3 - Retour à la maison
Commissaire : Ce qu'il s'est passé à Ornain aurait-il pu se passer ailleurs. Dans n'importe quelle autre ville dormante de province. Ornain est une ville ordinaire. Ennuyeuse. Très ennuyeuse. Ne dit-on pas que l'oisiveté est mère de tous les vices ?
Martin : Me voilà de retour à Ornain. Une petite ville de Meuse, 5 000 habitants. Est-ce qu'on se fait chier en Meuse ? Et bien les sources économiques sont l'agriculture, le tourisme commémoratif de 1ere guerre mondiale, les pénitenciers, l'enfouissement de déchets nucléaires, et la drogue.
Quand j'ai remonté la grande rue depuis la Gare, on était un samedi après midi. Il y avait quatre personnes à tout casser. On entendait le canal de la Meuse couler, même à deux rues de distance. Je suis entré au Lidl pour manger un truc. Il y avait une seule caisse ouverte, et il n'y avait pas de queue. Un samedi après midi.
Le temps de remonter chez maman, je n'ai croisé que des vieux. Bon et ok, deux jeunes, des handicapés. Et oui, les seuls qui veulent rester ici n'ont pas le choix. Le cinéma de mon enfance était fermé. La pizzeria aussi. Il y avait encore un distributeur de DVD d'un antique video club, mais il n'était pas alimenté. C'était un jour de fin d'hiver très froid.
Maman était contente de me voir. Je lui ai tout dit sur mes ennuis. C'était pas brillant, mais mon plan était de squatter chez elle et de regarder la TV en attendant que tout se tasse.
Elle m'a dit « mais prends un appart » ! J'étais dans mes réflexes parisiens, alors j'ai pensé : loyer à 2000 boules, dossier infernal à constituer, mais selon elle la dame de l'agence immobilière était une bonne amie de son club de line dance. C'est quoi la line dance bordel ? Bref. Monique, la dame de l'Agence, me fait visiter un appart super grand, 120 mètres carrés, avec vue sur la rivière, les canards, toutes ces conneries. Parquet. Il y a deux buanderies. Je sais même pas ce qu'est une buanderie. Monique me regarde comme si elle voulait me convaincre de le prendre et elle me dit « 325 € de loyer ». Je la regarde de bas en haut, comme si j'allais devoir coucher avec elle pour la remercier de ce prix. Et pour le dossier ? Pas besoin de dossier, qu'elle me dit. Tous ses apparts sont vides.
Bordel, c'était pas une blague. Une poignée de main plus tard, je suis allongé sur le plancher immense et je me demande ce que je vais bien pouvoir foutre au cœur de la diagonale du vide. Les journées passent. Je fais du vélo dans le printemps précoce, le long des canaux de Meuse. Je vais à des meetings du Rassemblement National. Je ne suis pas politique, mais c'est le seul truc communautaire du coin. C'est très rigolo de les voir dire « les arabes dehors » alors que tout le monde ici est vieux et blanc et qu'aucun étranger ne serait capable de prendre les correspondances compliquées pour venir dans ce trou.
J'ai commencé à lier certaines amitiés, politiques, financières. Ce sont des mots ronflants, mais c'était juste la boulangère qui était contente de voir un petit jeune s'installer en ville ou un chasseur de l'amicale qui voulait transmettre son savoir pour la prochaine saison. J'avais encore l'odeur de Paris, encore ces jeans de marque et le blazer de commercial, on avait envie de me parler, on avait aussi envie de se méfier de moi. Je suis pas très beau, mais je le suis beaucoup trop pour Ornain.
Avec l'argent que j'avais retiré avant de disparaître, j'aurais pu tenir 2 ans faciles à Ornain. Et rien ne serait arrivé. Mais je venais de Paris. J'étais en manque de sa pression, de son stress. Je devais m'occuper. De l'autre côté de la rivière, il y avait une agence d'interim, tenue par Serge, un type si gros et si vieux que j'avais peur qu'il tombe en poussière quand je lui ai serré la main.
Il m'a dit « j'ai pas d'argent pour toi, sauf si tu travailles à la commission ». Me voilà de retour à la case départ, à vendre à la commission, comme pour les assurances. À part que là, je devais trouver des gens pour les mettre à des postes. On cherchait un instituteur (sinon l'école fermait), des auxiliaires de vie pour tous les vieux du coin, des tas de jardiniers pour les ronds points...par contre, on ne cherchait pas de typographes. Je dis ça parce que Joelle, une vieille fille défraîchie avec une main qui marchait pas, toquait tous les jours à la porte pour savoir si on avait un job pour elle. Ben non Joelle, y a pas de journal, pas d'agence de graphismes, on cherche pas de typographes. Non, ce qu'on cherchait surtout, surtout, c'était un médecin. Le St Graal de la boite, le médecin qui allait tout changer en ville. Parce que les médecins, et bien, ils s'en allaient.
Problème, la seule ressource humaine de l'agence, c'était la réinsertion de prisonniers. L'activité était au point mort. Et très honnêtement, je voyais pas d'argument pour faire venir un médecin ici...
Et ça me faisait chier. Ma mère a une maladie...un truc de tension débile, mais elle doit voir le medecin une fois par semaine. Alors c'est moi qui la conduis chez le doc...et comme y en a pas en ville, ben on se tape 30 km, et même quand il y a pas des manifs frontistes, zadistes ou de chasseurs, ça fait super loin.
Professionnellement et personnellement, je me disais : comment faire venir un médecin à Ornain ? Et genre, qu'il y reste. Un soir, ils passaient ce film québécois, la Grande Séduction, dans lequel un village essaie de forcer, par la carotte et le bâton, un médecin à s'installer. Ce soir là, j'ai eu une idée. Pas en regardant le film. En regardant les news, juste après. C'était le genre d'idée qui marche une fois sur 10000. Mais qu'est ce que j'en avais à foutre ? Je mourrais d'ennui. Fallait bien que je m'occupe.
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