Chapitre 7.8
(...)
— Parce que, finit-elle par répondre en plantant ses yeux dans ceux moqueurs de Liam, bien que tu te sois toujours comporté avec moi comme un parfait connard, je sais aussi que, quand la cause est importante, tu es quelqu'un de bien. Quelqu'un de sérieux, droit dans ses bottes, qui ne prend aucune décision à la légère. Surtout quand il s'agit de sauver quelqu'un à qui tu tiens et de protéger Orcam.
Elle fit une pause pour laisser au jeune homme le temps de réagir à ce qu'elle venait de dire et elle vit son rictus moqueur se transformer peu à peu en un petit sourire malicieux qui ne demandait qu'à s'élargir.
— Continue...
— Partant de ce principe, reprit-elle alors un peu rassurée, je me suis dit que tu n'aurais jamais pris le risque de me mettre autant en colère alors que tu savais pertinemment de quoi je suis capable quand la rage prend le pas sur mon bon sens. Tu n'aurais jamais mis Orcam en danger pour simplement me battre dans notre petite guéguerre personnelle, Liam. Et plus que tout, je sais que ton esprit était bien trop occupé à penser à Erin et à souffrir de ne toujours pas l'avoir retrouvée pour que tu perdes ton temps à jouer à jeu-là avec moi...
Elle fit une nouvelle pause et remarqua que Liam ne souriait plus du tout. Est-ce que c'était bon signe ? Dans le doute, elle continua quand même :
— Et même en admettant que tu y aies pensé, je sais que tu aurais attendu pour me le dire. Tu aurais attendu d'être certain que je ne sois plus une menace pour ceux que tu aimes et notre monde. Or, toi et moi, on sait très bien que c'est loin d'être le cas. Je ne contrôle toujours pas mes pouvoirs et les Quatre seuls savent si un jour j'y arriverai...
Ébranlée elle-même par ce qu'elle venait de lui dire, Lihanna leva une nouvelle fois ses yeux vers le plafond et prit une profonde inspiration.
— Donc, pour répondre à ta question, voilà pourquoi je crois que tu ne t'es pas foutu de moi depuis le début. Tu ne contrôlais pas ce qui s'est passé entre toi et moi Liam, ajouta-t-elle sans le regarder. Pas plus que moi.
Elle ferma les yeux, tentant de refouler les larmes qui menaçaient de couler sur ses joues. Elle croyait à tout ce qu'elle venait de lui dire et elle espérait vraiment avoir raison d'y croire.
Par les Quatre... Si elle avait tort, si tout ça n'avait finalement été qu'un jeu pour lui... elle ne s'en remettrait pas. Pas maintenant, pas dans ces circonstances. Pas alors qu'elle avait autant besoin de lui ! Parce que même s'ils avaient récupéré Erin, rien n'était fini... Liam le savait aussi bien qu'elle et il ne pouvait pas être aussi inconscient, non ?
Comme il ne disait rien, elle finit par oser le regarder à nouveau en face.
Il la fixait avec un air indéchiffrable et elle sentit une larme rouler sur sa joue. Elle ne l'essuya même pas.
— Tu te souviens que je voulais te parler de quelque chose que j'avais trouvé dans le livre des MacEwen le soir de la disparition d'Erin ? demanda-t-il soudain en la prenant complètement par surprise.
La confusion devait d'ailleurs se lire sur son visage car il continua sans lui laisser le temps d'acquiescer.
— J'avais finalement renoncé à t'en parler parce que, en te voyant ce soir-là avec Jack, ma colère et mon désir pour toi avaient largement pris le dessus sur tout le reste. Et puis Erin a disparu et j'ai relégué cette information dans un coin de ma tête.
Lihanna ne savait pas où il voulait en venir mais elle avait l'intuition que ce qui allait suivre n'allait pas franchement lui plaire. Elle continua de soutenir son regard sans rien dire.
— Puis cette information a ressurgi le soir où tu as fait irruption dans ma chambre en me balançant qu'il fallait que tu restes avec moi si tu ne voulais pas te transformer en monstre capable de détruire Orcam. Ce que j'aurais dû faire à ce moment-là, c'est te parler de cette découverte, te dire que tu n'avais pas tort quand tu disais que tu représentais sans doute un danger pour notre monde et t'expliquer que par principe de précaution, il valait mieux que je t'arrête – et non que je te tue contrairement à ce que tu m'avais si gentiment demandé de faire – et que je te place dans une cellule aux murs inhibiteurs de magie. Au lieu de ça, j'ai choisi encore une fois de ne rien te dire et j'ai opté pour la solution qui te ferait le moins souffrir. La solution qui, soyons honnêtes, me plaisait aussi finalement. Parce que contre toute attente, mon désir de te protéger – ainsi que mon désir tout court d'ailleurs – avait déjà pris largement le dessus sur mon bon sens.
