— Bon ben... il semblerait qu'on ait notre réponse...

Lihanna le foudroya du regard.

    — Quoi ? rétorqua Liam en haussant les épaules. C'est une bonne nouvelle, non ?

Pas du tout. Enfin si. Mais si tu crois que je vais te donner raison...

— Qu'est-ce que tu n'as pas compris dans « je déteste le froid et la neige » ? siffla-t-elle entre ses dents.

Le jeune homme haussa les sourcils, moqueur :

— Ce que je veux dire, c'est que la bonne nouvelle, c'est de savoir que quelque chose peut tout de même restreindre un peu tes pouvoirs destructeurs. Par contre oui, c'est vraiment dommage de devoir renoncer à notre petite escapade dans les sources de Hal'Justeï. Mais ne sois pas si déçue. On peut toujours remplir ma baignoire d'eau très chaude et rien ne t'empêche de mettre ce petit maillot de bain pour venir y barboter avec moi et...

— Oh la ferme, Ruadhan... marmonna-t-elle en détournant un peu la tête pour éviter qu'il ne voie ses joues rougir.

Ce qu'il était agaçant quand il avait raison !

Et puis... Comment allait-elle se sortir de la tête cette image d'un Liam nu dans un « jacuzzi » improvisé ?

— Laisse-moi encore essayer, râla-t-elle en tentant de se concentrer sur ses pouvoirs de Tes'Sara.

Elle ferma les yeux et chercha en elle la source de cette magie effroyablement puissante. Elle songea aux tornades, aux pluies diluviennes, aux tremblements de terre et à la foudre. Elle sentait le pouvoir vibrer en elle. Elle était heureuse, car elle était consciente de ce qu'elle faisait, elle n'était pas en transe. Et elle voulait avoir accès à cette magie ! Elle savait qu'elle était capable de la contrôler. Enfin, tant qu'on n'enlevait pas l'un de ses proches, qu'on ne le torturait pas ou – encore plus extrême – qu'on ne le tuait pas... Là, elle savait très bien qu'elle ne répondrait plus de rien.

Mais ce n'était pas le cas aujourd'hui. Sa famille et ses amis étaient en sécurité. La question qui les divisait sur quoi faire d'Erin et de son amnésie, était réglée, Liam et elle vivaient une relation apaisée... Bon, ils se prenaient la tête tous les jours. Mais comme ce n'était pas dans le but de se faire souffrir, juste une façon comme une autre de communiquer, on pouvait dire que c'était un net progrès.

Bref, tout ça pour dire que les circonstances étaient parfaites pour tenter de maîtriser ses pouvoirs de Tes'Sara, sans qu'elle ne parte en vrille et ne détruise l'île lors de cet entraînement.

Sa magie était toute proche. Elle la sentait palpiter en elle. Elle comprenait son envie d'être libérée. Mais contrairement au tsunami qu'elle percevait, elle n'arrivait à toucher qu'une infime parcelle de ce pouvoir phénoménal. C'était comme si une sorte de digue opalescente retenait les vagues de magie qui venaient se fracasser contre elle. Cette barrière ne laissait filtrer qu'un fragment de cette puissance. Derrière la vitre il y avait la tempête, devant – là où Lihanna se trouvait – c'était une légère brise chargée de quelques embruns qui soufflait.

Elle projeta tout de même les quelques miettes de son pouvoir, auxquelles elle avait accès. Elle le sentit s'écouler à travers elle. Faible, mais réel. Elle sentait le vent et la pluie. Elle percevait l'orage.

Dehors, un faible grondement retentit.

— Tu viens de recouvrir la ville de nuages gris qui vomissent... du crachin, constata Liam en la faisant sursauter. C'est sans doute très désagréable pour les gens qui se trouvent dehors, mais comme on ne détruit pas un monde avec un lointain grondement de tonnerre et un temps pourri...

— Ne sous-estime jamais le potentiel de destruction qu'une déprime saisonnière peut causer sur toute une population, maugréa-t-elle en ouvrant les yeux et en découvrant qu'il était perché sur la couchette de la cellule, regardant par la lucarne qui ouvrait sur l'extérieur.

Il se tourna vers elle et lui lança un regard mi-moqueur, mi-étonné.

— Tu penses que la prophétie nous met en garde contre une dépression généralisée, Mac ?

Ha, ha, ha...

Tandis qu'elle lui répondait par un geste grossier, Liam ricana et descendit de son perchoir.

