Chapitre 6.3

C'était l'heure de la relève de la garde.

L'homme en rouge savait qu'il disposait d'une dizaine de minutes avant que d'autres soldats ne viennent reprendre leur surveillance devant la cellule du détenu le plus dangereux que les cachots crasseux de l'institution n'avaient connu depuis très longtemps.

Cependant, même si Hériale était en paix depuis des centaines d'années, cela n'expliquait pas un tel manque de prisonniers. Aucune population, si paisible soit elle, n'était aussi parfaite.

L'explication du vide des cellules était néanmoins très simple. Dans le royaume d'Hériale, les meurtriers et les violeurs avaient le choix entre croupir ici pour toujours ou tenter leur chance sur une barque à destination de l'île d'Evarna. S'ils parvenaient – grâce à on ne savait quel miracle – à traverser l'obstacle infranchissable de la mer déchaînée, ils étaient accueillis à bras ouverts pour devenir esclaves des Evarniens ou... autre chose. Car personne ne savait réellement ce qu'il advenait de ceux qui réussissaient cette traversée.

Les cellules étaient donc vides, car l'espoir que « quelque chose » les attendait de l'autre côté, avait toujours été bien plus fort que la résignation de croupir éternellement dans une geôle.

Quant aux voleurs et autres délinquants, ils n'étaient pas enfermés ici. Pour payer leur dette à la société, ils étaient condamnés à des travaux d'intérêt général. Ils portaient également un bracelet inhibiteur de magie, jusqu'à ce que leur peine soit levée.

Le prisonnier qui l'intéressait était donc le premier à être enfermé ici depuis de nombreuses années. Le premier qui ne puisse pas être exilé ni laissé en liberté.

Le premier extrémiste à être capturé et emprisonné par le gouvernement.

Mais plus pour très longtemps.

L'ombre que l'homme en rouge était devenu ces derniers jours, se faufila dans le couloir faiblement éclairé.

Il se dirigea rapidement vers la seule cellule devant laquelle deux chaises et une table attendaient patiemment les gardes suivants.

Il sortit son petit sablier. Il lui restait environ huit minutes.

Largement suffisant...

Quand il parvint devant la geôle, il plissa le nez devant l'odeur d'urine et d'excréments qui flottait dans l'air. C'était subtil – et inévitable – mais il avait le nez sensible...

La forme inerte sur la couchette ne remarqua pas sa présence. Il tapa trois petits coups sur les barreaux. L'autre remua.

— Enfin, maugréa la silhouette. C'est pas trop tôt.

Puis elle se redressa et croisa le regard de son « sauveur ».

— Tiens, fit le prisonnier avec un petit sourire narquois, je ne pensais pas qu'ils t'enverraient toi.

— Et moi, répliqua l'homme en rouge, je ne pensais pas que tu étais assez stupide pour ne pas être déjà mort...

Face à lui, le détenu écarquilla les yeux en saisissant le sens de ses paroles. Mais avant qu'il n'ait pu ouvrir la bouche, il se pétrifia.

Dans ces geôles aux murs inhibiteurs de magie, l'homme en rouge n'avait pas accès à toute la puissance de ses pouvoirs. Il aurait pu allumer une chandelle, mais pas plus.

En tant que Sorcier, il n'était pas non plus censé être télépathe. Mais c'était pourtant grâce à ce pouvoir qu'il allait se débarrasser de cette « épine » dans le pied des extrémistes.

S'il en était capable, ce n'était pas parce qu'il était l'un de ces monstres d'hybrides. Non, il était un Sorcier pure souche.

Mais, dans la maison familiale, il avait découvert un livre de sorts à moitié détruit par les flammes. Certaines de ses pages étaient intactes. Et sur l'une d'elles, il avait déchiffré un vieux sort capable de le rendre télépathe.

Ce n'était certes pas permanent et lui pompait pas mal d'énergie, mais c'était très pratique. De plus, il avait découvert au cours de ses nombreux essais, que ce matériau inhibiteur n'avait aucun effet sur cette magie.

Et dans des circonstances comme celle à laquelle il était confronté aujourd'hui, c'était bien utile.

Ce qu'il s'apprêtait à faire allait considérablement l'affaiblir. Mais il n'avait pas le choix.

Heureusement, le Faë en face de lui était un télépathe médiocre et il pulvérisa facilement le semblant de défenses mentales qu'il avait érigées. Il lui intima « l'ordre » de ne plus émettre le moindre son, même si la douleur qui allait suivre, serait atroce. Puis, grâce à un autre sort lié à cette forme de magie – et découvert sur les pages rescapées de son fameux livre – il insuffla le peu de magie du Feu à laquelle il avait accès dans ces cellules, à ce lien télépathique.

Le sang du Faë se mit alors à bouillir dans ses veines. Son visage se déforma sous l'effet de la douleur, la bouche grande ouverte sur un cri... muet.

Alors qu'un rictus satisfait étirait les lèvres du Sorcier, un liquide noir commença doucement à s'échapper de tous les orifices du corps de sa victime. Le sang bouilli quittait sa prison de chair, s'évadant par les yeux, le nez, les oreilles ou les pores de cette carcasse bientôt exsangue...

Deux minutes plus tard, le précieux prisonnier d'Aedan Kerid'El'Wen tombait raide mort dans une mare de sang couleur d'ébène.

Le travail terminé, l'homme en rouge vacilla.

Il était épuisé, mais il souriait.

Il jeta un dernier regard dédaigneux dans la cellule, puis se faufila telle une ombre dans les couloirs qui menaient à la sortie de la prison royale.

En s'éloignant, il ne prêta nullement attention au – très – discret grondement qui retentit au même moment, à l'extérieur de la Garde.

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