06; Reese
MA PREMIÈRE NUIT chez Annie et Moira McDonough est terrible. Je ne cesse de me retourner dans mon lit, n'arrivant pas à fermer l'œil. Est-ce normal que je ne me sente pas en sécurité ici ? Pourquoi ces deux femmes ne veulent rien me dire sur mon passé ? Est-ce de la méchanceté ou de la crainte ? Qu'y-a-t-il de si terrible que l'on me cache ?
Allongé dans mon lit, je fixe le plafond. Les murs de la pièce sont peints d'un horrible jaune paille agressant pour les yeux. Les meubles sont en bois et ne contiennent quasiment rien. Annie m'a promit d'y remédier. J'imagine déjà les vêtements qu'elle souhaite m'acheter : des mocassins, sans aucun doute. Pire encore : des polos ou des chemises. Je ne devrais pas être capricieux à ce point, après tout elle m'accueille dans sa maison, mais je suis convaincu que ce n'est pas le type de vêtement que je portais auparavant. Comment pourrais-je porter des polos et des mocassins, bon sang ?
Je me retourne sur la droite, là où se trouve une fenêtre me donnant vue sur la rue. Je jette un coup d'œil au réveil-matin qui se trouve sur la table de chevet. Il affiche deux heures du matin. Dans un grognement, je me lève, quittant mes couvertures. Je ne suis vêtu que d'un caleçon et d'un t-shirt gris. J'ignore à qui appartient le t-shirt que je porte. Peut-être au père de Moira ? Ou au copain d'Annie ? J'ai tout de même été surpris que la femme qui m'accueille chez elle me laisse dormir ainsi. Elle semble assez pudique.
« La nuit prochaine je dormirai nu, histoire de lui foutre la chienne. Qui sait, c'est peut-être une manière d'invoquer Satan. » je marmonne pour moi-même.
Je quitte la chambre en faisant le moindre bruit possible. C'est plutôt facile, vu la façon dont je suis affreusement mince. Je baille et passe une main dans mes cheveux bruns avant de longer le couloir qui me fait face. La chambre de Moira est en diagonale de la mienne et celle d'Annie est au bout du couloir, juste à côté de la salle de bain. Je m'avance vers cette-dernière, le plancher grinçant légèrement sous mon poids. De la lumière émane de la petite pièce. J'ouvre la porte qui se trouve à ne pas être verrouillée. C'est alors que je tombe sur Moira, vêtue d'un pyjama de couleur rose bonbon. Ses cheveux blonds sont regroupés en un chignon négligé. Elle sursaute en m'apercevant.
« - Reese ! Qu'est-ce que tu fais là ?
- Je n'arrivais pas à dormir. » je réponds en haussant les épaules.
Moira plisse les yeux se demandant sûrement si je dis la vérité ou non. Elle semble me croire au final, puisqu'elle hoche la tête.
« - Tu devrais retourner te coucher, Reese. Tu as grandement besoin de sommeil, chuchote-t-elle en jetant un coup d'œil à la porte fermée de la chambre d'Annie.
- Ça te dirait de me faire visiter la ville ? je demande en ignorant son commentaire.
- Tu es cinglé ou quoi ? Le couvre-feu est à vingt-et-une heure ! J'ai cours demain. Tu as déjà oublié ?
- Ah oui, c'est vrai ! J'ai tendance à oublier ces derniers temps. Pardonne-moi, je rétorque sarcastiquement.
- Tu n'es pas drôle, Reese. Et tu sais très bien ce que je veux dire.
- À moins que ce ne soit toi qui n'ait pas le sens de l'humour. » je réponds, un sourire en coin.
Moira fronce les sourcils. Décidément elle n'est pas de très bonne humeur cette nuit. Je m'appuie contre le cadre de la porte, un air de défi dans le regard. J'essaie d'avoir l'air crédible, mais j'échoue visiblement puisqu'elle me dépasse de quelques centimètres. Il n'y a rien de plus humiliant que d'être plus petit qu'une fille. Enfin, selon moi.
« - Et toi, que fais-tu debout à cette heure ?
- Je faisais mon petit pipi nocturne, tu vois ? répond Moira.
- Intéressant. Tu veux m'en dire plus ? »
La jeune fille aux cheveux blonds roule des yeux avant de se diriger vers le couloir dans le but de m'esquiver. Je me pousse vers la gauche, insistant.
