Quand tu seras prêt
When you're ready
- Shawn Mendes
Maybe I had too many drinks
But that's just what I needed
- Un autre! s'écria Harry en reposant brusquement son verre vide sur le bar, manquant le briser.
Il aurait voulu le briser, s'écorcher les doigts sur les éclats de verre et voir le sang dégouliner de sa peau de porcelaine. Il aurait voulu se faire mal, ressentir une douleur nerveuse et tactile aussi puissante que celle qui retournait son coeur. Les souffrances intérieures d'Harry se reflétaient sur son visage : des cernes noires bordaient ses yeux verts, ses lèvres étaient mordues jusqu'au sang, son front était barré d'une ride d'inquiétude qui vieillissait son beau visage, ses longues boucles étaient sales et avaient perdu de leur éclat et brillance. Il les remit en place d'un geste rapide et familier alors que le barman de l'hôtel planta un nouveau shot de tequila devant lui, accompagné d'un regard mélange de mépris et de compassion.
Les gens le regardaient souvent comme ça, maintenant. Avec pitié, empathie, mépris, colère ; des regards qui disaient tout. Des regards par lesquels passaient tous les mots que personne n'osait dire, des mots qu'Harry ne voulait pas entendre. Le bouclé en avait déjà trop entendu ces derniers temps, ses tympans et son coeur avaient déjà trop souffert.
L'alcool ingurgité à toute vitesse lui brûlait la gorge, laissant un goût amer et trop familier sur sa langue. Cette langue qui avait parcouru la peau douce de son âme soeur, qui connaissait chaque parcelle de son petit corps frêle et qui saurait le reconnaître entre mille et dans l'obscurité qu'ils avaient pour habitude d'aimer lors de leurs nuits enflammées. L'alcool lui-même lui rappelait Louis et cette odeur qu'il traînait partout où il allait, l'alcool rappelait à Harry toutes ces disputes qui avaient causé la perte de cet amour qu'ils pensaient éternel.
Le jeune homme se retourna et croisa le regard, à l'autre bout de la pièce, de la personne qui le regardait depuis plus de dix minutes. Harry sentait son regard clair sur lui depuis un bout de temps, mais il avait volontairement choisi de l'ignorer. Cette jolie blondinette ne comprenait donc rien ; Harry avait beau lui répéter de partir, elle restait coûte que coûte et le regardait boire tous les soirs. Elle le regardait parfois avec tristesse, ou avec colère, et même encore avec affection. Mais le chanteur ne voulait plus voir ces yeux qu'il connaissait bien, il voulait juste qu'elle s'en aille loin.
Don't know why I tried
Cause ain't nobody like you
La conquête d'Harry, après avoir croisé ses yeux verts, se leva et se dirigea vers lui près du bar. Lui abandonna rapidement son siège et entreprit de sortir de cette partie de l'hôtel, dans le but de rejoindre sa chambre et de pleurer enroulé dans ses draps jusqu'à ce que l'alcool redescende. Mais Camille était déjà là, petite et fine face à son torse, l'empêchant de passer. Il était clair qu'elle ne le laisserait pas s'en aller aussi facilement, peu importe la force qu'il pourrait mettre à l'envoyer valser — et Dieu savait que celle-ci ne serait pas nécessairement immense. Toutes les pensées d'Harry étaient dirigées vers son Louis, vers ces petites jambes et ces cheveux en pagaille qu'il adorait. Il se rappelait les frissons que lui procurait la peau de Louis contre la sienne, les rires qui le parcouraient quand Louis l'empêchait d'embrasser ses tatouages. Il se rappelait de tout, sauf des émotions ressenties avec Camille. Elle n'avait été qu'un calmant face à sa douleur, une anesthésie temporaire et partielle pour ses maux qui eux, étaient infinis.
Familiar disappointment every single time I do
Every single night my arms are not around you
My mind's still wrapped around you
- J'essaie de passer, grogna le bouclé sans même regarder la jeune femme.
- J'essaie de te parler.
