Chapitre 4 (2/2)
(...)
— Il est hébergé par des amis de La Cause, ici-même, dans la principauté de Pa'Auro.
Ah ben ça pour un coup de bol !
Non mais attendez... Ne venait-elle pas de dire qu'elle n'en avait jamais ? Il devait forcément avoir un truc qui clochait.
— La Cause ? Quelle Cause ? questionna judicieusement Jack en mettant le doigt sur ce qui la chiffonnait.
L'Os'Tra se détourna subitement d'elle, raide comme un piquet, et fusilla son ami du regard.
Euh...
— C'est bon, Fahran, intervint Connor qui semblait comprendre l'attitude soudainement agressive de l'Os'Tra. Jack est également un Sorcier sympa, comme Declan. C'est même son cousin ! Tous les membres de ce Peuple ne sont pas des raclures de Sang-Purs, tu sais ?
Oh, d'accord... Les Os'Tra n'aimaient pas les Sorciers. Ni les Sang-Purs. Ce qui était – en soi – plutôt une bonne nouvelle. Sauf pour les Sorciers qui n'étaient pas des Sang-Purs. Vous suivez ?
— Les Laserian en font partie pourtant, gronda en retour le balafré renfrogné.
Ah bon ?
— Mon père et ma mère, c'est exact, confirma Jack. Ma sœur, mon cousin et moi-même, sommes la honte de la famille... tenta-t-il de plaisanter.
— Ta sœur a tout de même fricoté avec un extrémiste, je te signale ! siffla l'Os'Tra, coupant court à la tentative d'apaisement du Sorcier.
Hein ?
— Co... comment le sais-tu ? s'étonna Jack en ouvrant des yeux ronds et en se renfrognant à son tour.
— C'était il y a longtemps, intervint Liam le visage dur. Elle était très jeune, amoureuse et influençable. Elle leur a tourné le dos depuis des années.
Mais... de quoi est-ce qu'ils parlaient ?
Fahran renifla avec mépris.
— C'est une...
Lihanna sentit Jack, Liam et Declan se raidir immédiatement. En une fraction de seconde, l'atmosphère devint extrêmement tendue.
— Brianna est quelqu'un de bien, coupa Dilys avant que le guerrier balafré ne puisse lâcher son insulte et déclencher une bagarre. Elle est notre amie et nous ne tolèrerons pas que tu l'injuries.
Ce fut au tour de Fahran de se crisper.
— Les gens changent, Fahran du Peuple Os'Tra, ajouta-t-elle d'une voix douce. Et heureusement, d'ailleurs. La Cause est...
— Qui es-tu ?
Fahran dévisageait la jeune Métisse avec un air suspicieux. Lihanna avait l'impression de se retrouver dans un épisode de la Quatrième dimension, tant elle ne comprenait rien à la situation.
— Je m'appelle Dilys Pal'Comgal. Je suis la fille de Angus et Sara Pal'Comgal, membres fondateurs du mouvement Populum Liberum.
Euh... une minute. Membres fondateurs de quoi ?!
— On dirait du latin... murmura-t-elle pour elle-même en ayant la désagréable impression de rajouter une couche supplémentaire d'emmerdes au merdier dans lequel ils étaient embourbés à chaque nouvelle discussion.
— C'est parce que ça l'est, lui répondit Dilys avec un petit sourire ravi. Du moins en quelque sorte. Certains des rares Sang-Mêlés qui ont traversé un portail pour venir vivre sur Orcam dans la principauté de Pa'Auro, aiment utiliser des locutions latines toutes faites – les Quatre seuls savent pourquoi – pour ponctuer leurs phrases ou juste comme ça. Par exemple, carpe diem,alea jacta est... Ah attends ! J'aime bien celle-là : Dura lex, sed lex. Bref. Après, ce ne sont pas forcément de vrais latinistes – en plus ils sont tous très vieux et peut-être un peu séniles – c'est pourquoi nous ne les utilisons pas forcément à bon escient, ni dans une déclinaison correcte. Tout ça pour dire que Populum Liberum est censé vouloir dire « Peuple Libre », dans une langue que peu d'Hérialiens sont à même de comprendre. Enfin, c'était l'idée quand mes parents l'ont créé...
Ok.
— Tes parents font partie d'un mouvement anti-gouvernemental ? Non pas que je les juge, hein ! C'est juste...
— Non ! s'exclama Dilys. Pas vraiment. Ils l'ont créé en réponse à la banalisation des insultes envers les citoyens Métis proférées par les Sang-Purs. Ils voulaient faire entendre la voix du Peuple Libre en organisant des manifestations pacifiques et festives, en dialoguant... et cela a fonctionné ! Les choses se sont beaucoup calmées dès le début du règne d'Ardal Te'Arlach, un roi très sage qui a décidé de punir sévèrement ce genre de comportements haineux.
