Pa'Auro, principauté du Peuple Libre, Royaume d'Hériale.

— Arrête !

Un éclair illumina le couloir sombre dans lequel elle se trouvait. Elle était en colère, mais son corps était entièrement recouvert d'une sorte de combinaison noire brillante. Comme elle ne parvenait pas à accéder à tous ses pouvoirs, elle en déduisit qu'elle était faite en matière inhibitrice de magie.

Elle pesta, mais saisit immédiatement l'un des poignards accrochés à sa cuisse. Elle s'apprêtait à le lancer sur la forme obscure qui s'enfuyait, mais Liam s'interposa. Il posa une main sur son bras. Elle sentit à peine les petites décharges à travers l'habit qui lui faisait presque comme une seconde peau.

Elle leva son visage vers le sien et fut frappée de voir que la colère qui brillait dans ses yeux clairs, était au moins égale à la sienne.

— Lâche-moi ! ordonna-t-elle en tentant de se dégager.

— Je ne te laisserai pas faire ça, Liha, gronda-t-il en retour.

Lihanna secoua une nouvelle fois son bras, puis posa ses deux mains à plat sur son torse pour le repousser de toutes ses forces. Liam chancela, mais resserra sa prise.

— C'est elle qui a tenté de la tuer ! hurla-t-elle en sentant des larmes de rage rouler sur ses joues.

— Tu n'en sais rien ! cracha-t-il furieux. Tu préfères le croire lui sur parole, au lieu de lui laisser à elle le bénéfice du doute !

— C'est faux ! C'est toi qui te voiles la face, Liam !

Il renifla avec un air méprisant, même si elle voyait aussi la peine déformer ses traits.

— Arrête, Liha... Tu ne m'as même pas écouté quand il l'a désignée comme coupable ! Tu l'as tout de suite cru ! Dis-moi pourquoi, bon sang ?! Est-ce parce que tu n'as plus besoin de moi ? Ou est-ce parce que tu la détestes et que tu n'es qu'une sale gamine égoïste, narcissique et jalouse ?

Choquée par ses paroles, Lihanna le gifla et Liam accéda finalement à sa demande. Il la lâcha et elle regretta immédiatement son geste. Mais c'était trop tard et quand ses yeux gris acier recroisèrent les siens, son cœur explosa.

Il tourna les talons au moment où un éclair illuminait une nouvelle fois la scène.

Quand le tonnerre raisonna, elle se laissa tomber à genoux, ses joues non plus inondées de larmes de rage, mais de douleur.

****

Lihanna s'éveilla en sursaut.

Un orage grondait au loin et le tonnerre l'avait réveillée.

Enfin ça... et cet horrible cauchemar qui lui comprimait encore le cœur.

Elle se retourna sur son couchage, essayant de retrouver le sommeil en se calant sur la respiration tranquille de Dilys qui dormait à ses côtés dans l'espèce de tente improvisée qu'elles partageaient toutes les deux. Mais ce fut peine perdue, son cerveau ne cessait de la tourmenter en ressassant l'image de Liam la regardant avec écœurement.

Elle repoussa ses couvertures et récupéra sa cape avant d'enfiler ses bottes et de sortir.

Autour du feu de camp, elle avisa Connor et Declan qui montaient la garde. Ils se tenaient très proches l'un de l'autre et devisaient à voix basse. En l'entendant approcher, ils sursautèrent. Connor mit la main sur le pommeau de son épée, prêt à dégainer.

— Ce n'est que moi, déclara-t-elle doucement pour ne pas réveiller les autres.

— Hé ma Lily jolie, soupira-t-il avec soulagement. Tout va bien ?

— Simple insomnie, répondit-t-elle avec un sourire. Je vais marcher jusqu'à la cascade pour me dégourdir les jambes.

— Tu as pris de quoi te défendre ? demanda Declan.

Elle lui décocha un clin d'œil et fit facilement apparaître une boule de feu dans la paume de sa main. Puis elle l'éteignit et lui montra également le poignard qu'elle portait sous sa cape.

— On va dire que c'est bon, soupira le Sorcier avec un petit sourire en coin. Mais sois tout de même prudente. On ne sait jamais sur quel type de prédateur on peut tomber...

Connor pouffa et elle plissa les yeux, interloquée. Elle finit tout de même par acquiescer et s'éloigna du feu de camp, sous les regards goguenards de ses amis.

Le chemin qu'il fallait emprunter pour rejoindre sa destination était aisé. Il suffisait de suivre un petit sentier dans la forêt pour atteindre ce magnifique endroit : un grand bassin d'eau pure et cristalline dans lequel s'écoulait une cascade. Bien sûr, cette eau translucide était également glaciale. L'hiver touchait à sa fin, mais dans cette principauté du nord, les températures ne faisaient malheureusement pas grand cas de l'arrivée prochaine du printemps.

Avait-elle déjà précisé qu'elle détestait le froid ? Ouais... sans doute une fois ou deux, non ?

Elle sut qu'elle arrivait à proximité du site quand elle commença à entendre le grondement caractéristique de l'eau qui s'écoulait de la cascade. Son visage s'illumina. Elle était chanceuse, car c'était la pleine lune ce soir et l'endroit était baigné d'une lumière argentée, donnant au lieu un aspect presque magique.

Ravie d'avoir choisi de venir ici pour oublier cet affreux cauchemar – et ravie aussi de ne pas s'être fait bouffer par le prédateur mentionné par Declan – elle entra d'un pas déterminé dans l'espace ouvert. Elle se figea immédiatement à la vue de la silhouette qui s'y trouvait déjà.

Liam.

Ha, ha, ha... Declan avait un sens de l'humour aussi pourri que le sien.

