FLASHBACK 10 : NOUVEAU LOGIS

Il arriva enfin devant la petite boutique du vieil artisan. Il poussa la porte et découvrit le vieillard assis devant sa forge, entrain de façonner une énième arme dans un fracas assourdissant de marteau contre du métal. Il ne s'était même pas rendu compte que quelqu'un était entré.

Bélial en profita pour admirer toutes les armes et les bijoux plus somptueux les uns que les autres, faits de riches métaux et de nobles pierres, mis en vente à des prix qui ne valait pas le dixième de la somme qu'ils coûtaient vraiment.

Le jeune homme se demandait souvent en venant ici comment avec si peu d'argent ce vieil homme pouvait s'acheter des métaux et des pierres d'une aussi bonne qualité.

Parfois, il s'évertuait même à prendre une épée ou une dague et à jouer avec. Il la manipulait avec précaution pendant un instant, la scrutant sous tous les angles possibles avant de se lancer en avant, mimant une attaque dans un geste raté d'escrimeur. Cela lui valait souvent les taquineries du vieillard qu'il continuait d'appeler « Monsieur » et de vouvoyer malgré les protestations de ce dernier qui voulait que Bélial l'appelle par son prénom, Nino.

Nino était un vieil homme cultivé malgré sa classe sociale. Il était très au courant des légendes auxquelles il accordait beaucoup d'importance. Il en racontait souvent à Bélial.

Aussi, il était passionné par son travail. Cela ne lui rapportait pas beaucoup et ne lui permettait pas toujours de manger à sa faim mais il était passionné par les armes (bien qu'il fasse aussi des bijoux). Il croyait en l'existence d'une âme dans les armes, du fait qu'elles soient dotées d'une conscience. Il se faisait souvent passer pour un fou quand il disait qu'il était important de nommer celle que l'on possédait et il clamait que c'était elles, les armes, qui choisissaient leur possesseur et non l'inverse. Il se justifiait en disant qu'une arme quelle qu'elle soit attirait toujours des ennuis à son maître lorsqu'elle n'était pas « destinée » à ce dernier.

Il pensait qu'une arme (à condition qu'elle est été façonnée par un bon artisan qui pouvait lui insufflé une forme de vie) ne pouvait réellement être maniée que par une seule personne. Peut importe qu'elle provienne d'une série où toutes étaient similaires du moment où le forgeron l'ayant fabriqué lui ait octroyé une âme.

Mais peu de gens croyaient aux histoires du pauvre Nino qui gardait cependant la réputation d'être un brillant armurier, quoiqu'un peu fou.

C'était un petit homme maigre, dégarni et grisonnant. Il avait le teint halé et ridé malgré les longues heures qu'il passait devant la forge. D'ailleurs, son dos avait, avec le temps, pris une légère courbure. Sans doute à force de se pencher en travaillant.

Enfin, le vieil homme sortit du feu le métal encore incandescent façonné en un ornement d'arme.

- Voilà, prononça le vieillard à voix haute. Tu refroidis un peu et après je te fixerai au pistolet.

Bélial se racla la gorge pour signaler sa présence. Nino releva la tête vers la provenance du son.

- Ah ! Tu es là mon garçon ! s'exclama-t-il réellement content de voir Bélial.

- Oui, bonjour, salua le jeune homme dans une tristesse non feinte.

- Qu'est-ce qu'il y a mon garçon ? Tu m'as l'air bien triste aujourd'hui.

Bélial voulut retenir ses larmes mais la grimace qui déforma ses traits, les fit jaillir de plus belle. Compatissant, Nino prit doucement Bélial par le bras, le fit asseoir sur un petit tabouret. Lui préféra rester debout et il s'adossa au plan de travail. Il regarda un instant le garçon pleurer puis, une fois ce dernier calmé, le vieillard demanda :

- Tu me racontes ?

Bélial hocha la tête, hoquetant encore quelques sanglots. Une boite de mouchoirs posée non loin du plan de travail venait de servir à Bélial. Il en reprit un et murmura :

- Je ne sais pas par où commencer...

- Ça va aller, je suis là, dit le vieil homme en prenant tabouret pour s'asseoir en face de Bélial.

Ils restèrent un moment silencieux.

- Ma mère est morte, commença Bélial alors qu'une lueur désolée s'allumait dans les vieux yeux de Nino. Elle s'est faite tuée par mon père. (Il hoqueta un sanglot). J'étais présent. C'était tard. Mais j'ai tout entendu. Tout ! Elle s'est faite violée. Et le pire, c'est que je me suis masturbé dessus !

Il éclatât en sanglot une nouvelle fois. Nino lui tendit un mouchoir, silencieux et un peu chamboulé par l'aveu que venait de lui faire le garçon.

- Après, il a commencé à la frapper, poursuivit ce dernier. Je suppose qu'il lui frappait la tête contre les meubles parce que le lendemain, donc hier, elle avait un énorme trou dans le crâne.