— Allez petite princesse, fais-moi un sourire. On a trouvé une solution pour contenir tes pouvoirs destructeurs. T'es pas contente ?

Non. Elle était plutôt soulagée. Ce n'était pas tout à fait pareil.

— La neige et le froid, soupira-t-elle de façon théâtrale. Tu oublies la neige et le froid Ruadhan...

Mais elle avait beaucoup de mal à empêcher le coin de ses lèvres de se retrousser.

— Et toi, tu oublies un peu vite la solution extrêmement ingénieuse que je t'ai déjà soumise pour pallier ce léger détail, rétorqua-t-il en s'adossant nonchalamment au mur avec un air railleur.

Hein ?

Sa perplexité traduite par son interjection favorite devait se lire sur son visage, car Liam lui répondit sans qu'elle n'ait besoin de la formuler à haute et intelligible voix.

— Mon incroyable, grand, fort, magnifique corps... et la chaleur humaine qu'il dégage. Surtout en ta présence.

Il ponctua sa phrase par un sourire carnassier.

Oh pitié... Elle le trouvait à nouveau extrêmement exastirant.

— Ça t'arrive de ne pas te comporter comme un sale petit con prétentieux ? grogna-t-elle en sentant tout de même ses joues se colorer une nouvelle fois.

Parce que – et elle se serait filée des baffes – elle était extrêmement flattée par la fin de sa phrase.

— Pas depuis que j'ai constaté que te faire rougir était mon nouveau sport préféré. Et je suis chanceux, parce que j'excelle dans les deux façons d'y parvenir.

Comme elle levait les yeux au ciel en secouant la tête, il enchaîna.

— Quoi ? Tu ne me crois pas ? Sache que tu rougis en ma présence dans deux cas de figure : soit quand je t'énerve, soit quand je t'intimide. Et comme je suis un expert pour causer chez toi ces deux émotions en même temps... La preuve ? dit-il en se détachant du mur pour s'approcher d'elle d'une démarche de prédateur. Si je fais ça Liha, c'est parce que je sais que tu es folle de moi et que je te trouve encore plus belle avec ce magnifique teint écarlate...

Il faisait cela pour la provoquer. Ça, elle en était consciente. Mais malgré sa lucidité, elle était bien incapable de lui prouver qu'il avait tort.

Alors elle le foudroya du regard... avec les joues en feu.

— Ah Mac... susurra-t-il en s'arrêtant tout près d'elle. C'est tellement plus drôle de gagner contre toi en te charmant, plutôt qu'en t'étripant. C'est plus difficile aussi, je dois faire preuve de beaucoup plus de...

Elle ne lui laissa pas le temps de finir sa phrase.

Elle se hissa sur la pointe des pieds et... posa délicatement ses lèvres sur les siennes.

Aussitôt, une vision d'eux allongés dans la neige et riant aux éclats prit le pas sur la réalité. Lihanna ne se crispa pas. Liam non plus. La vision disparut aussi vite qu'elle était venue.

Quand elle s'écarta de lui, le jeune homme semblait pétrifié. Pour une fois, elle avait réussi à le prendre de court et elle n'était pas peu fière de sa trouvaille. Elle s'autorisa même un sourire triomphant.

Mais contrairement à son habitude, Liam ne s'en offusqua pas. Il resta là, sans bouger, à la fixer. Peu à peu, le sourire victorieux de Lihanna se crispa, puis disparut totalement. Elle soutint néanmoins son regard et son cerveau cessa de fonctionner.

Face à elle, les yeux gris acier qu'elle aimait tant, s'assombrirent et son cœur manqua un battement. Elle déglutit, cherchant son souffle alors que la respiration de Liam se faisait plus laborieuse elle aussi et son regard de plus en plus intense...

Ils se précipitèrent l'un sur l'autre au même moment. Elle passa instinctivement les bras autour de son cou alors que les mains de Liam se posaient sur ses hanches. Leurs lèvres se trouvèrent immédiatement. La vision qui les frappa ne les perturba pas le moins du monde. Pourtant, elle montrait leurs mains jointes, entourées d'un ruban lumineux. Elle portait une robe blanche, il était vêtu tout en noir. Et ils rayonnaient.

La vision disparut à nouveau, sans qu'ils n'y prêtent vraiment attention. Du moins, en apparence...

Leur baiser était avide, mais doux à la fois. Mélange détonnant et si peu habituel entre eux qui arracha un grognement appréciateur au jeune homme. L'une de ses mains quitta ses hanches, remonta le long de sa colonne vertébrale, s'arrêta dans sa nuque, appuyant délicatement pour approfondir la danse parfaitement synchronisée de leurs lèvres.

