01; Callie

LE PAYSAGE DÉFILE sous mes yeux, alors que la musique envahit mes oreilles. Les arbres sont dénudés de leurs feuilles, prêt à accueillir un hiver qui s'annonce rigoureux. De l'autre côté de la fenêtre, tout semble mort. L'air est glacial comme le regard de ma sœur, tandis que le sol est recouvert d'une fine givre d'automne. Les êtres des bois sont tous cachés au fin fond de leur terrier, priant dieu sait qui de les épargner cet hiver. Oh oui, l'hiver sera rude pour l'Écosse.

Quelques frissons parcourent mon corps, au moment où mon père se décide à baisser le chauffage. Je tire sur les manches de mon sweat bleu marin, cherchant désespérément un peu de chaleur.

« - Tu peux monter le chauffage, s'il-te-plait ? je demande à mon père, en me tournant vers lui.

- C'est moi qui conduit, c'est moi qui décide de la température. » rétorque mon géniteur, les yeux rivés sur la route.

Je lève les yeux au ciel, geste qu'il n'apprécie pas vraiment. Ses yeux du même bleu clair que ceux de ma sœur me lancent des piques. Si les regards pouvaient tuer, je serais morte depuis longtemps.

Je décide de laisser tomber et reporte mon attention sur l'étendue de verdure qui s'offre à moi. Je monte le volume de mon iPod au maximum, mais j'arrive tout de même à capter les piques de ma sœur cadette, Jordan.

« - C'est moi où ta toujours la même face de bœuf ?

- C'est moi où t'es toujours aussi perspicace ? je rétorque en imitant sa voix, me fichant complètement d'elle.

- Ta gueule.

- Les filles, ne commencez pas. Je n'ai pas envie de faire un accident à cause de vos conneries. » intervient mon père tout en regardant la route.

Ma sœur me tire la langue depuis la banquette arrière comme si elle avait sept ans, et non quatorze. Je ne réponds aucunement à son geste, n'ayant pas envie de pousser la dispute plus loin. Bien décidée à profiter de ces trois heures de trajet pour écouter ma musique, je change de chanson pour une qui pourra certainement enterrer la voix aigu de ma sœur. Jordan est du style beauté atypique. Sa chevelure est épaisse et lisse, d'un beau mélange de brun et de roux. Ses yeux bleus sont toujours accompagner d'un peu de mascara dont elle fait l'usage depuis quelques mois. Normalement elle devrait porter des lunettes, mais elle les "oublie" tout le temps. Ma sœur a un visage plutôt ambigu aux fins traits féminins et aux pommettes biens en vue rappelant le visage de ma mère. Elle a le teint clair de notre père, alors que moi j'hérite du teint mât de notre chère mère. J'ai également une épaisse chevelure brune impossible à dresser et des yeux noisettes qui sont généralement accompagnés d'une fine couche d'eye-liner, le seul type de maquillage que je peux supporter, sans oublier le mascara. Mon nez long et fin me cause parfois problème, mais ce n'est rien comparé au nez de Jordan, légèrement retroussé et plutôt large.

Je promène mes doigts contre le tableau de bord, en comptant les minutes. Au lieu d'être dans cette vieille bagnole rouillée, je préfèrerais de loin être enfermée dans ma chambre, la musique plein les oreilles, à continuer de me morfondre sur ma défunte relation amoureuse. J'ai accepté d'embarquer dans ce vieux bazou simplement pour Riley, mon frère aîné, le seul avec qui je m'entends bien dans cette famille de fous.

« - Pourquoi on va rendre visite à Riley, de toute manière ? Il ne se donne jamais la peine de nous appeler, alors pourquoi faire trois heures de route pour voir sa tronche ? demande ma soeur, de manière ingrate.

- Riley est à l'université, c'est normal qu'il soit un peu occupé. Je crois qu'il sera content de voir sa famille.

- Eh bien, il était obligé d'aller à Newcastle pour faire ses études ? On n'a pas déménagé en Écosse pour rien. »

Mon père soupire et roule des yeux, montrant son désaccord.

Nous avons quitté Newcastle, en Angleterre, il y a de cela plus de deux ans pour nous établir dans une petite ville d'Écosse, du nom de Green Lake. La raison principale de notre déménagement est le départ de ma mère. Cette-dernière est tombée amoureuse d'un bel américain de dix ans son cadet avec qui elle s'est enfuie aux États-Unis pour fonder une nouvelle famille. Ça nous a pris deux mois pour faire nos cartons et vendre notre belle maison d'une chic banlieue de Newcastle. À Green Lake, nous sommes connus comme étant "les anglais". Certaines personnes ont mêmes essayés de se rapprocher de moi simplement parce qu'ils espéraient que je les inviterais à mon chalet –inexistant – aux alentours de Londres. Je n'ai plus rien en Angleterre, de toute manière. Que les souvenirs douloureux des nombreuses disputes de mes parents. J'aimerais pouvoir dire que l'Écosse m'a redonné beaucoup de joie de vivre, mais ça serait mentir. Au début, tout allait bien jusqu'à une fameuse nuit qui a tout chamboulée. J'aurais bien aimé pouvoir reculer dans le temps et éviter ces événements.