Il n'empêche, elle oublia bien vite la blague pas drôle de son coéquipier. Sa bouche s'assécha immédiatement et son cœur se mit à cogner comme un fou furieux sous acide et victime d'hallucinations. Une magnifique hallucination, cela dit, car...

Par les Quatre ! Il était torse nu ! C'était... une vision de rêve !

D'ailleurs, elle se pinça pour vérifier qu'elle n'était pas à nouveau prisonnière d'un songe où il tenait le rôle principal. Celui-ci était peut-être beaucoup plus sympa que le précédent, mais vu comme ce dernier s'était terminé...

Bref.

Elle ne rêvait pas. Elle aurait peut-être même un bleu à la cuisse demain à force de presser sa peau comme une cinglée.

Quoi qu'il en soit, ne voulant pas le déranger – rien à voir, évidemment, avec l'envie de continuer à le mater comme une fan obsédée – elle s'autorisa à l'observer sans révéler sa présence.

Le spectacle était... waouh ! Liam était en train d'effectuer des mouvements simulant un combat imaginaire. Ses muscles fins et parfaitement dessinés roulaient sous sa peau hâlée, éclairée par l'éclat argenté de la lune, mais dépourvue des tatouages qu'elle avait cru voir plusieurs fois avant qu'ils ne disparaissent aussi rapidement qu'ils étaient apparus. Elle ne lui en avait d'ailleurs toujours pas parlé, sans doute parce que la majorité du temps, ces arabesques complexes n'existaient pas. Or, les tatouages n'étaient pas censés disparaître en l'espace d'un claquement de doigts – ou d'un battement de cils. C'était donc sa tête qui était en cause et elle n'avait pas forcément envie qu'il ne la découvre encore plus dingue qu'il ne le pensait déjà.

Elle ferma les yeux un instant et se concentra à nouveau sur lui.

Liam évoluait avec un mélange d'assurance, de puissance et de grâce féline qui le rendait presque irréel.

Ouais... Comme d'habitude, il était beau à couper le souffle. Et pas seulement au sens figuré. La preuve ? Sa respiration était devenue un tantinet laborieuse au fur à mesure qu'elle l'observait.

Au bout d'un laps de temps qu'elle ne sut déterminer, elle décida qu'il était temps pour elle d'arrêter de jouer les voyeuses. Elle ferma la bouche en constatant qu'elle l'avait laissée grande ouverte, vérifia qu'elle n'avait pas bavé en le matant sans vergogne et s'avança vers la cascade pour aller le rejoindre.

Au moment où elle arriva à son niveau, Liam avait remis son t-shirt et était en train d'effectuer une sorte de salut à lune – ou un truc dans le genre. Constatant qu'il ne l'avait pas entendu approcher, elle posa une main sur son épaule, provoquant ainsi les petites décharges dues à leur lien. Malheureusement, il ne réagit pas vraiment comme elle l'aurait espéré. Au contraire même ! Liam sursauta et, vif comme l'éclair, s'empara immédiatement de sa main et de son bras pour la tirer devant lui avec violence. Surprise par sa réaction, elle mit trop de temps à réagir à l'attaque. En une fraction de seconde, Liam avait posé un couteau sous sa gorge.

Euh...

Quand elle croisa son visage aux traits déformés par la colère, elle eut un mouvement de recul et... contre-attaqua, le cœur comprimé comme dans son rêve.

Elle réussit à le désarmer en donnant un coup dans son bras, du plat de la main. Mais Liam était rapide. Il lui saisit le bras et lui faucha les jambes. Elle tomba lourdement par terre. Néanmoins, il était hors de question qu'elle se laisse abattre. Elle se retourna prestement et réussit à crocheter ses mollets entre ses cuisses, pour le faire basculer à son tour. Il chuta sur l'herbe humide, mais il ne mit pas longtemps à se redresser. Puis il se jeta sur elle en saisissant ses poignets – la vision qui les frappa fut anecdotique – et la plaqua au sol.

Non mais... sérieusement ?! Cette situation avait comme un air de déjà-vu...

Furieuse de s'être laissée avoir, elle rua avec les jambes, mais il parvint à s'asseoir à califourchon sur elle et à l'immobiliser.

Elle le foudroya du regard et il lui rendit la pareille.

— Mais bon sang, Mac ! Mais qu'est-ce qui te prend ?! demanda-t-il à bout de souffle.

— Qu'est-ce qui me... Tu te moques de moi, là ?! C'est toi qui m'as attaquée !

Il ouvrit des yeux ronds.

— J'ai été surpris, c'est sûr et j'ai réagi instinctivement ! Mais toi, quelle est ton excuse ?

Son... excuse ?! Il était sérieux, là ? Il...

Bon... ouais... Il était peut-être possible – attention, peut-être ! – qu'elle ait un tantinet surréagi parce qu'elle lui en voulait un peu de la façon dont il s'était comporté dans son cauchemar. Bien sûr, le fait qu'il n'y soit pour rien dans la réalité ne rentrait absolument pas en ligne de compte.

— Je... commença-t-elle plutôt irritée contre elle-même et sa stupide réaction. Tu étais en colère et... rien. Laisse tomber.

Liam la regarda comme si deux cornes venaient soudain de lui pousser sur la tête. Elle gigota pour lui montrer qu'elle souhaitait se relever et... aller se taper le crâne contre un arbre tant elle se trouvait idiote. Ce rêve l'avait complètement déstabilisée.

Mais le jeune homme ne bougea pas. Sa mâchoire était contractée et ses yeux gris tourmentés. Elle repensa alors à son air pensif autour du feu de camp et elle se calma instantanément.

— Qu'y a-t-il, Liam ? demanda-t-elle d'une voix hésitante. Tu vas bien ?

(...)