12 - Querelles
Commissaire : Et puis comme il fallait s'y attendre le clan Legrand a basculé. Il y a eu des actes de violence et de barbarie inqualifiables. Il est finallement passé dans une autre dimension, celle du grand banditisme, où tout est permis, où la fin justifie les moyens.
Martin : Mon école marchait bien et j'étais complètement convaincu par le talent des russes à faire tout et n'importe quoi. Avec le recul, je me disais que j'aurais pu faire venir tous ces gens, disons, de Pologne, et tout d'un coup j'ai tout compris au marché de l'interim européen.
Blague à part, j'allais pas payer 20 000 € la gonzesse si c'était pour en faire une fleuriste ou une aide soignante. J'ai donc demandé à Natalya si elle avait des copines tentées par l'aventure meusienne. Les russes ont un drôle de Facebook appelé V KONTAKT et après quelques messages, des demandes de visa bidons, et un faux voyage sur la côte d'azur, je reçois toutes les amies de ma directrice d'école.
J'avais réglé mes problèmes de parité. Les mois passent, l'argent tombe comme la pluie à la mousson.
Un jour maman m'appelle. Elle me demande de passer voir chez elle, un ancien ami à moi était là. Je me pointe, et qui je vois en train de siroter du thé dans une tasse et de plaisanter, limite flirt, avec maman ? Pedro. Pedro me serre dans ses bras, moi je transpire le niagara.
Pedro et ma mère plaisantent, moi je suis effaré. Je me demande à quel moment il va sortir une arme et nous abattre. Comment je peux réagir.
On part lui et moi dans le jardin de maman. Il longe un canal de Meuse et Pedro fait des ricochets avec des cailloux. Il me dit qu'il a envoyé il y a quelques semaines un de ses gars voir comment tournait mon bordel. Avec le recul, je vois exactement qui c'était : un mec qui traînait avec cet abruti de Claude et que je prenais pour un agent immobilier.
Evidemment, il a tout découvert : les faux papiers, la drogue, l'école et surtout mes techniques pour faire venir des filles de russie à moindre frais.
Il me dit que je l'ai baisé deux fois, que ça commence à faire beaucoup. Je pense à Bali et je me demande pourquoi, oui, pourquoi j'ai écouté Joelle et je ne me suis pas cassé quand j'avais l'occasion !
Mais il est là pour négocier. Il me demande 50% de mes recettes. Je réfléchis même pas, je dis oui. Il fait un dernier ricochet, et il s'en va en posant sa main sur mon épaule. Il me dit, 2 fois, pas 3, d'accord ? Il s'en va en saluant maman très chaleureusement.
Je suis parti faire du vélo, j'ai pédalé quasiment toute la nuit. Je pouvais me barrer, disparaître. Bali. Et s'ils s'attaquaient à ma mère ? Le message était clair. Je pouvais payer, continuer à faire mon biz. C'est pas trop de perdre une marge de malade mental qui me faisait chier, c'est que tout ça, c'était une belle histoire. On reboostait une ville mourante, on redonnait de l'espoir à des familles, et il fallait que la moitié des gains partent à ces enfoirés ? Et si demain je baissais les marges pour que tout le monde en profite, ils viendraient me descendre ?
Et puis aussi je pouvais contrattaquer par la violence. Mais est-ce que j'en avais l'envie et le pouvoir ? Et puis si je commence à être violent, ça s'arrête où ? La légende dit que ça ne s'arrête jamais.
Je me suis épuisé cette nuit à pédaler. Je me suis allongé quelque part sur une rive du fleuve, loin des villes et villages, sous la lune. J'allais continuer quelques temps. J'allais mettre maman et les autres, comme Joelle, à l'abri. Et puis je disparaîtrais à nouveau.
Sauf avec maman, j'ai joué la transparence avec mon triumvirat : Joelle, Monique, Sylvie. Leurs vies allaient changer avec mon départ. Dans la dynamique des systèmes mafieux, cette situation était inévitable. Avec le recul, je me dis que des cartels européens devaient tenir Pedro par les couilles de la même manière : quand tu gagnes beaucoup d'argent illégalement, et bien la société ne peut pas te défendre, et tu rencontres fatalement des gros poissons qui te mangeront impunément
Et puis il s'est passé quelque chose. La police donnera une autre version, mais je vais vous donner ma version. Qui est la vérité.
Je payais mes 50% régulièrement, mélancoliquement. Une berline noire d'enculé se pointe devant Miracle Interim. Je sais déjà à qui elle est, je sors, je vais voir. Fabio conduit, et il me dit que si je leur file une grosse somme...on parle de 7 chiffres...et bien on est quittes, et on se voit plus jamais. Je lui dis que c'est très généreux de leur part, et j'aimerais bien avoir une confirmation de Pedro, qui avait imposé les conditions de départ. Il fait un signe de tête : Pedro est à l'arrière.
On se serre la main. Je suis KO. C'était une entourloupe ? Pas vraiment.
En vrai, mon problème mafieux avait transpiré dans toute la ville via Joelle et les autres. J'étais juste emmerdé, mais tout mon réseau était littéralement terrifié : alors qu'ils venaient de s'installer, et qu'ils étaient bien, ils pouvaient soit tout perdre, soit passer sous la coupe de types beaucoup moins rigolos que moi.
On ne se rend pas compte, mais depuis le début de mon récit, des années se sont passées. Le gamin du Dr Dupont, par exemple, Alexis, il est devenu policier à Ornain. Il y a une bonne cohésion interne. Ils sont devenus un clan.
Sans me le dire, ils se sont organisés. Ils ont retrouvés les gars de Fabio et de Pedro, ils sont allés jusqu'à Paris. Avec cette histoire de lobby de chasseurs, ils étaient tous armés comme des soldats, et ils savaient se servir de tous types d'armes. Et la mafia, celle des passeurs qu'ils ont connu, les passeurs qui trafiquent, extorquent et violent, ils la haissent. Ils ont fait des trucs terribles à Paris. J'ai même pas voulu lire le dossier de la police. Je pense qu'ils ont eu très peur. Je regrette tout ce qu'il s'est passé. Ce n'était pas de ma faute. Je veux pas non plus ramener la couverture à moi, mais...il s'est passé tout ça, et je n'avais rien demandé.
Ce que je veux dire, c'est que de loin, Pedro et Fabio, ce sont des des gangsters, et moi aussi j'en suis un. Mais moi je traite bien les miens. C'est ma famille. Et ce jour là, ma famille m'a défendu. Ça a fait la différence.
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