05; Reese
MOIRA ME FIXE, un sourire sur les lèvres. J'ai l'impression qu'elle m'a regardé de la sorte toute la nuit. Ses longs cheveux blonds sont regroupés en une natte, laissant quelques mèches rebelles s'échapper. Avec son sourire angélique et ses yeux bleus pétillants, je n'ai pas encore déterminé si je lui fais confiance ou non. Après tout, j'ai toutes les raisons de me méfier. Qui ne profiterait pas d'un pauvre petit garçon amnésique ?
« Nous avons une très bonne nouvelle pour toi, Reese ! » m'annonce la mère de la jeune blondinette, Annie.
Je lève les yeux vers cette-dernière, debout devant mon lit d'hôpital. Elle a le même chignon stricte que la veille, mais - heureusement - elle a retiré son horrible manteau de fourrure.
« - Tu peux retourner à la maison ! s'exclame Moira, excitée.
- Moira ! Que t'ai-je dit ? Calme-toi.
- Oui, désolée. Je me suis emportée, maman.
- La... maison ? je demande, perplexe.
- Green Lake. » ajoute Moira en hochant la tête.
Je suis heureux de pouvoir quitter ce maudit hôpital. Je déteste les prises de sang qu'on me fait prendre et le personnel médical qui se trouvent là. Lorsque je verrai Jane, je lui annoncerai la nouvelle. Je suis certain qu'elle sera triste de mon départ. Mes blagues "nases" lui manqueront sans aucun doute.
Moira me prend la main et m'observe d'un œil bienveillant. Son visage semble plein de compassion et de gentillesse que j'en viens à me demander si j'ai raison de douter de sa franchise.
« Qu'en est-il de mes parents ? Je dois bien en avoir. Les bébés ne se font pas en claquant des doigts, je me trompe ? » je questionne, un sourire en coin.
Les deux femmes se regardent tristement. Moira perd alors son énergie et affiche un petit sourire triste. Quant à Annie, elle s'approche davantage de moi et me regarde profondément dans les yeux. Elle prend une bonne respiration avant de m'annoncer :
« Tes parents sont morts, Reese. »
Je ne réagis pas. Je sais que pour le Reese d'avant cette nouvelle pourrait être dévastatrice, mais, à présent, je n'ai aucun souvenir d'eux. Impossible pour moi de ressentir plus qu'un pincement au cœur. D'accord, je devais tenir à eux. Ce sont mes parents, bon sang ! J'ignore quel genre de personne ils étaient. Peut-être étaient-ils très charitables ? Ou bien peut-être étaient-ils horribles ? Aucune idée.
« - Quand sont-ils morts ?
- La veille de ta disparition. Il y a eu un énorme incendie dans votre demeure. Ta... Ta sœur est également décédée dans l'incendie, répond Moira avec hésitation.
- Attends, j'avais une sœur ?
- Oui, une sœur aînée. Charlotte McDonough. »
Oh bon sang.
C'est une histoire de cinglé. Mes parents ainsi que ma sœur sont morts dans un incendie. Le Reese d'autrefois serait sûrement profondément blessé par cette nouvelle. Il ferait carrément une dépression, j'en suis certain. Et puis, il y a moi, complètement paumée et amnésique. Comment puis-je réagir à cela ?
Je me mets alors à dévisager les deux femmes qui se tiennent à mes côtés. Si mes parents sont morts... Cela veut-il dire que Moira et Annie sont ma seule famille ? Vais-je devoir vivre avec ces deux femmes ?
Je décide de leur demander et Annie me réponds qu'elles m'hébergeront dans la chambre d'ami.
Génial, n'est-ce-pas Reese ?
« Est-ce-que je devrai... Hum, prier ? » je demande en désignant le crucifix dans le cou de la femme.
Moira et sa mère s'échangent un drôle de regard. D'un geste de la main, Annie agrippe son collier, comme pour le protéger. Ses pommettes s'enflamment légèrement, mais elle parvient à rester calme.
« Tu n'es obligé à rien, mon cher. Tu dois seulement savoir qu'autrefois, prier faisait parti de ton quotidien. » me dit-elle d'une voix ferme.
Je fronce les sourcils, jouant avec la lanière de cuir qui se trouve autour de mon poignet. C'est tout juste si elle me coupe la circulation sanguine.
J'ai de la difficulté à croire Annie. Elle peut très bien me raconter n'importe quoi sur mon passé, si ça l'arrange. Il est facile de manipuler un garçon complètement paumé.
« - Vous êtes quoi, au juste ? Des catholiques, pas vrai ?
