Chapitre 12 (2/2)

(...)

Liam sursauta et Lihanna se crispa à ses côtés. L'atmosphère légère que Donald avait voulu instaurer se chargea immédiatement d'électricité. Les yeux de Liam s'étrécirent et tous les regards convergèrent vers le chefs des Os'Tra qui – nota Liha – semblait assez content de son petit effet. Elle entendit son oncle déglutir bruyamment et sa tante étouffer un grognement indigné, juste avant d'intervenir dans la conversation.

— Talek, je ne pense pas...

Liam ne la laissa toutefois pas finir sa phrase.

— Vous connaissiez ma mère ?

Sa voix, rendue sourde par le choc, donnait à penser que Liam n'était pas le moins du monde bouleversé par cet étrange commentaire lancé par Talek et qu'il continuait d'alimenter une conversation polie. Lihanna n'était pas dupe. Sous ses airs détachés, son lieutenant était extrêmement fébrile et à deux doigts de bondir sur l'Os'Tra pour le secouer.

— Pourquoi employez-vous le passé, lieutenant Ruadhan ? Votre mère n'est pas morte, si je ne m'abuse.

Lihanna ne put retenir un petit hoquet de stupeur tandis que tout le corps de Liam se tendait. Elle lui jeta un coup d'œil à la dérobée. Les veines saillantes sur son cou n'étaient pas pour la rassurer. Si sa folle théorie sur « Liam est un Tes'Sara » se révélait exacte, elle n'était pas certaine qu'il parvienne à contrôler un trop brusque mouvement de colère. Cette pensée lui arracha un petit sourire. Non pas qu'elle ait envie que Liam pète les plombs et détruise la charmante maison de sa tante, mais la situation inversée où c'était elle qui se faisait du mouron sur la capacité de son lié à gérer les émotions était franchement tordante.

— Tout le monde le pense pourtant, affirma Liam en haussant les épaules avec nonchalance. Comment cela se fait-il que ce ne soit pas votre cas ?

Un coin de la bouche de Talek se retroussa sur un petit sourire satisfait. Il prit une gorgée de son infusion en plantant ses yeux sombres et vifs dans ceux métalliques et intransigeants du Fils de la Terre.

— Savez-vous qui est votre mère, lieutenant Ruadhan ? Ou votre père et le roi vous ont-ils également caché cela ?

— Talek ! gronda sa tante. Ce n'est pas ce qui était prévu ! Vous n'êtes pas ici...

— Que voulez-vous dire ? s'enquit Liam en continuant de garder son calme.

De son côté, les doigts de Lihanna étaient en train de sérieusement la démanger. Même si elle savait que cela était inutile – et sans doute stupide – l'envie de faire ravaler son rictus arrogant au chef Os'Tra se faisait cruellement sentir. Car cet homme avait une idée derrière la tête. Une idée qui faisait de Liam une cible, même si elle en ignorait encore les raisons.

Le regard d'avertissement que Fahran braqua sur elle la transperça. L'Os'Tra avait immédiatement senti sa fébrilité. Ces hommes étaient doués et dangereux, elle le savait. Mais elle savait aussi qu'ils avaient besoin d'elle. Elle lui répondit donc par un coup d'œil dédaigneux. Les lèvres de Fahran s'étirèrent légèrement dans un parodie de sourire et ses yeux glissèrent subrepticement sur Liam avant qu'ils ne se reposent sur elle et que ses sourcils bruns dessinent un arc de cercle qui voulait dire – pas la peine d'être un devin pour comprendre la menace – qu'ils n'avaient en revanche aucun besoin de lui et cela semblait le mettre particulièrement en joie.

Cette fois, elle en était certaine. Les Os'Tra avaient une dent contre son lié. Mais pourquoi ?

— Que votre mère, Nell Ruadhan-Cadwallon est la cheffe de la communauté de Mana et qu'elle est très remontée contre votre gouvernement, lieutenant, déclara soudain Talek en la tirant de sa joute muette avec Fahran. J'imagine que vous l'ignoriez ?

Lihanna sentit Liam se tendre encore plus, si c'était possible. Mais – bien que cette nouvelle soit étonnante – il se garda bien de répondre et de montrer un intérêt trop vif pour cette révélation.

— Et ?

— Votre mère est en train de poser les bases d'une guerre civile contre le gouvernement que vous servez. Je me demande simplement pourquoi votre père vous a maintenu dans l'ignorance... À moins qu'il n'ait eu peur que vous ne la rejoignez ? J'avais déjà noté votre instinct utopiste et rebelle lors de notre rencontre dans les tunnels. Votre père doit vous connaître mieux que moi et n'a sans doute pas voulu courir le risque. Qu'en dites-vous ?

