Chapitre 5.2

(...)

Emyr était en train de se résigner à utiliser ses pouvoirs pour créer une diversion, quand la chance lui sourit enfin. Tout d'abord, il ne distingua qu'un léger murmure venant du chemin qui se trouvait sur sa droite et qui menait au portail. Puis, comme le bruit se rapprochait, il n'eut bientôt plus aucun mal à comprendre de quoi il s'agissait et un petit sourire étira les coins de sa bouche. Finalement, la chance n'avait pas cessé de lui sourire aujourd'hui ! Les Quatre étaient toujours derrière lui.

Le murmure se transforma peu à peu en brouhaha et Emyr put bientôt distinguer les bruits de pas étouffés, les « chut... moins de bruit » ainsi que les gloussements caractéristiques d'une petite troupe d'amateurs qui tentait d'avancer discrètement. Et, si lui pouvait les entendre, nul doute que les gardes aussi. Il en eut d'ailleurs rapidement la confirmation quand les deux Faës braquèrent leurs regards vers l'origine du raffut. Surpris, les deux hommes s'éloignèrent quelque peu du portail pour faire face à la menace non-identifiée qui avançait dans l'obscurité et Emyr sentit clairement qu'ils commençaient à faire appel à leur pouvoir.

Soudain, les premiers intrus à la discrétion toute relative passèrent devant le buisson où Emyr était tapi. Il s'était recroquevillé sur lui-même pour être sûr de ne pas être remarqué – les observant discrètement à travers le feuillage – mais il aurait tout aussi bien pu s'accouder à un arbre en sifflotant et passer quand même inaperçu. En guise de menace, Emyr vit alors passer devant lui une bande d'adolescents particulièrement éméchés dont la dangerosité se résumait – pour lui – à deviner lequel de ces énergumènes allait avoir la bonne idée de venir gerber sur son buisson et ruiner ses chances d'arriver sur Terre en étant présentable. Quoi qu'il en soit, les deux gardes durent en arriver aux mêmes conclusions car les deux hommes arrêtèrent immédiatement de puiser dans leur pouvoir.

— Que faites-vous ici ? lança l'un des deux Faës en direction du groupe de jeunes complètement soûls.

Dans le même temps, il s'était éloigné du portail pour se rapprocher des ados qui avaient arrêté leur progression mais qui continuaient à glousser comme des poules.

Emyr profita de ce brouhaha ambiant pour ramper en s'éloignant du chemin et se cacher derrière un immense chêne d'où il pouvait continuer d'observer la scène sans être repéré.

— Hé ! Chaaalut frangin... s'exclama soudain l'un des ados d'une voix rendue pâteuse par l'abus d'alcool. Comment vas ?

— Noah ? demanda le garde incrédule en se rapprochant encore du groupe. Mais qu'est-ce que tu fous ici ?! vociféra-t-il ensuite, se remettant rapidement de l'effet de surprise. Et ivre en plus ! Retourne tout de suite à la maison ou je te jure que je...

— Wow, wow, wow, là... doucement ! le coupa Noah en grimaçant. Pas la peine de crier comme ça Benji. Calme-toi ! Mes amis et moi on s'demandait juste si Sam et toi vous s'riez d'accord pour nous laisser faire un p'tit tour sur Terre pour bien fêter l'solstice ? Ça s'rait vraiment trop sympa...

Le sourire niais qu'afficha Noah pour ponctuer sa tirade ne sembla pas calmer son frère, bien au contraire. Ce dernier semblait même avoir beaucoup de mal à se retenir d'en coller une à l'ado bourré, nota Emyr avec amusement.

— T'as vraiment un problème ! s'emporta le garde en saisissant le jeune par le col de sa tunique. Toi et tes idiots d'amis vous allez tout de suite faire demi-to...

Mais le Faë n'eut pas le temps de finir sa phrase. Il fut soudainement interrompu par un puissant éclair lumineux qui aveugla pendant quelques secondes toute l'assistance – Emyr inclus – et qui fut accueilli par un mélange de cris de surprise et de terreur. Puis la lumière baissa rapidement d'intensité et tous les regards convergèrent vers le même endroit. Les cris de terreur furent alors vite remplacés par des exclamations d'émerveillement.

