Chapitre 7.3
Iain se réveilla en sursaut.
Une sorte d'alarme mentale venait de résonner sous son crâne, le tirant du rêve extrêmement sympathique qu'il était en train de faire. Il s'y trouvait en compagnie d'Eiline, dans une pièce dont le seul mobilier était un immense lit flottant – oui, oui, flottant – et ils étaient en train de...
Bref... La suite était plutôt facile à deviner, non ?
Quoi qu'il en soit, une sorte de panneau lumineux géant – avec en lettres rouge sang le mot DANGER – s'était soudain mis à clignoter devant ses yeux, au moment où l'Eiline de ses songes commençait à retirer sa tunique. Et il savait pertinemment que ce qu'il s'apprêtait à faire avec sa copine n'était absolument pas dangereux ! Au contraire même, c'était une chose naturelle et extrêmement bénéfique pour le corps et l'esprit.
Alors non, ce danger qui le guettait n'avait absolument rien à voir avec ses rêves relaxants, ni même avec lui au bout du compte. Il le sentait.
Mais il savait aussi que ce danger – quel qu'il fût – était bien réel... et qu'il concernait sa petite sœur.
Il se redressa aussitôt dans son lit, en veillant à ne pas faire trop de bruit. Il ne voulait pas réveiller Arthur et Connor, même si tous deux semblaient dormir profondément. Son « beau-frère » – dans quasi tous les sens du terme – ronflait même si fort, qu'il trouvait surprenant de ne pas ressentir les vibrations créées par son « concert nasal », se répercuter sur tous les meubles de la chambre.
Quant à Tyrone, le quatrième gars de leur dortoir – et accessoirement, le Métaïr de son groupe – il avait une nouvelle fois découché pour aller rejoindre la charmante lieutenant d'un autre groupe. A priori, elle possédait une baguette et des fouets qui le faisaient sacrément triper.
Enfin... Chacun son truc.
Iain secoua la tête pour chasser les dernières brumes de son songe et passa la main dans ses cheveux châtains en bataille. Puis il se leva lentement et se dirigea vers la salle de bain de leur dortoir pour pouvoir s'isoler et s'inquiéter tranquillement.
Parce que oui, il était inquiet. Il était inquiet depuis... depuis quand d'ailleurs ? Cette particularité semblait tellement ancrée en lui, qu'il ne se souvenait même plus de la dernière fois où il avait respiré normalement, sans ce poids dans la poitrine.
Ouais, enfin... En fait il savait pertinemment depuis quand il flippait en permanence. Cela remontait à l'époque de leurs huit ans, quand ils étaient sur Terre. Au moment où leurs pouvoirs s'étaient éveillés par on ne savait quel miracle... Au moment où Erin avait failli mourir en les abandonnant, Liha et lui, avec leur colère...
Rien que d'y penser, son cœur se serra une nouvelle fois. Et c'était encore pire depuis que sa cadette avait été enlevée par ces enfoirés d'extrémistes.
Tout en continuant de ruminer contre ces monstres, il actionna la pompe qui permettait au lavabo d'avoir de l'eau courante grâce à un système inventé par les Métaïrs, et s'aspergea le visage pour se remettre les idées en place.
Il en avait sa claque de ces cinglés qui avaient fait de lui un type souvent amer et constamment sur ses gardes, inquiet, avec le cerveau en ébullition.
Ouais... Il en avait marre de se la jouer optimiste alors qu'il devait se balader – et ses frangines aussi – avec une cible sur la tronche en permanence. Si son père n'était jamais revenu sur Terre, si cette putain de malédiction ne l'avait pas obligé à revenir les chercher après les avoir abandonnés – pour de bonnes raisons et non de gaieté de cœur, du moins, d'après sa mère – pendant dix ans... Merde ! Sa vie serait tellement plus simple à présent !
Alors oui, bien sûr qu'il y avait du bon dans cette « immigration » forcée. Rien que le fait de connaître ce monde magnifique était un privilège, il devait bien l'avouer. Et puis, ses meilleurs amis se trouvaient ici – des amis qui étaient devenus comme sa seconde famille. Sans oublier Eiline. Il l'aimait beaucoup et était heureux avec elle mais...
Mais il n'avait que dix-sept ans ! Et malgré tout le positif que lui avait apporté Orcam, il avait de plus en plus souvent la haine contre les habitants de ce monde qui faisaient peser le poids de leurs existences sur ses épaules et sur celles de ses sœurs.
Oui... songea-t-il en agrippant fortement les rebords de la vasque en bois, la tête courbée. Il avait la haine. Il avait la haine d'être stigmatisé parce qu'il était un Sang-Mêlé, la haine de devoir supporter les doutes de certaines personnes à cause d'une foutue prophétie qui parfois, ne lui faisait ni chaud, ni froid.
Parce que... et si Orcam était détruit finalement ?
Après tout, cela serait-il si grave ?
Les habitants de ce monde prônaient une sorte de nationalisme xénophobe bizarre, contradictoire et poussé à l'extrême. Tous les Peuples se côtoyaient, mais ne voulaient pas vraiment se mélanger entre eux, sauf si cela servait leurs intérêts. Dans le royaume d'Hériale, ils étaient d'accord pour gouverner l'île ensemble, mais dans leurs principautés, ils ne voulaient surtout pas qu'un membre d'un autre Peuple vienne s'y installer. Pour eux, c'était complètement incongru – et très mal vu – qu'un Métaïr veuille venir vivre chez les Sorciers par exemple.
