23; Callie
A U P A R A V A N T
ON A MERDÉ. Oh, ça c'est clair à l'expression que nous affichons tous les deux. Reese est assis sur le siège passager et regarde par la fenêtre de l'automobile. Je n'arrive pas à décrypter son expression et ça m'effraie. Habituellement, il me suffit d'un coup d'oeil dans sa direction pour y voir ce qu'il pense et ce qu'il ressent. Sauf que là, c'est bien différent. Le visage de mon petit ami est de marbre et il m'est impossible d'y décoder quoi que ce soit. Cela fait dix minutes que le silence règne dans la vieille bagnole de mon père. Je n'arrive toujours pas à croire que c'est en train de nous arriver à tous les deux. On dirait le parfait scénario d'un film cliché pour adolescents. La vie allait bien, malgré les nombreux problèmes que rencontraient Reese avec son père. Seulement, c'était suffisant pour nous deux. On avait notre petit bonheur, la vie était belle. La simple idée de fuir Green Lake à nos dix-huit ans était suffisante pour nous mettre de bonne humeur et pour nous pousser à continuer. Malheureusement, le destin semble être déterminé à nous mettre des bâtons dans les roues.
Alors que j'en viens à me demander ce que j'ai bien pu faire pour en mériter autant, Reese se tourne vers moi. Je lève la tête dans sa direction et croise ses beaux yeux bleus. Il m'adresse un de ces regards remplis de tendresse qui me fait fondre le coeur. Sans crier gare, il m'attire vers lui et m'emprisonne dans ses bras. Je ravale quelques sanglots et réponds à son étreinte.
« - Si tu es... Enfin, peut importe ce qui arrive, je serai toujours à tes côtés.
- Tu sais que ce que tu affirmes est très grave. Si jamais tu me laissais seule... »
Je n'arrive pas à terminer ma phrase. Reese s'écarte légèrement de moi, sans pour autant me délaisser. Il prend mon visage entre ses mains et écarte quelques larmes qui coulent sur mes joues. Ça me prend quelques minutes avant que je ne retrouve la capacité de formuler des phrases correctement.
« - Si j'étais un garçon, je prendrais la fuite en apprenant ça.
- Mais, je ne suis pas n'importe quel garçon, Calliope. Je suis ton copain et je t'aime.
- Je ne te mérite pas, Reese, je murmure.
- Ne dis pas une chose pareil, s'il-te-plait.
- Je...
- Callie, je ne t'abandonnerai pas. Nous allons affronter cette épreuve ensemble, me coupe Reese.
- Cette épreuve c'est un bébé. Un bébé, Reese ! C'est un projet de vie ça. Nous sommes beaucoup trop jeunes pour envisager de pouvoir gérer une chose pareil. Tous nos plans tombent à l'eau, bon sang !
- Ce n'est pas certain, Callie. Peut-être est-ce seulement une fausse alerte. »
Reese essaie en vain de me réconforter. Il a peut-être raison, mais jusqu'à maintenant tous les signes semblent être là. Après tout, j'ai du retard dans mes règles et je me sens horriblement nauséeuse ces temps-ci. Comment avons-nous pu laisser une chose pareil arriver ? D'accord, cette fois nous avions un peu bu. D'accord, Reese a peut-être oublié de mettre un préservatif. Seulement, il m'est impossible de m'en souvenir. J'ai trop bu ce soir-là pour me souvenir de tous les détails de la soirée. Reese n'a pas cessé de me dire qu'il avait pris ses précautions, mais moi je n'en suis pas si certaine. Honnêtement, j'espère que Reese a raison dans sa version des choses, parce que sinon, c'est un bébé qui nous attend. Un bébé non-désiré que je n'ai pas envie d'élever. Avoir des enfants ne m'a jamais semblé être une chose nécessaire à mon bonheur. Je n'ai jamais envisagé en avoir. Peut-être qu'au tournant de la trentaine, l'idée deviendrait plus intéressante, mais jusque là, avoir des enfants dans le futur ne m'intéressait vraiment pas. Selon moi, il y a des gens qui sont faits pour ça et il y en a d'autre dont les projets d'avenir n'impliquent pas une ribambelle de gamin. Alors, pas étonnant que la simple idée d'en avoir à mon âge m'horrifie. Ce n'est pas comme si Reese et moi pensions à ça. Pour le moment, les seuls choses qui devraient nous inquiéter sont les examens de fin d'années. Rien de plus.
Je jette un coup d'oeil au test qui repose sur la banquette arrière. Mon avenir repose maintenant sur ce simple objet d'apparence banale. La vie est drôlement faite.