Il était minuit. C'était le solstice d'hiver. Le jour le plus court de l'année venait de débuter et le passage entre Orcam et la Terre s'était ouvert avec lui.

Tous les regards étaient braqués vers le portail et celui d'Emyr ne faisait pas exception.

Comblant intégralement l'espace en forme d'ovale créé par les troncs de deux arbres à l'écorce argentée – et gravée des symboles des quatre éléments – le portail avait l'apparence des eaux calmes d'un lac, miroitant sous les reflets de la lune.

C'était féérique, magique... même pour quelqu'un venant d'un monde où ces mots étaient plus souvent utilisés au sens propre qu'au figuré.

— Waouh !!! s'exclama soudain Noah d'une voix stridente, tirant instantanément Emyr de sa contemplation. Allez Benji ! Fais pas ton rabat-joie ! Laisse-nous au moins aller le voir de plus près !

— Sam ! appela alors Benji en se tournant vers le deuxième garde qui était resté à proximité du portail. Tu veux bien surveiller ces imbéciles pendant que je dis deux mots en privé à mon crétin de frangin ?

Le dénommé Sam sembla hésiter quelques instants, puis, jugeant sans doute que cela ne risquait rien de quitter son poste de quelques malheureux mètres, il s'éloigna du portail pour se diriger vers le groupe d'adolescents d'un air menaçant, donnant ainsi le signal à son collègue de se mettre un peu à l'écart pour discuter avec son frère.

C'était le moment qu'Emyr attendait. S'il voulait traverser le portail sans que personne ne s'en rende compte, c'était maintenant ou jamais. Il s'élança donc, en veillant à rester sous le couvert des arbres, vers le passage semblable à de l'argent liquide. Puis il le contourna.

Même s'il n'en n'avait jamais pris un lui-même, Emyr savait comme tout Orcamien que les portails n'avaient pas de sens d'entrée ou de sortie. Ils étaient semblables à des portes grandes ouvertes posées au milieu de nulle part et on pouvait les prendre dans un sens comme dans l'autre, cela ne changeait rien à leur destination. Et encore une fois, c'était une chance pour lui puisque l'attention des deux gardes était concentrée en direction du chemin qui venait d'Eliëval et non pas tournée vers le cœur de la forêt.

Il s'assura rapidement que personne ne venait de ce côté-ci du portail et sortit du couvert des arbres.

— Hé toi, là ! Arrête !

Emyr se figea et jeta des coups d'œil frénétiques aux alentours. Mais comment avaient-ils pu le repérer ? Il avait fait très attention et il n'avait vu personne.

— Retourne tout de suite avec les autres ou je t'y envoie valser moi-même !

Emyr poussa un discret soupir de soulagement. L'ordre ne s'adressait pas à lui mais à un des ados bourrés qui avait sans doute voulu tenter d'échapper à la vigilance de Sam, le garde à l'air renfrogné.

— Mais m'sieur ! Ch'uis sûr d'avoir attendu du bruit vers le...

— Et moi je te dis de retourner avec les autres ! Tout de suite !

Hein ? Sérieux ? Ce gamin l'avait-il réellement entendu ? Ou faisait-il seulement son intéressant pour pouvoir s'approcher un peu plus du portail ?

Quoi qu'il en soit, Emyr ne resta pas pour vérifier laquelle de ses théories était la bonne. Il courut vers le portail.

Comme il l'avait déjà souligné – sois-dit en passant – Emyr n'avait jamais emprunté l'un de ces passages entre les mondes. Il ne savait donc pas pourquoi il s'était auto-persuadé que ce franchissement allait s'accompagner d'une sensation de chute vertigineuse au travers d'un univers froid et gris. Au lieu de cela, il ne sentit absolument rien.

Quand il rouvrit les yeux et qu'il arrêta de courir, il constata qu'il se trouvait au milieu d'une forêt assez semblable à celle qu'il venait de quitter, à l'exception près que celle-ci était recouverte d'une fine pellicule de neige.

