Lihanna frappa trois coups par habitude. Elle n'attendit pas la réponse avant de pousser la porte qui grinça légèrement en s'ouvrant.

Comme elle s'y attendait, Liam ne dormait pas. Il était très tard – presque trois heures du matin – mais il était assis sur l'un des fauteuils près de la cheminée et sirotait un verre de whisky, les yeux fixant les flammes.

— Salut, lança-t-elle d'une voix douce en s'adossant à la porte pour la refermer.

— Salut, répondit-il en lui jetant un rapide coup d'œil avant de reporter immédiatement son regard sur le bois qui brûlait dans la cheminée.

Pendant plusieurs secondes, Lihanna ne sut pas quoi faire. Elle savait que cette entrevue allait être difficile et elle avait peur de ce que Liam pourrait bien lui dire. Elle avait vu la colère briller dans ses yeux gris quand elle avait repris connaissance, juste avant qu'ils ne retrouvent Erin et que tout cela ne leur sorte de l'esprit.

Maintenant qu'elle se retrouvait seule avec lui, elle se rendait compte que cette colère la terrifiait. Parce que pour une fois, cette dernière n'était pas seulement dirigée contre elle. Liam lui en voulait bien sûr, mais il était surtout en colère contre lui-même. Et ça, ce n'était pas vraiment bon signe. Elle le savait, même si elle ignorait pourquoi.

— Je peux entrer ? demanda-t-elle d'une toute petite voix qui la surprit elle-même.

Elle vit Liam secouer la tête et esquisser un sourire moqueur.

Oui, oui... Sa question était stupide. Elle était déjà entrée. Même si elle avait décidé de rester collée à la porte en attendant de voir ce qu'il ferait.

— Qu'est-ce que tu fais là, Mac ? rétorqua-t-il en gardant les yeux obstinément fixés sur les flammes. Tu ne devrais pas être auprès d'Erin ?

Elle ne savait pas trop comment elle devait le prendre. Enfin si, il était clair que Liam aurait préféré qu'elle s'abstienne de venir. Mais bien que cela l'ait blessée dans son amour-propre, elle décida de prendre sur elle et de ne pas réagir comme elle en avait l'habitude.

Non ! Elle ne s'énerverait pas. Elle ne laisserait pas Liam s'en sortir comme ça ! Il était hors de question qu'elle lui facilite la tâche.

Parce que Liam voulait rompre, elle le sentait. Le problème, c'était qu'elle ne savait absolument pas pourquoi ! Et si elle voulait avoir une réponse à cette question qui lui donnait envie de chialer, il fallait qu'elle évite de provoquer entre eux une énième dispute puérile et contre-productive.

Elle fit donc comme si elle n'avait pas du tout remarqué le sous-entendu cruel de sa question et répondit sur un ton qu'elle espérait naturel et enjoué :

— À vrai dire, je viens juste de la quitter. Je pensais effectivement passer la nuit auprès d'elle – tout comme ma mère, mon père et Iain – mais elle nous a clairement fait comprendre qu'elle voulait rester seule... avec Kenneth. Je crois qu'ils ont pas mal de choses à se dire et pour Erin, ça ne pouvait plus attendre une minute de plus...

Elle entendit Liam pousser un petit soupir amusé et cela l'encouragea à poursuivre sur sa lancée.

— Tu te doutes qu'on ne pouvait absolument pas lui refuser ce petit plaisir même si, je t'avoue, ça m'a quand même un peu vexé.

Cette fois-ci, Liam esquissa un sourire.

— Bon comme tu l'imagines, continua-t-elle pour éviter de se précipiter sur lui, mon père a légèrement tiqué en entendant cette requête, mais ma mère lui a immédiatement lancé son fameux regard noir. Et finalement, il n'a rien dit. Je pense d'ailleurs qu'elle est en train de lui expliquer pourquoi il a dû abandonner sa fille fraîchement retrouvée au profit d'un jeune soupirant qu'il n'avait même pas vu venir ! Et puis, conclut-elle en reprenant à peine son souffle et en haussant les épaules, il devait de toute façon retourner à la Garde pour voir si le prisonnier que nous ont remis les Os'Tra était enfin apte à répondre à quelques questions, donc...

Pendant une fraction de seconde elle crut que Liam allait enfin se décider à la regarder, mais il se contenta de hocher la tête et de terminer son verre.