- Seigneur, non ! Nous sommes protestants, s'exclame Annie, outrée.
- Ah bien sûr. J'avais complètement oublié. Une seconde... Ah mais oui ! J'ai perdu la mémoire. Pardonnez-moi. » je plaisante.
J'ai la désagréable surprise de constater que ma petite blague ne semble pas être la bienvenue. Les deux femmes me dévisagent comme si l'humour est la dernière chose à laquelle elle souhaite penser. J'imagine que le sens de l'humour n'est pas un trait de caractère qu'elles affectionnent. Ça c'est pas de chance.
« Je vais aller régler de la paperasse avec le Dr Duncan. En attendant, Reese, tu peux enfiler les vêtements que je t'ai trouvé. Ils sont sur la commode. » déclare Annie en se dirigeant vers la sortie.
Ses talons hauts claquent sur le plancher de marbre et d'un pas déterminé, la femme d'âge mûr se retrouve bien assez vite hors de la pièce. Une fois assurée qu'elle n'est plus là, je me lève hors du lit, sous le regard compréhensif de Moira. Cette-dernière se lève à son tour et s'avance vers moi.
« - La plupart des habitants de Green Lake ont cru que tu étais mort dans cet incendie. Cependant, on n'a pas retrouvé de quatrième corps. L'hypothèse la plus courante était que tu avais réussi à échapper à l'incendie et que tu avais fuis par la forêt.
- Je vois. »
C'est la seule réponse qui me vient à l'esprit après ce genre d'annonce.
Moira affiche un petite sourire sur ses lèvres. Elle se rapproche encore, au point que je remarque sans aucun doute qu'elle est plus grande que moi. Elle a également quelques taches de rousseur sur les joues. La jeune blondinette se penche vers moi et dépose un baiser sur mes joues. Je ne bouge pas, prit par surprise.
« Allez, je vais t'attendre de l'autre côté. » décide-t-elle en se reculant.
J'hoche la tête, encore un peu sonnée. C'était quoi, ça ? Une marque d'affection entre petits cousins ? Moira me paraît encore plus louche, dorénavant. Était-elle aussi proche de moi qu'Annie l'avait laissé croire ? Une fois à Green Lake, je pourrais peut-être obtenir des réponses. Et là, je pourrais véritablement avoir la certitude qu'on ne se fout pas de ma gueule.
• •
Green Lake est une petite ville assez miteuse. Isolée de ses compères grâce à une énorme forêt de conifères, elle donne l'impression d'être plutôt conservatrice. Vous savez, ce genre d'endroit où on est fier d'être une possession anglaise ? Les vieilles valeurs conservatrices... J'imagine que tous les habitants ressemblent à Annie et à sa fille. Toute la ville doit aller à l'église le dimanche, sur leur trente et un.
Alors qu'Annie est au volant de sa voiture et roule dans ce que j'imagine être le centre-ville, j'observe ce qui s'apprête à être mon quotidien. Le centre-ville se résume à une épicerie, un parc, quelques boutiques et... une église. Sans blague.
« - Est-ce que j'ai vraiment vécu dans cette ville autrefois ? Vous êtes certaines que c'est ici ? Moi, je dirais plutôt que je viens de Londres. À la limite, je dirais de Glasgow.
- Tu as passé tes dix-sept années de vie ici, Reese, m'explique Moira depuis le siège conducteur.
- Peut-être que tu retrouveras la mémoire à force de te promener en lieu familier. » ajoute Annie.
J'hoche la tête, même si l'envie n'y est pas. En voyant ces vieilles rues aux trottoirs de pierres et cet allure austère, j'ai bien envie de me prendre un billet d'avion pour Londres. Comment le Reese d'autrefois a bien pu vivre dix-sept ans dans cette ville ? Pas étonnant qu'il se soit tiré ! Green Lake ne m'inspire pas beaucoup.
Je passe une main dans ma chevelure brune, nerveusement, lorsque nous quittons le centre-ville pour nous engager sur un autre chemin. Nous débouchons alors sur un petit quartier résidentiel aux allures plutôt... normales. C'est déjà plus rassurant.
Annie se gare devant une petite maison de style victorien. Une énorme colonne se dresse à l'avant de la maison, me rappelant une tour de château comme à l'époque médiévale. La demeure de Moira est beaucoup plus grosse que la moyenne. Ce n'est pas un château, ni un manoir - loin de là - mais c'est suffisamment imposant pour se demander ce que font ses résidents.
« - Reese ! Tu peux sortir de la voiture, tu sais ?