Mon petit ami surprend mon regard. Il jette un bref coup d'oeil au test, puis se retourne vers moi. À l'expression qu'il affiche sur le visage, je devine qu'il comprend ce que je comprend. Cette simple entente mutuelle m'apporte un peu de réconfort. Qu'est-ce que je ferais sans Reese McDonough ?
« - Allons chez toi, d'accord ? Je n'ai pas envie de passer ce test avec mon père, mon frère et ma soeur dans les parages, je suggère.
- Ouais, je n'ai pas trop envie de croiser ton père en ce moment.
- Est-ce que le grand Reese McDonough aurait peur ? je le taquine, un sourire en coin.
- Ça t'étonne ? Franchement, si ton père apprend que je t'ai peut-être mis enceinte, il va me castrer, puis me torturer, puis...
- Du calme, Reese. On se préoccupera de cela plus tard, d'accord ? Pour le moment, allons chez toi pour vérifier si c'est bel et bien vrai. »
Il hoche la tête, alors que je démarre la voiture les mains encore tremblante sous l'émotion. J'ai eu une longue journée à penser à la bonne manière d'annoncer à Reese mes craintes. C'est finalement avec une forte dose de courage et des supplications de la part de mon copain que j'ai fini par lui parler de mes inquiétudes. Lorsqu'il m'a demandé ce qui n'allait pas chez moi, je suis prête à parier qu'il ne s'attendait pas une réponse du genre. Voilà pourquoi il a semblé autant en état de choc lorsque je lui ai annoncé la mauvaise nouvelle. Ce n'est pas le genre de chose auquel on pense à notre âge. Ça ne devrait pas l'être.
Au bout d'une quinzaine de minutes, où seul le bruit du moteur et de la radio contrastent avec le silence, Reese décide de prendre la parole.
« - J'espère que mon père n'est pas à la maison. Je n'ai pas envie de voir sa sale gueule.
- Est-ce qu'il... Est-ce qu'il s'est passé quelque chose récemment dont tu voudrais me parler ? » je lui demande, inquiète.
Il évite mon regard. Ce n'est jamais bon signe lorsqu'il commence à agir de la sorte. Cela fait neuf mois que nous sommes ensemble et il a toujours beaucoup de difficulté à s'ouvrir au sujet de son père. Certes, je suis consciente que ce n'est pas un sujet très facile à aborder, mais je crois que ça ne ferais pas de mal d'en parler un peu. Cet homme qui lui sert de père et que tout le monde idolâtre est un véritable monstre. Je le vois aux traces qu'il laisse sur le corps de Reese. Ce-dernier semble éviter d'en parler, mais les bleus sont partout sur son corps pour démontrer la violence dont il est victime à la maison. Pas étonnant que Reese ait toujours été quelqu'un de pudique qui ne retire pas ses vêtements fréquemment. D'une certaine manière Reese protège son père en cachant ses bleus. Il est beaucoup trop effrayé de ce que son géniteur pourrait faire si tout venait à se savoir. Reese a peur de son père, l'homme qui est supposé lui servir de modèle J'ai de nombreuses fois essayé de lui en parler, mais à chaque fois Reese orientait la conversation autrement. Je dois avouer que moi aussi, j'ai peur. J'ai peur pour Reese, surtout que je suis convaincue que le cadet des McDonough est le souffre-douleur du père de famille. La plupart du temps, Reese intervient lorsque sa mère ou sa soeur est victime et il en subit toutes les répercussions. Également, mon petit ami est souvent la première personne à subir les foudres d'Alexander McDonough. Lorsque ce-dernier revient de la maison après une mauvaise journée, c'est généralement sur son fils qu'il se défoule en premier. J'ai déjà demandé à Reese depuis combien de temps c'était comme ça et il a refusé de me répondre. Seulement, j'ai compris à l'expression qu'il affichait à ce moment-là. Si ça se trouve, Reese n'a jamais connu son père autrement.
Tout en gardant une main sur le volant et les yeux sur la route, je glisse ma main droite dans celle de mon copain. Il lève les yeux dans ma direction.
« - Je ne l'avais jamais vu aussi violent. Il... Il utilise rarement sa ceinture, mais hier...
- Sa ceinture ? Est-ce qu'il... Reese ! Pourquoi ne m'en as-tu pas parlé plus tôt ?
- Qu'est-ce que ça aurait changé ? me demande-t-il en un murmure.
- On doit faire quelque chose. Il faut que ça s'arrête.
