Une rebelle au Conseil ?!
La jeune Ramira marchait de long en large dans sa chambre.
La colère grondait en elle. A quinze ans, elle n'avait pas encore révélé de Talent, ce qui lui attirait les moqueries de ses camarades.
Et quand ce n'était pas son manque de magie qui était attaqué, c'était ses parents.
Elle connaissait par cœur les moqueries des autres elfes.
Elles résonnaient en boucle dans sa tête.
« Nan, mais regardez-la. Même pas capable de manifester un Talent !
— Ouais, elle sait pas faire ce qui compte, la Miss Je-Sais-Tout.
— Et puis on devrait pas s'étonner, avec des parents comme les siens...
— C'est clair. Des stupides Mal-Assortis. Beurk. Franchement, ce devrait pas être toléré. »
Et ainsi de suite. Toute la journée, tous les jours, depuis son entrée à Bluma, l'école primaire des Cités Perdues, elle avait reçu des critiques sur le mariage mal-assorti de ses parents.
Et, les années passant, à Foxfire.
A sa troisième année à l'école la plus prestigieuse du monde elfique, on avait commencé à critiquer son absence de Talent.
Ce n'était pourtant pas sa faute !
Ses parents s'étaient aimés malgré les règles, certes. Les Entremetteurs avaient déconseillé le mariage, pour des raisons que personne ne comprenait.
Peut-être à cause de leur différence de puissance. Le père de Ramira était l'un des Flasheurs les plus puissants de l'époque, tandis que sa mère ne commandait qu'avec difficulté aux ombres cachées dans son Talent de Ténébreuse.
La jeune fille donna un violent coup de pied dans sa table de chevet.
« Je ne dois pas penser à ça, pesta-t-elle. Un jour, moi aussi je serais puissante. Et je changerais tout ça ! On m'obéira, on s'inclinera devant moi.
Et personne ne saura que mes parents sont mal-assortis, que mon Talent s'est déclenché tard, que les insultes permanentes m'ont volé une part de ma sensibilité.
» Je serai Conseillère, et le monde changera, parce que je sais ce que notre société fait mal ! Je subis toutes ces discriminations, et j'en ai assez.
» ASSEZ !!! »
Elle avait crié le dernier mot. Les gens regretteraient de l'avoir moquée, elle se le jurait.
*************
Mais le lendemain, dans les couloirs du niveau cinq, elle était moins sûre d'elle.
Les élèves chuchotaient des insanités, des insultes, la dévisageaient avec animosité.
Si seulement je n'avais pas une aussi bonne ouïe...Au moins, je ne les entendrais pas.
Elle ravala sa douleur, avec l'impression d'ingurgiter du verre pillé.
Et quand elle commença à recevoir des projectiles, des morceaux de papier tachés d'encre, des tiges de roses qui la piquaient, des capuchons de stylos, elle se recroquevilla sur elle-même. C'était la première fois que les autres devenaient aussi violents.
Et elle devinait pourquoi : à l'approche des examens de mi-semestre, ils espéraient la déconcentrer, l'empêcher de décrocher des notes extraordinaires dans toutes ses matières.
Il leur était impensable qu'une presque Sans-Talent soit la meilleure élève de l'école.
Comme j'aimerais pouvoir me rendre invisible...au moins un temps, qu'ils m'oublient...
Elle eût soudain l'impression que son cerveau se déchirait, qu'une vague d'énergie emplissait son corps.
Elle entendît des exclamations de surprise, quelqu'un demanda où elle était passée...
Ramira tendît la main devant elle, pour tester une hypothèse. Et piailla de surprise en n'apercevant pas sa peau brune, mais seulement une espèce de brouillard. Elle avait disparu. Son vœu était exaucé. Et elle se doutait que la vague d'énergie dans son corps était le signe de la manifestation d'un Talent.
Elle était Eclipseuse. Et son impressionnante manifestation allait faire taire les critiques, elle le savait. Et elle serait forte.
Elle régnerait, elle ne serait jamais hostile au changement.
Alors que sa première Eclipse s'allongeait, Ramira se répéta la promesse de la veille.
Je serai Conseillère. Et si je ne peux guider de révolution, j'y prendrais part du haut de mon pouvoir.
************
Quand Ramira eût vingt-cinq ans, la Conseillère Sconosciuta démissionna, provoquant un gigantesque remue-ménage.
Et l'Eclipseuse fût proposée par le Conseil.
Cette proposition l'étonna. Elle ne comptait plus les protestations contre les discriminations qu'elle avait organisées, les « fêtes de rébellion » dans son château de diamants, ses multiples invectives à l'adresse du Conseil lors de nouvelles mesures discriminatoires.
Sa fougue de révolutionnaire, ses rejets de l'ordre, son tempérament de feu, tout ce qui attirait l'attention sur elle semblait la discréditer.
