Chapitre 2

— Mademoiselle Laserian !

Occupée à vérifier que ses ongles étaient à nouveau assez parfaits pour mettre en valeur ses doigts longs et fins, Brianna n'entendit pas tout de suite qu'on cherchait à attirer son attention.

La veille, elle s'en était cassé un, en essayant de réduire en poudre de la rhubarbe pour l'incorporer à son soin capillaire à base de miel et de jus de citron. D'habitude, elle utilisait toujours de la camomille, mais elle avait lu dans le dernier grimoire à la mode, que la rhubarbe permettait d'éclaircir la chevelure d'un ton, tout en lui apportant de jolis reflets dorés. Bien sûr, personne ne lui avait dit comment il fallait faire exactement pour réduire cette plante en poudre et elle avait découvert toute seule que l'attaquer au mortier n'était pas une très bonne idée. Surtout pour ses ongles. La prochaine fois, elle irait en acheter directement chez un herboriste. Après tout, elle était une Sorcière et les plantes n'étaient absolument pas sa spécialité.

— Mademoiselle Laserian !

Que... ?

Se tirant difficilement de la contemplation de ses mains parfaites, Brianna percuta enfin. Elle daigna donc se retourner et aperçut alors la professeure Te'Kelin qui trottinait dans sa direction avec un grand sourire.

Quand elle fut assez proche d'elle, Brianna remarqua que le rouge qui lui était monté aux joues suite à sa petite course matinale, lui allait plutôt bien. Cela rehaussait considérablement – et avantageusement – son teint. Non pas que Donna Te'Kelin soit quelqu'un de fade – elle était même plutôt jolie – mais Brianna la trouvait tout de même trop lisse et réservée. Là, on avait l'impression qu'elle avait pris du plaisir cette nuit et cela lui donnait bonne mine.

— Bonjour, Mademoiselle Laserian, la salua la professeure en poussant un soupir de soulagement, c'est justement vous que je cherchais !

Sans blague ! faillit lui rétorquer Brianna. Mais elle se retint juste à temps en se disant qu'il fallait qu'elle arrête de fréquenter trop souvent des garçons aussi sarcastiques que Liam et son frère. Ou des filles comme Lihanna.

— Que puis-je faire pour vous, professeure ? répondit-elle en se rappelant ses bonnes manières.

Mais sans sourire bien sûr. Brianna Laserian était polie, cela va sans dire. Mais sourire hypocritement – même par politesse – ne faisait absolument pas partie de ses principes.

— Je ne voudrais pas vous retenir trop longtemps. Vous étiez sans doute en train de vous rendre au réfectoire pour prendre votre petit-déjeuner...

Étant donné qu'elle se trouvait dans le couloir menant à la salle des repas, que la porte de cette dernière ne se trouvait qu'à quelques pas et qu'elle se dirigeait incontestablement dans cette direction, Brianna se retint une nouvelle fois de répliquer quelque chose de mesquin. Elle se demanda néanmoins si Te'Kelin avait eu recours à la télépathie ou si elle avait simplement deviné toute seule en faisant marcher son cerveau, ainsi que son incroyable sens de la déduction.

— En effet, se contenta-t-elle de répondre sans essayer de cacher son agacement.

Mais contrairement à la réaction qu'elle s'était attendue à susciter chez la timide professeure, celle-ci ne se montra pas le moins du monde désarçonnée.

— C'est bien ce que je pensais, répliqua Te'Kelin avec un grand sourire.

Euh...

Brianna fronça les sourcils. Or, elle détestait ça. Cette manie provoquait des rides entre les yeux et elle trouvait cela particulièrement disgracieux. Mais elle était perplexe et quand on était perplexe eh bien, notre visage avait sa volonté propre. Et il se fichait bien des dégâts qu'un simple froncement pouvait bien causer !

Quoi qu'il en soit, cette perplexité venait de la réaction de Te'Kelin, parfaitement inhabituelle d'après Brianna pour quelqu'un d'aussi réservé. Aujourd'hui, la Métaïr se montrait beaucoup trop sûre d'elle. Et enjouée.

— Je ne vous retiendrai pas longtemps, Mademoiselle Laserian, continua-t-elle avec dans les yeux une expression que Brianna jugea presque triomphante. Je voulais simplement vous informer que le professeur Lorcan sera absent pendant deux ou trois jours et que ce sera donc à votre frère et vous-même d'assurer ses cours. Il semblerait qu'Owein ait trop profité de ses vacances et qu'il ait fait une indigestion des célèbres huîtres au fromage de chèvre que vous autres Sorciers appréciez tant !

S'imaginant très bien le professeur Lorcan en train de se vider suite à son indigestion, Brianna ne put retenir une petite grimace de dégoût.

Oh par les Quatre ! Que lui arrivait-il ? Elle savait bien pourtant, que cet air dégoûté ne lui seyait pas du tout ! Mais elle n'avait pas pu s'en empêcher. Mais pourquoi diable Te'Kelin lui avait-elle donné tous ces détails ? Commençait-elle à croire que Brianna et elle avaient « élevé les cochons ensemble » comme disaient les Terriens ? Tout ça parce qu'elles s'étaient un peu côtoyées suite à la disparition d'Erin ? Était-ce pour cela que la Métaïr se sentait aussi à l'aise avec elle, aujourd'hui ?

