6 - Bataille Politique - 2

Commissaire : La politique, c'est une histoire d'arrangements. De mensonges. Il y a des opportunités de capter de l'argent public, et évidemment en toute impunité. Voilà des arguments qui naturellement ont attiré Legrand vers la Mairie comme un papillon vers la lumière.


Martin : Donc l'idée, en gros, c'était de virer Léon Cochard de la mairie. Même si j'étais le petit parisien en veste que tout le monde aimait, et qui venait du pays, je ne pouvais pas me présenter. Parce que Léon aurait lancé les journalistes sur mon activité, et au meilleur des cas je perdais la mairie, au pire, je terminais en prison.

Est-ce que vous vous souvenez de Claude ? Le type avec qui on s'ouvrait une bière à 18h le long des canaux de Meuse avec Joelle. Claude est un ancien cheminot qui a réussi à se faire virer assez tôt avec une retraite tout confort. Toute la journée, il est au bar, le soir il est avec nous, et le week end, il chasse. Claude m'était très utile car c'était un thermomètre de l'ambiance à Ornain. Et même s'il était alcolo, con comme un manche de pelle et raciste, et bien on s'attache aux gens quand on les voit régulièrement. Tous les alcolos ont une histoire triste à vous raconter, et c'est souvent leur propre vie.

J'ai proposé à Claude de s'inscrire aux élections de la mairie. Ça pas été facile, mais je lui ai dit qu'il ferait la même chose qu'actuellement, à part que je le paierais pour ça.

Et c'était le cas. Grâce à sa résistance à l'alcool exceptionnelle forgée au fil des ans, Claude faisait la tournée des bars, et payait des tournées avec la carte de Miracle Interim. Il n'avait qu'une chose à dire et cette chose était : « Vous ne trouvez pas qu'il y a de plus en plus d'arabes à Ornain ? Léon Cochard n'en a rien à foutre, ce gros planqué. Votez pour moi, et je vous garantis que ça va changer ! » Évidemment, le jour où Claude serait élu, il serait mon homme de paille et le discours changerait. De toute façon, c'était pas des arabes, mais des marseillais, pas vrai ?

Joelle m'a invitée à venir chez elle. Une jolie petite maison au bord de la rivière, héritée de sa mère, avec une serre et de grandes fenêtres. Elle m'a fait descendre dans la cave. Elle avait une presse d'imprimerie de malade, le truc gros comme mon agence d'interim. Elle imprimait des tracts antinucléaires, des flyers de concert de reggae, même des manifestes anarchistes.

On a commencé à faire des posters pour Claude, il y avait une photo sympa de lui où on avait gommé le rouge alcolo de son visage, et on l'avait mis devant une vieille loco à vapeur qui traînait près de la gare. Pour le slogan, j'avais fait très simple, il disait VOTEZ CLAUDE. Les gens veulent des consignes simples.

Tout mon réseau a commencé à travailler pour Claude. Vous alliez voir le Dr Dupont pour un bobo et il vous disait « J'en peux plus du maire. Vous avez entendu parler de ce Claude ? Il a l'air vraiment bien, un homme proche de nous. ». On glissait des flyer dans les boîtes de la pakkizeria, qui faisait une réduction « spécial Claude ».

Claude a lu un discours que je lui avais écrit, sur la route principale. Il y avait plus de 50 personnes autour de lui, ce qui est énorme pour la ville : que des gars à moi, leur famille, leurs amis. Claude disait « les arabes dehors ! » et tous mes gars qui venaient d'Afrique ou du Moyen Orient applaudissaient. Et d'autres venaient. Claude arrosait les soirées chasseurs, les maisons de retraite, il s'est mis à faire de la Line dance, et cet enfoiré à même commencé à se faire draguer par des vieilles retraitées impressionnées par ce type.

Ça faisait 10 ans que Léon attendait sa réélection en pantoufles. Ça lui a fait tout drôle. Parce que si mes gars applaudissaient Claude, ils se gênaient pas pour huer son adversaire.

Deux mois avant l'élection, il m'a convoqué dans son bureau, à la mairie. Il avait peur. C'était à l'aube, un matin froid. Claude était encore sobre. Léon avait convoqué son adversaire, mais il savait qu'il était incapable de monter cette opération : j'étais forcément derrière. Je vous avais dit qu'il était intelligent.

Léon le catho, Léon l'incorruptible, a mis tous ses principes de côté. Il a dit « vous voulez quoi ? ». Je lui ai dit que je voulais récupérer mes contrats, et en avoir d'autres. Et qu'il me lâche la grappe sur les sans papiers, sur les musulmans, sur les arabes et sur toutes mes affaires en général. En échange, Claude se retire de la course à la mairie en intégrant sa liste de soutien. Et puis je deviens conseiller municipal, et on en parle plus. J'ai quelques idées intéressantes, l'envie folle de faire des dossiers de subventions et une petite indemnité financière non imposable ne fait jamais de mal au porte monnaie.

Deux minutes plus tard, on se serrait la main en souriant. Voyez, Léon a eu peur, mais Léon a besoin de moi. S'il n'y a pas d'arabes dans la rue, à quoi bon dire « dehors les arabes », vous voyez ? Je lui fournissais de quoi se faire réélire. C'est comme ça que j'ai intégré la mairie.

La personne triste dans cette histoire, c'était Claude. Il aimait bien payer des coups à boire gratuits, et c'était fini. Mais t'inquiète pas, Claude, tu fais partie du plan. C'est pas fini.

Claude allait continuer à payer des coups à boire. Mais chaque jour, il allait prendre un de mes gars et le présenter à tous les bars de la ville en disant « Ok, on en peut plus des arabes, mais vous connaissez ce gars ? Un type de marseille, un mec extra. C'est lui qui invite aujourd'hui ! Allez on fait connaissance ! ». Il allait tous les intégrer un par un.

Parce que Léon et la droite filloniste à l'ancienne, c'est pas le futur. C'est un peu tôt pour le moment alors, il peut se repaître d'un nouveau mandat. Mais dans 5 ans mon pote...dans 5 ans, on prend ta place.

C'est pas que je suis contre le racisme, c'est juste que c'est mauvais pour les affaires. J'avais de l'ambition et une vision pour la ville, et même la région. J'allais pomper des subventions régionales et européennes comme une pute balinaise, et poser de la fibre optique dans chaque maison, faire des lotissements modernes avec piscines loués une bouchée de pain, construire des écoles d'ingénieurs, faire des rues festives bardées de bars hipsters, organiser des festivals de cuisine et de musique, des arènes dédiées à l'e-sport, des résidences d'artistes, planter des éoliennes tous les kilomètres pour être totalement autonome énergétiquement, j'allais nouer des partenariats artistiques et économiques avec tous les pays du monde, j'allais faire oublier à cette putain de région qu'il y a cent ans on s'entretuait par millions pour que dalle - et oui, j'allais faire tout ça pour le fric, mais tout le monde aurait sa part.

Et vous me foutez en prison ? Restez dans votre passé alors, vous êtes des nuls ! 

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