Mais, en y réfléchissant, elle pouvait deviner la raison. Régente malgré ses désaccords, elle avait plusieurs fois servi le Conseil. Depuis trois ans, la durée invraisemblable de ses Éclipses avait poussé le Conseiller Emery à lui confier plusieurs missions demandant de la discrétion.
Ce qu'elle avait appris sur les gouvernants des diverses espèces intelligentes ne l'avait pas poussée à tempérer ses ardeurs de colère, et avait renforcé sa conviction que le monde allait mal.
Le peuple s'étant prononcé en sa faveur, Ramira acquit la certitude qu'elle pouvait et devait faire changer les choses.
Mais seule contre les vieux conservateurs, ce serait dur. Très dur. Trop dur.
************
Ramira n'avait rien changé. Seule, prisonnière dans son palais de cristal, enfermée dans le carcan des conventions, elle se désespérait. Elle avait l'impression de se trahir.
Les larmes aux yeux chaque soir, les phrases des autres revenaient la hanter.
Ces phrases dans sa tête, des couteaux dans son cœur.
« Tu es inutile.
— Mais quelle idée as-tu encore ? Tu fais vraiment n'importe quoi !
— Qui est l'imbécile qui l'a proposée Conseillère, déjà ? »
Comme dans son adolescence. Les moqueries, les insultes, l'impossibilité d'agir comme elle le désirait. Tout recommençait. Boucle infernale qui aspirait la rébellion.
Elle avait songé plusieurs fois déjà à démissionner. Mais il n'était pas temps. Son monde n'était pas prêt à la remplacer par quelqu'un partageant ses idées.
Elle ne pouvait pas abandonner son combat.
Malgré les répliques incessantes des autres.
************
L'espoir arriva avec les siècles. Les vieux Conseillers présents à son arrivée avait presque tous démissionné, pour fonder une famille, parce qu'ils se sentaient trop vieux pour gouverner encore, parce que le temps leur faisait peur. Ou avait été non-officiellement destitué, comme le montrait le cas unique de Fintan Pyren.
Ne restaient que deux irréductibles de son premier Conseil : les Anciens Bronte et Emery, indétrônables.
Les autres avaient été remplacés. Les nouveaux Conseillers étaient plus dynamiques, plus sûrs d'eux, plus novateurs. Clarette, avec son polyglottisme impressionnant, avait immédiatement reçu la sympathie de l'Eclipseuse.
Liora, qui semblait créer les objets en claquant des doigts, avait noué une relation très puissante avec Ramira, après des débuts conflictuels. L'Invocatrice avait en effet approuvé plusieurs mesures que la fille de Mal-Assortis jugeait absolument dégradantes. Mais elles s'étaient expliquées, et étaient devenues amies.
Darek, un Phaseur dont on retenait surtout la télékinésie, était à la fois soutien et obstacle pour la « reine des têtes brûlées », car c'était quelqu'un de très calme et posé. Mais si Ramira argumentait bien sa position, elle le ralliait facilement. Même si le changement n'était pas sa passion.
Noland et Terik, respectivement Vociférateur et Discerneur, restaient des mystères, depuis qu'ils étaient arrivés. Nommés quasiment simultanément, ils avaient pour point commun un refus de s'exposer et de communiquer beaucoup. Une haine de leurs Talents, aussi. Ramira avait tenté de se lier d'amitié avec eux, mais avait magistralement échoué.
Plus tard était arrivé un autre duo. Velia et Zarina. L'Eclipseuse n'appréciait aucune des deux. Elle n'appréciait pas l'idée d'amis capables à elles deux de démonter la météorologie, et c'étaient deux grandes conservatrices.
A un siècle d'intervalle, Ramira avait ensuite rencontré Kenric Fathdon et Oralie. Deux jeunes, âgés de trente ans lorsqu'ils étaient arrivés au Conseil. L'Eclipseuse avait tout de suite vu l'intérêt mutuel qu'ils se portaient. Et, une fois, elle les avait surpris à se chuchoter des mots doux.
Ce n'était pas vraiment une surprise, mais elle n'avait pas compris pourquoi ils ne démissionnaient pas, pour vivre ensemble.
Ça, c'était parce qu'elle n'avait pas compris qu'elle venait de rencontrer deux partisans de le révolution par l'intérieur qu'elle avait prêchée des siècles auparavant. Deux alliés de poids.
Elle le comprît dix ans après l'arrivée de l'Empathe.
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Dix ans après la nomination d'Oralie.
Ramira tournait en rond. Elle s'était trahie elle-même à plusieurs reprises.
Elle s'étonnait de se trouver si...si vieille. C'était comme si sa jeunesse était à des milliers d'années. Et pourtant, ça ne faisait que sept cents ans qu'elle avait pris place dans le Gouvernement. Mais malgré elle, et elle s'en apercevait, elle prenait de plus en plus le parti de Bronte et Emery, qu'elle avait tant détestés.
Soudain, le carillon de sa porte retentît. Ramira courût ouvrir, se demandant qui pouvait bien venir voir une Conseillère qu'à force de temps, on oubliait.