« - Reese...
- Allez, s'il-te-plait ! Je veux visiter Green Lake, je la supplie.
- Et pourquoi à deux heures du matin ? Je suis certaine que ma mère nous laissera visiter après les cours, demain.
- Il n'y aura personne à cette heure, et puis je n'arrive pas à m'endormir. Qui sait, peut-être que l'on pourrait retrouver cette complicité que l'on avait autrefois ? »
Cela semble la convaincre. Parfait ! Je ne compte pas vraiment retrouver cette "complicité" perdue avec Moira, mais peut-être que cette petite balade m'aidera à savoir si je peux lui faire confiance ou non. Et puis, qui sait ? Me promener dans ma ville natale pourrait réveiller des souvenirs. C'est bien ce que j'espère.
La blondinette se mord la lèvre inférieure, hésitante. Elle jette un nouveau coup d'œil à la chambre de sa mère.
« - Bon, c'est d'accord. Mais, on fait ça vite !
- Merci. »
Je le pense vraiment. J'imagine que Moira n'est pas habituée d'enfreindre les règles. Je me demande si c'est mon cas. Néanmoins, c'est la blondinette qui risque le plus. Je suis certain qu'Annie m'accorderait son pardon simplement en raison de ma condition. Mais, Moira... J'en doute.
« Donne-moi deux minutes. Je vais me changer. » déclare Moira.
La blondinette me dévisage de la tête au pied, avant de poursuivre, un sourire sur les lèvres :
« - Tu devrais faire de même, non ?
- Tu es certaine ? Un de mes plus grands fantasmes est de me promener en caleçon dans la rue.
- Tu sais être sérieux ? me sermonne Moira en me contournant.
- Seulement quand ça me chante, je rétorque.
- Allez, bouge tes fesses. »
Je fais une petite révérence, histoire de lui faire comprendre que je me moque librement d'elle. La jeune blondinette m'ignore et se dirige vers sa chambre. Elle referme sa porte dans un petit grincement qui me contracte la mâchoire. Je m'enferme à mon tour dans la... ma chambre. Je l'ai détestée dès que je l'ai vue. Le jaune me fait saigner des yeux et les meubles ne s'accordent pas vraiment avec la pièce. Ils lui donnent plutôt un allure austère. Aussi austère qu'Annie McDonough.
J'enfile le même pantalon que la veille. Il s'agit d'une vieille paire de jeans que l'hôpital a donné à celle qui m'héberge. Pas mal. J'évite simplement de penser à qui a bien pu porter ce pantalon, autrefois.
« Allons-y. » me dit Moira lorsque je fais mon apparition dans le corridor.
Je la vois agripper les clés de la voiture d'Annie, nerveusement. Puis, elle enfile sa veste en denim et m'attrape par le bras. D'un pas léger, nous quittons la maison.
• •
La visite se concentre principalement sur le centre-ville de Green Lake. C'est là où se trouve l'épicerie, l'église et le parc. Quelques boutiques fermés s'y trouvent également. À ma grande surprise, je constate que quelques personnes se promènent ici et là. La plupart sont des adolescents de mon âge, emmitouflés dans leur manteau. Voici la population rebelle de cette misérable petite ville.
« - Vous n'êtes pas si coincés que ça, ici, je déclare un sourire sur les lèvres.
- Le véritable Reese n'aurait jamais dit ça de sa ville natale, rétorque Moira légèrement offusquée.
- Peut-être que oui. »
Moira s'interrompt dans sa marche. Elle me jette un coup d'œil, décontenancée. J'imagine que dire du mal de Green Lake est mal vu par ici. J'ignore encore si tous les habitants agissent de la même manière que Moira, mais une chose est certaine : cette ville n'est définitivement pas normale.
« - Je suis bien placer pour le savoir, Reese.
- Comment puis-je te faire confiance ?
- Reese, nom de Dieu ! Nous étions les meilleurs amis du monde auparavant. Je n'arrive pas à croire que tu remettes ma confiance en doute, s'exclame la blondinette, dégoûtée.
