Chapitre 8.2
— Fières Hérialiennes, Fiers Hérialiens ! Tenez-vous prêts ! Bientôt, vous serez appelés à vous prononcer sur une question capitale pour notre survie à tous ! Une question capitale pour protéger notre monde !
Doran – accompagné de Kaïs et Fahran – tourna la tête en même temps que ses amis, vers le frêle Métaïr en train d'alpaguer la foule qui déambulait sur le port d'Hériali en ce jour de marché.
Pour l'instant, peu de monde lui prêtait réellement attention, mais quelques badauds commençaient tout de même à s'arrêter devant la caisse sur laquelle il se tenait debout pour les surplomber.
— Contrairement à notre gouvernement corrompu, les Sang-Purs de tout le royaume, s'intéressent à votre opinion...
Doran se tourna vers Kaïs en entendant le grognement sourd de son ami, juste à temps pour le voir cracher par terre en lançant un regard haineux au Métaïr Sang-Pur qui continuait de s'époumoner.
Le problème, c'est qu'il n'était pas le seul à dévisager le géant barbu, alors que leur but premier était de passer inaperçu afin de rejoindre tranquillement l'échoppe de leur ami Jio.
— Hum, hum... commença Doran en se raclant la gorge et en donnant un discret coup de coude à son ami. Hé K, loin de moi l'idée de te dire comment te comporter – après tout, je ne suis qu'un petit con et c'est toi l'adulte responsable – mais t'es un peu en train de faire flipper tout le monde avec tes grognements de bête, là, mon pote.
Kaïs lâcha des yeux l'objet de sa fureur et le foudroya du regard.
— Quoi ? s'étonna faussement Doran avec son plus beau sourire. Je te dis ça parce que, comme on a déjà du mal à passer inaperçu auprès de la gent féminine à cause de mon visage de tombeur, je ne suis pas sûr qu'arborer ton masque de tueur psychopathe soit la solution idéale pour éviter de nous faire remarquer...
Kaïs plissa les paupières et Doran leva les mains en signe de reddition.
— Je dis ça, je dis rien moi... c'était juste une petite observation.
— C'est un enfoiré de Sang-Pur, Dor ! répliqua Kaïs en adoptant quand même une attitude et un ton plus discrets. Tu sais ce que je leur fais d'habitude à ces sales types quand j'en croise un, gamin ?
— J'en ai une vague idée, oui. Mais c'est juste que là, on a un peu autre chose à foutre si tu vois ce que je veux dire ? On pourra peut-être le buter une autre fois, qu'est-ce que t'en penses ?
Son ami lui lança un autre regard énervé, mais finit par hocher la tête.
Doran poussa un soupir de soulagement. Ce n'était pas vraiment le moment de faire d'esclandres. Ils étaient tous les trois habillés de capes brodées du symbole du Peuple Libre et il n'avait pas franchement envie de causer des ennuis à ses alliés.
Les Métis étaient déjà bien assez dans le collimateur des Sang-Purs. Pas besoin de leur en rajouter une couche en agressant l'un de ces enfoirés, vêtus de leurs couleurs.
— ... c'est pourquoi mes chers amis, les Sang-Purs de tout le royaume vont bientôt soumettre au gouvernement une requête que ce dernier ne pourra pas refuser, à moins de montrer son vrai visage ! Celui du complice du chaos et de ces Sang-Mêlés engendrés pour le provoquer !
Doran jeta un coup d'œil nerveux vers Kaïs qui serrait les poings convulsivement. Mais il réussit à se tenir correctement.
Autour de lui, l'Os'Tra aux yeux dorés repéra beaucoup de gens qui secouaient la tête en signe de dépit et d'autres qui lançaient des regards courroucés au prêcheur des Sang-Purs. D'autres encore se détournaient carrément pour se diriger vers les différents étals et les nombreuses échoppes du port de la capitale.
Cela le rassura quelque peu. Hériali était en effet une ville où les idées de ces cinglés avaient beaucoup de mal à passer. Mais Doran savait aussi que ce n'était pas forcément le cas ailleurs dans le royaume. Surtout dans certaines principautés où les adhérents Sang-Purs étaient de plus en plus nombreux.
— Le bannissement, chers Hérialiens, chères Hérialiennes, voilà ce que nous demandons au roi et à ses conseillers !
Doran sursauta et il sentit Kaïs se raidir.
— Ils veulent renvoyer les petits ?! gronda le géant à ses côtés. Hors de question ! Foi d'Os'Tr...
