Chapitre 3.6

Vive comme l'éclair, Lihanna donna un coup de coude dans l'estomac de son agresseur. Il se plia en deux avec un grognement. Elle fit remonter son bras pour frapper à nouveau et entendit un craquement sinistre au moment où son poing entrait en contact avec ce qui devait être le nez de son assaillant. Il poussa un cri de douleur et relâcha son étreinte. Elle se dégagea rapidement, saisit son épée à sa ceinture et se retourna pour menacer à son tour le sale type qui l'avait tailladée. Mais celui-ci était bien entraîné et ce n'était pas un petit nez cassé qui allait l'arrêter. À peine s'était-elle retournée qu'il s'était déjà redressé. Elle se retrouva donc face à face avec son agresseur, la pointe d'une épée à nouveau pointée contre sa gorge. À la différence qu'ils étaient à présent à égalité puisque la sienne se trouvait également en position de l'égorger.

Elle stoppa juste à temps pour ne pas s'empaler sur la lame et son adversaire fit de même.

Il la fixa tout d'abord avec un regard mauvais – sans doute le même qu'elle devait lui renvoyer – puis ses yeux s'écarquillèrent de surprise.

Bon, à vrai dire, elle aussi était un peu stupéfaite.

Oui. C'était très superficiel comme constatation, mais... Elle ne s'attendait pas du tout à tomber nez à nez avec... ça. « Ça » n'étant pas ici un clown flippant mais un guerrier d'une vingtaine d'années aux cheveux châtain clair ébouriffés, des yeux bleus à la nuance marine qui lui était étrangement familière et – il fallait bien l'avouer – pas vraiment désagréable à regarder.

Et à quoi tu t'attendais, au juste ? À une espèce d'homme des cavernes avec des dreads, une barbe de père Noël et des yeux fous ?

Ah ben là, c'est sûr, on n'y était pas du tout ! Même si ses yeux étaient effectivement un peu rouges et larmoyants, sans doute à cause de la douleur de son nez cassé qui était en train de pisser le sang. Mais à part ça, confirmation, cet homme ne ressemblait absolument pas à un zombie !

Quoi qu'il en soit, charmant ou non, il n'en restait pas moins un psychopathe qui l'avait tailladée pendant cinq bonnes minutes. Et à cause de son probable penchant pour les têtes tranchées, elle était persuadée de garder une cicatrice du plus mauvais effet !

Et ça mon gars, je ne suis pas près de te le pardonner !

En plus, il commençait à la faire flipper à la dévisager comme s'il avait vu un fantôme.

— Tu vas dire à ton pote de relâcher mon frère, grinça-t-elle entre ses dents. Ou je te jure que je te plante.

Elle grimaça. Dans sa bouche, la menace semblait moins... menaçante que dans ses séries télé. Et... ouais... un peu plus ridicule, aussi. Son adversaire semblait également de cet avis. Il secoua la tête et la fixa d'un air arrogant.

— Ah ouais, répliqua-t-il avec un petit sourire en essuyant le sang qui coulait de son nez d'un revers de manche. Et tu peux m'expliquer comment tu vas t'y prendre ? Parce qu'à la minute où tu vas seulement faire semblant de bouger, je te jure que ma lame finira ce qu'elle a commencé.

Oh l'enfoi... ! Il se moquait d'elle et si elle ne portait pas ces fichus bracelets, elle l'aurait pulvérisé.

Dire qu'elle était énervée était un doux euphémisme comparé à la rage qu'elle ressentait. Mais pour une fois qu'elle avait besoin de sa version maléfique, celle-ci restait désespérément aux abonnés absents.

— Bon, je pense qu'on ferait tous mieux de se calmer, intervint soudain Morgane d'une voix faussement enjouée. Alors Liha, peux-tu s'il te plaît arrêter de menacer ce garçon mal luné ? Bien que je vienne de remarquer qu'énerver les beaux gosses était clairement ta spécialité... Enfin bref. Et vous monsieur l'Apollon légèrement grossier, pourriez-vous s'il vous plaît mettre de côté votre obsession pour les têtes tranchées, baisser votre arme et demander à votre ami de relâcher le nôtre pour que nous puissions tous discuter tranquillement ?