Oh... par... les... Quatre...
Liam était en train de lui faire une... Bref, peu importait le nom que l'on pouvait donner à son discours. Il était en train de répondre à sa question en lui expliquant, sans omettre le moindre détail, pourquoi il voulait rompre. Et le fait qu'il doive pour cela en revenir aux MacEwen n'était pas franchement bon signe.
À vrai dire, c'était même pire que ce qu'elle avait imaginé. Elle aurait mieux fait de ne pas venir ce soir. Elle aurait mieux fait de se montrer lâche elle aussi et faire semblant de ne pas avoir remarqué le comportement froid et distant de Liam envers elle.
Pourtant, pour être honnête, les derniers mots que Liam venait de prononcer étaient ceux dont elle avait toujours rêvé. Mais au lieu de la rendre folle de joie, elle sentit tout de suite que ces aveux allaient se conclure par un « brisage » de cœur en bonne et due forme.
— Le lendemain, poursuivit-il sans se rendre compte de la détresse dans laquelle il venait de la plonger, quand tu as perdu le contrôle dans le bureau de ton père et que j'ai vu la peur dans les yeux de nos proches, j'ai vaguement pensé que, puisque j'avais déjà réussi à te mettre dans mon lit, il était temps d'arrêter les frais et de faire ce qui était le plus sûr pour Orcam, c'est-à-dire : avouer ma découverte et t'enfermer. Mais j'ai refoulé ma propre peur parce que là aussi, je voulais te protéger. Te protéger des autres, te protéger de toi. D'ailleurs, ce besoin de protection insensé était devenu encore plus viscéral depuis que j'avais couché avec toi et puis, pourquoi le nier ? Finalement ça me plaisait bien d'être celui dont tu avais besoin...
Lihanna ferma les yeux pour se soustraire quelques secondes au regard dur du jeune homme. Elle avait vu juste : son laïus avait l'aspect d'un réquisitoire dont la sentence allait la briser.
Quand elle rouvrit les yeux, l'étau qui enserrait son cœur se resserra.
— Puis il y a eu ces Os'Tra, reprit-il d'une voix froide. Et Emyr et Talek qui semblaient si ébranlés en découvrant ton visage, même s'ils ont tout fait pour le cacher. Au fond de moi, une petite voix hurlait que, s'ils t'avaient reconnue, c'était parce qu'ils savaient ce que tu étais et que, vu qu'ils n'avaient pas envie de te tuer, tu devais être exactement ce qu'ils recherchaient. Or, encore une fois, j'ai fait taire cette petite voix qui me disait que, si de tels ennemis de notre gouvernement te voulaient, c'était sans doute parce que tu représentais une véritable menace pour les nôtres et que, de ce fait, la chose la plus intelligente à faire serait de te faire conduire dans une cellule et te faire placer sous bonne garde. Mais, bien sûr, j'ai choisi de faire comme si tout cela n'existait pas et j'ai refoulé mes craintes. Et hier soir, je n'ai plus pensé une seule seconde à toute cette merde. Parce que je n'arrivais pas à penser à autre chose qu'à toi.
Liam marqua une pause et Lihanna sentit une nouvelle boule d'angoisse se former dans sa gorge. Encore une fois, même si tout ce qu'il venait de lui dire pouvait être considéré comme un aveu que lui aussi avait des sentiments pour elle et que ces aveux étaient ce qu'elle avait toujours espérés, sa façon de le dire continuait de lui labourer les tripes.
— Cet après-midi, reprit-il en continuant de la fixer impassiblement, quand tu as perdu connaissance... putain, je me suis senti si impuissant ! Et c'est là que je me suis rendu compte que plus je me rapprochais de toi, plus je devenais cet homme que je ne reconnaissais pas. Cet homme qui n'agit plus rationnellement, qui ne pense même plus à ses devoirs de lieutenant de la Garde, à ses devoirs envers Orcam. Cet homme qui se voile la face et qui ne veut pas reconnaître que la fille qu'il désire plus que tout, celle qu'il veut protéger au détriment de tout bon sens, que cette fille donc, est peut-être celle qui va causer sa perte et celle de tous les gens qu'il aime. Cet homme qui ignore les indices qui tendraient à prouver que cette fille va finalement faire pencher la balance du mauvais côté de la prophétie...
— Liam...
— Tu me rends faible et vulnérable, Mac, la coupa-t-il comme si de rien n'était. Donc, en conclusion, pour répondre à ta question, voilà pourquoi je voulais mettre un terme à notre... arrangement. Parce que je ne suis plus moi quand je suis avec toi.
Si Lihanna n'avait pas été adossée à la porte de la chambre, elle aurait vacillé tant la douleur qui irradia dans sa poitrine fut forte en l'entendant prononcer ces derniers mots.
