Chapitre 9.2

Liam entendit Lihanna se rasseoir lourdement.

Avait-elle eu l'intention de se rapprocher de lui ? Mourait-elle aussi d'envie de le toucher ? De tout oublier dans ses bras ?

Bordel ! Mais pourquoi ne le faisaient-ils pas ? Pourquoi ne réduisaient-ils pas cette stupide distance qu'ils avaient instaurée entre eux ?

Peu importait s'ils avaient à nouveau cette foutue vision qui lui rappellerait qu'ils étaient liés. Qui lui rappellerait qu'il lui appartiendrait toujours et...

... qu'elle pourrait quand même l'abandonner.

Comme sa mère avait abandonné son père et sa famille toute entière. Sans regrets.

Non ! Il s'était juré que ce genre de truc ne lui arriverait pas.

Même si Lihanna était destinée à faire partie de sa vie et qu'il ne pouvait pas la laisser tomber – d'ailleurs, il n'en avait pas la moindre envie – il fallait qu'il... s'éloigne. Il ne pouvait peut-être pas le faire physiquement – elle avait besoin de lui et il devait la protéger – mais il pouvait réduire leurs échanges au strict minimum... même si parler avec elle lui faisait un bien fou.

Ah... bon sang ! Si seulement ce foutu cauchemar n'était pas revenu en force depuis qu'elle ne dormait plus dans ses bras. Il n'y avait peut-être plus eu d'orage sur Hériali, mais celui qui grondait le soir où sa mère était partie revenait le hanter chaque nuit.

Il revoyait son visage froid, la dispute avec son père, le petit Liam de cinq ans qui tremblait de peur...

Pourquoi sa mère avait-elle fait ça ? Pourquoi avait-elle voulu le tuer ?

Son père avait essayé de lui parler après son coup d'éclat dans le bureau du général Brewal. Sans doute pour lui dire enfin la vérité. Car il était sûr que pendant toutes ces années Ross lui avait caché quelque chose...

Mais il avait refusé de l'entendre. Il n'avait plus eu envie de lui parler. Plus envie de découvrir une autre horrible vérité comme celle qui faisait du gouvernement qu'il avait toujours voulu servir, un meurtrier d'enfants innocents.

Son père savait. Aedan savait. Brewal savait.

Ah, ils avaient bon dos les Sang-Purs et leurs idées nauséabondes que le gouvernement fustigeait. Mais finalement, ses héros ne valaient pas beaucoup mieux que ses ennemis...

« Elle devrait être morte, Aedan ! »

Lihanna... À cet instant, une sorte de digue s'était rompue en lui. Il s'en était retrouvé le souffle coupé, complètement étourdi. Puis une douleur fulgurante lui avait vrillé le crâne. Mais la brèche dans la digue s'était immédiatement colmatée.

« Hors de question qu'il se rende à Pa'Auro ! »

Nouvelle brèche.

« Ross ! »

Indignation d'Aedan qui n'avait fait qu'alimenter la fissure.

« Nell... »

Tentative de justification de son père qui avait fait exploser la digue.

La boule de feu qu'il avait projetée dans sa direction avait été arrêtée par Aedan, Liha et Iain in extrémis.

Sous le choc de ce qu'il venait de faire – devant leurs yeux écarquillés – la brèche s'était à nouveau refermée.

Il avait immédiatement tourné les talons pour quitter le bureau.

— Liam, attends ! Il faut que je te dise quelque chose d'important ! Ne va pas à Pa'Auro ! Elle... Liam ! Liha peut très bien rester ici le temps qu'on trouve une autre solution... elle...

Il avait fait demi-tour, saisit le bras de Liha dont le visage choqué lui avait retourné le bide – mais il était hors de question qu'il la laisse seule avec eux.

— Nous irons à Pa'Auro. Dites-lui que c'est un ordre, avait-il dit en se tournant vers le général.

Blême, Brewal avait lancé un regard contrit à son père, puis avait acquiescé.

Liam avait finalement quitté le bureau en trainant une Lihanna abasourdie derrière lui. Iain les avait immédiatement suivis.