— Waouh... C'est... vraiment génial, approuva Lihanna.
— Carrément ! renchérit Jack. Belle initiative.
Dilys rougit légèrement sous le coup du compliment.
— Oui, ça l'était. La Cause...
— Angus et Sara Pal'Comgal ne font plus partie de Populum Liberum, ni d'aucun autre mouvement de La Cause, si je ne m'abuse ? la coupa Fahran en haussant ses sourcils avec un air à la limite du dédaigneux.
— Non, répliqua Dilys, ses joues se colorant davantage. Ils ont décidé de le quitter quand le mouvement s'est radicalisé, notamment par le biais de certains membres qui se sont rapprochés de mouvances plus extrémistes, se disant rattachés à la communauté de Mana.
Par les Quatre ! Qu'est-ce que c'était encore que ce truc ?
— Euh... la communauté de quoi ? demanda-t-elle en fronçant les sourcils.
— La communauté de Mana. À la base, c'est une sorte de réseau clandestin et secret créé pour protéger et défendre les plus faibles, les opprimés... Mais il y a quelques années, une nouvelle cheffe a pris sa « direction » et ses intentions ne sont pas – à ce qu'on dit – des plus pacifistes envers les Sang-Purs bien sûr, mais aussi envers les Sorciers, les Faës, les Métaïrs et... le gouvernement d'Hériale dans son ensemble.
Génial... Tout cela était vraiment... génial. Ironiquement, bien sûr.
Non mais, sérieusement ?! Les Hérialiens n'avaient-ils déjà pas bien assez de problèmes comme, par exemple, la forte probabilité – dans un futur très très proche – de finir congelés vivants ? Où trouvaient-ils encore le temps et l'énergie de vouloir tuer d'autres êtres humains, franchement ?
— Je trouve que tu en sais beaucoup sur La Cause, constata soudain Fahran d'une voix dangereusement basse. Alors que tu n'en fais même pas partie...
— Mais mes parents, si. Et ils ne m'ont jamais rien caché.
Lihanna entendit immédiatement les tremblements de peur dans la voix de son amie et elle se crispa. L'atmosphère devenait tout à coup beaucoup moins amicale. Et si Fahran se mettait à menacer Dilys...
— Sans oublier qu'elle est curieuse, observatrice et très loin d'être stupide, ajouta Jack pour la défendre et en dardant un regard meurtrier sur l'Os'Tra qui fixait toujours la jolie Métisse comme s'il allait la bouffer.
La tension augmenta d'un cran supplémentaire.
— La Cause... c'est une sorte de rébellion, alors ? demanda soudain Liam, mettant ainsi un terme au duel de regards sombres que se lançaient toujours Jack et Fahran.
Liam semblait pensif en posant sa question et bizarrement, Lihanna eut comme une sorte de mauvais pressentiment. Elle sentait la colère qui l'habitait depuis qu'ils avaient quitté Hériali, cette colère qu'elle-même ne connaissait que trop bien et qui était rarement bonne conseillère...
À côté d'elle, Dilys toussota et Lihanna détourna son attention de Liam qui venait clairement d'essayer d'éviter son regard inquisiteur.
— À la base, La Cause des Citoyens de Pa'Auro avait simplement pour but de représenter et défendre les droits des Métis si la haine des Sang-Purs envers notre Peuple se répandait dans le royaume d'Hériale... commença son amie.
— Mais aujourd'hui ? insista Liam en lui coupant la parole. Ce qui s'est passé sur le port, par exemple ? Y étaient-ils mêlés ?
Surprise, Dilys haussa les épaules en signe d'ignorance.
Ok. Là, Lihanna sentait que le grand merdier dans lequel ils étaient embourbés était en train de devenir une fausse à purin gigantesque.
— Euh, attendez une minute, intervint-elle en levant la main et en cherchant le regard de son lié. Juste pour être claire avant que vous ne continuiez : il est hors de question que je participe à une rébellion contre le gouvernement d'Hériale, hein !
Parce que même si elle aussi en voulait énormément à son père au sujet des enfants mages des Quatre sacrifiés, elle trouvait qu'une rébellion comme crise d'ado c'était... eh bien... un peu extrême. Elle n'avait peut-être pas un caractère facile, facile... mais tout de même !
Bien sûr, elle n'était pas contre l'idée de faire bouger les choses dans ce royaume multiséculaire aux lois archaïques et injustes, mais avant cela, il fallait déjà qu'ils règlent cette histoire de malédiction, non ?