Lihanna gémit. Ses bras se dénouèrent et ses doigts plongèrent dans les cheveux noirs si doux sous ses caresses. Liam lui répondit en faisant glisser son autre main légèrement plus bas que le creux de ses reins et la pressa encore plus étroitement contre lui.

Leur baiser se fit plus ardent. Leurs langues se cherchaient, leurs gémissements se mêlaient. Et cela aurait pu durer bien plus longtemps s'ils n'avaient pas dû reprendre leur souffle.

Leurs lèvres se détachèrent, leurs regards se croisèrent, leurs corps toujours étroitement serrés l'un contre l'autre.

La poitrine de Lihanna se baissait et remontait à un rythme effréné. Elle inspirait, expirait en continuant de fixer intensément le jeune homme, dont la respiration était tout aussi saccadée. Ses magnifiques yeux gris assombris pas le désir, sa bouche entrouverte, son torse qui se soulevait au même rythme que le sien...

Puis elle se souvint d'où ils se trouvaient et elle dut faire preuve d'une immense volonté pour reculer de quelques pas. Liam ne la retint pas. Il avait percuté au même moment.

Pourtant, ils continuèrent de se regarder avec la même... intensité, car ce baiser était... différent. Elle l'avait senti, lui aussi. Moins fougueux que d'habitude, mais beaucoup, beaucoup plus intense. Effrayant, mais merveilleux. Une évidence qui lui transperça le cœur.     C'était étrange mais...

Soudain, elle sut pourquoi. Elle comprit pourquoi ce baiser était si spécial. C'était... à cause de cette vision. Elle s'en souvenait maintenant, elle s'insinuait dans ses pensées et avec elle... la compréhension... oui, la compréhension de ce qu'elle avait voulu leur montrer. Elle n'avait jamais vraiment cherché à les analyser jusque-là. Mais celle-ci...

Elle sentit son sang quitter son visage, puis revenir en force le colorer entièrement. Parce que... c'était tellement... énorme...

Elle n'était pas simplement – et éperdument – amoureuse de Liam, elle... lui était carrément destinée. Et inversement. Ils étaient destinés à être ensemble. Véritablement liés comme... des sortes... d'âmes sœurs. Elle venait d'en acquérir la certitude et c'était... terrifiant.

La vision venait de lui confirmer qu'il était réellement tout pour elle... et ce, pour toujours ! Non mais... Vraiment ! Pour la vie ! Mais...

Bon sang ! Elle n'avait que dix-sept ans ! C'était un peu tôt non, pour savoir qui elle aimerait jusqu'à la fin de ses jours ? Bon, bien sûr qu'elle n'apprenait rien finalement... mais recevoir une telle confirmation était totalement flippant !

D'ailleurs, elle était en train de paniquer là, non ? ! Est-ce que ça se voyait ? Est-ce qu'il le voyait ? Et lui ? Que ressentait-il ? En était-il venu à la même conclusion qu'elle ? Ou avait-il choisi d'ignorer ce que la vision leur avait montré ? Ou...

STOP !!!!

De toute façon, ils n'en parleraient pas. Elle le savait, il le savait. Elle n'était pas très douée pour exprimer ses sentiments. Lui, c'était encore pire. Il n'était pas doué pour s'exprimer tout court !

Et puis, elle n'était pas prête. Pas prête à être si vulnérable face à lui. Pas prête à se livrer si entièrement à lui. Quelque chose la retenait. Elle ne savait pas quoi, mais c'était là. Indéniablement.

Mais elle savait aussi qu'un jour elle y parviendrait. Il fallait simplement qu'elle mûrisse encore un peu... oui, c'était la solution. Attendre. Un jour, elle serait moins à fleur de peau et Liam serait moins cynique. Un jour, ils pourraient se parler sans que sa précarité émotionnelle à son égard ne la fasse agir comme une folle furieuse en colère dès qu'il se montrerait sarcastique. Un jour, ils réussiraient à communiquer sans chercher à se protéger de leurs sentiments réciproques. Sans chercher à prendre le dessus. Un jour... mais pas tout de suite. Ils avaient bien le temps de s'avouer ce qu'ils représentaient l'un pour l'autre, bien le temps d'accepter ce que ce baiser avait révélé de leur avenir... si elle ne perdait pas les pédales d'ici là, cela dit.

(...)