- Hum... Ouais, t'as raison. » je réponds en fronçant les sourcils.
J'obéis aux ordres de Moira et me retrouve bien assez vite sur la pelouse recouverte d'une légère givre. Certains voisins se trouvent à l'extérieur. Ils m'aperçoivent aussitôt que j'entreprends de m'avancer vers la porte d'entrée. L'un d'entre eux, une femme de petite taille, s'approche et se met à me dévisager.
« - Seigneur, est-ce bien Reese McDonough ?
- Oui, Martha. Tu as devant toi le cadet McDonough, confirme Annie en posant sa main sur mon épaule de manière protectrice.
- Les rumeurs étaient donc bien vrais. Les anglais n'ont pas mentis...
- Les anglais ? je demande en fronçant les sourcils.
- Oui, ta petite...
- Ça suffit, Martha. Laisse le jeune homme se remettre un peu, tu veux bien ? Il... Il est amnésique. Il ne se souvient de rien. » l'interrompt Annie en feignant d'être triste.
La dénommée Martha ne cache pas sa surprise. Elle vient posé une main sur son coeur et me regarde comme si je suis quelqu'un qu'on doit prendre en pitié.
Les autres voisins ont cessés leur course vers moi. Tous semblent attendre que Martha viennent leur raconter de nouveaux ragots et alimenter les potins actuels.
« - Reese va venir habiter avec Moira et moi. Tu sais, avec la tragédie... ajoute Annie.
- Bien sûr. C'est très généreux de ta part. Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu sais où me trouver, d'accord ?
- D'accord, merci. »
Martha salue Moira d'un simple sourire, avant de disparaître derrière sa clôture en bois. J'imagine déjà qu'on fait la file pour aller chez elle. Tant que ce n'est pas moi qu'on vient embêter, ça me va.
Annie m'encourage à la suivre et en quelques pas, je me retrouve à l'intérieur de la demeure. L'apparence intérieure est beaucoup plus chaleureuse. Des photos de Moira et de sa mère se trouvent un peu partout sur les meubles ainsi que sur les murs. J'arrive à voir la jeune blondinette a tous les âges. Elle a légèrement gardé son visage enfantin.
Moira dépose son sac sur le comptoir de la cuisine et vient me débarrasser de mon manteau.
Je retire mes chaussures et m'avance sur le plancher de bois franc, émerveillé. C'est plutôt joli comme endroit. En tout cas, c'est bien mieux que l'hôpital. Les murs sont peints avec des couleurs chaudes comme du rouge, du jaune ou encore du beige. Une grande ouverture se trouve à ma gauche, débouchant sur le salon. Celui-ci est très spacieux avec deux énormes canapés et une télévision assez impressionnante. Le salon donne une vue incroyable sur la rue grâce à une baie vitrée. J'imagine que les voisins aiment bien cette vue, eux aussi.
« Alors, tu aimes ? »
Je me retourne pour faire face à Moira. Elle a détaché ses cheveux. Ces-derniers tombent maintenant en cascade dans son dos. Elle porte le même débardeur que sur la photo accrochée dans le vestibule.
« - C'est plutôt jolie, en effet. Il n'y a que ta mère et toi ?
- Oui. Enfin, maintenant il y a toi aussi, m'avoue Moira.
- Et ton père ? »
Moira se fige, les sourcils froncés. Un petit sourire finit par s'installer sur ses lèvres, au moment où elle dit :
« - Ce n'est pas très poli de poser trop de questions, Reese.
- La politesse a dû partir au même moment que les souvenirs, je rétorque du tac au tac.
- Poser trop de questions t'attirera des ennuis ici, me répond la blondinette après une certaine hésitation.
- La curiosité est donc un vilain défaut ?
- Oh, tu peux me croire, me confirme Moira en hochant la tête.
- Pourtant les habitants de Green Lake semblent plutôt... Accros aux potins.
- C'est bien pour ça que je te préviens. »
Je fronce les sourcils, décontenancé. Si je ne peux pas poser de questions, alors comment pourrais-je retrouver la mémoire ? C'est insensé. Je fais part de mon impression à la jeune fille qui me répond aussitôt :
« Peut-être que c'est une occasion pour toi de tout recommencer à zéro. »
Décidément, cette fille n'a jamais été amnésique. Elle ne comprend pas cette sensation de... blocage ! C'est comme si tous mes souvenirs sont près de moi, mais qu'ils sont enfermés dans un coffre-fort fermé à clé. Il y a tout juste vingt-quatre heure, j'ignorais qui j'étais.