Lasse de se torturer le cerveau, Brianna finit par acquiescer en forçant les muscles de son visage à se détendre.

— Très bien. J'en informerai mon frère.

Le sourire de Te'Kelin s'élargit et ses yeux reflétèrent un air que Brianna jugea – cette fois-ci – à la limite du suffisant. Puis elle la remercia d'un signe de tête et sans ajouter un mot, pénétra dans le réfectoire, lui grillant ainsi la priorité.

— Arrête de froncer tes sourcils ! Pense à tes rides !

Que... Quoi ? !

Surprise et irritée, Brianna pivota pour faire face à l'insolent qui venait de l'interpeller ainsi et se retrouva nez à nez avec un Duncan hilare.

— Désolé Bri, s'excusa ce dernier avec un sourire repentant qui aurait fait fondre n'importe quelle fille. Mais tu l'as répété tellement de fois à la pauvre Dilys quand on était à la recherche d'Erin, que même moi, j'ai retenu la leçon !

Cette fois-ci, Brianna n'eut aucun mal à forcer son visage à se détendre, ni à adresser un sourire lumineux à son ami.

— Sache mon cher Dun, que j'apprécie grandement ton intérêt pour mes enseignements plein de bon sens. Et j'espère que tu passeras le mot à toutes tes amies.

— Seulement à mes amies ?

— Bien entendu ! Ces conseils ne vous servent à rien à vous, les hommes.

— Voyez-vous ça ! Et pourquoi donc je te prie ? demanda-t-il, ses yeux gris pétillants de malice.

— Eh bien, parce que la nature est mal faite, très cher. Vous, les rides vous donnent un petit air plus mûr, voire un je-ne-sais-quoi de sexy. Alors que nous... conclut-elle avec une petite moue dépitée, mais calculée.

Face à elle, Duncan éclata de rire

Gagné ! se dit-elle, ne pouvant s'empêcher de tester ses techniques de séduction même sur les garçons qui ne l'intéressaient pas d'un point de vue sentimental.

— Ah Brianna... Tu sais que tu vas vraiment me manquer ? lui glissa soudain Duncan.

Interloquée, Brianna sentit néanmoins ses joues se colorer légèrement.

— Te... Manquer ? Comment ça ?

— Eh bien, expliqua-t-il avec ce sourire chaleureux qu'elle trouvait – bizarrement – de plus en plus séduisant, je ne dis pas que je voudrais qu'il arrive un autre malheur et que quelqu'un d'autre disparaisse, mais j'avoue que j'ai beaucoup apprécié ta présence dans mon équipe. Grâce à toi, durant ces moments terribles, je n'oublierai jamais que j'ai réussi – aussi – à sourire. Et... Je suis vraiment chanceux de t'avoir pour amie.

Touchée – bien plus qu'elle ne l'aurait cru – par ce que Duncan venait de lui dire, Brianna baissa timidement les yeux.

Eh bien... Mais que se passait-il, aujourd'hui ?

Brianna Laserian n'était pas du genre à se comporter en midinette rougissante face à un garçon, voyons ! D'habitude, c'était plutôt elle qui causait ce genre de réaction. Mais – à vrai dire – il fallait bien avouer que cette relation amicale avec un représentant de la gent masculine était – en quelque sorte – une nouveauté pour elle.

Alors, non pas qu'elle n'ait pas d'amis hommes, bien au contraire ! Elle s'entendait d'ailleurs beaucoup mieux avec eux qu'avec les filles. Mais d'habitude, toutes ses relations commençaient dans un lit. C'était après – une fois que le garçon en question avait compris qu'il ne fallait surtout pas attendre un engagement sentimental de sa part – qu'elle devenait amie avec lui. Ou pas. Car Brianna avait appris au fil du temps avec effarement, que certains hommes ne pouvaient pas se contenter d'une amitié, même améliorée. À vrai dire, le seul à s'en être vraiment accommodé – et ce, pendant des années – c'était Liam. Cela venait peut-être du fait que lui-même n'avait aussi que cela à lui offrir ? Sans doute. Car son meilleur ami avait – tout comme elle – le cœur pris ailleurs.

Ah la la... Liam allait beaucoup lui manquer, même si elle était vraiment contente qu'il se soit enfin décidé à essayer d'être heureux. Et elle espérait sincèrement qu'il ne fasse pas tout foirer ! Car si cet abruti ne se rendait pas compte de la veine qu'il avait de pouvoir être avec la fille qu'il aimait, il allait l'entendre, elle à qui cette chance était refusée !

— Hé oh ! Brianna ? Tu recommences, tu sais ? Ce truc avec tes sourcils...

Que...

— Par... pardon ? balbutia-t-elle en relevant la tête pour croiser le regard gentiment moqueur de Duncan. Mais ce n'est pas vrai ! On dirait bien que tu as raison. Mais qu'est-ce qui m'arrive, aujourd'hui ? Eh bien, ce soir je ne vais pas pouvoir y couper. J'ai absolument besoin d'un masque relaxant...

