2 - Crash
Commissaire : Le casier judiciaire de M. Legrand était vierge...mais c'était plus du pas vu pas pris. On a pas vraiment de preuves, mais Martin admet de lui même qu'il a fait commerce avec des organisations mafieuses. Je ne suis pas qualifié pour faire la psychanalyse de l'accusé, mais c'était un jeune homme impressionnable...et c'est certainement au contact de ces géants du crime qu'il a développé son goût pour l'argent et son mépris de la loi.
Martin : Si j'ai travaillé avec la mafia ? Oui. Est-ce que ça fait de moi un criminel ? Si vous voulez. Mais dans ce cas, si un mafieux rentre dans une boulangerie et achète un croissant avec de l'argent sale, alors le boulanger est aussi criminel. Parce que c'était la nature de nos relations : je vendais, dans le strict respect de la loi, de la cryptomonnaie. Après si mon client voulait blanchir de l'argent sale ou construire un orphelinat avec, qu'est-ce que j'en savais ? C'était pas mon problème.
L'agent sale se blanchit de plein de façons. Dans les paris sportifs, par exemple. Pourquoi les matchs sont truqués ? Parce que les mafieux veulent non seulement blanchir l'argent, mais en plus doubler la mise au passage. Dans ce cadre, mon humble commerce de cryptomonnaie se situait au-dessus de l'investissement immobilier et en-dessous du pari sportif truqué.
Commercer avec un blindé n'avait rien de terriblement excitant. Les types étaient débiles. Je n'étais pas une lumière non plus, et j'aurais beaucoup de mal à vous dire, dans le fond, ce qu'était un bitcoin, mais leurs questions étaient débiles. Comme je voulais pressurer au maximum le blindé qu'on m'avait donné, je leur apportais de nouvelles cryptomonnaies à chaque rendez-vous : bitcoin, ethereum, ripple, nano...et tout grimpait à chaque rendez-vous.
J'étais devenu le meilleur ami d'un boss là bas, un certain Fabio. Quand Fabio m'appelait, je sentais son sourire au téléphone. Il m'a invité à une soirée...c'était bizarre. C'était dans un grand hôtel moderne du 16e...c'était pas dans une chambre, mais dans tout l'hôtel. C'était pour son anniversaire. Il y avait plein de filles qui se ressemblaient, le look instagrammeuse à la Kardashian, vous voyez le truc. Du champagne, de partout, et pas que dans les verres. De la musique style boite à partouze...et de la coke de partout. Ces mecs étaient plus riches que des traders ou des industriels, c'était dingue.
Fabio avait l'air d'un type super normal, du genre caissier au monoprix, mais avec un costume sur mesure. Il était excité par la coke, je savais pas s'il allait me frapper ou me serrer dans ses bras. En tout cas il était super content de me voir, et m'a présenté à tous mes potes. J'ai compris que tous ses potes étaient des blindés encore vierges. Je pouvais leur vendre de la crypto à tous, multiplier ma mise par dix ou vingt, bordel.
À l'époque, on était en décembre 2017, le bitcoin valait presque 20 000 €. Fabio les avait acheté à 5 000 € donc avait blanchi et multiplié sa mise par quatre, un portefeuille en millions. Tous ses potes ont trinqué avec moi. Le soir même, je les ai tous signé, pour des sommes délirantes. J'ai même fait signer un contrat alors que le mec baisait une instagrammeuse sur un coin de table. C'était une soirée assez profitable.
15 jours après, le bitcoin avait perdu la moitié de sa valeur, et ce n'était que le début. Le premier emmerdé, c'était moi, parce que comme je croyais dans mon produit, j'étais payé en bitcoins.
Ensuite, j'ai eu des messages menaçants de Gérard Père et Fils, les robinetiers. « Où est mon argent ? » qu'ils disaient. Comment dire ? Nous avions tous joué, et nous avions perdu. Mais Gérard l'entendait pas de cette oreille et a pris le train pour me tabasser sur le parking de la boite. Heureusement, le boss a fait semblant d'appeler la police...j'étais en train de me faire recoudre aux urgences quand je me suis dis...bordel...quand Fabio et ses potes vont faire les comptes, je vais passer à la casserole...
Je ne suis même pas rentré chez moi. Je ne suis même pas allé chercher ma voiture. J'ai fait semblant d'oublier mon téléphone à l'hôpital. J'ai juste envoyé un sms à mon boss qui disait « je flippe, je suis suivi ». C'était faux. Mais je voulais faire croire que Gérard, ou un autre, m'avait refroidi pour de bon. Comme ça quand Fabio allait appeler au bureau, mon boss dirait que je suis mort ou disparu, et la police confirmerait que j'avais disparu un soir qu'on me suivait. La police se foutrait de l'affaire, et mettrait ma disparition dans la liste « règlements de comptes » qui font pas baisser leurs statistiques d'affaires non résolues. Pour le monde parisien que je quittais, je serais mort. C'était plus prudent.
Mais en fait, le soir même, je suis allé à la gare, j'y ai passé la nuit et j'ai pris le premier train pour rentrer chez ma mère, à Ornain.
En Meuse.
Cela faisait dix ans que j'y avais plus mis les pieds. Là-bas, je serais tranquille.
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