Chapitre 5 Tirila

Plus de deux semaines sont passées depuis que « l'envoyé » est passé faire la proposition de paix aux rois de Niloria et les débats ne sont toujours pas terminer.

Le vieil empereur de Bauley et le jeune roi de Vender sont pour la paix.

La contrée de Bauley, territoire le plus chaud de notre royaume, est souvent en manque d'eau.

Vender est celle qui a reçu le plus de dégât depuis le début de la guerre.

Lashang n'a pas vraiment d'opinion sur le sujet, leur roi préfère suivre la décision finale.

Le souverain de Sajarez dit qu'il ne voit que des désavantages, mais en réalité, que sa fille se marie ou non au roi de Dystio, elle sera obligée de partir, étant l'une des cinq bénies par la déesse féline.

En vrai, le monarque Coden n'a dû entendre parler que de Ren et moi. Nous sommes les deux seuls qu'on pourrait véritablement qualifier de guerrier, puisque les trois autres n'ont jamais mis le pied sur un champ de bataille et combattu au côté de nos troupes.

Je marche dans les couloirs de l'aile sud pour rejoindre père et les autres rois dans le grand salon, où ils discutent depuis.

Lorsque j'arrive devant les deux portes ouvertes, je cogne sur l'une d'elle pour attirer leur attention.

– Tirila, dit père en fronçant les sourcils alors que la princesse Chaylor apparait subitement à côté de moi. Que faites-vous là?

Ils sont installés en cercle sur un tapis tressé vert, mauve et jaune et de nombreux coussins les entourent, y compris sous chacun d'eux. Les grandes fenêtres sont ouvertes, laissant une douce brise pénétrer dans la pièce et faisant légèrement voltiger les rideaux de soie.

– Je peux me marier avec le roi de Dystio, dis-je en m'avançant vers eux.

– Ne dis pas de bêtise, me gronde père en me foudroyant des yeux. C'est un sujet très sérieux! Et tu n'as pas ton mot à dire. Pas plus que la princesse Chaylor!

– Père. Je suis sérieuse. Vous n'avez pas le moins du monde besoin de moi ici. S'il advenait que le roi Coden manigance quelque chose, je serai aux premières loges pour l'assassiner. Ren et moi pourrons facilement protéger la princesse Chaylor et les autres.

– C'est tout à fait vrai, s'exclame celle-ci avec excitation. Tirila est une guerrière incroyable et le chevalier Ren aussi. Père, je serai en sécurité avec eux.

– Sottise, grogne mon père et le sien en regardant les autres souverains.

– Père, dis-je en essayant de nouveau de le convaincre. S'il advenait que je doive réellement tuer leur roi, je ferai d'abord évader les autres au risque de me faire prendre, ce que je doute fort, vu mes capacités et les sens limités des humains.

– Niloria a besoin de leur eau, de toute manière, ajoute Chaylor en marchant vers son père pour le secouer légèrement. Père...

– Comme le dit la princesse Chaylor, ai-je continué en croisant les bras. Nos réserves sont limitées et Bauley est en train de s'assécher.

– Exactement, approuve le vieil empereur en faisant un geste vers moi. Votre fille est notre seule espoir! Elle est la personne parfaite pour devenir l'épouse de leur monarque!

– Et puis... qui sait, ajoute le jeune roi de Vender en me regardant de la tête aux pieds. Peut-être sera-t-il charmé par sa beauté et lui accordera le moindre de ses désirs, ce qui pourrait inclure de renvoyer la princesse Chaylor et le jeune duc Synter ici, à Niloria.

– Père, dit Chaylor en essayant de l'amadouer. Dit oui, père. Je ne craindrai rien avec Tirila.

Le père de la princesse pousse un long soupir alors que père m'observe de la tête aux pieds, se demandant peut-être si je suis réellement une beauté.

– Si... et seulement si Erlan est prêt à te confier la vie de sa fille, je ne continuerai pas à m'entêter sur cette voie, capitule père en plissant les yeux tout en passant une main sur sa barbe noire. Je sais que tu peux facilement tuer n'importe quel de ces humains stupides. Leur roi semble d'ailleurs inoffensif et incompétent, à en croire les dire.

S'il savait... s'il savait que c'est le roi Coden en personne qui est venu, il ne dirait pas cela à la légère. De l'extérieur, avec son sourire niais, il donne l'impression d'être idiot, mais je me doute qu'il soit beaucoup plus éloquent que ce que tous pensent.