Durant des semaines, il avait refusé d'adresser la parole aux trois hommes. Il n'avait pas vraiment parlé avec qui que ce soit d'autre non plus.

Certains avaient bien essayé pourtant...

En sortant du bureau, il avait laissé Iain et Liha dans la salle commune, avec les autres. Puis il avait foncé dans sa chambre pour laisser libre court à sa colère. Une colère qu'il n'avait plus ressentie depuis qu'il n'était plus un petit garçon. Il y avait tout cassé. Envoyant valser chaises, tables, bouteilles de whisky...

Duncan et Kenneth étaient immédiatement venus voir ce qui se passait.

« Nell ».

Le seul mot qui avait franchi la barrière de ses dents serrées.

Ses frères avaient hoché la tête et refermé la porte sans rien demander de plus.

Il avait à nouveau laissé exploser sa rage, puis s'était refermé comme une huître, sombrant dans une sorte de mutisme doublé de froideur qui avait tenu tous les autres à distance.

Surtout Liha.

Il savait que Iain et elle avaient décidé de ne rien dire de ce qu'ils avaient appris dans le bureau du général sur le sort réservé aux enfants qui maîtrisaient les quatre éléments. Même si eux aussi ne ressemblaient plus qu'à des ombres.

Mais l'annonce de la mort du commandant Ifan'El'Kined les avait tous les trois aidés – en quelque sorte – à ne pas avoir à donner d'explications plus approfondies à leurs amis.

Car ils s'en étaient servis pour expliquer en grande partie leur humeur sombre.

Ce décès, c'était Kenneth qui l'avait pris le plus mal. Avec Jack, ils s'étaient même  impliqués sans relâche pour découvrir la trace du meurtrier du commandant. Son meilleur ami avait même décidé de faire suivre activement Te'Kelin, persuadé qu'elle était responsable de la mort du seul « témoin » prisonnier. À sa connaissance, cette traque n'avait toujours rien donné...

Puis, quand Erin était revenue en cours, une certaine quiétude était réapparue dans leur groupe. Kenneth s'était calmé, Liha et Iain avaient retrouvé un peu de sérénité, du moins en apparence. Une sorte de routine s'était remise en route, les entraînements, les cours...

Liha et Iain avaient même parlé avec leur père. C'était Iain qui le lui avait dit. Pas Liha... Tous les deux ne se disaient plus grand-chose. Quoi qu'il en soit, les jumeaux avaient conclu une sorte de trêve avec Aedan, même s'ils savaient que leur relation ne serait plus jamais la même.

En outre, Liha était aussi allée parler avec Pal'Cavan. Cette fois, c'était elle qui le lui avait annoncé. Dans l'un de ces rares moments où ils oubliaient momentanément – sans le faire exprès – leur récent mutisme réciproque. Il ne savait pas vraiment ce que le professeur lui avait appris, les explications de Liha s'étant transformées en bafouillages quand il avait arrêté de frapper son punching-ball pour l'écouter et que leurs regards s'étaient accrochés. Il ne savait pas non plus ce qu'elle avait vu dans ses yeux gris. Peut-être la faim qu'il avait d'elle... ou la colère qui ne le quittait plus depuis des nuits. Quoi que ce fût, Lihanna n'avait pas terminé sa phrase. Elle était partie et il avait recommencé à cogner dans ce foutu sac de sable, jusqu'à ce que ses doigts saignent. Néanmoins, il avait tout de même noté qu'elle semblait un peu moins torturée et que ses réticences envers les montagnes de Pa'Auro n'étaient plus de mise.

En même temps, ce n'était pas non plus comme si elle avait vraiment eu le choix. Le général avait même été très clair à ce sujet. Pour lui, il était hors de question que Liam soit le seul « garde-fou » de ses pouvoirs destructeurs. Si elle ne voulait pas finir – au mieux – enfermée dans une cellule « spéciale » Tes'Sara, ils devaient impérativement trouver une solution. Le matériau inhibiteur de magie que l'on trouvait dans les montagnes de Pa'Auro était leur meilleur espoir. Leur seule chance en fait, que tout cela ne finisse pas en tragédie...