Néanmoins, je n'ai pas envie de me disputer avec Moira. Il vaut mieux que je me ferme la gueule, dans ce cas.
Nous restons silencieux pendant un moment, Moira ne cessant de fixer. Cela me mettant grandement mal à l'aise. Je ne sais pas vraiment comment m'y prendre en sa présence... Je ne sais quasiment rien d'elle, bon sang !
« Reese, je peux te parler une minute ? » s'exclame Annie depuis la cuisine.
Je m'excuse auprès de Moira et rejoint la protestante dans sa cuisine. Plutôt moderne comme pièce. L'espace est assez ouvert sur l'extérieur. Un mur est recouvert de tapisserie, tandis que les autres sont jaune paille. La table de la salle à manger est grande, comme si Annie et Moira avaient souvent des invités.
Je m'appuie sur le comptoir pour faire face à Annie. Ses deux yeux bleus fixent les miens avec sérénité.
« - Je voulais t'informer que le couvre-feu est à vingt et une heure les soirs de semaine et à vingt-trois heure les fins de semaine. Dès que tu te sentiras mieux tu pourras sortir de la maison, mais tu devras me dire où tu vas et avec qui. Je ne tolère ni la drogue ni l'abus d'alcool, compris ?
- Euh... Oui. C'est tout ? je questionne, un peu surpris.
- Oh et pas de sexe avant le mariage. À moins que... »
Je dévisage Annie qui me regarde maintenant les yeux plissés. C'est moi ou cette femme n'a rien compris à la situation ?
« - Nous mangeons généralement le souper vers dix-huit heures, ajoute la femme au chignon blond.
- C'est noté.
- Je m'attends à ce que tu participes aux tâches ménagères comme Moira. Tu pourrais faire la vaisselle, par exemple. Ou déneiger l'entrée lorsque l'hiver se présentera.
- Bien sûr.
- Est-ce que j'oublie quelque chose ? J'ai une fille, mais pas de garçon... J'espère que je saurais m'adapter.
- C'est une blague ? Bien sûr que vous oubliez quelque chose ! » je m'exclame, encore un peu sonnée.
Annie lève la tête et fronce les sourcils, décontenancée.
« - Pardon ?
- Je suis amnésique. Je croyais que dès que nous serions ici, vous alliez tout faire pour m'aider !
- Reese, je t'aide. Je t'explique comment nous fonctionnons ici.
- Non, ce n'est pas de l'aide ça ! Je veux que vous me parliez de qui j'étais, avant ma disparition. Je veux savoir quel genre de type j'étais. Je veux savoir qui sont mes amis et qui sont mes ennemis, je proteste.
- Tu étais un bon garçon, Reese. Et j'espère que ça n'a pas changé. »
Un petit sourire triste s'affiche sur les lèvres de la femme qui se trouve devant moi. Je vais devenir fou si ça continue. J'ai vraiment besoin de savoir qui j'étais. J'imagine que ce n'est pas aujourd'hui que je vais le savoir. Ça m'énerve. Je déteste vivre dans l'ignorance.
Annie se retourne pour me faire dos. Elle ouvre son réfrigérateur et se met à sortir des trucs à manger. J'imagine que l'heure du repas arrive bientôt.
« - Deux policiers viendront demain à l'aube pour t'interroger, m'annonce-t-elle.
- M'interroger ? Mais je ne me souviens de rien ! »
La femme au collier de crucifix me lance un de ses regards qui veut dire que je dois me la fermer. J'obéis, craignant de m'attirer des ennuis. Cette femme est bien la dernière que je veux me mettre à dos, pour le moment.
« Moira va te conduire à ta chambre. On reparlera de tout ça une autre fois, d'accord ? »
Je sais bien que c'est simplement une manière pour se débarrasser de moi. Nous ne reparlerons jamais de cela. Néanmoins, j'hoche la tête et obéis à ses ordres.
C'est le mieux pour l'instant.
✖️
Hey ! What's up ?
J'espère sincèrement que ce chapitre vous a plu. J'ai dû réécrire le début plusieurs fois car il ne me plaisait pas, mais je suis bien fière du résultat.
➰ Que pensez-vous du comportement d'Annie ?
➰ Vos impressions pour le moment sur Green Lake ?
➰ Est-ce que la cohabitation se passera bien selon vous ?
➰ Vos prédictions ?
La semaine de relâche se termine, mais Pâques arrive. Et puis, on est déjà au mois de mars ! Faut voir ça positivement, hein ? ;)
Marianne.
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