Un sourire flotte sur mes lèvres lorsque je me rappelle sa surprise quand je l'ai démasqué. J'ai beaucoup entendu parler de lui, ce qui m'a permis de le démasqué dès la seconde où je l'ai vu. Sa démarche. Son attention subtile au détail. Sa manière de parler, à la fois dandy et trompeur.

Définitivement, cet homme n'est pas aussi simple qu'il veut laisser croire...

– Père, redit Chaylor en continuant sa manœuvre. Laissez-moi y aller.

– Très bien, finit par soupirer l'empereur de Sajarez. Je te confie Chaylor, Tirila. Et toi, tu as intérêt à être sage.

– Je protègerai sa vie comme si c'était la mienne, dis-je en faisant une révérence.

. . .

Lorsque nous arrivons à Holonga, près de deux semaines plus tard, c'est comme si nous venions d'entrée dans une baignoire trop froide. Heureusement, dès notre arriver, des hommes du roi nous attendaient pour nous offrir des capes de fourrure et des bottes... sans quoi nous serions sans doute morts frigorifier.

Porter ces vêtements est une étrange sensation. C'est doux, chaud et lourd.

Chaylor observe avec fascination les boules de coton qui tombent du ciel, l'une des fenêtres de la calèche dégagée du rideau de velours.

C'est cela qu'ils appellent de la neige, ai-je pensé en tendant la main à l'extérieur pour y toucher.

Dès qu'elle entre en contact avec ma peau, elle disparait pour laisser place à de l'eau. Je retire ma main en observant le paysage tout blanc.

Le roi Coden n'a pas menti... leur royaume entier est recouvert d'eau...

– Une fleur gelée possède un cœur de glace, commence Synter, les mains et les jambes croisées, le regard dans le vague. Sur son territoire, le loup est un as. Il se réjouit lorsque les autres trépasse. Tous les imbéciles s'en voile la face.

Je l'observe alors qu'il tourne son attention vers l'extérieur. Ses cheveux blonds en pique, rappelant une crinière de lion, virevolte légèrement au gré du vent frais. Son regard doré est fixé sur l'horizon et un léger sourire flotte sur ses lèvres. Son apparence rude et imposante contraste avec sa voix douce et mélodieuse. Il est grand, un peu plus que moi, avec une large carrure et une peau basanée typique des habitants de Vender. À côté de lui, Ren parait petit et terne avec sa longue chevelure brune attachée en queue de cheval et ses yeux noisette.

Les longs cheveux blancs de Chaylor viennent chatouiller ma joue alors qu'elle est assise à côté de moi.

– Ah, excuse-moi, dit-elle en prenant sa longue touffe pour l'envoyer sur son épaule opposée.

– Ce n'est rien, dis-je alors que la princesse de Sajarez m'observe de ses deux yeux bleu clair.

Sa peau est si blanche qu'elle peut facilement rivaliser avec la neige.

Elle est aussi petite et mignonne que ce que les rumeurs disaient.

– C'est la première fois que je suis aussi loin de mes parents, dit-elle avec un drôle de sourire ravie. C'est chouette.

Je fronce les sourcils et échange un regard avec Ren et Daysie, installés en face de la princesse. Ren hausse les épaules alors que Daysie se contente de l'ignorer.

– Le plaisir de partir à l'aventure n'est que de courte durée lorsque les yeux tombent sur quelque chose de malveillant. Même les plus robustes ne sont pas toujours vaillants. Les monstres se cachent là où on ne les voit pas. Qui sait si, dans ce royaume, nous ne sommes pas l'équivalent des rats.

– Est-ce que tu parles toujours comme ça, ai-je demandé à Synter alors qu'il reporte ses yeux ambrés sur moi.

– Les liaisons mentales sont plus jolie lorsqu'on transforme un do en si.

Je fronce les sourcils alors qu'il sourit légèrement.

Je ne comprends pas trop pourquoi on l'appelle le tombeur... les femmes de Vender sont-elles toutes raides dingues de ce genre d'intellect? Il me donne plus l'impression de ne pas avoir toute sa tête...

– Je... vois, dis-je avec un sourire factice alors que je ne perçois aucune logique dans ses mots.

– Je me demande comment est le roi de Dystio, s'interroge Chaylor en rigolant, faisant aller ses petites jambes qui frôlent celles de Ren au passage.