- Et comment tu as fais pour la voir ?

- Mon père m'a demandé de l'enterrer. Ça m'a prit toute la journée d'hier. Je l'ai enterré dans le jardin. En plein jour et il faisait très chaud. Après, je suis allé directement me coucher. Je me suis même pas lavé.

- Ça se sent, lâcha naturellement le vieillard dans une honnêteté cinglante qui fit rire Bélial malgré sa tristesse.

- Tant que ça ? demanda-t-il gêné après avoir ri.

- Oui. Tant que ça. Va te laver pour te changer les idées. Tu me raconteras la suite après. Il y a une bassine avec de l'eau à l'arrière de la boutique. Tu prendras une serviette propre dans l'armoire.

- Il y a pas de douche ? interrogea Bélial en se levant.

- Si, mais on m'a coupé l'eau il y a quelques jours parce que je n'ai pas pu payer les charges. J'ai pris des bidons d'eau à la fontaine publique. J'essaye d'économiser le plus possible.

Le garçon hocha la tête affirmativement pour dire qu'il avait compris le message. Puis il se dirigea vers l'arrière-boutique.

C'était un petit studio meublé de façon spartiate. Il n'y avait qu'un lit une place, un petit frigidaire que l'absence d'électricité et la chaleur faisait dégouliner, une petite gazinière, deux placards, une grande armoire et une petite salle de bain avec WC dont la porte ne fermait plus. A l'intérieur se trouvait un grand psyché en armature d'or avec quelques pierres précieuses incrustées, une grande bassine d'eau posée sur un tabouret en face d'un autre. De grands bidons remplis d'eau s'empilaient à l'intérieur de la douche et çà et là, dans l'appartement même.

Bélial saisit une serviette et chercha un gant de toilette en vain pour se laver. Puis il alla dans la salle de bain, se déshabilla entièrement et trempa sa serviette dans l'eau tiède. Il frotta le linge mouillé avec du savon et se lava. Malgré la chaleur étouffante, il profita de la tiédeur de l'eau.

Nino entra alors dans l'appartement.

- J'ai vu que tu avais apporté un sac, clama-t-il en posant l'objet en question devant la salle de bain. Je te pose ça là.

- Merci.

Puis il repartit.

Comme le vieillard n'avait que très peu de linge de maison, Bélial changea simplement de vêtements sans se sécher. De toute façon, le chaleur avait déjà fait évaporer quasiment toute l'eau sur son corps. Il s'habilla au milieu de la pièce à vivre avant de retourner dans la boutique reprendre la conversation qui s'était interrompue.

Lorsqu'il passa la porte de l'appartement, il remarqua un petit bout de métal posé sur la table à côté du vieil homme, occupé à coller la pièce qu'il ciselait à l'arrivée de Bélial sur un pistolet orné d'une pierre jaune pâle.

Il s'approcha du plan de travail et saisit le bout de métal qui se trouvait être un bâton d'argent d'environ vingt centimètres gravé d'une multitude d'arabesques. Au centre, une pièce en relief semblait pouvoir être pressée, comme une sorte de bouton. Cette partie, en forme de blason était ornée d'un pentacle entouré d'un carré stylisé.

- Tu peux appuyer, si tu veux, lança le vieillard en train de souder avec soin l'ornement au pistolet.

- Qu'est ce que c'est ? demanda Bélial tout en admirant les gravures de l'objet.

- L'une des armes de ma nouvelle collection.

Poussé par la curiosité, Bélial pressa le sceau et l'arme se déplia dans toute sa splendeur. C'était une faux avec un manche droit. La lame recourbée spécifique à ce genre d'armes était séparée du manche par une immense pierre rouge. La lame, plutôt fine, était faite du même métal que le manche. Faisant le tiers du manche, elle était de taille modulable selon la volonté de son possesseur.

- Comme tu n'es pas très doué à l'escrime, je pensais qu'une arme un peu plus exotique te conviendrait mieux, dit Nino.

- Comment ça ? Demanda Bélial dont les yeux brillaient d'admiration devant la beauté et la finesse de l'arme.

- Ma nouvelle collection s'appelle « Les Larmes du Diable ». Cette faux en fait partie. C'est même la toute première que j'ai faite et, crois-moi, elle veut absolument que tu la manies.

- Mais, elle fait deux mètres de long !

- Le principe d'une faux, jeune homme, c'est qu'elle est plus grande que celui qui la manie. Et encore, deux mètres c'est petit pour une faux.

- Je n'aurais jamais de quoi vous payer, en plus !

- Je t'en fais cadeau.

Bélial resta interdit devant la proposition.

- Enfin, tu auras le temps d'y réfléchir. Pour l'instant, viens me raconter la suite de ton histoire, lâcha le vieil homme en invitant le plus jeune à s'asseoir.

Nino rangea le pistolet qu'il avait terminé dans un boîte en bois élégante où un semblable orné d'une pierre bleu pâle attendait. Il plaça la boîte sur une autre similaire et se tourna vers Bélial, visiblement intrigué par le contenu de ces deux contenants.

