Chapitre 1 (2/2)
(...)
Néanmoins, une chose était certaine. Taire cette découverte fragilisait sa position. Ses ennemis politiques n'hésiteraient pas à se servir de cet argument pour le renverser s'ils apprenaient qu'il cachait une information aussi importante à la population.
La question n'était donc pas de savoir « si » il allait l'annoncer aux citoyens, mais plutôt « quand ? ». À quel moment cette révélation servirait-elle de bouclier à ses enfants ? Car les « Trois d'Evarna » – sous la coupe d'un Th'Eos venu d'un lointain passé oublié – étaient bien plus effrayants que « trois enfants du pays » que tous connaissaient depuis des années et que la majorité voyaient encore comme des sauveurs, il en était certain.
Quoi qu'il en soit, il voulait garder cet atout dans sa manche pour pouvoir le brandir au bon moment et remporter la mise. À savoir : que tous les Hérialiens – tous Peuples confondus – se fédèrent derrière Liha, Iain et Erin et les soutiennent pour briser enfin cette foutue malédiction, responsable de tant de dissensions au sein du royaume.
— Y a-t-il autre chose dont tu souhaitais me parler ? demanda-t-il finalement à Sean sans répondre à sa question.
Contre toute attente, son frère n'insista pas. Il avait sans doute d'autres doléances à lui soumettre et il ne voulait pas risquer de se disputer avec lui et d'être congédié.
— Qu'attendez-vous pour faire fermer le bouge gérer par Jio Pal'Sully et interdire tout rassemblement de Métis dans la capitale ?
Derrière lui, Aedan entendit Ross renifler avec mépris.
Ouais... Les requêtes stupides étaient évidemment toujours les mêmes.
— Nous n'attendons rien, répondit-il en fixant un regard froid sur son frère. Il n'y a aucune raison valable pour accéder à cette demande complètement déraisonnable formulée par les tiens.
— Déraisonnable ?! se récria Sean, indigné. Des dizaines de témoins attestent que ce sont trois Métis, proches de ceux qui se rassemblent chez Jio, qui ont commencé les hostilités en exécutant froidement un Sorcier !
— Et ces trois hommes seront effectivement jugés pour ce crime quand nous les auront arrêtés, rétorqua immédiatement Aedan.
Son frère fit un pas en avant en le fusillant du regard.
— Vous ne connaissez même pas leurs identités ! Jio et ses clients sont leurs complices, c'est évident !
Aedan posa ses mains à plat sur le bureau et le dévisagea froidement.
— Jio et ses clients, comme tu dis, ont tous été interrogés. Certains ont été arrêtés, jugés et condamnés à purger une peine de prison ou à des travaux d'intérêt général pour leur implication dans les évènements du port.
Sean affecta un air outré.
— Pourquoi ne pas les avoir fait expulser vers Evarna ? C'est la loi pour les meurtriers dans notre royaume, non ?
Aedan commençait tout doucement à en avoir assez de ces absurdités qu'on lui rabâchait à longueur de journée. Expulser les coupables d'actes criminels aussi graves vers Evarna – sans savoir ce qu'il pouvait bien leur arriver – n'était même pas à proprement parler une loi, mais plutôt une sorte de tradition. Ce genre de crimes était tellement rare dans le royaume d'Hériale ! La crise actuelle – comparable à un début de guerre civile – ne pouvait absolument pas se gérer de la même façon qu'un banal procès pour meurtre. Le risque de cristalliser le sentiment d'injustice ressenti dans les deux camps qui avaient participé aux évènements du port, était beaucoup trop réel.
— Oh arrête, Sean ! Tu sais bien que ce n'est pas si simple ! La situation est complètement différente cette fois ! Souhaiterais-tu que tous tes amis présents ce jour-là à « L'antre des Purs » soient également considérés comme coupables de meurtres et envoyés vers l'île voisine ?
— Mais ils n'ont fait que se défendre ! contra son frère avec véhémence.
Ross et Aedan reniflèrent à l'unisson.
— Mais bien sûr... pauvres petits Sang-Purs innocents... murmura le Fils de la Terre en dardant son regard gris acier sur l'homme qu'était devenu le frère de son meilleur ami.
— Malgré ce que tu aimerais croire Aed, répliqua Sean non sans avoir soutenu le regard de Ross, ce ne sont pas mes amis qui ont tiré cette flèche sur Eana. Ce sont les Métis et tu le sais ! Ils sont dangereux, mais tes sympathies à leur égard t'empêchent d'agir comme tu le devrais et...
— Sean... gronda Aedan qui avait dépassé le stade de l'agacement au moment où son frère avait à nouveau prononcé le prénom de l'amour de sa vie.
Il lui déniait ce droit. À lui, comme à tous les autres agitateurs publics, de quel bord que ce soit, qui se servaient de l'agression d'Eana pour défendre leur point de vue. Mais Sean ne sembla pas s'en apercevoir.
— Je te connais Aed, tu aimerais tellement venger Eana, mais tu...
— Ne dis pas que tu me connais, bon sang ! explosa-t-il finalement en tapant un poing rageur sur le bureau devant lui. Et ne parle pas d'elle ! Tu en as perdu le droit quand tu as choisi de te réfugier dans l'idéologie nauséabonde que tu défends aujourd'hui ! Mais tu veux savoir ce que je voudrais vraiment, là, maintenant, tout de suite, Sean ? Sortir d'ici et exterminer jusqu'au dernier des instigateurs de vos deux stupides camps d'extrémistes seulement capables de se monter le bourrichon et d'attiser la haine, mais incapables de voir plus loin que le bout de leur nez !
— Aedan... le rabroua doucement Ross pour l'inviter à se calmer.
Il sursauta. Puis il secoua la tête et prit une profonde inspiration. Ses yeux gris clair prirent une teinte plus orageuse.