En face d'elle, Lihanna vit le visage de l'Apollon grossier afficher une mimique à mi-chemin entre le mépris et la perplexité.

— Non mais sérieux, lui demanda-t-il un peu ébranlé, vous êtes qui ? Cette éberluée ne peux pas vraiment être lieutenant dans la Garde, si ? Et toi... qui es...

— Moi je l'aime bien, le coupa son camarade qui retenait toujours Iain, l'empêchant de finir sa question. Et ça me dit plutôt bien de discuter avec elle. Qu'est-ce que t'en dis, Fille de la Terre ? Toi et moi, dans les tunnels...

Du coin de l'œil Lihanna vit Morgane s'empourprer de colère et foudroyer le beau blond du regard.

Parce que ouais, c'est vrai... Lui aussi était plutôt pas mal dans son genre.

— Dans tes rêves espèce d'obsédé frustré ! Sors un peu de ton trou et revois tes techniques de drague si tu veux réussir à séduire une fille !

Encore une fois, celui qui retenait Iain éclata de rire.

— Je te remercie de t'inquiéter pour moi, ma belle ! Mais je t'assure que je me débrouille très bien pour réussir à me soulager. Si tu veux je te montre les dernières positions que...

— Ça suffit, Doran ! tonna soudain une voix venant du tunnel qui se trouvait derrière leurs agresseurs. Je pense que cette jeune fille t'a clairement fait comprendre qu'elle n'était pas intéressée.

Au son de cette voix, Lihanna sursauta. Elle était grave, profonde, autoritaire et beau blond  – Doran donc – perdit instantanément son sourire.

Tu m'étonnes ! se dit-elle en voyant s'avancer l'homme qui venait de parler. Face à lui, n'importe qui aurait eu le sifflet coupé !

Âgé d'une cinquantaine d'années – à vue de nez – il était vraiment grand ! Très grand. Extrêmement grand. La vie ne devait pas être facile pour lui tous les jours dans ces tunnels. Ses longs cheveux lâchés étaient d'un noir d'ébène et sa peau mate était presque noire elle aussi. Mais ce qui frappait le plus, c'était ses yeux. Lihanna n'en n'avait jamais vus d'aussi sombres. Ils étaient tellement noirs qu'il était impossible de distinguer les iris de la pupille. Tout, chez cet homme, inspirait la crainte et le respect.

En tout cas, pas de doute, c'était lui le chef. Et ce n'était pas le fait que les trois autres membres de leur petit groupe venaient de se placer autour de lui pour le protéger qui allait démentir cette évidence. En même temps, sérieux ? Ce mec avait-il vraiment besoin d'être protégé ? Il aurait pu lui broyer le crâne rien qu'avec sa main !

— Relâchez-les ! ordonna-t-il de sa voix envoûtante. Nous pouvons effectivement discuter entre gens civilisés.

Beau blond relâcha Iain immédiatement, mais celui qui lui faisait face n'avait pas l'air de l'entendre de cette oreille. Il continuait de la fixer avec son air arrogant, ses yeux trahissant plusieurs émotions contradictoires. Suspicion et... quoi ? Curiosité ? C'était assez bizarre.

— Toi aussi, Emyr, reprit le géant avec autorité en se tournant vers lui.

Son adversaire n'obéit pas tout de suite. À la place, il dit quelque chose à son chef dans une langue qu'elle ne comprit pas, mais dont les intonations mélodieuses lui rappelèrent de vagues souvenirs de... comptines ?

Waouh... de plus en plus bizarre.

En entendant ce qu'Emyr venait de lui dire, le géant se tourna vers elle pour la première fois.

Ce fut très léger, mais elle aurait juré voir une expression de surprise, limite choquée, passer sur le visage stoïque de l'homme aux yeux noirs.

— Emyr... intima-t-il à nouveau, mais d'une voix plus douce.

— Pas avant qu'elle ne lâche son épée, répliqua celui-ci en continuant de la fixer.

— Dans tes rêves !

— Emyr...

