Chapitre 6.2
L'homme en rouge était un peu agacé. Non pas qu'il soit d'un naturel suspicieux – enfin si, mais peu importait – cependant il reconnaissait très bien le sentiment qui brillait dans les yeux gris-bleu qui le fixaient avec intensité.
La pitié.
Et il ne comprenait pas pourquoi cette faible créature qui était sa prisonnière le regardait avec pitié. Et cela l'agaçait.
Il s'était attendu à lire dans ses yeux de la peur, de la colère ou de la haine. Mais la pitié...
— Ne t'inquiète pas, lui dit soudain une voix douce et sensuelle tout contre son oreille. Elle ne pourra pas nous dénoncer puisqu'elle ne se souviendra de rien.
Se faisant, la femme à qui appartenait cette voix fit courir ses doigts sur son bras et son torse, et laissa glisser ses lèvres le long de sa mâchoire. L'homme en rouge ne se fit pas prier pour lui donner ce qu'elle voulait. Il la plaqua rudement contre lui, emprisonna son visage dans sa main et l'embrassa violemment à pleine bouche. Mais il garda obstinément les yeux fixés sur sa prisonnière qui s'était pourtant détournée.
Elle ressemblait beaucoup à sa sœur, se dit-il en détaillant son profil. Si ce n'était la couleur de ses yeux et de ses cheveux, elle était tout aussi belle. Mais elle semblait beaucoup trop douce et fragile. L'autre était plus insolente et plus sauvage. Et il n'avait qu'une hâte, la dompter. Avant de la tuer.
Il fut soudain traversé par une vague de désir fulgurant en imaginant la princesse Lihanna entièrement à sa merci, et il faillit se laisser aller à assouvir sa soif d'elle, en prenant sa partenaire sur le champ, à même le sol et sous les yeux de la princesse Erin qui ne le regarderait sans doute plus, alors, avec cette étrange pitié.
Au lieu de cela, il repoussa la femme qui était en train de se frotter contre lui et s'essuya la bouche d'un revers de bras. Cette dernière ne sembla pas s'en offusquer, même si elle le dévisagea avec une légère expression de surprise dans ses yeux froids.
— Es-tu bien sûre de toi ? lui demanda-t-il en gardant ses yeux fixés sur la jeune fille. Parce que, si ce n'est pas le cas, ton plan tombera à l'eau et on nous arrêtera...
Sa complice redressa fièrement la tête et lui jeta un regard hautain, avant de se détourner pour s'approcher de la princesse. Elle lui saisit rudement le menton et planta ses yeux durs dans les siens. Face à elle, la jeune fille ne broncha pas, mais il vit des larmes perler aux coins de ses yeux gris-bleu.
— Je t'ai dit que tu n'avais aucun souci à te faire là-dessus, répondit-elle enfin en relâchant sèchement la princesse et en venant se remettre à côté de lui.
— Et puis-je te demander pourquoi tu es si sûre de toi ? Après tout, la manipulation mentale est un art complexe...
La femme à ses côtés ne semblait pas du tout apprécier qu'il remette en doute ses capacités. Elle renifla avec mépris et lui jeta un regard mauvais.
— Comme tu viens de le dire, la télépathie est un pouvoir complexe aux multiples facettes que quelqu'un de ta race ne peut même pas envisager, siffla-t-elle vexée. Et sache que je les maîtrise toutes.
L'homme en rouge lui adressa un petit sourire repentant qui n'atteignit pas ses yeux.
— Mais bien sûr, très chère, lui dit-il sur un ton d'excuse. Mais tu sais aussi bien que moi que la manipulation mentale est un aspect plutôt aléatoire de la télépathie. Cela ne marche pas à tous les coups. Comment être sûr que cela fonctionne sur la princesse Erin ?
Sa compagne le dévisagea froidement, puis elle poussa un soupir.
— Tu sais que je te ferai payer ce manque de confiance flagrant ? demanda-t-elle avec un sourire carnassier.
Et comme il acquiesçait, elle ajouta :
— Bien. Mais puisque tu veux tout savoir, je vais te dire pourquoi mon plan marchera.
D'un geste, il l'invita à continuer, lui montrant ainsi qu'il était tout ouï.
— Vois-tu, commença-t-elle, certains sujets sont effectivement peu, voire pas du tout, réceptifs à la manipulation mentale. C'est notamment le cas des télépathes puissants, puisqu'ils sont capables de repousser les intrusions. Sauf, bien sûr, si le télépathe qui se trouve face à eux est plus fort encore. Ce qui est bien sûr mon cas en comparaison de notre petite princesse ici présente. Bien qu'elle m'ait opposé une résistance farouche, cela n'a évidemment pas suffi.