« Parce que je ne suis plus moi quand je suis avec toi ». C'était encore pire que ce qu'elle avait imaginé.
Liam n'avait pas bougé. Il se tenait toujours appuyé contre le chambranle de la porte de la salle de bain, les bras croisés sur le torse, le visage fermé et les yeux obstinément fixés sur elle.
« Parce que je ne suis plus moi quand je suis avec toi ». Ces paroles résonnaient dans sa tête comme un rappel constant qu'elle ne serait toujours pour lui qu'une source d'ennui. Un rappel qu'elle serait toujours celle qui avait gâché sa vie.
Finalement, c'était encore plus dur à entendre que d'être humiliée. Oui... C'était pire de savoir qu'elle rendait l'homme qu'elle aimait malheureux.
— Je comprends, murmura-t-elle au bout d'un moment en sentant les larmes lui brûler les yeux. Je...
— Non, tu ne comprends pas, la coupa-t-il cinglant.
Surprise par le ton très véhément, elle releva la tête pour croiser son regard.
Liam avait quitté son poste près de la porte de la salle de bain et comblé une bonne partie de la distance qui les séparait. Ses yeux étaient toujours aussi durs, mais une étincelle de colère s'y était allumée.
Et ce fut comme s'il venait, en plus de lui briser le cœur, de lui mettre une bonne paire de gifles. Or, cela, elle ne le méritait pas !
— Je ne comprends pas quoi, Ruadhan ? lança-t-elle en s'énervant elle aussi pour éviter de fondre en larme. Que tu sais depuis le début que je suis une Th'Eos ? Que tu as remarqué que je suis devenue – comme je te l'avais dit – dangereuse et incontrôlable ? Que tu t'en veux de n'avoir pas prévenu ta hiérarchie comme le bon petit soldat que tu es censé être ? Que tu regrettes d'avoir couché avec moi au lieu de m'arrêter et de me faire enfermer à double tour ? Ou que tu ne mérites pas les sentiments que j'ai pour toi et la confiance aveugle que je te porte ?!
Plus elle parlait, plus le ton de sa voix montait. D'ailleurs, elle avait fini par hurler sa dernière phrase et cela lui fit un bien fou. Même si, en y réfléchissant bien, elle venait d'avouer pathétiquement à haute – très haute – et intelligible voix qu'elle avait des sentiments pour le type qui venait de lui faire comprendre qu'il la considérait comme une dangereuse criminelle juste bonne à être enfermée.
Par les Quatre ! Elle commençait sérieusement à regretter le temps pas si lointain où leur relation se résumait à des insultes et des bagarres. Où les seules choses qu'elle avait envie de lui hurler au visage étaient à quel point elle le détestait et quel sale type il était ! Où la seule chose qu'elle avait envie de lui faire était de balancer son poing dans sa figure pour lui faire ravaler son sempiternel sourire narquois.
En tout cas, c'était trop tard maintenant pour regretter les aveux qu'elle lui avait balancés sans réfléchir. Parce que Liam les avait entendus, ça ne faisait aucun doute. Et l'air ahuri et désorienté qu'il afficha lui donna une nouvelle fois envie de chialer.
Oh bon sang ! En venant ici, elle ne s'attendait absolument pas à ce que cette journée riche en émotions se termine de façon si désastreuse.
Elle se rencogna encore contre la porte qui l'avait soutenue jusqu'à présent et leva la tête en fermant les yeux, essayant tant bien que mal de retenir ses larmes. Elle venait de prendre la décision de s'enfuir loin de cette chambre et de l'homme qui n'allait pas tarder à la mettre à genoux quand elle sentit la chaleur qui émanait de lui.
Alors elle rouvrit les yeux et croisa le regard gris acier de Liam. Il ne la touchait pas, mais son corps était si proche que les petites décharges dues à leur lien crépitaient malgré tout. Il avait posé ses deux mains à plat contre la porte, de part et d'autre de son visage et Lihanna sentit son souffle se bloquer dans sa gorge.
Par les Quatre ! Cet homme allait la rendre folle...
— Non, tu ne comprends pas, Liha, répéta-t-il une nouvelle fois mais sur un ton complètement différent.
Lihanna essaya de se ressaisir pour protester, mais Liam ne lui en laissa pas le temps.
— Ce que tu ne comprends pas, continua-t-il en se penchant légèrement de manière à ce que son souffle caresse sa peau, c'est ce que je voulais dire par « je ne suis plus moi quand je suis avec toi ». Parce que oui, tu me rends faible et vulnérable, oui, je ne suis plus un bon soldat quand je suis avec toi et oui, j'ai de plus en plus de mal à faire passer le bien du plus grand nombre avant ton bien à toi. Mais le pire dans tout ça – et c'est là que je pense que tu ne comprends pas – c'est que je m'en fous...
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