Harry la poussa du plat de sa forte et grande main, peut-être un peu trop violemment, peut-être un peu trop impulsivement. Camille, au grand désarroi du bouclé, ne voulait que son bien. Elle avait compris qu'il ne voulait plus d'elle, et elle avait eu mal, mais elle tenait encore suffisamment à lui pour ne pas le laisser se détruire chaque nuit jusqu'à en vomir seul, dans sa misérable chambre d'hôtel new-yorkaise. Mais Harry ne voulait pas d'elle, ne voulait pas d'aide. Il ne voulait que les bras de Louis autour de sa taille, que son odeur piquante dans la salle de bains, que lui et sa voix fluette au réveil. De l'aide, pour quoi faire? Seul l'alcool pouvait l'aider à oublier, parce que Camille, ce calmant temporaire pour ses souffrances, était devenu lassant et le corps du jeune homme s'y était trop habitué pour que le traitement soit encore efficace.
Alors il quitta le bar et déboucha dans le grand et luxueux hall, laissant la jeune femme seule et accrochée à une table sur laquelle il venait de l'envoyer valser en lui provoquant une douleur intense dans le bras. Camille ne pouvait rien faire pour lui, plus personne ne le pouvait. Personne sauf Louis, Louis et son incroyable addiction pour toutes sortes de drogues, Louis et sa double personnalité qui avait conduit Harry à exploser. Louis, son Louis, celui qui malgré tous ses défauts restait le seul dont l'anglais voyait toutes les qualités. Et peut-être que c'était parce qu'il était bête, peut-être que c'était parce qu'il était ivre, peut-être parce qu'il n'avait plus rien à perdre, peut-être par excès de folie qui disparaîtrait le lendemain. Peut-être qu'il était fou, mais il s'en fichait. Il sortit de l'ascenseur en titubant et avança dans le long couloir du huitième étage.
My mind's still wrapped around you
Harry approcha du numéro redouté et il tapa violemment sur la porte en bois blanc en appelant un prénom qui lui brûlait beaucoup plus la gorge que n'importe quel alcool. Il cria et tapa de longues minutes, s'écorchant les poings à chaque coup inutile qu'il envoyait sur la grande porte. Il ne savait pas quel démon s'était emparé de lui, mais il s'en fichait. Il tapait encore et encore, en criant, en pleurant. Il tapa jusqu'à ce que la porte finisse par s'ouvrir.
Le vert croisa le bleu, et tout fut dit en un simple regard. Les mots ne servaient à rien quand les coeurs se comprenaient ; c'était la chose la plus vraie qui avait marqué leur relation. Mais aujourd'hui, les coeurs étaient en miettes et des murs trop épais les entouraient. Alors les mots traversaient les pupilles, mais n'atteignaient rien d'autre qu'un cerveau déconnecté et vide de toute émotion. C'est pour ça que Harry parla le premier. Il ouvrit la bouche avant que Louis n'ait le temps de refermer la porte, il ouvrit la bouche et une odeur familière et nauséabonde atteignit les narines du plus petit, qui fit un pas en arrière en reconnaissant instinctivement ce contenu qu'il fuyait depuis longtemps.
C'était stupide, voire méchant, d'envahir l'espace personnel d'un alcoolique repenti avec une odeur aussi mauvaise que celle de la tequila et de la vodka, une odeur aussi infâme et repoussante. Louis sentit les derniers fragments viables de son coeur se serrer face à cette vision de l'homme qu'il avait aimé. Cet homme, si beau, aux yeux, aux boucles, au sourire et au visage tout entier hypnotisant, semblait ne plus exister. Il avait disparu, avait laissé place à un homme qui n'était plus que l'ombre de lui-même.
- Tu ne réponds pas quand je t'appelle, souffla Harry en envoyant vers Louis son souffle empli d'alcool.
Peut-être que Louis avait sous-estimé son impact sur le grand bouclé. Il n'avait pas considéré que ses actions et ses mots pouvaient blesser Harry même après leur séparation. Il s'était dit que ne pas lui parler était plus simple, qu'il devait l'ignorer pour l'épargner, que c'était mieux pour eux deux. Il n'avait pas réalisé que Harry, cet amoureux inconditionnel de paroles, avait besoin de ces actions et de ces mots venant de Louis, et que son silence le tuerait sans doute plus que ce que le plus vieux pensait.
Call you when it's late
And I know that you're in bed
Cause I'm three hours back
Seems like you're always six ahead
Louis s'éloignait toujours un peu plus d'Harry, elle était là la douloureuse vérité. Harry faisait un pas en avant et Louis en faisait deux en arrière. Ç'avait toujours été comme ça entre eux, et à une époque Harry se fichait de faire tous ces efforts parce qu'il les faisait pour l'homme qu'il aimait le plus au monde. Mais aujourd'hui les rôles étaient inversés : c'était lui qui s'était lassé de cette course folle et interminable à la poursuite de quelqu'un qui refusait d'être rattrapé. C'était Louis, aujourd'hui, qui avait désespérement besoin qu'Harry fasse le premier pas vers lui. Mais paradoxalement, quand le bouclé l'appelait à chaque heure de la journée et de la nuit, l'autre ne répondait pas. Il ignorait Harry.