— Voilà ce je voudrais faire, Sean, reprit-il plus doucement mais sur un ton nettement plus tranchant. Car, que vous le vouliez ou non, vous êtes tous responsables du chaos dans lequel se trouve Hériali en ce moment ! Mais comme je ne suis pas un putain de dictateur cinglé et autoritaire, je me force à écouter vos foutues doléances haineuses au lieu de tous vous tuer. Et j'essaie de trouver un terrain d'entente pour que toutes vos merdes ne nous explosent pas à la gueule, alors que je préfèrerais mille fois vous laissez vous démerder et être au chevet d'Eana ! Par contre, sache tout de même que tu as parfaitement raison. Je trouve les réclamations des rebelles Métis bien plus légitimes que celles de tes congénères. Alors arrête de te plaindre et de tout contester si tu ne veux pas que je me transforme par ta faute en roi impartial et que je finisse par promulguer une loi interdisant les rassemblements des Sang-Purs, simplement pour te faire enrager ! Suis-je assez clair, petit frère ?
Face à lui, Aedan eut l'impression que Sean avait du mal à réprimer un petit sourire empreint de nostalgie, malgré son expression choquée. Car, l'Aedan soupe au lait et impulsif était une constante rassurante dans leurs souvenirs communs. Le grand frère qui s'énervait toujours – un peu trop rapidement – pour prendre la défense de son petit frère et de sa petite sœur. Un temps bien évidemment révolu depuis belle lurette – tout comme cette expression – mais qu'il ne pouvait s'empêcher parfois de se remémorer.
Quoi qu'il en soit – et peu importait ce que son frère pensait – sa tirade lui avait fait du bien et avait dénoué certaines tensions qui lui pourrissaient la vie depuis quelques semaines. Même s'il conservait tout de même l'envie profonde de tuer tout le monde...
— Ouais... marmonna Sean au bout d'un moment. Je crois que j'ai compris l'idée, Votre Majesté. Dis-moi simplement si vous avez appris quelque chose concernant ces trois individus, ok ? Malgré ce que tu penses de nous, nous pouvons peut-être vous aider à les retrouver et vous les livrer ? Après tout, ces hommes ont tué plusieurs des nôtres et nous voulons simplement que justice soit faite.
Ben voyons...
Aedan soupira. Mais après tout, il n'avait aucune raison de lui cacher ces informations.
— Trois hommes à la carrure de guerriers, expliqua-t-il. Un blond aux yeux dorés. Deux bruns aux yeux marron, l'un arborant une cicatrice sur la joue, l'autre une barbe fournie. Ils portaient des habits aux couleurs des Métis, mais aucun membre de ce Peuple ne semble les connaître. Ils sont, en outre, trois redoutables combattants aux pouvoirs impressionnants. Ce sont des tueurs bien entraînés, Sean. Pas de simples révoltés comme les autres participants – des deux camps confondus – de cette guérilla urbaine. Face à eux, aucun des Sorciers qui s'auto-vénèrent n'a été capable de faire le poids. Voilà ce que disent les témoignages que nous avons récoltés.
Sean resta silencieux quelques instants, le temps d'intégrer ces informations.
— Très drôle ta petite pique sur les Sorciers, lâcha-t-il une fois que cela fut fait. Et sinon, c'est tout ? Aucun nom ?
— Non.
Si. Mais cela, il le gardait pour lui.
Car quelqu'un lui avait révélé les noms de ces trois individus.
Kaïs, Fahran et...
Doran.
Le mystérieux lié d'Erin. Cet étranger semblant n'appartenir à aucun Peuple qui avait retrouvé sa fille, lui avait sauvé la vie et ramenée à sa famille. Le bienfaiteur de sa cadette mêlé de près ou de loin à l'attaque qui avait failli tuer l'amour de sa vie.
Failli... Car Eana était – heureusement – bel et bien vivante.
Mais le plus fou dans tout ça, c'était qu'elle était encore en vie grâce à sa propre magie.
Car sa « reine » ne se trouvait plus dans le coma comme le pensait la majorité des Hérialiens... Non... Si elle se « cachait », c'était parce qu'elle était en train de se torturer le cerveau – et de le rendre dingue – pour essayer de comprendre d'où lui venaient ses « fichus pouvoirs magiques ». Parce que c'était sa magie qui avait dévié in extremis la flèche qui fonçait droit vers son cœur. Pourtant, Eana était censée être une Terrienne lambda, sans pouvoirs magiques.
Alors, qui était-elle au juste ? Elle était plus que déterminée à découvrir la réponse à cette question et prête à faire presque n'importe quoi pour cela.
Aedan lui, se réjouissait surtout de la savoir en vie... et il était peut-être un peu moins pressé de découvrir sa « vraie identité ». Il ne savait pas pourquoi, mais il était persuadé que cette dernière n'allait lui apporter que des ennuis.
Et en ce moment, niveau ennuis...
Bref.
Quoi qu'il en soit, quelqu'un avait essayé de la tuer, c'était une certitude. Or, ce quelqu'un devait continuer d'ignorer l'état dans lequel la reine se trouvait. Peut-être ferait-il l'erreur de venir vérifier par lui-même son état de santé et peut-être se ferait-il prendre ?
Même si, dans tous les cas, il ne la trouverait pas.
Parce que dans une semaine – et c'était l'une des raisons pour laquelle sa têtue de femme le rendait dingue – Eana franchirait le portail qui menait chez elle, sur Terre.
Elle avait en effet décidé – et peu importait ce qu'il en pensait – de découvrir si Enora, la vieille femme que les triplés considéraient comme leur grand-mère, savait quoi que ce soit sur ses origines et si elle pouvait l'aider à comprendre qui elle était...
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