Et quand devant elle, elle découvrît les deux derniers arrivés, elle ne fût que plus surprise.
« Venez, entrez donc. Que venez-vous faire chez moi, les nouveaux ?
— On a entendu parler de vos exploits au début de votre carrière, répondît Kenric.
— Et on adorerait que vous nous les racontiez, ajouta la Conseillère.
— Des infos sur mon passé de rebelle ? Bronte et Emery en donneraient plus que moi.
— Ils vous déprécieraient ! Nous, ce qu'on veut, c'est voir votre flamme ! Vous voir raconter votre histoire, comprendre ce qui a motivé de telles révoltes chez vous.
— Oralie...vous êtes une grande idéaliste, et je sens que vous avez envie de changer les choses.
Peut-être grâce à votre Empathie.
» Vous Kenric, vous rêvez d'égalité et de justice, peut-être qu'il n'y ait plus de règles à respecter.
» Vous voulez tous les deux changer la société. Mais je ne sais pas si vous pouvez avoir la flamme que j'avais.
» C'était une flamme de colère. Et elle commence à s'éteindre, peut-être que je deviens trop vieille. Que mes souffrances ne sont plus suffisantes.
— De la colère ? Mais pourquoi ? Et pourquoi éprouvez-vous de la peur à m'en parler ?
— J'ai peur de revivre les souffrances d'alors. Et la colère...déjà quand j'étais jeune le système d'assortiment était très discriminant.
» Mes parents étaient des Mal-Assortis. Dès l'enfance, j'ai appris ce que ça voulait dire. Je n'étais pas censée exister, voilà ce que pensaient les autres.
» Et, évidemment, j'ai manifesté mon Talent très tard. Comme si j'avais besoin de ça. Quand mon Eclipse s'est déclenchée la première fois...c'était avant les examens de mi-semestre. J'étais en Niveau cinq, déclara-t-elle avant de marquer une pause. Les cris revenaient, échos dans sa mémoire, plaies incicatrisables dans son cœur.
» J'avais toujours été très bonne à l'école, et je décrochais chaque fois les meilleures notes, poursuivît-elle. C'était intolérable aux yeux des autres. Il fallait que j'aie un Talent pour pouvoir avoir de bonnes notes, pensaient-ils.
» Donc, ce jour-là, les mots ne leur ont plus suffit. Ils se sont mis à me jeter des objets, des morceaux de papier tachés d'encre, des tiges de roses qui la piquaient, des capuchons de stylos. Je voulais devenir invisible. Et je le suis devenue.
— Vous avez eu une vie difficile...et vous en vouliez à nos règles.
— En effet, Kenric. Ce jour-là, je me suis juré de devenir Conseillère, de changer les choses, de bouger mon monde.
» J'ai échoué dans ma tâche. Nous en sommes toujours au même point.
— Non. Vous êtes au Conseil maintenant, répondît Oralie. Et depuis assez longtemps pour que votre voix compte vraiment !
— A nous trois, on bougera les choses, promît Kenric. »
Ramira sourît. Elle raconta aux deux autres toutes les frasques qu'elle avait faites, les rires, la joie qui l'avait accueillie à Mystérium années après années.
La désillusion de son élection, la difficulté du combat, la peur de se perdre, et la flamme qui diminuait.
La cache qui l'intriguait, encore et toujours, avec ses multiples secrets oubliés.
Elle avait expliqué qu'on ne pouvait pas effacer l'émotion, et que, quand elle se concentrait sur certains des éclats représentants les souvenirs, elle ressentait une forme de culpabilité.
Mais pas pour tous. Elle savait pourquoi on lui confiait tant de secrets dangereux.
Parce qu'elle était la moins fragile.
Endurcie par des années de haine, de mépris, de rêves brisés, Ramira avait créé une carapace.
Et à part sa colère, rien n'en sortait.
Et plus rien n'y entrait, pour éviter que les mots qui rebondissaient dans sa tête ne redeviennent des couteaux dans son cœur.
Oralie et Kenric lui sourirent.
Et, dans une sorte de pacte solennel, les trois Conseillers promirent de bouleverser leur monde par en haut, et d'accueillir avec joie toute révolution pacifique.
L'amitié était scellée, et la confiance donnée.
Oralie, Kenric, Ramira. Les trois apprentis rebelles du Conseil des Elfes.
Les messagers de l'anomalie.
Pour leurs vies entières.
************
2104 Mots. (c'est l'OS le plus long...)
Il date du 20 décembre 2020.
J'avais adoré l'écrire. Même si je ne respecte pas forcément les données qu'on a dans les livres sur l'ordre d'arrivée au Conseil (j'avais eu la flemme de regarder.)
J'avais aimé parce que j'avais la possibilité de créer une psychologie entière, puisque le personnage est complètement inconnu.
Et utiliser les discriminations du système elfique avec une Conseillère, je me suis dit que c'était une bonne idée.
Qu'avez-vous pensé de mon OS ?
Bises,
Jeanne.
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