– Je pense qu'il a vraiment du succès, dis-je en me souvenant de son regard sombre, de ses cheveux blonds qui cascade et de son sourire à la fois mielleux et idiot. Et je pense qu'il est plus intelligent et méticuleux que ce que les rumeurs propagent à son sujet.

– Pourquoi tu parles comme si tu l'avais déjà rencontré, me questionne Chaylor en levant un sourcil.

Je ne réponds pas et porte plutôt mon attention vers l'extérieur alors que nous entrons dans la capitale de Dystio, à Holonga.

– Tu l'as rencontré en cachette, c'est ça, continue Chaylor en me bousculant légèrement. Tu voulais t'assurer qu'il soit assez beau pour ne pas avoir honte de dire qu'il sera ton mari?

– Son apparence m'importe peu, ai-je répliqué en croisant les bras. C'est sur son mental que je dois me concentrer.

– Beuh, fait Chaylor. S'il n'est ni beau ni romantique, il ne m'intéresse pas.

– T'en mieux, parce qu'il n'est ni l'un ni l'autre.

La princesse de Sajarez plisse les yeux, mais elle ne peut rien lire sur mon visage de marbre, pas même ce petit mensonge.

– La beauté est dans l'œil de celui qui regarde, dit Synter en nous observant tour à tour. Le cœur peut à tout moment chanceler par mégarde. Il suffit d'une étincelle pour allumer une flamme. Ce n'est pas quelque chose qui peut être contrôlé par l'âme.

Je le regarde avec exaspération alors que Chaylor approuve en tapant des mains et en ricanant. Son apparence laisse penser qu'elle est douce, mignonne et fragile... qui aurait cru qu'un aussi petit corps pouvait dégager autant d'énergie. C'est comme si une boule de feu était contenue dans une bouteille en vers, mais que nous ne pouvons pas voir à l'intérieur.

Notre carrosse arrive sur la grande place et lorsque je me penche vers l'extérieur pour regarder vers l'avant, je fronce les sourcils en voyant un homme se faire pousser vers une potence, à la vue de tous.

– Qu'est-ce que...

Chaylor se penche vers moi en essayant de voir ce qui a attiré mon attention alors qu'une foule s'amoncelle près de l'arme mortel.

– Quoi? Ils font des mises à mort en public? Les humains ne sont-ils pas tous des sadiques? C'est un plaisir de communauté. Les gens banales sont tous bizarres.

– Ce n'est pas la mise à mort qui me choque, ai-je marmonné alors que nous nous rapprochons de plus en plus malgré la grande foule. Je suis presque sûr que cet homme est le prince Tufir, l'oncle et le régent du roi Coden.

Je jette un regard vers Ren alors que nous passons à côté au moment où le prince se fait pendre. Mon chevalier l'observe un instant avant de me confirmer d'un subtil signe de tête qu'il s'agit bien de Tufir.

Cette pendaison ne fait que renforcer mes craintes par rapport à l'empereur de Dystio. Il est loin d'être aussi simple et niais qu'il veut laisser croire.

– Est-ce la princesse Rika qui est à côté de lui et qui sourit d'un air macabre et ravie, nous questionne Chaylor en faisant un geste vers la jeune fille qui porte une longue cape de fourrure blanche, alors que tous en portent des noires ou des brunes.

– C'est elle, dis-je systématiquement en voyant les même traits de visage que le roi Coden. Elle est définitivement moins jolie que ce que j'ai entendu à son sujet.

– Venant de la déesse de la beauté, ce n'est pas étonnant, réplique sarcastiquement Chaylor en s'accotant mollement conter le dossier, ce qui lui vaut un regard noir de la part de Daysie.

– C'est impolie envers la déesse féline de la comparer à une simple mortelle.

Chaylor la regarde avec des yeux ronds, puis moi en faisant un geste de la main vers ma servante.

– Ne me dit pas qu'elle est une fervente croyante?

– Chacun ces croyances, dis-je avec un haussement d'épaule. Je préfère garder un doute sur des sujets que je ne connais pas. Peut-être qu'elle existe, peut-être pas. Il n'y aura jamais de réponse cent pour cent certaine, à moins qu'elle ne se manifeste devant un groupe de personne.

Comme on ne connaitra jamais quelqu'un parfaitement, ai-je pensé en regardant la ville animée qui deviendra bientôt mon nouveau chez moi...

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