— Quoi qu'il en soit, reprit-elle en ayant de plus en plus de mal à se retenir de ne pas s'énerver, Iain a décidé que, puisque c'était comme ça, lui aussi allait passer la nuit avec sa chérie. Du coup, comme je n'avais pas envie de me retrouver toute seule après une journée pareille et que mes affaires pour la nuit se trouvaient ici, je me suis dit que...

Elle laissa sa phrase en suspend parce qu'à vrai dire, elle ne voyait pas très bien quoi ajouter. Surtout que le jeune homme à qui elle était en train de s'adresser venait de lui mettre un de ces vents.

Non content de lui faire clairement sentir qu'il n'avait pas vraiment envie qu'elle soit là, il avait décidé de carrément l'ignorer. Sans même lui accorder un regard, Liam avait quitté son fauteuil près de la cheminée et s'était dirigé vers la salle de bain.

Pendant plusieurs secondes, elle resta bouche bée, le cerveau tournant au ralenti. Puis il se remit en marche et une foule de questions l'assaillie, la principale étant : est-ce que c'était comme cela qu'il s'y prenait avec toutes ses conquêtes pour leur faire comprendre qu'il mettait un terme à leur relation ?

Putain ! C'était bien un mec ! Même pas foutu d'être assez courageux pour dire les choses en face !

Eh bien, s'il pensait s'en tirer comme ça, c'était qu'il ne la connaissait pas si bien que ça, finalement ! Cette espèce de... crétin allait se souvenir longtemps de cette rupture ! Non mais !

Pourtant, elle était incapable de bouger. Elle était en colère oui – contre lui et contre elle-même – mais elle était aussi... anéantie. Parce que, bon sang, elle l'aimait ! Et même si elle se serait arrachée un bras plutôt que de le lui dire, elle n'était strictement rien sans lui ! Bien sûr, elle avait besoin de lui pour contrôler son double maléfique, mais ce n'était pas que ça. En entendant Kenneth tout à l'heure et en ressentant son chagrin et celui d'Erin, elle s'était dit qu'elle ferait tout pour ne pas tomber à ce point amoureuse d'un mec, pour ne surtout pas souffrir comme ça.

Mais le problème, bordel, c'était qu'il était déjà trop tard ! Elle aimait Liam comme une folle. Et pas lui.

Alors ça, elle le savait déjà, mais comme une idiote, elle s'était projetée dans cette pseudo-relation. Relation qui, pour lui, était déjà finie. Au bout d'une journée ! Mais quel enfoi...

Pourtant, elle ne devait s'en prendre qu'à elle-même. Liam l'avait prévenue qu'il finirait par tout faire foirer. Finalement, ce n'était pas la faute du jeune homme. Elle avait pris la décision de se laisser aller avec lui toute seule.

Quoique... Peut-être Liam lui avait-il fait croire qu'il était prêt à essayer quelque chose avec elle dans le seul but de l'humilier et de gagner leur petite guéguerre entamée il y a des années ? Si c'était ça, il s'était montré particulièrement brillant... et cruel. Même s'il était sans doute loin d'imaginer à quel point il avait réussi son coup.

Mais, avec tout ce qui s'était passé dans leur vie depuis la rentrée, avec tout ce qu'ils avaient partagé, toutes les choses qu'elle lui avait dites et qu'il était le seul à savoir... Elle ne parvenait tout simplement pas à accepter qu'il ait pu lui faire ça.

— J'imagine que tu ne vas pas me faciliter la tâche, hein, Mac ?

Étonnée, elle releva la tête et croisa son regard dur. Elle savait que son regard à elle devait ressembler à celui d'une femme brisée, mais il l'avait prise par surprise. Pourtant, quand elle le vit froncer les sourcils, ses mécanismes d'autodéfense refirent rapidement surface et elle le foudroya du regard.

— Te faciliter la tâche pour quoi, Ruadhan ? lança-t-elle sarcastique.

— Tu le sais très bien, maugréa-t-il en plissant les yeux à son tour.

Bon, au moins, il ne jubilait pas. Il était même énervé lui aussi et elle en fut un peu soulagée. Parce que cela voulait dire qu'il ne se doutait pas à quel point elle pouvait être amoureuse de lui et à quel point sa victoire sur elle était totale.

— Pourquoi, Liam ? demanda-t-elle en espérant qu'il ne remarquerait pas la pointe de désespoir dans sa voix.

