusez pas, Gabriel, ce n'est pas votre faute...
— Qu'est-ce que j'ai dit à propos du vouvoiement ?
— Je n'y arrive pas, je suis désolée... C'est... Trop compliqué pour moi, changer ainsi de... De rapport avec vous... »
Gabriel se perdit dans le regard troublé de son interlocutrice, cachée derrière son masque vénitien rouge foncé décoré de paillettes dorées.
« Pourquoi est-ce si dur, murmura-t-il en lui prenant les mains, pourquoi ne pouvons-nous pas être proches ? »
Elle ne répondit pas, perdue à son tour dans le regard qui lui faisait face, d'une tendresse qu'elle n'avait jamais vue. Derrière son loup bleu sombre, elle voyait briller un sourire bienveillant qui la troublait.
Elle recula, tentant d'ignorer les battements fous de son cœur.
Dans un mouvement gracieux, elle se tourna vers la porte, et, avançant, elle déclara :
« Merci de m'avoir sortie de là, Monsieur. Je crois que je vais rentrer me reposer, maintenant... Oh, et merci pour la robe.
— De rien. Sais-tu pourquoi je l'ai faite ainsi ?
— Non, s'étonna-t-elle en s'arrêtant et se retournant vers lui.
— Le rouge sombre, c'est pour le feu de vie qui brûle en toi et que tu veux éteindre, déclara-t-il en avançant.
» Le noir symbolise la manière dont tu as décidé de porter un deuil définitif il y a des années. Le deuil du bonheur.
» Il y a une sur-couche au-dessus de la poitrine pour la manière dont tu barricades ton cœur... Je ne sais même pas exactement avec quoi je peux t'akumatiser en Catalyste, tellement tu veux porter ton nom. Elle est à la limite du bleu et du rouge, le rouge dont tu fais ta couleur, le bleu aux infinies nuances que tu portes en toi.
» La coupe est une forme d'énigme, parce que tu restes une énigme pour moi, mais je ne suis pas sûr de vouloir la résoudre, parce que je suis amoureux de ce que je vois, et même de l'aura de mystère quand je cherche à te comprendre... Je t'aime, Nathalie, mais est-il possible, après tout le mal que je t'ai fait, que j'ai le droit d'espérer ? Je ne le crois pas... »
Nathalie était bouche bée. Elle s'était attendue à tout sauf à une déclaration. Jamais elle ne l'avait cru possible, même si son cœur lui en chuchotait la suggestion.
Debout dans sa longue robe rouge foncé, striée de noir et parsemée d'étoiles plus claires, retroussant les manches qui lui descendaient aux poignets dans un geste de nervosité, tentant d'oublier l'émerveillement en découvrant les jupons légers, nuageux et l'espoir fou qui se réalisait, elle fixait Gabriel d'un regard perdu. Il s'était arrêté à un mètre d'elle, demandant en silence quelle serait sa réaction, éloigné par respect.
« Que voulez-vous, maintenant, murmura-t-elle.
— Je voudrais... Je voudrais pouvoir te rendre heureuse, je voudrais avoir le droit d'approcher. Je voudrais te démasquer et te libérer de tous les masques que tu portes, pour que tu puisses enfin être toi-même. Je veux que tu sois heureuse. Et je n'ai jamais rien voulu autant.
— Vous avez dit que vous aimez mon mystère ?
— Et je sais que j'aurais beau résoudre une énigme, il y en aura une autre derrière, car toi-même ne sais pas à quel point tu es forte, belle, complexe et merveilleuse. Toi-même, tu ne te connais pas si bien, et c'est pour ça que je sais que ton mystère est merveilleux. Mais aujourd'hui, il te pèse, et je veux t'aider à te libérer. Es-tu d'accord pour essayer ? »
Nathalie ne sût pas répondre, elle attira seulement Gabriel contre elle, dans une étreinte dont elle avait rêvée si longtemps. Elle ne savait pas exprimer sa reconnaissance, son émerveillement devant lui, son bonheur devant son amour, les larmes d'émotion débordaient de ses yeux, coulaient sous le masque, elle sentait son cœur exploser, elle ne savait plus respirer mais elle restait debout, les mots avaient agi comme un baume magique sur sa maladie.
Gabriel lui rendait son étreinte, heureux qu'elle ait engagé un contact, heureux de voir qu'elle acceptait une proximité. Et, quand, au bout d'un temps infini, il l'entendît murmurer sa réponse, le bonheur l'inonda.
« Oh, Gabriel, bien sûr que je veux essayer, essayer de m'en sortir et je suis sûre qu'avec toi j'y arriverai. Tu n'as pas à culpabiliser pour ma maladie, tu me l'avais interdit, mais j'aurais donné bien plus pour tes rêves, parce que je t'aime, Gabriel, je t'aime, tellement, tellement, je suis tellement heureuse, savoir que c'est enfin réciproque alors que je n'espérais plus... »
Elle recula d'un pas et, le regardant droit dans les yeux, elle lui murmura qu'il pouvait la démasquer s'il le voulait, elle l'aiderait...
Il sourît, essuya du bout des doigts les larmes qui coulaient sur le visage de son amour, puis lui demanda s'il pouvait l'embrasser. Un instant déstabilisée, Nathalie accepta.
Quand il se pencha vers elle, que leurs lèvres se touchèrent, toutes les craintes, tous les doutes, toutes les questions, toutes les faiblesses disparurent. Il ne restait que le bonheur et l'amour, la libération.
Ils étaient enfin eux-mêmes et n'avaient plus besoin de prétendre.
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2089 Mots.
Eh bien, il semblerait que Clio ait arrêté la déprime ?
Clio : nan, c'est juste que tu veux pas écrire sur Phil (je trouverais un moyen de le déprimer), ni sur Audrey, et que tu fais la gueule à André. Donc... je raconte autre chose.
Moi : Oui, ben je préfère.
Et fous la paix à Philander, il est pas censé avoir une enfance traumatique ! Illégale mais pas traumatique !
(Je vous renvois au chap "Déchiré" de mon recueil sur le passé)
J'ai adoré jouer avec les masques. Au départ, je savais vraiment pas où j'allais, ça s'est écrit au fur et à mesure...
Oui, ok, l'incrustation d'Audrey... Trop de temps sur les BD de chlogami... Et... Je ne l'aime pas...
Conscience : y a des gens qui l'aiment ? Sa fille, ok, mais elle y a rien à récupérer !
Moi : j'suis d'accord.
Brefouille, j'ai trop aimé la déclaration de Gabriel, ses doutes, et sa volonté de juste la rendre heureuse. Ah, et faire craquer Nathalie aussi.
Mmm ? Comment ça les filles craquent beaucoup ces derniers temps ? Je vois pas ce que vous voulez dire !
Bref. Qu'en avez-vous pensé ? C'était bien ? Dites-moi tout !
Bises,
Jeanne.
(22/02/2022, 00h16, je vais me coucher parce que je dois me réveiller à 6h30)
PS du 16/02/2023 : m'étant perdue dans mes relectures d'OS et différents papiers sur mon bureau, je me dis qu'il est peut-être temps de vous partager les dessins. Pour cet OS, j'ai la chance d'avoir deux images à vous proposer.
Une où j'ai exploité ma meilleure amie :
(Et elle l'a dessinée le 27 juin 2022. Oui, vraiment, j'aurais dû partager plus tôt)
Et une autre version, faite par MogsAkumatizedForm (et 6 mois après je n'en reviens toujours pas, encore merciii) :
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