- J'aimerais simplement comprendre. Ta mère et toi agissez comme si j'étais parfaitement normal. Ce n'est pas le cas ! Je suis amnésique. Combien de fois devrais-je le dire ? »
Je passe une main dans mes cheveux bruns foncés histoire de me calmer. J'ignore de quoi est capable Moira et je ferais bien d'éviter de m'attirer ses foudres. Cette-dernière fronce les sourcils et me dévisage comme si j'étais un étranger. C'est peut-être le cas. Et si tout cela était un mensonge ? Et si on m'avait faut croire que je m'appelais Reese et qu'on me connaissait bien ? C'est peut-être un canular. Rien de tout ça n'est forcément vrai.
Je me secoue la tête dans l'espoir de chasser ces pensées morbides.
« Arrête de te comporter comme un gamin capricieux, d'accord ? Ton père aurait eu honte de ton comportement actuel. »
Je reste muet, fixant mes chaussures. Ma petite cousine soupire et puis, c'est le silence que nous offre la nuit qui s'infiltre dans l'air. Nous continuons donc notre promenade dans les rues de Green Lake, sous le regard de certains passant. La plupart me dévisage et se mettent à chuchoter avec leur compagnon. Le froid m'envahit de partout, mais je continue de marcher la tête haute.
Au bout de quelques minutes, Moira rompt le silence en me racontant l'histoire de Green Lake :
« - La ville a été fondée par deux anglais d'origine irlandaise vers la fin du dix-huitième siècle. Le but principal était de faire de Green Lake une puissance économique.
- Ça n'a pas marché, j'imagine, je murmure.
- Détrompe-toi. La ville a longtemps été numéro un dans la vente des produits forestiers. Ce que je peux te dire c'est que ton père a valorisé l'économie de la région avec son entreprise, ces dernières décennies.
- Son entreprise ? »
C'est étrange de penser à mon père. D'une certaine manière, c'est comme si je n'avais pas de parents. Je pourrais presque croire que je suis apparu sur la terre comme ça. Après tout, je n'ai aucun souvenir de mes géniteurs. De quoi avait l'air mon père ? Me ressemblait-il ? Était-il un homme bon ? J'aimerais tant le savoir, mais, évidement, ce n'est pas avec Moira que j'en saurai plus. Tout ce qu'elle semble intéressée à me dire se résume à "Green Lake est formidable". Waouh, merci de l'aide.
« - Ton père était le chef d'une entreprise spécialisée dans le commerce du bois, répond Moira d'un air nostalgique.
- Ah, je vois.
- Est-ce que je pourrais voir la maison de mon enfance ? J'imagine qu'elle n'est pas très loin. »
Le regard de Moira s'assombrit. Elle fixe ses pieds, évitant à tout prix de rencontrer mon regard.
« - Il n'y a plus de maison, Reese. Tout est parti en fumée.
- Absolument tout ? Tu en es certaine ?
- Puisque je te le dis. » rétorque-t-elle, en soupirant.
Je la dévisage, supris par son caractère. Elle se la jouait plutôt sympa à l'hôpital et voilà qu'elle semble décourager de ma présence. J'imagine que je pose trop de questions. Pourtant, c'est le prix à payer pour héberger un adolescent amnésique.
Moira se mord la lèvre inférieure et jette un coup d'oeil au côté opposé de la rue. Elle semble fixer une personne en particulier, mais je n'arrive pas à apercevoir son visage en raison de son immense capuche qui lui tombe devant les yeux. Par contre, je peux facilement deviner qu'il s'agit d'un homme si je me fis à sa silhouette.
« Reese, c'est toi ? » fait une voix près de moi.
Je me tourne vers la droite, très vite imitée par mon chaperon. Je tombe alors sur un visage qui ne m'est pas familier. Ce n'est pas la fille qui a pris la fuite à l'hôpital... Ce n'est pas Callie Miller. Non, celle-ci est différente. Sa peau est beaucoup plus foncée et ses yeux sont presque deux trous noirs. Ses cheveux sont coupés au niveau de ses épaules et forment de petites boucles noirs. L'adolescente est plus petite que moi de quelques centimètres, mais son âge est similaire au mien. Elle est accompagnée d'un garçon plus âgé qui ne cesse de me lancer des regards menaçants.
« C'est incroyable ! Les rumeurs sont donc vrais. »
La jeune femme plisse les yeux et me regarde. Moira semble tendue. Sa main est toujours posé sur mon avant-bras de manière protectrice. Je déteste cela.
« - Oh, c'est vrai. On m'a dit que tu étais amnésique. Je m'appelle Rhéa. Rhéa Javali, me confit-elle en souriant.
- Euh, enchanté ? Nous étions de bons amis ou...