- Quoi, donc ? Ma mère lui a déjà suggéré d'aller en désintox et elle s'est retrouvée avec deux côtes cassées. Je n'arrive toujours pas à croire que les médecins aient gobé qu'elle avait trébuché dans les escaliers. Ce qu'ils peuvent être bêtes ! »
Un bref silence s'installe dans l'air. J'ignore si Reese réalise à quel point sa famille n'a pas de sens. Peut-être est-il tellement habitué à vivre dans ce bordel qu'il en vient à oublier qu'il pourrait avoir mieux. J'essaie tellement de comprendre pourquoi il ne dit rien, pourquoi sa famille s'acharne à cacher cette horrible réalité, mais j'en viens à la conclusion qu'ils sont tous effrayés. Ils sont tous beaucoup trop effrayés pour crier haut et fort ce qu'ils doivent endurer tous les jours.
« - Il a frappé ma soeur au visage. Ça ne lui était jamais arrivé avant. En y repensant, ça ne lui était jamais arrivé de vider sa bouteille de vodka. Je crois qu'il perd de plus en plus les pédales.
- Est-ce que tu as peur ? »
Il reste silencieux un moment, le vrombissement du moteur nous empêchant d'être dans le silence complet.
« - Oui. Oui, j'ai peur.
- As-tu envie que tout ce bordel s'arrête ?
- Bien sûr que j'en ai envie ! Parfois, j'imagine qu'il ne revient jamais du bureau. Je vois les policiers débarquer pour nous annoncer qu'il a eu un terrible accident. D'autres fois, j'espère que l'alcool finissent par le tuer. Ça serait un peu ironique tout de même. D'autres fois... »
Il s'arrête et me regarde longuement. Reese semble mesurer chacune de ses paroles, comme s'il avait peur de se confesser à moi. C'est plutôt étrange, car généralement il n'hésite pas une seule seconde.
« - Parfois... Parfois je me vois agripper cette vieille carabine qui croupit dans la poussière du grenier et...
- Oh. »
Je n'ose plus parler, Reese non plus. Le reste du trajet se déroule alors dans le silence. Au bout d'une dizaine de minutes la silhouette de l'immense manoir familial se dessine à l'horizon. La vieille bagnole de mon père se retrouve bien assez vite garée dans l'allée qui mène à la demeure. Sans un mot, je me glisse hors du véhicule, très vite imitée par mon petit ami. Je cache le test sous mon chandail et remonte l'allée qui mène au manoir des McDonough. À quelques pas de l'entrée seulement, Reese m'attrape par le bras et me force à m'arrêter. Je le dévisage, alors qu'il m'attire contre lui. Il m'emprisonne de ses bras, sa bouche tout près de mon oreille.
« Peut importe ce qui arrive, tout ira bien. » murmure-t-il.
Et jusqu'à ce que nous soyons à l'intérieur de la maison, il ne cesse de murmurer ses paroles. Tout ira bien. Tout ira bien. TOUT IRA BIEN. Honnêtement, je crois qu'il répète ces mots comme on chantonne une berceuse qui nous calme. Reese trouve le moyen de se rassurer en prononçant ces mots. À vrai dire, rien ne semble aller. La vie semble prête à nous mettre des bâtons dans les roues à tout moment. Le père de Reese, le bébé... Si ça continue ainsi, il y a de forte chance que Reese et moi ne quittions jamais cette ville de merde. Le destin semble s'être entendu pour dire que ni Reese, ni moi ne méritons de vivre de manière calme et paisible.
Un drôle de silence règne alors que nous franchissons le cadre de la porte. Je fronce les sourcils et échange un regard avec mon copain qui semble tout aussi étonné que moi. Il est rare que la maison soit dans un calme pareil. La plupart du temps, c'est le bruit de vaisselle cassée ou les disputes qui règnent dans la demeure familiale. Sauf que là, c'est différent. Un frisson parcours mon échine, alors que nous traversons le séjour.
« - C'est étrange, je murmure.
- Ouais et je n'aime pas ça. »
Il regarde dans les pièces du rez-de-chaussée, histoire d'y trouver un membre de sa famille. Rien. Reese se retourne face à moi et plonge ses beaux yeux dans les miens. L'inquiétude est lisible dans son regard. Reese a raison de s'inquiéter. Ce n'est pas un silence normal, c'est un silence étrange. Vous savez, celui qui nous donne ce mauvais pressentiment ? Eh bien, il semble omniprésent dans la pièce.
« - Peut-être qu'ils sont sortis ? je suggère.