Car peu importait finalement si leur idée de tisser un habit en fils de matière noire aboutissait ou non. Liam savait déjà que dans n'importe quel cas de figure, seule Lihanna compterait en définitive. Il ne la laisserait pas se faire enfermer ou maltraiter.

Hériale et la Garde n'étaient plus toute sa vie. Cette fille, si.

Hériale, son gouvernement et sa Garde l'avaient déçu. Pas la fille. Jamais. Enfin presque. Mais cela n'avait vraiment aucune commune mesure avec le sentiment d'horreur et de trahison qu'il avait ressenti envers ceux qui gouvernaient et qu'il adulait jusqu'à présent.

Par contre oui, elle le faisait vraiment flipper... mais sur un plan strictement personnel. Pour ce qui était de sauver le monde, il avait, au contraire, de plus en plus foi en elle.

Et puis, il le savait, il lui devait la vérité.

— Liha ? Tu es toujours là ?

Le mutisme inhabituel dont elle faisait preuve l'obligea à ouvrir un œil.

Oui... Elle était toujours là, assise sur la banquette. Et elle le dévisageait. Il ouvrit les deux yeux pour planter ses prunelles dans les siennes.

Son magnifique regard améthyste traduisait un mélange de surprise et de suspicion. Il haussa les sourcils, lui signifiant qu'il était fin prêt à entendre ses questions.

— Ta... mère ?

Il hocha la tête. Les traits de Lihanna s'adoucirent, mais la méfiance faisait encore briller ses yeux clairs.

— Qu'est-ce que ta mère décédée a à voir dans cette histoire, Liam ? demanda-t-elle en soupirant et en secouant la tête. Pourquoi ton père voudrait-il nous empêcher d'aller à Pa'Auro à cause d'elle ? Ça ne tient pas debout. Si tu cherches à me ménager à propos de l'attitude de Ross, trouve au moins quelque chose qui...

— Je ne sais pas pourquoi il tient tant à m'en tenir éloigné exactement, la coupa-t-il.

Lihanna bondit sur ses pieds et ses yeux commencèrent à se plisser. Elle détestait avoir l'impression qu'il se moquait d'elle. Il le savait.

— À moins que le fait qu'elle ne soit pas vraiment décédée et qu'elle vive justement à Pa'Auro soit à prendre en considération dans sa réaction... ajouta-t-il narquois, avant qu'elle n'ait l'idée de le planter là, sans même l'insulter.

Car c'était ce que tous les deux faisaient de mieux ces derniers temps. Fuir. Et il en avait assez. Surtout en ce qui la concernait. Il ne supportait plus de la voir s'éloigner.

Mais en voyant son beau visage se décomposer et en sentant son besoin d'elle devenir aussi puissant que celui de respirer, la peur du mal que cette fille pourrait lui faire si elle aussi l'abandonnait...

Bon sang ! Mais que lui arrivait-il à la fin ?! Était-il en train de subir un dédoublement de la personnalité ? Allait-il constamment osciller entre une facette optimiste et prête à prendre des risques et une autre sombre et prudente ?

Bordel ! Il détestait sa mère ! Pourquoi diable « réapparaissait-elle » au moment où il était prêt à laisser quelques fissures grignoter sa carapace de parfait connard ? Au moment où il allait mieux...

— Que... qu'est-ce que tu viens de dire ?

Elle était blême.

Liam poussa un profond soupir et se redressa. Il s'apprêtait à lui révéler le secret le mieux gardé de la famille Ruadhan. Celui dont il n'avait jamais parlé à qui que ce soit, celui qu'ils n'abordaient même pas entre eux, celui qui le rendait... vulnérable.

Mais en même temps, avec Lihanna, il n'était plus à ça près, alors...

— Ma mère n'est pas morte, Mac. Elle nous a simplement abandonnés.

Alors il lui raconta tout. Du moins, tout ce qu'il savait. Il lui fit également part de ses doutes sur la part de vérité que son père lui avait sûrement cachée.