- Même pas en rêve ! » répond Moira, de la méchanceté dans sa voix.
Je jette un coup d'œil à Rhéa qui semble peu surprise du comportement de ma petite cousine. Serait-ce la vraie Moira qui se réveille ? Cette-dernière lance à Rhéa un regard noir, n'exprimant que de la haine à son égard. Visiblement, ces-deux là ne sont pas de bonnes amies.
« - En fait, Reese, tu étais un peu ami avec tout le monde, m'explique la fille aux cheveux noirs, ignorant les piques que lui lancent Moira.
- Je devais être génial, dans ce cas, je me moque.
- Oh pour l'être, tu l'étais ! » rigole Rhéa, à son tour.
Elle attrape la main de son camarade baraqué et ce-dernier s'adoucit aussitôt. J'hausse les sourcils, un peu surpris. Comment ne pas l'être ? Cette fille semble douce comme un agneau et elle sort avec un gars qui m'inspire totalement le contraire.
« - Callie doit être bouleversée de te revoir, murmure Rhéa en secouant la tête.
- Callie ? Callie Miller ?
- Oui... Tu l'as oublié, pas vrai ? demande la jeune femme, une pointe de tristesse dans sa voix.
- Qui est-elle ? Enfin, qui était-elle à mes yeux ? »
Rhéa s'apprête à répondre, mais Moira décide de s'en mêler. Cette-dernière me tire dans sa direction.
« Ok, ça suffit ! »
Elle m'entraîne avec elle dans sa course précipitée. Je n'ai pas le temps de saluer Rhéa et son copain que je me retrouve assis sur le siège passager de la voiture de Moira. Elle n'a pas eu besoin de beaucoup de force pour m'entraîner jusque là : je suis affreusement mince.
« - C'était quoi, ça ? je m'exclame, mécontent.
- Ça, c'était une tentative de te sauver la peau.
- De me sauver de quoi, exactement ? »
Moira soupire au même moment où elle insère ses clés dans le démarreur. Je la dévisage. Peut-être est-elle folle ? Peut-être croit-elle que nous sommes dans un James Bond et que Green Lake est en réalité Skyfall.
« Reese, si j'ai fait ça, c'est pour ton bien. S'il-te-plaît, ne m'en veut pas. » murmure-t-elle, si bas que je peine à la comprendre.
Je soupire à mon tour et m'adosse contre le siège passager. Le cadrant affiche trois heures et demi du matin. J'aurais aimé avoir un meilleur aperçu de la ville, mais décidément c'est trop demander à Moira. Cette fille ne voudra jamais m'en dire plus sur mon passé. Je devrai trouver des réponses autrement. Si seulement j'avais eu quelques minutes supplémentaires pour discuter avec Rhéa...
Je boucle ma ceinture de sécurité, ma colère diminuant peu à peu. Je remarque alors ma petite lanière de cuir entourée à mon poignet. Elle s'est détachée. Délicatement je l'agrippe et l'approche de mon visage. Ce n'est sûrement pas du cuir de qualité, mais ça peut très bien signifier quelque chose. Je retourne la lanière et tombe sur une inscription au marqueur. Pourquoi ne l'ai-je pas remarquée plus tôt ? Il est inscrit " C + R ". R pour Reese ? Et C pour... Callie ? Se pourrait-il qu'elle et moi étions bien plus, autrefois ?
Moira tourne la clé dans le démarreur et soudain, la voiture nous fait part de son ronronnement. La blondinette jette un coup d'oeil au rétroviseur avant de murmurer :
« Fin de la visite. »
✖️
Salut !
Alors, premièrement, désolée de l'attente. J'ai eu des trucs scolaires assez importants et des projets par millier. Ces derniers temps tout ce que je veux faire c'est m'enfermer dans ma chambre, mettre ma musique au maximum et écrire. Pour le moment, Reese et Callie sont mes bouées de sauvetage. Ils me permettent de me vider la tête. Merci à vous tous d'être présents à chaque chapitre ! Vos commentaires m'arrachent des sourires à chaque fois.
➰ Que pensez-vous du comportement de Moira ?
➰ Vos premières impressions sur Rhéa ?
➰ Vos prédictions ?
Ayant un peu de sang irlandais, je me dois de souhaiter une bonne Saint-Patrick (en retard) aux irlandais et aux descendants de ceux-ci :)
Marianne.
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