Relation compliquée dans un monde trop instable pour les aider à surmonter les difficultés. Tout les empêchait d'être ensemble, tout sur cette Terre leur taclait les jambes et coupait les bras, tout les faisait saigner et empêcher d'avancer. Les problèmes d'addiction de Louis, eux-même causés par leur label qui leur interdisait de s'aimer. Cachés du monde, cachés dans la peur et dans l'alcool, dans les larmes et la solitude. Cachés, pour toujours et à jamais.
Ils se regardaient en silence à présent, l'un dans le couloir et l'autre dans la chambre. Séparés par une barrière invisible, physique et émotionnelle. Séparés par tant de choses, infimes au final, mais immenses pour deux coeurs et deux corps qui n'avaient plus la force de lutter. Peut-être qu'ils étaient mieux comme ça, seuls et tristes ; au moins ils ne gênaient personne et tout le monde était content.
- Tu devrais aller dormir, Harry, murmura Louis d'une si petite voix que lui-même ne sembla pas l'entendre tant ses oreilles bourdonnaient.
Le jeune homme refusait de croire que Louis pouvait le voir dans cet état sans ressentir quoi que ce soit. Il refusait de croire que son Louis le repoussait toujours plus, davantage chaque jour et chaque nuit. Était-il donc destiné à mourir en se rappelant les tatouages qui recouvraient la peau du brun et qu'il avait tant de fois parcourus de ses lèvres? Était-ce ça, son destin, de mourir en puant l'alcool et noyé dans ses propres larmes? Il ne pouvait pas l'accepter.
Baby, tell me when you're ready
I'm waiting
Baby, any time you're ready
I'm waiting
Et s'il allait devoir attendre que le monde les laisse être ensemble, alors il le ferait, aussi longtemps que nécessaire. Il attendrait, parce que ces yeux bleus plongés dans les siens valaient toutes les souffrances du monde. Cette peau douce contre la sienne et ces bras entourés autour de sa taille, valaient d'attendre jusqu'à en mourir. La voix fluette de Louis au réveil et cette odeur piquante flottant dans leur chambre valaient qu'Harry pleure seul toutes les nuits jusqu'à ce que Louis soit prêt à sécher ses larmes de ses mains frêles.
- Je suis tellement désolé.
Louis eut du mal à comprendre les mots prononcés par le bouclé d'une voix brisée. Et quand il fut sûr d'avoir entendu ces quatre petits mots, il fronça les sourcils. Pour quelle maudite raison Harry voudrait-il s'excuser? Louis avait tout fichu en l'air, parce qu'il n'était pas assez fort pour encaisser les coups, parce que ses épaules étaient trop faibles pour supporter le poids de leurs souffrances. Il avait tout passé à Harry, qui avait dû se battre pour eux deux et en était tombé d'épuisement.
- Ne t'excuse pas, je t'en prie. Ça ne sert plus à rien maintenant.
Ce fut tout ce que Louis réussit à répondre, avant de regarder les iris verts qu'il adorait une dernière fois. La porte massive en bois blanc se referma face au visage de Harry, qui se tâcha d'une seule et unique larme qu'il ne pouvait plus contenir. Ces si belles joues étaient humides une fois de plus, une nuit de plus. Son destin semblait tragique, fatal. Une force supérieure qui échappait aux deux jeunes hommes trop vite, trop fort. Harry se promit de le ralentir, de se donner les moyens de l'attraper de ses grandes mains et de le détruire. Il construirait son propre avenir, lui-même. Il construirait un avenir où le tableau principal porterait deux grands yeux bleus étincelants aux couleurs de l'océan.
Even ten years from now
If you haven't found somebody
I promise, I'll be around
Et cette promesse faite à lui-même de contrer son destin était stupide, mais celle faite à Louis de l'attendre pour toujours et à jamais, jusqu'à en mourir, était encore plus folle. Parce qu'il attendrait, peu importe les conséquences, et c'était bien ça le pire. Il attendrait Louis.
Seul et puant l'alcool, en larmes, enroulé dans ses draps. Chaque nuit. Jusqu'à en mourir. À attendre.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top