Chapitre 7 (1/3)

Guilaro, principauté des Fils de la Terre, Royaume d'Hériale.

Iain évoluait sur les petits sentiers recouverts d'aiguilles de pins depuis plusieurs heures. Il alternait marche rapide dans les montées et petites foulées dans les descentes, ses parties préférées. Les bottes typiques de son uniforme de la Garde ne lui facilitaient absolument pas la tâche, rendant ses foulées aussi légères que celles d'un pachyderme souffrant d'obésité. Mais comme les chaussures spéciales trail n'existaient pas dans le monde d'Orcam, il devait bien s'en contenter.

Il s'arrêta pour boire quelques gorgées d'eau à la gourde qu'il avait emportée. Il en profita également pour jeter un œil à la carte du secteur prêtée par Morgane.

Quand il lui avait expliqué les raisons de cette demande, elle avait d'abord froncé son joli nez retroussé. Mais elle avait fini par accepter de la lui donner, y voyant même un excellent exercice pour apprendre à se repérer en pleine nature. C'était d'ailleurs la raison pour laquelle elle lui avait demandé de prendre un autre apprenti avec lui. Il avait aussitôt refusé. Il avait juste... besoin d'être seul.

D'après l'itinéraire qu'il avait choisi – une petite boucle d'une vingtaine de kilomètres – il devait prendre le chemin de droite à l'embranchement qui se présentait à lui. C'était le sentier le plus court pour retourner au campement avant la tombée de la nuit. Même si la lune entrait dans sa phase pleine, sa luminosité ne serait jamais suffisante pour qu'il se repère en plein cœur d'une forêt de conifères.

Néanmoins, l'envie de prendre le chemin de gauche le démangeait sérieusement. C'était risqué et stupide. Les autres allaient probablement s'inquiéter. Il y avait aussi de fortes chances pour qu'il se perde, voire qu'il se blesse. Et s'il devait passer la nuit dans ces bois, il n'était pas non plus exclu qu'il finisse mort de froid. L'Equinoxe de Printemps était peut-être prévu dans quelques jours, mais la principauté de Guilaro ne semblait pas encore prête à l'accueillir. La nuit, les températures pouvaient encore être négatives et comme il ne maîtrisait pas la magie du Feu, il serait incapable d'en allumer un pour se réchauffer...

... sauf s'il parvenait à se dégoter un silex, une marcassite et de l'amadouvier. Et comme il se trouvait dans une forêt – certes à dominante de conifères, mais avec tout de même quelques feuillus porteurs du champignon parasite utilisable comme combustible – et que ce n'étaient pas les roches sédimentaires, ni les minéraux contenant du fer qui manquaient dans les parages, s'allumer un feu ne devrait pas être si compliqué.

Ouais... Ces stages de survie avaient tout de même une utilité. Ça... et sa passion pour la Préhistoire quand il était un gamin terrien comme les autres.

Il sourit avec nostalgie en repensant à l'époque où il se rêvait chasseur de dinosaures. Quand il avait finalement découvert que les hommes et ces fascinants reptiles n'avaient jamais cohabité, sa passion pour la paléontologie avait alors dévié vers l'archéologie. Même si les découvertes sur les « premiers hommes » du paléolithique lui avait pour un temps donné l'envie de faire partie de ces scientifiques capables de découvrir un autre Toumaï  ou une autre Lucy, la période pour laquelle il avait nourri la plus grande soif de connaissances restait le néolithique. Sans doute à cause de son émerveillement face aux monuments mégalithiques présents sur son île. Il se souvenait néanmoins que le petit mec qu'il était à l'époque était tout autant fasciné par les objets du quotidien qu'il découvrait dans les vitrines des musées. Les poteries, les parures, les outils et les armes en os ou en pierres taillées ou polies... Connaître la vie des hommes et des femmes qui avaient vécu bien avant lui le fascinait. Ainsi, à huit ans, il avait déjà une idée bien précise de son futur métier.

Le sourire nostalgique de Iain se transforma rapidement en un rictus amer.

Il avait dû renoncer à ses projets de carrière le jour de son dixième anniversaire. Le jour où son père était apparu comme par magie et avait brisé ses rêves d'enfant en l'arrachant au monde qu'il était avide de découvrir. Aedan l'avait propulsé dans un autre univers – certes captivant – mais dont les découvertes archéologiques fascinantes ne faisaient pas partie... Tout ça pour sauver des gens qui ne voulaient même pas de lui, ni de sa famille.

Il secoua la tête pour repousser l'image de sa mère blessée et inconsciente. Quelqu'un avait voulu la tuer. Juste... pour ce qu'elle était. Une étrangère.

Quand il y repensait...