— Doucement papa ours, murmura Doran en posant une main sur le bras de son ami pour le faire taire avant qu'il ne dise une connerie et n'attire trop l'attention. Ça m'étonnerait que nos trois oursons soient réexpédiés dans leur tanière terrienne aussi facilement. La majorité des Hérialiens les voit comme des sauveurs.
Mais à la seule pensée d'un hypothétique exil de sa douce liée, la colère – et la peur – commencèrent à faire bouillir son sang.
Kaïs dut le sentir, car il se calma aussi sec et posa à son tour une main réconfortante sur son épaule.
— Tu as raison Dor, lui dit-il sur un ton rassurant. Et de toute façon, on ne les laissera pas faire.
Doran plongea ses prunelles dorées dans celles de son ami et hocha la tête.
— Nous ne sommes pas des barbares, nous ne voulons pas les tuer ! Mais soyez prêts à soutenir notre demande de référendum, chers citoyens d'Hériale ! L'avenir de notre monde en dépend ! Renvoyons ces hybrides de malheur chez eux ! Sauvons...
La fin de la phrase du héraut se perdit dans une sorte de gargouillis, suivi d'un son étouffé. Puis des murmures – choqués ou enthousiastes – s'élevèrent tout autour de Doran.
Quand il reporta son attention vers le Sang-Pur, il constata sans grande surprise, que celui-ci ne se trouvait plus sur son estrade improvisée. Néanmoins, ses pieds ne touchaient pas le sol pour autant. Ils battaient même frénétiquement l'air. Car une main – attachée, cela va sans dire, à un bras – lui enserrait le cou et le maintenait à plusieurs centimètres au-dessus de la terre ferme.
Que...
Doran poussa un juron. Car – merde ! – cette main et ce bras, il les reconnaissait sans aucune hésitation.
— Pourquoi lui, il a le droit d'aller buter le Sang-Pur et moi, tu me fais la leçon ? s'exclama soudain Kaïs en lui lançant un regard incrédule et en confirmant ses soupçons.
Doran faillit s'étrangler avec sa salive. Puis il fixa son ami d'un air mauvais en agitant les bras.
— Parce que Fahran ne m'a pas demandé mon avis je te signale !
— Moi non plus.
— C'est vrai. Mais il est quand même vachement plus discret que toi, K ! Bon sang ! Il était encore à côté de moi il y a une minute... maugréa-t-il en se pinçant l'arête du nez comme s'il sentait une migraine arriver.
Fais chier ! Comment allaient-ils passer inaperçus maintenant ?
— Pourtant tu sais que moi, renchérit son ami, je bougonne beaucoup avant de me lancer. Alors que Fahran agit sans réfléchir. C'est donc lui que tu aurais dû surveiller gamin ! Pas ce bon vieux Kaïs.
Pas ce bon vieux Ka... Cette fois-ci, Doran ouvrit des yeux ronds.
— Putain de merde, K ! Tu oublies à qui tu parles ou quoi ? C'est moi ! Doran ! Le petit con boute-en-train au sourire ravageur ! Depuis quand suis-je devenu la foutue nounou en charge de surveiller tout le monde, bordel ? Depuis quand ne suis-je plus celui qui fait les conneries ?
Kaïs le fixa comme s'il venait de perdre la tête.
— Depuis qu'Emyr s'est barré, répliqua-t-il d'un air incrédule. Depuis que tu as sauvé le monde en libérant Erin et que tu t'es lié. Et cesse de beugler et d'être aussi vulgaire. Tu vas nous faire remarquer.
Que...
— Tu te fous de moi ?!
— À quel sujet ?
Quoi ?!?!
Doran scruta attentivement le visage de nounours de son ami.
Oh par les Quatre ! Il était parfaitement sérieux !
Mais alors ça... c'était... ça... ça n'allait pas du tout, bon sang !
Déjà que sa carrière de bourreau des cœurs s'était retrouvée horriblement écourtée à cause de son nouveau statut de mec lié ! Il était hors de question qu'il devienne – en plus – le mec « responsable » de l'équipe ! Il n'y survivrait pas, il...
Il n'eut pas vraiment le temps de s'apitoyer plus longuement sur son sort, car quelqu'un venait d'apostropher Fahran d'une façon quelque peu inconsciente et il ne doutait pas un seul instant de ce qui allait suivre. Mais il prit tout de même le temps de noter dans un coin de sa tête, qu'il était urgent d'avoir une petite conversation avec ses potes pour leur rappeler qu'il était – et de loin – le plus immature de la bande.
Puis il reporta son attention sur la scène qui se déroulait en plein milieu du port.