Génial... Mais pourquoi personne ne l'avait-il prévenu de prendre un manteau avec lui ? Il allait se les geler ici, s'il ne parvenait pas à mettre rapidement la main sur son contact.

Il se retourna vers le portail qu'il venait de traverser en songeant une fraction de seconde à retourner dans son monde pour chercher de quoi s'équiper correctement, mais il renonça à cette idée plutôt rapidement.

C'est bon ! Ce n'est pas trois flocons et une petite brise vivifiante qui vont t'arrêter, mon vieux !

Il s'accorda néanmoins une ou deux secondes pour soupirer d'envie devant l'image d'un bon gros manteau doublé de fourrure qui venait de s'immiscer dans son esprit.

Une fois que cela fut fait, il prit le temps d'observer l'endroit où il avait atterri. Et l'examen des lieux fut assez rapide. C'était une forêt. Point. Une forêt dont les arbres avaient perdu leurs feuilles et couverte de neige, mais une forêt quand même. Que dire d'autre ?

Talek lui avait parlé de collines verdoyantes et d'un lac aux eaux translucides, ainsi que d'une petite maison en pierres construite à l'orée des bois qu'il trouverait facilement s'il prenait plein sud.

C'était bien beau tout ça, mais là, maintenant, tout de suite, il n'avait pas la moindre idée de la direction dans laquelle se trouvait ce fichu sud ! Il faisait nuit, la neige s'était subitement remise à tomber et il lui était impossible de distinguer le ciel, la lune ou les étoiles. La seule source de lumière venait du portail dont la surface brillait d'une lumière argentée. D'ailleurs – s'il avait été d'humeur – il aurait presque trouvé l'atmosphère romantique, mais comme il n'avait personne à draguer sous la main, cette constatation était inutile.

Il décida néanmoins de se rapprocher du portail. Contrairement à celui d'Eliëval, celui-ci n'était pas apparu entre deux arbres, mais dans les ruines d'un dolmen dont ne subsistait qu'une grosse dalle de couverture posée sur quatre grosses pierres verticales. Emyr devait bien admettre que sur Terre aussi, ses ancêtres avaient su utiliser comme écrin pour leurs portails des lieux magnifiques emprunts de magie. Quoi qu'il en soit, on lui avait dit que les Terriens utilisaient parfois ces témoignages du passé pour peindre ou graver des indications. Peut-être que quelqu'un avait eu la brillante idée de tracer sur celui-ci des repères géographiques ou n'importe quoi d'autre pouvant lui permettre de déterminer dans quelle fichue direction se trouvait le sud ?

Mouais... On pouvait toujours rêver.

Il était en train d'inspecter la première pierre quand il entendit le bruit caractéristique de pas crissant dans la neige fraîche.

La forêt était tellement calme en plein cœur de l'hiver, qu'Emyr n'eut aucun mal à déterminer la distance et le nombre de personnes qui approchaient. Il n'y en avait qu'une et elle se trouvait à une centaine de mètres.

Emyr s'éloigna rapidement du portail et alla se cacher derrière un arbre tout proche. Il n'eut pas à attendre longtemps avant de voir apparaître sur le chemin qui menait au dolmen une silhouette mince et plutôt petite, chaudement emmitouflée.

Arrivé à quelques pas du portail, l'intrus, ou plutôt l'intruse – parce que c'était une femme, cela ne faisait aucun doute – s'arrêta quelques instants pour examiner le sol, puis releva vivement la tête en braquant les yeux vers l'arbre derrière lequel il s'était caché.

Emyr jura intérieurement. Bordel ! Il n'avait pas du tout pensé aux traces de pas qu'il avait laissées dans la neige ! En tant que guerrier redoutable et censé être surentraîné, il avait plutôt merdé sur ce coup-là.

— Bonjour ! lança soudain la femme d'une voix mélodieuse – quoique légèrement éraillée. Vous pouvez sortir de votre cachette vous savez. En règle générale, les Faës sont plutôt les bienvenus dans ma forêt !

(...)

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