La terre se mit soudain à trembler sous ses pieds. Elle se fissura dans un vacarme assourdissant, laissant surgir de ses entrailles une sorte de mur organique composé de pierres, de terre et de racines, le tout à quelques pas du jeune homme qui ne bougea pas d'un millimètre, les yeux rivés sur l'obstacle qui se dressait à présent sur le petit sentier de gauche. Le sentier qu'il avait voulu emprunter, celui qui serpentait vers l'inconnu...

Iain inspira profondément et serra les poings... avant de pousser un hurlement de rage et de propulser sa magie de l'Air vers le mur qu'il avait lui-même érigé grâce à sa magie de la Terre.

Pendant son bref retour à la capitale, il avait découvert qu'utiliser ses pouvoirs pouvait être un superbe défouloir. Il recommença donc l'opération jusqu'à ce que la colère qu'il ressentait à chaque fois qu'il pensait au sort de sa mère, commence à refluer. Il dut s'y reprendre une bonne dizaine de fois et ce fut l'épuisement de sa magie qui le força à s'arrêter, plutôt que la disparition de la rage meurtrière qui transpirait encore par tous ses pores.

Dans ces moments-là, occupé à reprendre son souffle, il se disaient que les Orcamiens avaient eu beaucoup de chance que ce ne soit pas lui qui ait hérité des pouvoirs de Lihanna. Car sa frangine était peut-être une tête de bourrique impulsive et immature, mais elle n'était ni aigrie, ni désabusée.

Contrairement à lui.

Le bordel qu'il venait de foutre dans cette petite forêt tranquille de la principauté de Guilaro était la preuve que, dernièrement, ses émotions avaient un tantinet tendance à partir en vrille.

Mouais... c'est même un putain d'euphémisme, se dit-il en contemplant les mottes de terre et les pierres qui parsemaient à présent le petit sentier... plus si bucolique. On aurait plutôt dit qu'une bombe venait d'y exploser.

Iain secoua la tête pour reprendre ses esprits.

Point positif de ce merdier, il avait enfin pris sa décision. Il ne retournerait pas au campement. Il allait prendre ce chemin de gauche et peu importait les conséquences.

Il eut un petit pincement au cœur en pensant à Eiline qui lui en voudrait probablement quand elle s'apercevrait de sa « disparition »... même s'il n'était plus son petit-ami.

Un sourire amusé s'épanouit sur ses lèvres quand il repensa au jour pas si lointain où elle l'avait largué.

Par les Quatre !  La benjamine de la fratrie Ruadhan n'y était pas allée de main morte et lui avait passé un de ces savons ! Elle ne comprenait pas son changement d'attitude et Iain concevait parfaitement son agacement : elle n'avait pas toutes les cartes en mains pour saisir les causes de son humeur morose. Pour éviter cette rupture, il aurait pu lui parler de sa colère, de ses peurs, de ses doutes... Il aurait dû se confier à elle comme Liha s'était finalement ouverte à Liam et comme Erin le faisait probablement avec Kenneth. Il ne l'avait pas fait. Car, même s'il aimait énormément Eiline, il ne ressentait pas pour elle cet amour absolu que ses sœurs portaient aux hommes de leur vie. Malgré tous leurs différends, Liha et Liam étaient faits pour être ensemble, cela ne faisait aucun doute. Tout comme l'amour qui unissait Erin et Kenneth était celui qui rimait avec toujours. Ce qu'il ressentait pour Eiline n'était pas aussi puissant et il en avait pleinement conscience.

Alors, quand son amie avait suggéré de faire un break, il n'avait pas été surpris. Ni triste, d'ailleurs. Il s'était plutôt senti... soulagé.

Bien sûr, Eiline étant ce qu'elle était, elle ne lui avait évidemment pas retirer son amitié. Et mis à part Erin, personne ne s'était vraiment aperçu de leur séparation.

Mais les remords qu'il ressentait en pensant à la déception de la jeune fille ne le firent pas changer d'avis pour autant. Il avait besoin de suivre sa propre voie pour faire les bons choix. Besoin de trouver quelque chose qui surpasse sa rancœur et son envie de tout plaquer. Besoin que quelqu'un lui prouve que la bonne chose à faire était à l'opposer des idées qui tourbillonnaient dans son crâne actuellement. À savoir : quitter Orcam sans attendre d'être expulser sur Terre par ces tarés de Sang-Purs et laisser ce foutu monde se démerder avec sa malédiction et ses habitants se carrer bien profond cette prophétie des Trois Sang-Mêlés censés les sauver.

Il secoua la tête, autant en colère contre lui-même que contre le reste du monde, et il se remit à courir comme si ce qu'il fuyait était sur le point de le rattraper.

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