Les seuls endroits où ces cohabitations inter-Peuples n'étaient pas bannies, c'était la principauté de Pa'Auro et l'île d'Hériali. Et encore, les Métis commençaient eux aussi à se créer une identité qu'ils utilisaient pour cultiver leurs différences et commencer à se replier sur eux-mêmes. Pour se protéger...
Mais quelle connerie ! Car la seule chose que Iain voyait ces derniers temps, c'était que ces Peuples se repliaient de plus en plus sur eux-mêmes par égoïsme.
Cette malédiction qui menaçait leur monde aurait dû faire tomber les frontières qu'ils avaient érigées entre eux. Cela aurait dû les rapprocher, ils auraient dû s'unir pour le sauver ! Au lieu de ça, ils se renvoyaient la balle de tout ce qui allait mal, tous refusant d'endosser la moindre responsabilité ou de céder quoi que ce soit. Céder des choses qui – parfois – ne leur appartenaient même pas ! Ils construisaient des barrières entre eux, abstraites mais de plus en plus hautes et ils se cachaient derrière en se rassurant comme ils le pouvaient, en haïssant ceux qui se trouvaient de l'autre côté et en se demandant pourquoi eux devraient céder, alors que personne autour ne le faisait. Ils ne voyaient pas plus loin que le bout de leur nez et leur petit monde personnel.
Ils voulaient juste empêcher les autres de leur prendre quelque chose... même quelque chose qui en réalité ne leur appartenait pas ou plutôt qui appartenait à tous.
Ouais... Aucun Peuple n'était prêt à sacrifier quoi que ce soit, mais tous jugeaient « normal » que des « étrangers » se sacrifient pour les sauver. Ils s'accrochaient à leurs différences, à leurs territoires, sans songer une seule seconde que cette malédiction menaçait de tous les balayer, sans distinction. Mais – sérieux – à quoi cela leur servirait d'être un Faë, un Métaïr, un Sorcier, un Fils de la Terre ou un Métis quand tous les Orcamiens seraient morts et congelés ? Et ce constat morbide n'était pas seulement une prédiction abstraite et lointaine. Non ! Ça leur pendait véritablement au nez !
Mais les Orcamiens n'étaient pas différents des Terriens. Ils n'avaient rien appris de leurs erreurs passées. Quand ils avaient failli disparaître pendant la Grande Guerre des Origines, ils s'étaient unis face aux Th'Eos et ils avaient survécu et construit un monde où la paix était le maître mot. Mais ils avaient oublié... Oublié tous les morts de cette guerre, toutes les horreurs et les souffrances. Ils ne voyaient à nouveau plus Orcam dans son ensemble, mais seulement leur petit pouvoir personnel, leur supériorité les uns par rapport aux autres, leur haine de l'autre et leurs différences.
Iain secoua la tête et se passa une main sur le visage. Il n'aimait pas quand ses pensées prenaient ce genre de tournure mais...
Mais... tous ces gens justement... toutes ces personnes égoïstes, mesquines, capables du pire et irrécupérables, ne méritaient-elles pas de mourir au final ? Ce monde – ce magnifique monde – ne se porterait-il pas mieux si sa population disparaissait ? Si...
Il se retint juste à temps de ne pas donner un coup de poing rageur dans le mur. Parce que... Putain ! C'était précisément à ce moment-là qu'il commençait à avoir véritablement la haine... contre lui-même. À chaque fois qu'il parvenait à cette conclusion sinistre.
Car, qui était-il pour oser les juger ? Il était loin – très loin – d'être parfait.
Et surtout, il était un privilégié. Alors, certes, tout ne lui tombait pas tout cuit dans la bouche, il avait eu son lot de malheurs et le poids d'une prophétie lui pesait lourdement sur les épaules, mais... il n'avait jamais véritablement galéré.
Il avait toujours eu chaud, avec un toit au-dessus de la tête. Il avait mangé tous les jours à sa faim. Il avait été entraîné, éduqué, aimé...
Il avait donc eu tout le loisir de ne se préoccuper que de grands idéaux, de se mettre en colère contre ceux qui n'en avaient pas, de devenir intolérant et méprisant envers ceux qui ne les partageaient pas. Ou encore de juger ceux qui ne voyaient pas leur chance et en voulaient toujours plus... avant de se rappeler que certains n'avaient effectivement pas une vie facile et que leur colère était sans doute plus légitime que la sienne.
Mais... avaient-ils pour autant le droit de devenir des connards hargneux, violents et souhaitant la mort de ceux qui ne pensaient pas comme eux ? Avaient-ils...
Bordel ! Ses pensées tournaient toujours en un putain de cercle vicieux. Comme à chaque fois qu'il s'aventurait sur ce terrain-là – trop souvent à son goût depuis quelques temps. Il ne voulait juger personne mais il finissait immanquablement par haïr tout le monde... Or, ce n'était absolument pas ce qu'il souhaitait.
(...)
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