Chapitre 6.6
Doran avait parlé d'une voix lasse, sans aucun sarcasme, aucune moquerie. Ce qu'il avait entendu avant de révéler sa présence et celle de ses amis l'avait bouleversé.
Par les Quatre ! Qu'avait-il fait ?
La princesse Erin était amoureuse. Éperdument amoureuse, d'après ce qu'il avait entendu. Et elle était aimée en retour.
Il les voyait à présent, ces larmes qui coulaient sur ses joues. Et il comprenait très bien ce que cela signifiait.
À cause de lui, Erin avait le cœur brisé. Et il n'était pas sûr, qu'un jour, elle s'en remettrait.
Il avait mal pour elle. Sincèrement. Et pour ce type aussi. Ce type qu'il ne connaissait même pas et qui était sans doute son ennemi. Mais il ne pouvait pas s'en empêcher. Il avait toujours été un grand sentimental et il croyait aux belles histoires d'amour qui duraient toute la vie. C'était le cas de ses parents et il avait toujours aspiré à vivre cela lui aussi. Même avec la vie qu'il menait.
Mais là, il savait que ce n'était plus possible. Il venait de détruire les espérances amoureuses de quatre personnes d'un seul coup. Celles d'Erin, celles du type, les siennes et peut-être celles de la jolie rouquine qui avait sursauté et écarquillé ses jolis yeux noisette quand elle l'avait enfin aperçu.
Ben quoi ? On pouvait toujours rêver...
— Doran ? s'exclama-t-elle en fronçant ses adorables sourcils.
Parce que oui, il trouvait que tout était absolument adorable chez elle.
— Lieutenant Niven, répondit-il en plantant ses yeux dorés dans les siens.
La satisfaction qu'il ressentit en voyant la jeune fille rougir légèrement fut de courte durée. Dorénavant, elle était pour lui hors de portée.
Oui... songea-t-il avec humeur. Il avait tout gâché. Mais ce n'était pas comme s'il avait vraiment eu le choix !
Il détourna vivement les yeux de la jeune fille qui avait si rapidement réussi à atteindre son cœur et reporta son attention sur les autres personnes présentes dans le tunnel.
Tous le fixaient avec des yeux agrandis par la surprise, même si aucun d'eux n'avait encore remarqué la jeune fille qui gisait dans ses bras. À vrai dire, Erin était en grande partie dissimulée par les silhouettes de Fahran et de Kaïs qui avançaient devant lui.
Outre Morgane Niven, il reconnut parmi elles Iain et Lihanna, ainsi que le lieutenant Liam Ruadhan.
Il n'avait jamais vu les quatre autres personnes qui étaient en leur compagnie, mais trois d'entre elles étaient sans conteste liées de près ou de loin à Liam. La fille et les deux garçons – dont celui qui était amoureux d'Erin – avaient en effet les mêmes cheveux noirs, les mêmes yeux gris légèrement en amande que le lieutenant Ruadhan. Doran aurait parié qu'il s'agissait de ses frères et de sa sœur.
L'autre fille, ou plutôt l'autre femme – plus âgée et d'une beauté à couper le souffle – devait être la mère des triplés. Ils n'avaient certes pas hérité de sa tignasse rousse et de ses yeux verts étincelants, mais il était évident qu'Erin, Iain et Lihanna étaient ses enfants. Elle le dévisageait d'un air surpris, mais sans aucune méfiance.
Ce qui, bien sûr, était loin d'être le cas des autres personnes présentes et plus particulièrement de Liam, Iain et Lihanna. Cette dernière s'était d'ailleurs relevée rapidement quand elle avait entendu l'Os'Tra approcher. Et elle était tendue comme un arc.
Doran ne s'en offusqua pas, bien au contraire. C'était une fille intelligente. Quoique légèrement impulsive – le nez d'Emyr devait s'en souvenir ! À la pensée de l'hématome qui devait être en train de s'épanouir sur le visage de tombeur de son ami, ses lèvres se retroussèrent sur un petit sourire. Bordel ! Il aurait donné cher pour voir ça !
Enfin bref. Lihanna avait parfaitement le droit de ne pas se sentir à l'aise en présence de trois Os'Tra. D'ailleurs, il n'en n'attendait pas moins d'une des triplés ! Inconsciemment, son subconscient était programmé pour repérer les dangers. C'était un talent inné chez les gens de leur Peuple. Et Doran et ses amis étaient effectivement des hommes dangereux.
Enfin... Quand on s'opposait à eux. Sinon, il se considérait comme étant une personne plutôt sympathique et chaleureuse.
Quoi qu'il en soit, il jugea que c'était à elle de découvrir en premier la raison de leur présence ici. Il ne savait pas pourquoi, mais malgré la présence de la mère d'Erin, de celle de son frère ou du type qu'elle aimait, il avait la certitude que Lihanna était celle qui avait le plus besoin d'être apaisée, d'être rassurée sur le sort de sa sœur.