Oui, pourquoi ? Elle ne pouvait pas s'être trompée à ce point sur ce qui s'était passé entre eux la veille, si ? Leur nuit magique ne pouvait pas être seulement une manche de plus dans leur jeu sadique ? Une manche qu'ils auraient pu intituler grossièrement « baiser l'adversaire, au sens propre et au figuré ». Parce que même si Liam avait effectivement pris son pied, elle avait bien senti qu'il y avait plus que ça. Même si lui n'était pas amoureux, il avait au moins semblé... heureux. Il ne pouvait quand même pas être un si bon acteur que ça !

Alors, pourquoi voulait-il mettre un terme à tout ceci si rapidement ?

— Qu'est-ce que ça peut faire pourquoi ? répondit-il en croisant les bras sur sa poitrine et en s'appuyant au chambranle de la porte. Toi et moi, on savait très bien que ça ne durerait pas, non ? ajouta-t-il en la défiant du regard avec un petit sourire moqueur. Je ne t'ai rien promis...

Que... quoi ?! Comment osait-il ? Il... elle...

Oh bordel ! Ce qu'elle pouvait détester ce sourire ! Dès qu'il le lui adressait, elle avait beaucoup de mal à garder une attitude docile et l'esprit clair.

— Sans déconner, répliqua-t-elle en passant en mode railleur elle aussi. T'inquiète, je me souviens très bien de ce que tu m'as promis ou non, Ruadhan. Parce que c'était hier ! Hier soir même, pour être précise ! Et puis, je me souviens aussi que tu ne semblais pas si pressé que ça de tout foutre en l'air – pour reprendre tes termes exacts et te montrer à quel point ma mémoire est bonne – quand on en a rediscuté dans les tunnels tout à l'heure. Tu vois où je veux en venir ?

Voyant qu'il ne répondait pas, mais que son regard s'était encore obscurci, elle poursuivit :

— Donc, permets-moi de te reposer la question : pourquoi ? Qu'est-ce qui a bien pu se passer entre notre dernière mise au point et maintenant, pour que tu décides de mettre un terme à notre... arrangement ?

Pendant un bref instant, elle eut la satisfaction de voir le trouble et la colère se disputer la place dans le regard gris acier du jeune homme, mais il se reprit bien vite et arbora à nouveau son air suffisant.

— Et qui te dit que je ne me suis pas foutu de toi depuis le début ? Et que je me suis lassé beaucoup plus vite que je ne l'avais prévu de ce petit jeu ? Qui te dit que le but de tout ça n'était pas de te manipuler et de te faire croire qu'on pouvait repartir de zéro ? Que tu t'attaches un petit peu à moi pour finalement te lâcher au moment où tu t'y attendrais le moins et t'humilier ? Qui te dit que je n'avais pas envisagé de faire tout ça, tout en prenant un peu de bon temps par la même occasion ?

En l'entendant énoncer à voix haute ce qu'elle avait redouté quelques instants plus tôt, Lihanna sentit son cœur se serrer douloureusement dans sa poitrine. Mais elle parvint à ne rien laisser paraître de la peine qui lui broyait les tripes.

— J'y ai pensé bien sûr, répliqua-t-elle en maîtrisant les tremblements de sa voix et en affichant elle aussi un air hautain. J'aurais été bien naïve si je ne l'avais pas fait. Et j'avoue qu'en d'autres temps et d'autres circonstances, j'aurais effectivement cru à cette explication. J'aurais peut-être même pu capituler et te féliciter pour le brio avec lequel tu aurais mis ton plan à exécution. Et bien sûr, ma haine envers toi aurait augmenté d'un cran et je serais déjà en train d'imaginer une vengeance à la hauteur de mon humiliation. Mais là, vois-tu, je ne crois pas qu'il s'agisse de cela, Ruadhan.

À l'autre bout de la pièce, elle vit une lueur amusée s'allumer dans les yeux du jeune homme et cela la rassura quelque peu.

— Pourquoi ? demanda-t-il en ayant tout de même l'air de se foutre de sa gueule.

    Toujours collée à la porte d'entrée de la chambre de Liam, Lihanna prit une profonde inspiration et fixa le plafond quelques secondes en prenant l'air absorbé de quelqu'un qui réfléchissait intensément à la question. En vérité, elle tentait surtout de faire disparaître la boule d'angoisse qui s'était formée dans sa gorge, tout en s'efforçant d'avoir l'air convaincu qu'elle ne croyait pas une seule seconde que le jeune homme se soit montré aussi cruel avec elle.

(...)