Malgré la musique qui joue dans mes oreilles, j'arrive à entendre ma sœur pester comme elle aime tant le faire. Que puis-je faire ? Jordan est comme ça, depuis très longtemps. Quand mon père nous a annoncé que l'on déménageait en Écosse, elle a été la première à protester et à énumérer toutes les raisons qui la poussaient à rester. Du haut de ses douze ans, elle avait des amies très chères, un sois-disant copain, une bonne école, de bons résultats, une super équipe de basket... Bref, elle avait tout. Mais bon, ça n'a pas empêché mon père de lui ordonner de faire ses valises.

Mon frère, Riley Miller, a lui aussi protester. Sauf que lui, malgré ses dix-sept années de vie de l'époque, ses raisons étaient plutôt rattachées à ma mère. Riley avait toujours été son favori. Encore aujourd'hui, j'ignore pourquoi exactement. Mais rien n'empêche que quand Diana Miller - ma mère - est partie, mon frère n'a pas très bien pris le fait. Malgré son niveau de maturité, il n'arrivait pas à le croire et ça lui arrivait très souvent de faire des crises d'angoisse à l'école. Pour mon père, la solution c'était de vendre la maison et de déménager dans le pays avoisinant dans une petite ville au bord de la frontière. Il aurait plutôt dû nous envoyer consulter un psy.

Malgré tout, je n'ai jamais exprimé de désaccord envers le déménagement. Je savais déjà que, parfois, le changement ça peut fait du bien.

« Il y a un type à l'école qui a parlé de Reese McDonough, au fait. Il a dit que selon lui, ce mec était mort depuis le temps. » dit ma sœur en me jetant un coup d'œil.

Je baisse le son de mon iPod et regarde ma sœur qui vient de prononcer le nom maudit. Mon visage devient automatiquement rouge tomate et je n'ai qu'une envie à ce moment: étrangler Jordan. Elle cherche la merde cette fille, bon sang.

Avant que je n'ai le temps de riposter ou de faire quoi que ce soit, mon père intervient de sa voix calme et impassible.

« - Jordan... Tu te tais, immédiatement, d'accord ?

- Non, mais, je..., proteste ma sœur cadette.

- Jordan.

- Le mec qui a dit ça a probablement raison. Reese doit être mort. » j'avoue.

C'est à mon tour de me faire dévisager. Ma sœur est aussi perplexe que mon père, leurs sourcils tous les deux haussés vers le haut, leurs yeux bleus identiques me fixant comme si je suis une bête de cirque qui s'apprête à faire un numéro. Je les comprends en quelque sorte. J'ai évité de parler de Reese McDonough le lendemain de sa disparition et j'ai passé les mois qui l'ont suivi à m'enfermer dans ma chambre et à écouter de la musique déprimante dans de vieux vêtements trop petits pour moi. J'ai arrêté de faire des virées le vendredi soir avec mes amis, j'ai arrêté de parler avec la plupart d'entre eux d'ailleurs; je me suis refermée sur moi-même... Je me suis isolée, car, autrefois, Reese a probablement été la personne la plus importante dans ma vie. La seule à ne pas s'être rapprocher de moi que parce que je possède peut-être un appartement à Londres.

Sauf que Reese avait des secrets. Tout comme moi d'ailleurs. Mais les secrets de Reese ont finis par le détruire... Et par le faire disparaître. Du jour au lendemain, son visage n'est devenu qu'un vague souvenir pour la plupart des gens de la ville. Les gens se sont posés des questions bien sûr. Est-ce que la disparition du cadet McDonough avait un lien avec l'incendie survenu quelques temps auparavant ? Personnellement, je préfère jouer la fille qui croit que Reese McDonough s'est évanoui dans la nature pour mourir, tout simplement. Je sais très bien que cette version est fausse. Enfin qu'à moitié. Après tout, je suis la dernière personne à l'avoir vu avant sa disparition.

« - Reese a disparu depuis cinq mois, maintenant. Comment veux-tu qu'il se soit débrouillé tout seul pendant tout ce temps? dis-je en me retournant pour faire face à ma sœur, sur la banquette arrière.

- Je... Je suis désolée, Callie. Je n'aurais pas dû parler de cela.

- Ferme ta gueule, dans ce cas. On évitera ce genre de conversation sur mon ex-petit ami.

- Ton langage, jeune fille. » m'avertit mon père en fronçant les sourcils.