Bon, en fait, il avait bien une petite idée sur ce qui lui donnait cette impression : le voile noir qu'il avait aperçu sur ses pupilles à plusieurs reprises, ainsi que les quatre bracelets qu'elle portait au poignet n'étaient sans doute pas étrangers à cette intuition. Il faudrait d'ailleurs qu'il en parle à Talek et approfondisse la question.
Il planta ses yeux dorés dans ceux gris-mauve de la jeune fille et il sut qu'elle avait compris en les voyant s'agrandir de surprise.
Lihanna s'élança vers lui avec l'agilité et la rapidité d'une gazelle. Doran eut l'impression que la scène se déroulait au ralenti. Aucun des amis de la princesse n'avait eu le temps de réagir. Ils étaient comme figés sur place, ne comprenant ce qu'il venait de se passer qu'au moment où la jeune fille se tint face aux trois Os'Tra.
Fahran et Kaïs – qui n'avaient pas subi cette sorte d'arrêt sur image – dégainèrent leurs épées par réflexe, mais Lihanna utilisa sa magie de l'Air et les désarma aussi facilement que des novices. Elle prit impulsion sur ses deux pieds et sauta en effectuant un salto parfaitement maîtrisé par-dessus les deux hommes, pour atterrir gracieusement face à Doran qui ne put rien faire d'autre que la regarder se relever, complètement bouche bée.
La jeune fille sembla un instant aussi ahurie que lui, puis elle se ressaisit et dégaina à son tour son épée pour la pointer sur sa gorge.
— Tout doux, Princesse ! s'exclama-t-il quand il fut enfin remis de sa surprise. Je croyais qu'on s'était mis d'accord sur le principe que le concept « égorgez-vous les uns les autres » n'était plus de mise entre nous ?!
Lihanna le regarda placidement.
— C'est vrai, répondit-elle froidement en haussant les épaules. Mais je me suis aussi mise d'accord avec moi-même pour tuer toutes les personnes qui s'en sont prises à ma sœur et qui auraient le malheur de se retrouver sur mon chemin. Du coup, j'avoue qu'il y a ici un petit conflit d'intérêt. Malheureusement pour toi, je n'en ai rien à foutre.
Euh... Il avait dit qu'elle était légèrement impulsive, pas complètement cinglée ! La fille qui se trouvait face à lui n'avait plus rien à voir avec la furie avec laquelle il s'était battu la dernière fois.
Et cette version froide et cruelle était beaucoup plus inquiétante.
— Donc, voilà ce qu'on va faire, reprit-elle avec cette voix monocorde qui ne traduisait aucune émotion. Tu vas me rendre ma sœur et me dire ce que tu lui as fait. Ensuite, ajouta-t-elle en penchant la tête sur le côté, je te tuerai.
Le voile noir qu'il avait déjà remarqué à plusieurs reprises vint à nouveau recouvrir brièvement les iris de la jeune fille qui le menaçait avec tant d'aplomb. Doran n'avait pas peur, bien sûr. Il était au moins aussi puissant qu'elle et il parviendrait sans problème à la désarmer avant qu'elle ne mette sa menace à exécution.
Non... Il n'avait pas peur d'elle. Mais il était effrayé par ce qu'il venait juste de comprendre.
— Par les Quatre... murmura-t-il pour lui-même en gardant les yeux fixés sur elle. Le sort d'Evan. Il existe vraiment. Il l'a vraiment jeté sur ses triplés et sur leurs descendants...
Lihanna ne devait rien comprendre à ce qu'il venait de dire, mais en entendant le prénom du Th'Eos ancestral, son regard se troubla légèrement. Quand elle reporta son attention sur lui, ses yeux avaient repris leur étincelante couleur gris-mauve et son visage était à nouveau un livre ouvert d'émotions.
Doran poussa un discret soupir de soulagement en voyant s'y succéder la surprise quand elle le regarda, l'incompréhension quand elle vit son épée pointée sur sa gorge et enfin la joie quand elle posa son regard sur sa sœur qu'il tenait dans les bras.
— Oh Doran ! s'exclama-t-elle d'une voix chaude et mélodieuse qui correspondait mieux au souvenir qu'il avait gardé de leur première entrevue. Tu l'as retrouvée ! Elle va bien ? Qu'est-ce qu'elle a ? Oh Erin ! Où...
— Elle va bien, la coupa-t-il. Enfin, je crois. Mais, Lihanna ? Tu veux bien baisser ton épée avant qu'il n'y ait un drame ? ajouta-t-il en désignant d'un signe de tête le tunnel derrière elle.
Lihanna regarda son épée dégainée avec incrédulité, puis elle secoua la tête et fronça les sourcils.
— Bien sûr... balbutia-t-elle confuse. Je suis désolée, je ne sais pas ce qu'il m'a pris ! Je... commença-t-elle en jetant un coup d'œil par-dessus son épaule.
Mais la phrase qu'elle allait commencer resta en suspens. Elle se retourna complètement et laissa tomber son épée dont la chute raisonna de façon tonitruante dans tout le tunnel.
(...)
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