Punaise ! Au départ, ils étaient juste venus ici pour boire une bière et glaner quelques nouvelles auprès de Jio ! Comment leur mission, a priori « pépère », avait-elle dégénéré si rapidement ?
Bon ouais... La réponse était plutôt simple en fait... C'était à cause de ces foutus Sang-Purs et de la petite « déprime » dont souffrait Fahran depuis quelques temps. Son ami était effectivement très légèrement à cran.
Doran soupçonnait que la cause de son humeur de chien – encore plus prononcée que d'habitude – était en grande partie liée à sa rencontre avec Connor Ruadhan. Sur le moment, Fahran s'était en effet comporté bizarrement et ça ne s'était pas forcément arrangé depuis. Mais, quoi qu'il en soit, il fallait bien reconnaître que Fahran était plutôt « chatouilleux » ces derniers temps et qu'il s'énervait facilement dans des proportions ben... un peu disproportionnées justement. Néanmoins, Doran n'était pas assez stupide pour aller le taquiner sur le sujet et obtenir une vraie réponse qui confirmerait ses soupçons quant à sa récente susceptibilité. Il tenait beaucoup trop à sa belle gueule pour ça. Surtout qu'il voulait être au max de sa séduction lorsqu'il recroiserait le lieutenant Morgane Niven. Il espérait d'ailleurs que cette chance se présenterait bientôt et...
— Hé ! Tu m'entends le Métis ? Lâche ce Métaïr si tu ne veux pas que je m'occupe de ton sort !
Oooh... Encore cette voix méprisante qui interpellait Fahran et qui l'avait déjà tiré de ses atermoiements tout à l'heure.
C'était vraiment pénible à la fin ! Depuis quand ne pouvait-on plus penser tranquillement à sa petite personne sans être interrompu par des idiots qui avaient hâte de mourir ? Mais où allait le monde franchement ?
Agacé de ne plus pouvoir s'imaginer le regard admiratif que Morgane ne manquerait pas de porter sur lui à leur prochaine rencontre, Doran scruta la foule pour repérer cet importun, empêcheur de rêver tranquille. Opération qui ne fût pas réellement très compliquée, il fallait bien l'avouer, mais qui demandait tout de même un petit effort qu'il trouva... exaspérant.
Bien sûr, il s'agissait d'un Sorcier.
Tellement évident...
Et habillé entièrement en rouge, cela va sans dire. Les Sorciers adoraient se faire remarquer et leur couleur de prédilection était effectivement plutôt voyante.
Celui qui était en train de s'adresser à Fahran, le fixait d'un air – bien évidemment – arrogant.
Doran poussa un profond soupir. Il était à présent complètement exclu que ses amis et lui passent inaperçus. Leurs alliés Métis n'allaient sans doute pas apprécier la mauvaise publicité qu'ils s'apprêtaient à recevoir.
Mais de toute façon, c'était trop tard...
— Si Fahran lâche le Métaïr pour s'occuper du Sorcier, est-ce que tu me laisseras achever le petit héraut de pacotille, Dor ?
Doran lui lança un regard désabusé.
— Si on décide vraiment que c'est moi le chef Kaïs, soupira-t-il en se massant les tempes, crois-moi que je vais vous demander de sacrées compensations en échange...
— Quels genres ?
— Je n'y ai pas encore réfléchi. Mais ça inclura sans doute une vénération de ma petite personne et quelques massages...
— Si ce n'est pas à moi de te tripoter, ça me va...
— ... par de jolies filles. Je n'avais pas terminé ! La vénération inclut que tu boives mes paroles K, pas que tu me coupes la chique à tout bout de champ !
Son ami le dévisagea avec flegme.
Au loin, un craquement se fit entendre, suivi de petits cris.
— Quoi ? aboya-t-il mal à l'aise sous cette inspection, sans prêter attention au remue-ménage ambiant.
— Je m'entraîne à boire tes paroles et à ne plus te couper la chique. Tu as fini, gamin ?
— Non. Votre Grandeur.
— Pardon ?
— Si je deviens chef, tu m'appelleras Votre Grandeur. Ce sera mon nouveau surnom.
— Très bien. Exigences terminées Votre Grandeur ?
— Ça ne sonne pas trop mal... fit-il songeur.
— Doran !
— Quoi ?
— Tu as fini ?
— Je ne sais pas. Je vais encore réfléchir. Pourquoi ?
— Parce que Fahran vient de balancer le Métaïr dans le décor et s'apprête à « discuter » avec le Sorcier. Tu me laisses aller buter notre oiseau de mauvais augures maintenant ?
(...)
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