— Je suis sûre que c'est ton idée, Ruadhan !

Le grand bang ! qui retentit pour ponctuer son accusation, arracha un cri de surprise à Brianna et Morgane, et fit sursauter le reste de l'assistance.

Sauf Liam.

Appuyé nonchalamment au chambranle de la porte, il la dévisageait avec une mine agacée. D'ailleurs nota-t-elle – mi-admirative, mi-énervée contre elle-même de lui trouver des qualités dans n'importe quelles circonstances – il n'y avait que lui pour avoir l'air à la fois parfaitement détendu... et complètement crispé. Mais il fallait reconnaître que c'était un don qui le rendait particulièrement attirant, même quand on avait une furieuse envie de le frapper.

Tandis que Dilys se levait de son lit pour aller ramasser la brosse à cheveux que Lihanna venait de balancer sur le mur, marquant ainsi son énervement, elle se détourna du jeune homme et ressentit une pointe de remords pour son amie.

Mais une pointe seulement. Car après ce qu'elle venait d'entendre, elle ne savait plus à qui elle pouvait faire véritablement confiance dans cette chambre.

— Au risque de te décevoir MacCormac, l'interpella à nouveau Liam avec son sempiternel sourire moqueur, toutes les bonnes idées ne viennent pas obligatoirement de moi.

— Comme si toi, tu pouvais me décevoir, répliqua-t-elle en tentant de prendre un air aussi narquois que lui – et de recouvrer son calme par la même occasion. Non, rassure-toi mon très cher lieutenant, pour cela, il faudrait déjà que je te croie capable d'avoir une seule bonne idée de temps en temps ! Là, tu confortes plutôt la mauvaise opinion que j'ai de toi et de tes...

— Mauvaise à quel point, Mac ? ricana-t-il en haussant un sourcil. Et dans quelles circonstances exactement ? Parce que, ces derniers temps, j'ai plutôt eu l'impression que mes idées te rendaient particulièrement heureuse. Bon, c'est vrai que je parle de celles que j'ai eues dans un contexte très précis, mais...

— Ça suffit vous deux ! intervint Iain qui semblait lui aussi très énervé. C'est... beurk. On a... je n'ai pas envie de savoir ce qui se passe entre vous, se corrigea-t-il en s'apercevant que la majorité des gens dans la pièce – exception faite de Dun qui avait encore un peu de mal avec l'idée de leur « couple » et Dilys qui semblait vraiment préoccupée – suivait leur échange avec un petit sourire aux lèvres. Il n'empêche...

— Bah je sais pas... le coupa Connor en lançant un regard plein de malice à Liam. Ça fait plusieurs fois que je la vois sortir de ta chambre complètement furax alors... Je suis pas sûr que même dans ce cadre-là, tu aies de bonnes idées ces derniers temps, mon frangin adoré.

Pour toute réponse, Liam se contenta de lui montrer son majeur. Mais il ne put empêcher le coin de ses lèvres de se retrousser.

— Parce que tu continues de me suivre ? s'exclama Lihanna en jetant un regard interloqué à Connor qui était en train de faire un clin d'œil à son frère.

Alors que son ami secouait négativement la tête – un peu choqué par sa question – elle ajouta précipitamment et les joues toutes rouges :

— Et je vous signale tout de même que Liam prend ses désirs pour la réalité ! Il ne se passe absolument rien entre nous qui...

    Euh... merde... Pensa-t-elle en s'apercevant tout de suite de son erreur. Mais pourquoi venait-elle de tenter de justifier les piques de Liam à son encontre ? Maintenant, tout le monde la regardait avec un petit sourire en coin et un air très intéressé.

— Comment ça ? s'étonna faussement Connor alors que Liam se retenait à grand-peine d'éclater de rire devant sa stupidité. Vous ne vous entraînez pas tous les soirs à ta maîtrise des émotions et de tes pouvoirs ? Ou alors... tu sous-entends qu'on pourrait s'imaginer qu'il se passe autre chose entre vous deux ? s'offusqua-t-il exagérément.

Alors qu'elle secouait la tête en signe d'exaspération envers sa propre bêtise, son ami enchaîna :

— Alors ma Liha, dis-moi : aurions-nous des raisons de nous poser des questions sur ce qui se passe réellement entre vous ? Une histoire de sentiments réciproques mais que vous auriez peut-être encore un peu de mal à exprimer par exemple ? Ou une histoire avec plus... d'action ? Une histoire de sentiments et d'action ?

Tandis qu'elle rougissait de plus belle et que Liam avait commencé à se renfrogner en entendant parler de « sentiments », Iain intervint une nouvelle fois judicieusement.

— Même si tout cela est très intéressant – vraiment – et a bien détendu l'atmosphère, je vous signale tout de même qu'on s'éloigne un peu du sujet là.

Comme celle de tous les autres, l'expression de Lihanna redevint grave.

— Si ce n'est pas toi, reprit son frère à l'intention de Liam, qui a eu cette idée ?

Pendant plusieurs secondes, le silence se fit dans la chambre des filles où se tenait cette petite réunion. Lihanna continuait de dévisager avec suspicion le type qui n'avait pas son pareil pour la faire sortir de ses gonds. Et il ne se gêna pas pour fixer sur elle en retour, un regard polaire.

Bien sûr, en bonne petite gourde énamourée qu'elle était, elle ressentit immédiatement un pincement au cœur. Ça faisait quand même un petit bout de temps qu'il ne lui avait pas lancé ce regard dur, froid, complètement dénué d'espièglerie et de complicité qui... Bref.

Elle était en train de se donner une bonne dizaine de gifles mentales pour délit de mièvrerie et stupidité de fille trop fleur bleue, quand un mouvement à l'extrémité gauche de son champ de vision, attira son attention.