Une nouvelle fois, Duncan éclata de rire.

— Un... masque ? releva-t-il perplexe en la fixant de son regard rieur. Tu sais Bri, tes soi-disant rides ne se voient absolument pas. Tu n'as vraiment pas besoin de te cacher derrière un masque.

Cette fois-ci, ce fut elle qui s'esclaffa.

— Mais non, idiot ! Il ne s'agit pas d'un masque à proprement parler. C'est une sorte de cataplasme fait avec différents ingrédients aux vertus principalement esthétiques. J'ai trouvé cela dans le grimoire d'une ancienne voyageuse. Elle a décidé d'écrire ses mémoires pour partager avec toutes les Hérialiennes à la pointe des tendances, les secrets de beauté des Terriennes !

Toute excitée qu'elle était, Brianna ne s'aperçut pas vraiment qu'elle venait de perdre son interlocuteur. Mais c'était un fait, Duncan la dévisageait à présent bouche bée et le regard incertain.

— En plus, c'est une Fille de la Terre. Donc je sais que je peux lui faire confiance, continua-t-elle comme si de rien n'était. Elle s'y connaît vraiment en plantes. J'ai déjà testé plusieurs de ses recettes et figure-toi que ça fonctionne. D'ailleurs, depuis la semaine dernière, tu ne me trouves pas encore plus rayonnante ?

Complètement incrédule, Duncan poussa tout de même un petit soupir amusé en secouant la tête.

— Ah Brianna... mais comment veux-tu devenir encore plus belle que tu ne l'es déjà ? Tu éblouis déjà tout le monde sur ton passage alors...

— Mais Dun, c'est justement là où je veux en venir ! Grâce à elle, je ne serai plus seulement éblouissante. Je vais devenir carrément aveuglante !

— Et... Tu es sûre que c'est une bonne chose ? demanda-t-il en ne pouvant s'empêcher de rire à nouveau.

— C'est même carrément indispensable, cher ami ! rétorqua-t-elle avec un sourire carnassier. Je te signale que je suis à nouveau sur le marché et j'ai bien l'intention d'avoir l'embarras du choix. D'autant plus que cette fois-ci, je vise du côté des hommes un peu plus mûrs. Et ces derniers sont un peu plus exigeants...

Brianna s'interrompit en voyant soudain les yeux de son ami se voiler.

— Hum... Dun...

— Alors c'est officiel ? lui demanda-t-il avec un petit air triste. Toi et Liam, vous n'êtes plus ensemble ? Et Liha et lui sont...

— Oui, répondit-elle doucement, Liam et moi, on arrête notre comédie. Mais lui et Liha ne sont pas véritablement ensemble. Néanmoins Dun, il faut que tu saches qu'ils sont...

— ... amoureux l'un de l'autre, je sais. Et je m'en remettrai, t'inquiète ! ajouta-t-il en lui souriant à nouveau chaleureusement. C'est juste... Je n'en reviens pas d'être le seul à n'avoir rien vu. Tu te rends compte ? Quel idiot...

— Ah non ! rétorqua-t-elle faussement sévère. Tu n'es absolument pas le seul à avoir eu des œillères dans cette histoire. Et je te rappelle tout de même que les deux principaux intéressés se complaisent encore – plus ou moins – dans l'ignorance de leurs sentiments réciproques !

— Jolie formule.

— Je sais.

Sans qu'elle ne sache pourquoi, Brianna sentit son cœur s'alléger en constatant que les yeux de Duncan brillaient à nouveau de gaîté. D'habitude, elle n'était pas du genre à s'apitoyer, jugeant les gens responsables que ce soit de leurs bonheurs ou de leurs malheurs. Mais la peine de son ami l'avait vraiment touchée et elle était heureuse d'être la cause de son sourire retrouvé.

— Et si je t'invitais à petit-déjeuner ? demanda-t-il soudain avec son sourire si charmant.

— Je te signale tout de même que la nourriture de la Garde ne devrait pas servir d'objectif pour une invitation. Elle est vraiment immonde. Et en plus, elle est gratuite.

— Qui t'as dit que je parlais de prendre le petit-déjeuner dans le réfectoire ? répliqua-t-il en plissant les yeux de malice.

Surprise, Brianna resta – sans doute pour la première fois de sa vie – sans voix.

— Pe... personne, bredouilla-t-elle en sentant ses joues se colorer. Ce n'était pas ce que tu me proposais ? ajouta-t-elle en tentant de retrouver toute son assurance.

C'était vraiment très étrange d'être déstabilisée par un garçon. Étrange, mais agréable aussi.

— Si, répondit-il avec un sourire idiot en la surprenant une nouvelle fois. Mais je viens de me rendre compte que tu avais complètement raison ! Ça craint vraiment comme invitation.

Brianna marqua un temps d'arrêt avant de pouffer à son tour.

Oh par les Quatre ! Mais elle ne pouffait jamais normalement !

— Oui, ça craint carrément, répliqua-t-elle finalement avec un petit air suffisant. Mais j'accepte.

(...)

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