Je lève les yeux au ciel à nouveau et je décide de continuer à écouter ma musique déprimante. Je monte le son de mon lecteur et me remet à la contemplation du paysage. Les arbres sont devenus plus gros et il y a une grande majorité de conifères. Le sol est toujours recouvert d'une fine couche de givre, et la forêt semble toujours aussi déserte. Le mois de novembre est assez similaire en Écosse et en Angleterre. Il fait froid pendant un moment avant que la neige n'apparaisse pour de bon et qu'elle s'éternise jusqu'au printemps. Je serais curieuse de demander à ma mère comment c'est l'hiver aux États-Unis, mais bon, elle doit être occuper à «vivre le rêve américain», comme on dit. Et puis, je ne lui ai pas parlé depuis... depuis très longtemps. Nous n'entretenons plus aucune relation désormais. À mes yeux elle est morte et je crois que pour elle nous le sommes également. Je suis peut-être la seule qui persiste à le croire, mais je sais bien qu'au fond de mon père, de ma sœur et de mon frère, ils le croient aussi. Ils n'oseront tout simplement jamais l'admettre. Qui aurait le culot de renier sa propre mère, même si elle s'est enfuie avec un bel américain ? Moi, bien entendu.

Je penche la tête sur le côté et plisse les yeux lorsqu'une petite silhouette se dessine sur la route. Plus nous nous approchons, plus la silhouette grandit et s'apparente à celle d'un jeune homme. Que fait cette personne en plein milieu de la route ? Choquée, je m'exclame:

« ATTENTION, PAPA ! Il y a un... »

Je n'arrive pas à finir ma phrase. Ou plutôt, je n'en ai pas besoin. Mon père tourne le volant vers la gauche et esquisse une manœuvre qu'il me serait impossible de reproduire d'une quelconque manière. Je me crispe sur mon siège, alors que ma sœur s'agrippe férocement sur la banquette arrière pour éviter de se faire plaquer contre la portière de la voiture. Mon père fait de son mieux pour éviter une collision qui pourrait nous être fatale. Ainsi donc, nous atterrissons dans la petite chaussée. Lorsque l'automobile s'arrête finalement de manière brusque, ma tête se heurte contre le tableau de bord et c'est à ce moment que le coussin gonflable de sécurité se décide à sortir. J'écope tout de même d'une petite blessure sur le haut du front et ma tête me fait mal. Quand je reprends mes esprits, tout le monde semble correct. Ma sœur a quelques bleus et mon père a une migraine et quelques cicatrices, mais rien de très grave. En tout cas, pas de manière apparente.

« - Callie? Jordan? Est-ce que vous allez bien? Personne n'a été blessé? panique mon père en débarquant de la voiture.

- Moi ça va. Plus de peur que de mal. »

Je titube sur le bitume, ma sœur et moi contournons la voiture pour nous retrouver toutes les deux face à mon père. Je jette un coup d'œil à mon iPod. Heureusement, il ne s'est pas cassé.

En m'apercevant, mon père blêmit.

« Callie... Tu saignes ! »

Je tapote mon front puis reporte mon attention à mes doigts. Ils sont rouges. Rouge sang.

« - Ce n'est qu'une égratignure, papa. Je vais bien.

- Parle pour toi. Et ce type qu'est-ce qu'il faisait au beau milieu de la route ? Il est complètement taré ! s'exclame ma sœur, encore un peu sonnée par l'accident.

- Il est blessé, tu crois ? je demande. »

Mon père hausse les épaules. D'un regard entendu, ma sœur et moi nous dirigeons vers la route. Notre géniteur nous suit, craignant encore une fois pour notre sécurité. À l'opposée de la route se trouve un garçon replié sur lui-même. Ses vêtements sont presque tous déchirés et la peau du garçon est prise d'une teinte de gris, signe qu'il est peut-être dehors dans cette tenue depuis suffisamment longtemps. Sa chevelure d'un brun extrêmement foncé est couverte de feuilles mortes. Et puis il y a ses mains striées de cicatrices qui ne font qu'attiser ma curiosité.

Ma sœur et moi nous arrêtons à un mètre du garçon. Quant à mon père, il préfère s'en tenir à appeler les secours.

« Eh bien je crois que c'est foutu pour cette virée chez Riley. » marmonne ma sœur en jetant un coup d'œil à ses bleus.

Je lui lance un regard noir qu'elle comprend aussitôt, car elle se tait et baisse les yeux vers le sol.

Je m'approche du garçon, au point de ne me retrouver qu'à quelques centimètres de lui. Il ne me semble pas en super état, mais je pourrais jurer que ça n'a aucun lien avec l'accident qui vient de se produire. Je pose ma main sur son épaule doucement et sur mes gardes, essayant d'attirer l'attention du garçon. Soudain, il lève les yeux et je rencontre ces-derniers qui sont d'un bleu glacial. Son visage m'est familier.

Instinctivement, je recule en titubant, choquée par ma découverte.

« Mais qu'est-ce que tu fais ici ? » je m'exclame.

Ce n'est pas n'importe quel garçon. C'est Reese McDonough.


✖️

Salut !
Je ne pensais pas publié aujourd'hui, mais je me suis dit pourquoi pas ? Alors, me voilà. Je rentre déjà dans le vif du sujet, mais c'est plutôt mon style, ça.

Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ?

Toutes les critiques constructives sont les bienvenus ! Je risque d'avoir mes habituelles questions "reviews" un peu plus tard dans l'histoire. ;) Sur ce, passez une très belle soirée.

Marianne.

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