— On va dire que c'est moi.

Assis sur la table qui servait de bureau à Eiline, Jack laissa retomber le bras qu'il avait levé en prenant la parole.

Euh... comment ça « on va dire que c'est moi » ? Depuis quand Jack était-il à ce point concerné par ce différend au sujet d'Erin ?

Mais alors qu'elle était encore en train de regarder le beau Sorcier sans comprendre, Kenneth lui grilla la priorité de l'indignation en réagissant au quart de tour :

— Non mais, de quel droit tu oses te mêler de ça ?

Bien sûr, Kenneth étant... Kenneth, il n'avait pas hurlé sa question comme elle-même aurait pu le faire. Mais son ton sec et tranchant montrait bien son énervement.

— Ken... commença Liam en daignant enfin se redresser et considérer la situation avec sérieux.

— Quoi ? répliqua son frère en le foudroyant du regard. Tu as entendu ce qu'il voulait que Liha fasse à Erin ?

Puis, avec un petit ricanement :

— Oh mais oui, je suis bête... Bien sûr que tu as entendu et même parfaitement compris. Puisqu'à la base, comme Liha l'a si bien dit, c'était sans doute ton idée !

Semblant choqué par le ton inhabituellement vindicatif de Kenneth, Lihanna eut l'impression – pendant une fraction de seconde – que Liam était blessé. Mais ses yeux gris acier s'assombrirent bien vite et sa mâchoire se contracta.

— Je... oh et puis merde ! s'écria-t-il en s'énervant à son tour. Est-ce que toi tu as au moins écouté ce que Jack propose ? Arrête de monter sur tes grands chevaux Ken et relativise un peu bordel !

Bon... Même si son lieutenant avait un peu souffert de la vindicte de son frangin, cela ne l'avait pas empêché de redevenir le sale type qu'elle ne connaissait que trop bien. Parce que... Non mais sérieux ? Franchement, Liam avait vraiment un problème avec la notion de « relativisme ». Car ce n'était pas la première fois qu'elle l'entendait demander à quelqu'un de relativiser quelque chose qui ne se relativisait pas, bon sang !

— Il veut que je trifouille dans le cerveau d'Erin et que je l'oblige à revivre ses tortures, gronda-t-elle pour venir au secours de Kenneth dont les yeux s'étaient mis à briller.

Jack se leva pour se rapprocher de Liam.

— Euh... ce n'est pas tout à fait ce que j'ai dit... tenta-t-il de se défendre.

— Ah non ? Ça y ressemblait drôlement pourtant, renchérit Iain.

Son frère aussi avait changé de place. Il se trouvait à présent près d'elle. Et elle eut la désagréable impression que des sortes de camps étaient en train de se former...

— N'importe quoi... intervint soudain Liam en retrouvant son masque de connard arrogant.

— Espèce de petit con... répliqua Kenneth en dardant sur lui un regard meurtrier.

Un silence pesant s'installa à nouveau dans la pièce puis... tout partit en cacahuète.

Alors oui, oui... Cette expression était vraiment naze. Mais elle ne voyait pas d'autre façon de décrire ce qui était en train de se passer dans la chambre sans devenir vulgaire. Parce qu'il y avait bien une autre expression qui lui était venue à l'esprit – une dont le mot-clé commençait également par un C – mais...

Bref... Elle s'égarait.

Quoi qu'il en soit, les camps qu'elle avait commencé à déceler étaient encore un petit peu flous, mais il était incontestable que Liam et Jack formaient le premier et Brianna semblait être en train de les rallier. Le deuxième était pour l'instant constitué de Iain, Kenneth et elle-même. Connor, Morgane et Eiline semblaient complètement largués et on ne pouvait pas vraiment parler de troisième camp les concernant. Quant à Duncan et Dilys... eh bien, leurs visages fermés ne permettaient pas de savoir ce qu'ils pensaient.

Mais entre les équipes une et deux, tout le monde parlait et s'invectivait en même temps, ce qui – il fallait bien l'avouer – n'arrangeait pas la situation et causait de sérieuses difficultés de compréhension mutuelle.

Un moment, elle eut même l'impression d'avoir entendu Brianna s'écrier « Mais... je ne suggérais absolument rien de tel ! C'est une simple métaphore sportive Iain, voyons ! ». Mais comme elle était très occupée à se prendre la tête avec Liam, elle repoussa cette étrangeté dans un coin de son cerveau et se concentra immédiatement sur sa propre dispute. Après tout, il fallait vraiment qu'elle soit au max de ses capacités pour démontrer par A plus B à l'abruti qui lui faisait face, qu'il était l'abruti le plus abruti que la clique des abrutis ait jamais porté. Et que s'il voulait la forcer à faire du mal à Erin, c'est qu'en plus, il était complètement suicidaire.

Liam était en train de lui rétorquer qu'il commençait à avoir de légers doutes sur les capacités cognitives de son cerveau et que sa capacité à toujours tout dramatiser devenait légèrement flippante, compte tenu de la catastrophe que sa tendance à l'hystérie pourrait provoquer sur Orcam, quand un « Ça suffit ! » retentissant lui coupa la réplique cinglante qu'elle allait lui opposer. Réplique qui – soit dit en passant – était sans doute la meilleure riposte que son piètre sens de la répartie n'ait jamais imaginée. Malheureusement, Liam n'aurait pas à encaisser cette merveille, puisqu'elle l'avait immédiatement oubliée...

Elle remisa rapidement cette déconvenue au placard des moments gênants où Liam prenait injustement le dessus dans leurs joutes verbales, pour se tourner vers la personne à l'origine de cette interruption tonitruante.

(...)