Avant qu'il ne puisse lui rétorquer quoi que ce soit, elle leva sa main pour lui signifier qu'elle n'avait pas fini.
— En outre, je dois aussi t'avouer que j'ai bénéficié d'un petit coup de pouce auquel je ne m'attendais pas venant d'une telle erreur de la nature.
Elle dut remarquer son regard interrogateur, parce qu'elle poursuivit son explication en se mettant à lui tourner autour comme un chasseur acculant sa proie. Et il ne put s'empêcher d'esquisser un petit sourire amusé.
— Les autres sujets peu réceptifs à la manipulation mentale sont ceux qui possèdent une part d'ombre très marquée. Leur subconscient repère immédiatement toutes tentatives d'intrusion et de manipulation – même sans qu'ils en aient conscience – et leur esprit repousse directement ce qu'il identifie – à juste titre – comme une menace. Ainsi, plus la part d'ombre d'une personne est faible, plus il sera facile de la manipuler. Or, vois-tu, notre petite Sang-Mêlée ici présente ne possède pas ne serait-ce qu'une once de malice. Son cœur est aussi pur que celui d'un nouveau-né...
L'homme en rouge essaya de dissimuler sa surprise. Personne ne pouvait être aussi... parfait. Tout le monde possédait ne serait-ce qu'un minuscule petit côté obscur, même s'il était vraiment bien caché.
— Oui, je pense comme toi, intervint sa compagne qui avait vraisemblablement compris à quoi il était en train de penser. Mais Erin MacCormac-Kerid'El'Wen a le cœur aussi pur qu'un diamant. Elle est la bonté, la gentillesse et la douceur personnifiée. Et c'est pour cette raison qu'il m'a été si facile de la manipuler.
L'homme en rouge reporta son attention sur la jeune fille en essayant de comprendre comment une telle chose était possible. Bon, au moins, cela expliquait la pitié qu'il voyait briller dans ses yeux gris-bleu.
— Cela remet-il en cause tes convictions ? demanda-t-il à sa compagne, sur un ton plus sec qu'il ne l'aurait voulu.
Celle-ci le dévisagea comme s'il venait de perdre l'esprit.
— Bien sûr que non ! s'exclama-t-elle étonnée. La princesse reste quand même une abomination ! Peu importe qu'elle soit la bonté personnifiée. Comme disaient les Anciens, l'enfer n'est-il pas pavé de bonnes intentions ? Et puis, à la rigueur, s'il ne s'agissait que d'Erin... mais elle est l'une des triplés. Ces mêmes triplés destinés à causer notre perte ! Alors non, mon cher, mes convictions n'ont pas changé. Et les tiennes ?
L'homme en rouge réfléchit à la question. Cela changeait-il ses convictions sur les Sang-Mêlés ? La réponse était tellement évidente qu'il eut beaucoup de mal à se retenir d'éclater de rire, cela aurait pu être mal interprété.
Erin était une Sang-Mêlée. Point. Peu importait qu'elle soit gentille, son existence a elle seule représentait le mal et justifiait le fait de s'en débarrasser. Pas besoin de tergiverser. Contrairement à bon nombre d'extrémistes qui voulaient se montrer prudents pour des raisons politiques, lui ne rêvait que d'une chose : les exterminer. Tous, jusqu'au dernier.
Mais, peut-être qu'il se montrerait clément avec Erin et qu'il la tuerait sans trop la faire souffrir. Oui, c'était une option à considérer. Surtout qu'en contrepartie, il pourrait augmenter les souffrances qu'il ferait subir à sa sœur.
Enfin ça, c'était si elle arrêtait de le regarder avec cette pitié qui commençait à sérieusement l'énerver.
— Tu sais très bien que mes convictions ne changeront jamais, finit-il par répondre en reportant son attention sur sa compagne qui le dévisageait.
Celle-ci sembla le sonder. Puis ses lèvres s'étirèrent en un petit sourire satisfait.
— Bien, dit-elle en venant déposer sur sa joue un petit baiser.
Puis, elle retourna vers Erin et lui caressa les cheveux avec une étrange douceur.
— Ne t'inquiète pas ma belle, lui dit-elle d'une voix douce, demain, tout sera terminé. Et tu pourras retrouver l'usage de tes cordes vocales sans risquer d'irriter mes pauvres tympans !
Elle se détourna à nouveau d'elle et tapa dans ses mains aux doigts longs et fins. Aussitôt, l'homme en rouge vit surgir d'une cavité adjacente reliée à celle dans laquelle il se trouvait par un petit tunnel, trois autres membres des factions extrémistes de la Garde. Un Faë et deux Métaïrs.