À la fin de son récit, l'expression de Lihanna était indéchiffrable. Il fut soulagé de n'y voir aucune trace de pitié.

— Pourquoi Ross aurait-il fait ça ? lui demanda-t-elle finalement.

— Je n'en sais rien. Je pensais connaître mon père, mais...

Il n'eut pas besoin de finir sa phrase. Elle comprenait très bien où il voulait en venir.

Pendant plusieurs secondes ils continuèrent de se fixer sans rien dire. Puis Liha fit un pas dans sa direction et pencha la tête sur le côté. Bizarrement, l'intensité de son regard mauve et le fait qu'il ne parvienne pas à le déchiffrer, le rendirent nerveux.

— Quoi ? maugréa-t-il avec un peu plus de morgue qu'il n'en avait eu l'intention.

— Rien. Mais si tu me repousses, je te balance par dessus bord.

Que...

Mais avant qu'il ne puisse dire quoi ce soit, Lihanna combla la distance qui les séparait, se hissa sur la pointe des pieds et... posa ses lèvres sur les siennes.

Le baiser fougueux de la vision qui les frappa immédiatement, ne mit pas longtemps à prendre le même chemin dans la réalité. Vite remis de sa surprise – et soulagé de ne pas avoir eu à assister une nouvelle fois à sa future cérémonie de lien pour la vie – Liam glissa rapidement un bras autour de la taille de Lihanna et son autre main derrière sa nuque pour la coller le plus possible contre lui. Elle gémit en entrouvrant les lèvres et leurs langues se trouvèrent, se taquinèrent, s'apprivoisèrent à nouveau.

Il avait l'impression que cela faisait une éternité et... bon sang, comme cela était jouissif d'oublier toutes les autres merdes qui faisaient de sa vie actuelle le plus gros foutoir de toute son existence. Il n'aurait jamais cru cela possible quelques mois en arrière, mais Lihanna était devenue son point de repère. Peu importait leur relation présente – ou future – elle représentait une constante depuis qu'elle avait lié sa vie à la sienne. Et elle lui faisait oublier tout le reste.

Leurs lèvres se séparèrent pour leur permettre de reprendre leur souffle, mais elles ne s'éloignèrent que de quelques millimètres.

— Si j'attends demain pour te repousser, haleta-t-il d'une voix rauque, est-ce que tu le prendras mal ?

Un éclair de désir passa dans ses prunelles améthyste, puis un petit sourire étira ses lèvres tandis qu'elle faisait mine de réfléchir à ses questions. Puis il sentit ses mains gantées agripper sa tunique avec force et l'attirer encore plus étroitement contre elle. Son cœur battait à la même allure frénétique que le sien. C'était bon signe, non ?

— Demain est un autre jour, Ruadhan, souffla-t-elle alors tout contre sa bouche. Et qui sait ? D'ici là, c'est peut-être moi qui te repousserai ?

Il plissa les yeux, puis lui mordilla la lèvre inférieure.

— Si tu peux attendre jusqu'à demain Princesse, susurra-t-il en goutant avec satisfaction le gémissement qu'elle ne put retenir, moi, je ne t'en voudrai pas...

Elle secoua la tête avec un petit soupir amusé, puis décida de le faire taire en écrasant une nouvelle fois ses lèvres contre les siennes.

Rassuré et – soit dit en passant – gentleman dans l'âme, Liam la souleva immédiatement du sol et l'emporta là où le froid hivernal ne serait plus un problème pour elle. Reconnaissante de cette attention – cela va de soi – Lihanna ne protesta pas.

Un peu plus tard ce jour-là, l'orage grondait à nouveau. Mais Liam n'y prêta pas attention. Après tout, à part en ce qui concernait celui qui le poursuivait dans son cauchemar d'enfant, il n'avait jamais eu peur de ce phénomène naturel.

Et c'était d'autant plus vrai quand ses mains, sa bouche et son corps en entier étaient occupés à gérer une autre tempête beaucoup plus dangereuse pour lui que la foudre et le tonnerre réunis : une tornade aux yeux gris-mauve qui avait décidé de ne lui laisser aucun répit... au moins jusqu'à demain.

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