Lihanna retint son souffle.

— Que je n'ai absolument pas l'intention de parler de ça avec vous, répliqua Liam glacial. Mes choix d'allégeances présents ou futurs, quels qu'ils soient, ne vous regardent pas.

Le sourire de Talek s'étira. Mais il n'avait rien d'avenant, bien au contraire.

— Je me dois de vous détromper, lieutenant Ruadhan. Vos choix ont – pour l'instant – une importance capitale pour moi et les miens.

Hein ? Lihanna avait toujours détesté la politique, en partie parce qu'elle trouvait que pour parvenir à leurs fins, ceux qui la pratiquaient utilisaient souvent des chemins tordus qu'eux seuls étaient capables de comprendre. Là par exemple, elle se demandait ce que la vie personnelle de Liam venait bien faire dans cette histoire et en quoi cela intéressait-il les Os'Tra.

— Voyez-vous ça... Et puis-je vous demander en quoi, Talek ? s'enquit Liam qui devait sans doute se poser les mêmes questions qu'elle.

— Parce que tu es le lié de Lihanna.

Court. Concis. Sans queue ni tête.

Le passage au tutoiement ne choqua personne, ce qui ne fut pas le cas du ton grondant que le chef des Os'Tra utilisa pour énoncer cette platitude. Lassée de cette fixette sur sa vie amoureuse, Lihanna ne parvint finalement pas à se retenir et envoya valser toutes ses belles résolutions de passer pour une adulte responsable au caractère pondéré :

— Mais qu'est-ce que ça peut bien vous foutre, à la fin ?! éructa-t-elle en se levant et en les faisant tous sursauter.

Parce que oui. Elle faisait rarement les choses à moitié. C'était d'ailleurs ce qui faisait son charme. Ou était-ce l'inverse ? Bref.

Donald renversa un peu de son thé et laissa échapper un petit cri étouffé. La main de Liam se posa instinctivement sur son bras en la tirant légèrement pour la forcer à se rasseoir. Elle l'ignora mais ne fit pas mine de se dégager. Les yeux de Fahran se braquèrent aussitôt – avec une légère inquiétude – sur l'endroit où les doigts de son lié venaient de se poser, tandis que sa tante se levait dans une attitude de médiatrice entre les deux camps. Seul Talek n'avait pas bougé.

Son regard sombre fixé sur elle, il prit nonchalamment une gorgée de son infusion avant de reposer délicatement sa tasse sur sa soucoupe.

— Allons, allons, Lihanna. Pas la peine de nous énerver. Surtout que tu as sans doute une petite idée de ce qui fait notre intérêt pour toi, n'est-ce pas ?

Lihanna le foudroya du regard, énervée autant par sa désinvolture que par son choix délibéré de ne pas répondre à sa question.

— Bien sûr, siffla-t-elle avec sarcasme, vous êtes des Th'Eos et je suis la descendante de l'une des vôtres. Mais ce que je ne comprends pas en revanche, c'est votre fixette sur ma relation avec Liam. D'où ma question à laquelle j'attends une réponse, Talek : qu'est-ce que ça peut bien vous foutre que le Lieutenant Ruadhan et moi soyons liés ?

Du coin de l'œil, elle remarqua un léger malaise se dessiner sur les traits durs et froids de Fahran. Les doigts de Liam se crispèrent davantage, mais il n'intervint pas.

Les yeux de Talek s'étrécirent et il se pencha en avant en l'écrasant soudain de son aura de pouvoir impressionnante. Le souffle de Lihanna se bloqua, mais elle ne flancha pas et ne baissa pas les yeux. Une ombre de sourire flotta sur les lèvres de l'Os'Tra lorsqu'il le constata.

Tes choix sont importants, Lihanna, déclara-t-il finalement. Tous tes choix. Et si – par amour pour ton lié – tu dois te joindre à une personne aveuglée par la haine et qui ne cherche que la vengeance personnelle, c'est le monde d'Orcam dans son ensemble qui aura à en souffrir. Voilà en quoi ta relation avec Liam, le fils de la cheffe de la communauté de Mana, nous importe, Princesse.

Que... Quoi ?

Lihanna écarquilla les yeux sous le coup de la surprise et Liam se redressa. Ce fut ce moment que Talek choisit pour lui asséner le coup de grâce :

— Sans oublier le fait que tu n'étais pas censée être déjà liée à un autre homme que celui que nous avions désigné pour toi. 

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