- Ce sont des pistolets de la même collection que ta faux. Il y en a quatre, deux dans chaque boîtes, expliqua le vieillard.

- Quatre ?!

- Quoi ? Tu n'imagine pas une jolie fille avec un pistolet dans chaque main et un accroché à chacun de ses jolis petits pieds chaussés d'une jolie paire de talons, fit Nino taquin.

- Euh, non. Pas vraiment, concéda Bélial.

- C'est pas grave. On en était où déjà ?

- Je sais plus trop. Je vous ai dis que je voulais me venger de mon père et c'est ce pourquoi j'ai fugué ?

- Non, tu ne me l'avais pas dis.

- Donc voilà. J'aimerais habiter chez vous un temps. Ici, on ne me trouvera pas. Comme ça, je pourrais préparer ma vengeance tranquillement.

- Et tu compte tuer ton père ?

- Oui.

- Avec quelle arme ? Demanda-t-il ironique en regardant la faux que Bélial avait posée à côté de lui sans même prendre le temps de la ranger.

- Vous voulez vraiment que je la prenne, hein ?

- Un cadeau ne se refuse pas, jeune homme, fit le vieillard en souriant moqueusement.

- D'accord, mais vous m'expliquez où est-ce que je pourrais trouver quelqu'un capable de manier ce type d'arme et qui pourrait m'apprendre ?

- Devant toi.

Bélial sembla surpris.

- Pardon ? cracha ce dernier sous le coup de la surprise.

- Je t'apprendrai. Je m'occuperais de tes entraînements personnellement. Mais avant d'apprendre à manipuler quoi que ce soit, tu vas devoir préparer ton corps.

- C'est à dire ?

- Un peu de musculation ne te ferait pas de mal, fit Nino en tapant le ventre plat du garçon. On commence demain.

Un peu surpris par la tournure que prenaient les événements, Bélial mit un peu de temps avant de répondre affirmativement à la proposition.

- Au fait, je voulais vous demander quelque chose, lança Bélial au vieillard.

- Quoi ? fit ce dernier en se retournant.

Bélial sortit la mèche de cheveux qu'il avait coupé la veille à sa mère et qu'il avait rangé dans sa poche.

- J'aimerais que vous me fassiez un bijoux avec ça en guise de pendentif, poursuivit le jeune homme.

- Un collier ? proposa Nino en saisissant la mèche de cheveux brune et ondulée dans ces doigts noueux.

- Oui, ou n'importe quoi d'autre. Juste un truc que je peux garder jour et nuit et qui est discret, si possible.

- Donc un collier, répéta le vieil homme. Tu veux un métal en particulier ?

- Non, tout me va. Ca ne vous dérange pas de me faire ça ? Déjà que vous m'offrez une faux et que je nepaye pas, je ne veux pas abuser.

- Si tu tiens tant à me payer, on trouvera un moyen, ne t'inquiète pas.

Il marqua une pause, triturant la longue mèche et reprit :

- Je ne pense pas que je pourrais mettre toute la mèche dans un pendentif. Je ne pourrais en utiliser que quelques centimètres uniquement. J'espère que tu ne m'en tiendras pas rigueur.

- Non, non. C'est vous l'expert, concéda Bélial.

- D'accord. Je pense faire une chaîne en or avec un pendentif ovale. Je coulerais de la résine sur la mèche pour la tenir et puis j'inscrirais le nom de ta mère ainsi que ses dates au dos du pendentif. Ça te va ?

- Oui. Je vous écris les dates maintenant ?

- Vas-y.

Nino tendit du papier et un crayon à Bélial qui écrivit les dates et le nom complet de sa mère. Le vieil homme lut rapidement le bout de papier avant de le poser à coté des boîtes contenant les pistolets, sur lesquelles la mèche de cheveux était poséee.

- Je me mettrais au travail dès ce soir et il sera terminé dans la semaine prochaine. Toi, tu t'entraîneras le matin et l'après midi, tu iras vendre des armes dans les beaux quartiers de la Capitale. On alternera les semaines de ménage, tu feras la vaisselle un jour sur deux pendant que moi je l'essuierai et vice versa. Je ferai les courses et essayerai de faire à manger du mieux que je pourrais, d'accord ?

- Pourquoi vous me dites ça ?

- Tu vas bien vivre ici un temps, non ? Alors on s'organise.

Bélial hocha la tête et accepta.

- En attendant mon garçon, fit le vieillard, tu prépareras les armes que tu voudras vendre cet après midi.

- Cet après midi ?! s'époumona Bélial.

- Bah oui. L'entraînement commence demain car la matinée est déjà bien entamée. Mais cet après midi, tu bosses. Comme ça, je m'occupe de la médaille souvenir.

Voyant que le vieux regagnait son tablier et sa forge, Bélial prépara les armes qu'il allait vendre cet après midi.


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top