11 - Parité - 2

Commissaire : Donc Martin fait venir des filles de l'est. Par camions. Nous, on le savait. On le regardait avec des jumelles de loin. On attendait le bon moment pour perquisitionner le bordel improvisé, et leur sauter dessus pour racolage public. Et qu'est ce qu'il s'est passé ? Les filles ont disparu. Est ce qu'il avait construit un bordel invisible ? Est-ce qu'il les mangeait ? Mystère. Nous n'avons jamais retrouvé une seule prostituée sur toute la région.


Martin : Ma commande de femmes est arrivée par camion. Un camion de livraison avec marqué « Findus » dessus et une photo de poisson pané. Je me suis dit quand j'ai vu ce camion que c'était un moyen super malin de transporter discrètement des choses qui ne sont pas du poisson pané. On a toujours quelque chose à apprendre, même de gars aussi épais que les mafieux.

Les filles étaient relativement fraîches après avoir traversé l'Europe et bien plus. Elles avaient des bagages ridicules : un tout petit sac chacune. C'était fou : ne rien posséder du tout, c'est ça : on te transporte à l'autre bout du monde et tu emportes presque rien. Elles étaient belles à leur façon, les traits élégants de cygne blanc des beautés slaves. Et elles étaient habillées comme des putes, donc au moins on ne m'avait pas trompé sur la marchandise.

On les fait monter chez moi, elles se douchent, et on les reçoit une par une avec Joelle. Quand nous établissions de faux papiers, on avait pris l'habitude de faire un entretien de recrutement chaleureux, pizza, bonbons...en mode welcome to paradise, les gars ! Et comme c'est jamais facile de changer de nom, on leur donnait une liste et on les laissait choisir. On nait avec un nom et prénom qu'on peut pas choisir, alors quand on peut choisir à nouveau...c'est cool non ?

Donc on reçoit la première fille, une certaine Natalya. Je vois l'intelligence dans ses yeux. Elle m'évalue. Habituellement, pendant que Joelle prend des notes, on papote en mode « bon alors tu pourrais être garagiste ? Tu sais changer un pneu ? » mais là la fille est pute, donc j'allais dire quoi « Tu fais de bonnes pipes ? Les clients sont contents en général ? » Ben non et en plus je vous vois venir, j'allais pas tester moi même. L'objectification des femmes, c'est un peu ça : on bande pour elles parce qu'on les a jamais vu descendre d'un camion Findus.

Donc on papote en anglais et la pute me dit qu'elle vient de russie et qu'elle était est étudiante en astrophysique. Je la fais répéter, je lui demande si c'est une plaisanterie. Elle confirme, de cet air impénétrable des russes. Je la laisse, je traverse la rue, je monte chez maman, je prends mon livre de maths de terminale ES, je retraverse la rue, j'écris une équation du second degré sur le papier de Joelle, et je lui tends. Natalya trouve les deux solutions. On ouvre de grands yeux avec Joelle. Bordel, je suis tombé sur la pute la plus intelligente du monde !

Il se trouve que les 5 filles que Pedro m'avait envoyées étaient presque toutes (il y en avait une de Moldavie qui était pas très futée) super intelligentes. Déjà parce que tu deviens pas pute parce que t'es pas capable de devenir médecin : ce sont des trajectoires de vie pas possibles, que je veux même pas connaître. Mais c'était aussi une question de misère sociale et économique : en France, si vous êtes un galérien de la life, vous savez parfois lire et écrire, vous savez des trucs comme la terre est ronde. Aux USA, ou dans certains pays, on ne sait même pas ça, on croit que dieu a fabriqué la terre ou je sais pas quelle connerie. Ben en Russie, ils ont un enseignement populaire de malade mental qui fait que quand t'es un clodo, tu peux lancer une fusée en orbite.

Donc je regarde ma pute astrophysicienne et je me dis, est-ce qu'il y a pas mieux à faire, économiquement parlant, sur le long terme, que de l'user physiquement dans un bordel ? Si seulement elle pouvait rafistoler des camions ou construire des maisons, j'aurais pu trouver un truc mais...astrophysicienne ? J'allais pas entamer un programme de conquête spatiale à Ornain !

Je commence à discuter avec Joëlle...et puis une idée prend forme. Et plus je la creuse, plus cette idée s'installe avec confort, plus elle semble évidente. L'idée de ramener des filles, c'était pour créer des couples durables. À terme, des enfants. Et il n'y avait pas d'école à Ornain. Enfin, plus d'école. Encore une fois, fermeture des classes par manque d'effectifs, les têtes blondes (et quelques bronzées désormais) devaient prendre le TER le matin pour aller à la grande ville.

Si je montais mon école ? Une école privée. Un truc pas donné, qui pomperait en plus un max de subventions publiques ? Je commence en parler à Natalya, et là il se passe un truc magique : elle se met à calculer. Elle était là pour gagner de l'argent, comme moi. Elle calcule le pour et le contre des deux options. Et puis elle me dit avec son accent, d'accord, je vais être prof de maths. Pareil, pour les autres, même la débile du groupe, histoire de pas les séparer.

Mon manoir du XIXe allait faire une école privée anglaise digne de Harry Potter. On a revendu les canapés de velours rouge et acheté des petites tables d'écolier. On a repeint les fresques érotiques en mettant des mappemondes dessus. Oui, les filles parlent pas un mot de français, mais c'était le truc : on a dit à tous que l'école était faite pour que les élèves deviennent bilingues anglais en un mois.

L'école a été prise d'assaut. Elle s'appelait l'École Russe d'Ornain. La tendance droite filloniste de la région, élevée dans le rêve de Poincaré, avait peu d'estime pour l'école publique et rêvait de voir ses enfants polytechniciens. Mes professeurs étaient belles, intelligentes et menaient les élèves à la dure. C'est incroyable tout le pognon qu'on peut se faire avec une école privée : en plus des subventions régionales et nationales, plus tu faisais payer cher plus les gens venaient de loin, de Nancy, même de Paris, pour venir suivre les cours. J'ai poussé les potards au maximum : la cantine était un restaurant avec un chef étoilé, les bouquins étaient faits sur mesure, tout coûtait une blinde et tout le monde payait comme si leur vie en dépendait.

J'étais déjà en train de construire une aile supplémentaire, un gymnase, une piscine. Un jardin près de la forêt, une volière où l'on pourrait faire de l'observation naturelle in situ. Un amphithéâtre en plein air avec des putains de colonnes pour faire des cours de philosophie à l'ancienne. Un internat avec chambres individuelles.

Bien entendu, il m'a fallu d'autres filles. Par forcément des putes, mais en tout cas des russes de la trempe de Natalya. Pour ce faire, j'ai du utiliser d'autres réseaux que la mafia, et j'ai eu des ennuis. On en parlera une autre fois, parce que je préfère terminer sur une note positive : dans deux ans, donc un an avant mon procès, des anciens élèves de l'école russe d'Ornain vont passer le concours des grandes écoles. Je croise les doigts pour eux. S'ils ont des bons résultats, ça pourrait jouer en ma faveur. 

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