— Messieurs, les salua l'homme en rouge avec un petit hochement de tête. Je ne savais que vous étiez là...
L'un des deux Métaïrs – le plus âgé – ricana et le toisa de la tête aux pieds.
— Sinon, tu ne te serais pas permis de te comporter de façon aussi perverse avec une femme qui n'est pas de ta race, peut-être ? demanda-t-il en reniflant avec mépris.
La mâchoire de l'homme en rouge se contracta.
— Je te signale, mon cher, répliqua-t-il avec arrogance, que cette relation perverse est la meilleure couverture qui soit et qu'elle nous place au-dessus de tous soupçons vis-à-vis des traqueurs de Sang-Purs extrémistes.
Sans doute peu satisfait par sa réponse, le Métaïr lui lança un regard furibond et fit quelques pas dans sa direction.
— Comme si tu avais besoin d'utiliser cette couverture ici, Sorcier, siffla-t-il plein de morgue. Non, la vérité, c'est que vous y prenez du plaisir ! C'est... malsain et répugnant !
Se tournant vers les deux autres hommes qui étaient restés en retrait, il demanda :
— Vous êtes d'accord avec moi, non ?
À la satisfaction de l'homme en rouge, le Faë haussa les épaules.
— Tant qu'ils ne sont pas liés et qu'ils ne font pas d'enfants, répondit-il d'un ton indifférent. Je ne vois pas où est le problème. Ils ont bien le droit de prendre du bon temps...
— Mais c'est une insulte à notre cause, vociféra le Métaïr qui ne s'attendait manifestement pas à une telle réponse.
Encore une fois, le Faë haussa les épaules et le second Métaïr se mura dans le silence, refusant de prendre parti. Ce qui voulait dire, en d'autres termes, que lui aussi n'y voyait rien à redire.
— Je t'interdis de remettre en cause notre loyauté, vieillard ! lança alors l'homme en rouge qui commençait à en avoir assez des leçons de moral du Métaïr. Si nous n'étions pas là, notre groupe n'aurait jamais pu mettre la main sur la princesse. Tu serais sûrement encore en train de te demander de quelle façon tu pourrais t'y prendre pour approcher les triplés ! Alors cesse de te croire supérieur à nous, si tu ne veux pas que je te réduise au silence moi-même. Me suis-je bien fait comprendre ?
Il avait parlé d'un ton dur, froid et menaçant, montrant cet aspect très dangereux de sa personnalité que peu de personne connaissait... Face à lui, le Métaïr écarquilla les yeux de surprise et eut un hoquet de stupeur.
— Comment oses-tu...
— Cela suffit ! intervint alors la Métaïr d'une voix forte et impérieuse qui résonna dans toute la caverne. Vous commencez à me fatiguer avec votre dispute stérile !
Elle vint s'interposer entre les deux hommes et les foudroya du regard.
— Nous voulons tous la même chose, je vous le rappelle ! Mettre la main sur les triplés et les empêcher de nuire ! Cette querelle n'est qu'une perte de temps et je déteste qu'on me fasse perdre mon temps. Est-ce que c'est clair ?
Pendant quelques instants, l'homme en rouge ne répondit rien, se contentant de garder son regard fixé sur le Métaïr qui le dévisageait avec dédain. Puis ce dernier eut soudain un mouvement de recul et pendant quelques secondes, la peur remplaça le mépris sur son visage ridé.
Alors seulement, l'homme en rouge reporta son attention sur sa compagne et lui adressa un sourire contrit.
— Mais bien sûr, ma chère, répondit-il d'une voix cajoleuse, comme toujours, vous avez raison. Et ce ne sont pas quelques petites divergences d'opinions qui vont nous détourner de notre but. N'est-ce pas ? ajouta-t-il à l'attention du Métaïr avec un sourire mielleux.
Celui-ci lui retourna un regard surpris avant de secouer la tête comme pour reprendre ses esprits.
— Oui... oui. Bien sûr, bredouilla-t-il en reportant son attention sur la femme qui se tenait toujours entre eux.
— Bien, dit alors cette dernière visiblement satisfaite en remettant sa capuche qui dissimulait en grande partie son visage. Dans ce cas, et si nous nous mettions en route ? La fête du solstice d'hiver va bientôt commencer et nous devrions partir tout de suite pour...
Mais elle ne finit pas sa phrase.
L'homme en rouge eut juste le temps de remettre lui aussi sa capuche et de se retourner avant d'être projeté dans les airs.
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