PREMIER - Comme du Roméo&Juliette, la vengeance en plus


« Je t'avais dit que la prochaine fois qu'on se verrait, je serai devenue meilleure que toi ». Dans son dos, la cité est en flamme et des cris de terreurs montent jusqu'au ciel.


     Un sourire narquois peint sur les lèvres, Désirée jubile de l'air effaré de son ex-amant. Il a les cheveux en bataille, a enfilé un simple kimono par-dessus ses épaules nues et laisse ses yeux virevolter sur les épaisses fumées qui semblent avoir englouti les étoiles. Il sort tout juste de son lit, à n'en pas douter.

— Qu'est-ce que tu as fait ? balbutie-t-il, la respiration hachée.

— Je te prouve que tu aurais dû croire en moi dès le premier jour, Hariel.

     Une énième explosion retentit, suivie d'un appel d'air. Les cheveux dorés de Désirée viennent recouvrir son visage. Elle serre impulsivement ses mâchoires. Persuadée d'être plus que prête, elle avait précipité l'attaque. Ces longues années d'exile avaient eu raison de sa colère et l'avaient démultiplié. Le temps était censé l'adoucir. Au contraire, il l'avait gangrénée.
     Pourtant, devant lui, l'ancienne aristocrate enchaînée se sentait replonger. Elle retrouvait avec un plaisir coupable les frissons parcourant sa colonne vertébrale, la fièvre de ses joues en feu, les tics incontrôlables qui lui faisaient se mordre la lèvre inférieure.

— C'est une raison pour brûler la ville de notre enfance ? La ville qui nous a vu tomber amoureux ?

— Il suffit, Hariel ! s'emporte Désirée. Tu m'as laissée tomber, tu les as laissés m'emmener.

     Le regard du jeune homme s'assombrit brusquement alors qu'il plante ses pupilles caramel dans celles de sa nouvelle rivale.

— J'avais dix-sept ans ! Je ne comprenais rien aux manigances de nos dirigeants. J'étais écarté des décisions les plus importantes. Tu crois vraiment que j'aurais accepté qu'on nous sépare ?

     Son ton est dur, mais la jeune femme le fusille du regard. Quand ils étaient jeunes, il avait toujours eu le dernier mot à tout. C'était un beau parleur, il savait retourner chaque situation à son avantage. Ce trait de sa personnalité plaisait à Désirée, jusqu'à ce qu'elle se rende compte qu'il se ferait toujours passer avant elle, quoi qu'il arrive. Désormais, il avait élu domicile sur le trône du royaume, entouré d'un nombre incalculable de nobles aussi viciés que lui. Rien n'importait plus que le pouvoir et la gloire. L'amour n'avait plus sa place à la Cour royale.
     Sachant pertinemment qu'il ne redeviendrait jamais l'être doux qu'elle avait pu apercevoir dans leurs nuits charnellement partagées, la jeune femme rabat la capuche épaisse sur son front et tourne les talons. Son ombre s'évanouit alors dans les ruelles sombres. Elle avait atteint son but : faire tomber de son piédestal l'homme qu'elle avait le plus aimé de toute sa courte existence. Elle avait détruit son trône, assassiné ses conseillers les plus malhonnêtes, volé et réparti aux pauvres les caisses débordantes de son Etat basé sur des mensonges et des fraudes à répétition. Tout ce pour quoi elle avait œuvré en silence des jours durant s'était enfin exaucé. Et pourtant, voilà qu'un nœud se forme dans son estomac.

— Putain de merde, grogne-t-elle entre ses dents.

     Appuyée contre un mur de pierre, Désirée appuie ses paumes contre sa poitrine. Cette pause est nécessaire pour qu'elle puisse reprendre son souffle. En fermant les yeux, elle n'arrive pas à voir autre chose que les mâchoires carrées d'Hariel, contre lesquelles elle aimait se coller lors de leurs rapports nocturnes. Elle n'a pas oublié non plus la douceur de ses cheveux, dans lesquels elle passait à outrance ses longs doigts fins. Et son torse, celui qui la réconfortait alors qu'elle s'était fait humilier par ses parents.
     Elle secoue brusquement la tête. Tout ça n'était qu'illusion, qu'une simple façade pour l'amadouer. En réalité, il ne l'avait jamais aimé. Il avait juste vu une opportunité de s'élever plus rapidement en fréquentant l'unique fille de la deuxième famille la plus influente du pays. S'il avait posé les yeux sur elle, c'était uniquement par intérêt. Rien de plus.

— Désirée, je t'en prie...

     L'intéressée se retourne d'un coup sec et aperçoit Hariel, planté droit devant elle. La stupéfaction a laissé place à la douleur sur son visage. Ses traits sont déformés, mais il ne se départit pas pour autant de sa beauté naturelle.
     La jeune femme esquisse un mouvement de recul, il ne doit pas approcher. Une main cachant son visage, elle tente de reprendre ses esprits.

— Parle-moi, on peut tout arranger.

— Dégage ! s'emporte-t-elle. Tu m'as tout pris, je ne veux rien qui vienne de toi.

     Sans crier gare, il tombe à genoux, la tête dirigée vers le sol.

— Cet empire, je l'ai bâti pour toi. Je t'ai cherchée aux quatre coins du royaume quand on m'a cédé la couronne. J'ai posté des annonces dans chaque brasserie, chaque auberge. On me disait que tu étais sûrement morte dans un caniveau, qu'il fallait que je t'oublie... Alors je me suis laissé aveugler par la colère et le dégoût de moi-même. Je n'ai pas su te protéger, je t'ai laissée partir alors que j'avais le devoir de t'ériger en déesse.

— Tais-toi, ne dis pas un mot de plus, murmure Désirée.

     Ses jambes tremblent alors qu'elle l'écoute parler. Elle a envie d'y croire, envie de se laisser submerger par les émotions du passé. Mais ce n'est que de la manipulation.

— Bordel, je ne t'ai jamais oubliée ! Ne me dis pas que tu es passée à autre chose, ne me dis pas que tu ne ressens plus rien.

— Ferme-la, Hariel.

— Sinon quoi ? Tu vas me tuer ?

     La jeune femme dégaine son arme ensanglantée. Plus personne ne la protège, désormais. C'est elle qui attaque et elle qui protège.

— J'ai été naïve par le passé, mais c'est fini. Je ne suis plus ton pantin. Ne gaspille pas ta salive pour moi, ça ne marchera plus.

     Il relève des yeux remplis de larmes sur elle. Sa lèvre inférieure tremble, comme si son cœur était sur le point d'imploser. Si la détresse avait un visage, elle aurait le sien.

— Je meurs d'amour pour toi, chaque jour un peu plus que la veille. Je me réveille avec ton prénom sur ma bouche et m'endors avec ton sourire sous mes paupières. Tu ne me crois plus car on nous a arraché tout ce qu'on s'apportait de bon. On t'a fait croire que j'étais l'ennemi, que j'étais la cible à abattre. Ça y est, j'ai tout perdu moi aussi. Mais as-tu réellement gagné quelque chose, toi ? Ou alors cette attaque n'a-t-elle profité qu'à tes marionnettistes ?

     Désirée s'approche à pas de loup et pose lentement son épée sur le cou battant de celui qu'elle aime toujours, malgré elle.

— Si ton cœur ne m'appartient plus, tue-moi. Car un monde sans toi, je n'en veux pas.

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