Et ce n'était pas parce qu'elle était une feignasse qu'elle se posait cette question ! Non, pas du tout ! Mais bon, une guerre civile à gérer en plus des extrémistes, des vieux Th'Eos psychopathes, d'Adam son double maléfique, d'elle-même, ses pouvoirs destructeurs, cette histoire d'Héritier Final et... son histoire d'amour avec Liam... c'était... juste... beaucoup lui demander.
Elle se répétait mais... bon sang, elle n'avait que dix-sept ans !
— Je ne te demande pas de te joindre à une rébellion, Princesse Lihanna, répliqua soudain Fahran avec un sourire qu'elle jugea peu sincère. Je te demande juste de venir rencontrer Talek si tu veux avoir des réponses à tes questions sur ton identité et ton destin. Il se trouve que mon chef est à Kobou et qu'il loge chez des amis appartenant à La Cause. Ce n'est qu'une simple coïncidence.
Euh... sérieusement ? Avait-elle l'air d'une dinde sans cervelle ? Parce qu'il ne fallait pas commencer à se foutre de sa gueule, non plus.
— Ces amis... ce sont des membres de cette... communauté de Mana ? demanda-t-elle tout de même en lui retournant un sourire faux qui lui donnait peut-être cet air de dinde sans cervelle pour le coup. Parce que loin de moi l'idée d'être désagréable, mais comme j'ai un peu de mal avec les extrémistes et leurs méthodes...
Face à elle, l'Os'Tra ouvrit des yeux ronds.
— Mais... Ce ne sont pas des Sang-Purs, voyons ! s'offusqua-t-il.
— Et alors ? rétorqua-t-elle innocemment. Un extrémiste reste un extrémiste, non ? C'est-à-dire qu'ils ont des méthodes... extrêmes. Qui te dit que... je ne sais pas moi... Peut-être vont-ils essayer de me kidnapper pour faire chanter mon père, par exemple ? D'ailleurs, si ça se trouve, cette cheffe-là, celle de la communauté de Mana, elle t'a peut-être donné l'ordre de me ramener dans son antre pour se servir de moi contre le gouvernement, qui sait ? Tu es peut-être en train de me tendre un piège ?
Fahran prit un air sincèrement outré.
— Par les Quatre ! Les Os'Tra ne sont absolument pas aux ordres de Ne...
Il s'interrompit et jeta un coup d'œil rapide vers Liam et Connor.
— Les Os'Tra n'obéissent pas à la communauté de Mana, reprit-il plus posément en levant fièrement le menton. Et surtout, nous ne te livrerons jamais à qui que ce soit ! Tu es notre...
Il se tut une nouvelle fois et serra la mâchoire.
— Bordel... marmonna-t-il dans sa barbe. Je ne suis absolument pas habitué à gérer les pourparlers. Je suis un guerrier, moi. Ce n'est pas mon rôle...
Il secoua la tête et souffla un bon coup avant d'ajouter en plantant ses yeux dans les siens.
— Talek loge chez des membres de Populum Liberum, car beaucoup d'hôtels et de gîtes sont pleins à l'approche de l'Équinoxe de printemps. Viendras-tu avec moi, oui ou non ?
Un peu rassurée par sa réaction, Lihanna fit mine de réfléchir quelques secondes.
— Je veux des réponses. J'irai donc à Kobou pour rencontrer Talek.
De toute façon, elle avait déjà prévu de se rendre dans la capitale de la principauté, alors...
Fahran poussa une sorte de soupir soulagé.
— Mais mes amis viennent avec moi, ajouta-t-elle immédiatement.
— Pas les Sorciers, rétorqua-t-il du tac au tac.
— Hé ! protestèrent en chœur Jack et Declan.
— Oh si, même les Sorciers, contra-t-elle avec un grand sourire.
Fahran la foudroya du regard.
— Très bien. Mais je te préviens, il est hors de question que je les protège.
— Sérieusement... marmonna Jack. Ce n'est pas comme si j'étais assez grand ni assez puissant pour me protéger tout seul, hein...
Cette remarque lui valut un ricanement de l'Os'Tra.
— Marché conclu, déclara alors Lihanna pour couper court à cette lutte des coqs qu'elle sentait poindre. Nous venons avec toi.
Fahran la fixa quelques secondes et finit par hocher la tête d'un geste sec.
— Bon ! déclara-t-elle alors avec un sourire. Si on mangeait vraiment, maintenant ? C'est que je n'ai qu'un bout de viande cramée dans le ventre moi...
Tandis que tout le monde levaient les yeux au ciel, tout en se préparant tout de même une pique à chauffer dans le feu, Lihanna ne put – comme d'habitude – s'empêcher de lancer à un regard du côté de Liam pour croiser le regard gris acier qui la faisait vibrer.
Mais en voyant la tête qu'il faisait, elle perdit immédiatement l'appétit.
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