- Non, ça ne leur arrive jamais. Mon père sort uniquement pour aller à des festivités qui lui implique d'exposer sa fortune au monde entier. Seulement, il n'y en a pas ce mois-ci, m'explique Reese.
- Et si... Et si ta famille avait eu envie de faire différent ? Peut-être qu'ils ont eu une envie subite d'aller manger au restaurant et qu'ils...
- Callie, me coupe Reese. C'est impossible.
- Alors où sont-ils ?
- Je l'ignore.
- Peut-être qu'ils sont à l'étage, dans le salon.
- Peut-être bien, marmonne mon copain sans grande conviction.
- Tu devrais aller vérifier, Reese. Juste au cas où.
- D'accord, j'y vais.
- Pendant ce temps, je vais aller passer le test. »
Je m'apprête à tourner les talons, lorsque Reese m'agrippe de nouveau par la main et me fait pivoter face à lui. Je fronce les sourcils, mais mon expression s'adoucit lorsqu'il dépose un baiser contre mon front. Je le dévisage, un sourire en coin, alors qu'il s'écarte doucement.
« - C'était en quel honneur ? je le taquine.
- Ça, c'est parce que je t'aime. »
Avant que je n'aie le temps de répondre, Reese se penche vers moi et pose ses lèvres sur les miennes.
« - Ça c'est parce que, aussi niais que ça peut sonner, tu me rends heureux, Calliope. Je suis terriblement amoureux de toi, tu sais. En fait, oui, bien sûr que tu le sais. Je dois te l'avoir dit un million de fois. Ce que j'essaie de dire c'est que malgré tous les obstacles qu'on va rencontrer, je vais continuer de t'aimer et de t'aimer encore. Tu risques de ne jamais parvenir à te débarrasser de moi.
- Oh, ayez pitié de moi. »
Il sourit.
« - Hé ! Ne m'interromps pas. Ce que je veux dire...
- C'est que tu m'aimes à la folie, j'ai compris ! Moi aussi, Reese.
- Tu n'aimes pas mon petit discours improvisé ? Je suis vexé, figure toi ! plaisante-t-il.
- C'est ce que je vois.
- Ça commençait à devenir un peu niais, tu ne trouves pas ?
- En effet. Tu peux simplement dire je t'aime et je comprends l'essentiel du message.
- Tant mieux, parce que j'avais de la difficulté à improviser sur le coup. Tu ne sais pas à quel point tu viens de me simplifier la vie en me disant ça. Je suis carrément nul en impro.
- Sans blague.
- Hé ! » proteste-t-il, faisant mine d'être vexé.
Je rigole, un rire vraiment léger parce que je sais que malgré nos plaisanteries, nos problèmes ne sont pas réglés. Tant que je ne connaîtrai pas le résultat de ce test, il me sera impossible de dormir la nuit. Le résultat est beaucoup trop déterminant pour mon avenir pour que ça reste ignoré.
Je m'éloigne de Reese, me dirigeant vers la salle de bain. Quant à lui, il monte les marches une à une comme s'il appréhendait ce qu'il allait découvrir à l'étage. Avant qu'il ne disparaisse complètement, je l'entends s'exclamer :
« Je t'aime, Calliope ! »
Puis, c'est le silence. Les mains tremblantes, je me glisse dans la salle de bain avec le test. Oui, le test dont ma vie dépend, celui qui m'apportera la réponse à ma question, qui déterminera peut-être ce qui en est de mon avenir.
Sans tarder, je ferme la porte.
✖️
Salut ! Voici le premier chapitre flashback. Pour l'instant, il ne se passe pas grand chose, mais ça viendra dans les prochains chapitres. D'ailleurs, je crois qu'au lieu de faire deux chapitres flashback, j'en ferai trois. Donc, il reste deux chapitres de flashback hehe. Oupsss :3
➰ Selon vous, Callie est-elle vraiment enceinte ?
➰ Êtes-vous d'accord avec le fait que la famille McDonough cache les problèmes d'alcool du père ? Pourquoi ?
➰ Que pensez-vous de Reese dans ce chapitre ? Ses blessures, ses envies que tout ça s'arrête, etc.
➰ Que pensez-vous de Callie ?
➰ Qu'avez-vous demandé pour Noël ?
➰ Vos prédictions (sur l'histoire) ?
J'espère que vous avez apprécié ce chapitre. En tout cas, ça m'a fait plaisir de l'écrire. :)
Pour ceux qui sont déjà en vacances, j'espère que vous en profitez. Et pour les autres qui ne finissent que le 23 décembre, comme moi, courage ! Faut pas lâcher, hein. Bientôt c'est Noël !
marianne.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top