— Mac ! gronda soudain Liam derrière elle. Pourrais-tu pour une fois faire preuve de bonne volonté, s'il te plaît ? Alors recule lentement et mets-toi derrière moi.

— Mais...

— Non, oublie ce que je viens de dire. Ce n'était pas une question, c'était un ordre. Baisse ton épée et recule. Tout de suite !

Contre toute attente, Lihanna se décida à obéir sans râler. Mais elle ne baissa pas son épée. Pas avant d'être bien à l'abri derrière Liam. Elle se contenta de reculer, sa lame toujours pointée vers son adversaire et ne le quitta pas des yeux. La tension restait palpable et quand elle passa à côté de son lieutenant, elle l'entendit pousser un discret soupir de soulagement.

— Qui êtes-vous ? demanda Liam quand Emyr eut à son tour rengainé son épée. Et que faites-vous dans ces tunnels ?

Il était nerveux – cela s'entendait au son de sa voix – mais il n'en laissa rien paraître.

— Je me nomme Talek, répondit le géant en posant sur lui ses prunelles noires comme la nuit. Quant à savoir ce que nous faisons dans ces tunnels, eh bien, la réponse est simple. Nous y vivons.

Sérieusement ? Non mais attendez, vraiment... sérieusement ? Des gens vivent vraiment ici ? Des gens autres que des zombies, j'veux dire.

— Vous vivez ici ? intervint Morgane aussi surprise qu'elle. Mais... mais à quel Peuple appartenez-vous ? Et pourquoi vivre ici ?

— Nous n'appartenons à aucun de vos foutus Peuples ! cracha soudain beau blond avec un regard hargneux. Désolé chérie, mais finalement, je crois que ça ne va pas...

— Doran ! s'exclamèrent en chœur Talek et Emyr.

À nouveau, il fut réduit au silence, mais il conserva tout de même son air renfrogné.

Quoique... Ses traits s'adoucirent légèrement quand il vit que Morgane continuait de le fixer, déconcertée.

— Comment ça, vous n'appartenez à aucun Peuple ? reprit Liam en fronçant les sourcils. C'est impossible...

— Et pourquoi ? le coupa Emyr, un rictus suffisant accroché aux lèvres.

Liam le foudroya du regard et Lihanna vit qu'il serrait convulsivement les poings, se retenant vraisemblablement d'en coller une à son interlocuteur.

Hé, hé... Apparemment, son beau lieutenant n'aimait pas non plus qu'on le toise avec un petit sourire narquois.

Tiens donc... Fallait peut-être lui rappeler que c'était aussi un peu sa marque de fabrique et qu'il voyait, maintenant, à quel point cela pouvait être agaçant !

Mouais... Pas sûr que ce soit le bon moment pour discuter des petits trucs qu'elle n'aimait pas chez lui. Le but, c'était qu'il se calme, pas qu'il change de cible.

— Et pourtant, nous n'appartenons effectivement pas à l'un des différents Peuples du royaume d'Hériale, intervint alors Talek pour couper court à la tension qui s'était installée entre les deux hommes. D'ailleurs, nous trouvons cela très réducteur de diviser une société en fonction des origines ethniques de chacun. Nous sommes, comme vous, des Orcamiens, voilà tout.

Devant cette réponse quelque peu déstabilisante, Lihanna vit la colère de Liam retomber comme un soufflé.

Elle-même était particulièrement ébranlée par ce que venait de dire Talek. Ses paroles trouvaient un immense écho en elle et faisait vibrer le sentiment d'injustice qu'elle avait ressenti quand elle avait appris que les Sang-Purs cherchaient à l'éliminer, juste parce qu'elle était une Sang-Mêlée.

Et tant pis si elle avait découvert récemment qu'ils n'avaient pas tout à fait tort sur le fait qu'elle représentait un véritable danger pour Orcam. Car ils ne le savaient pas ! Ils l'avaient jugée simplement sur ses origines ! Et si la société d'Orcam n'était pas si étriquée, tout cela ne serait jamais arrivé. Erin n'aurait pas été enlevée et la réaction en chaîne qu'elle connaissait n'aurait jamais eu lieu. Elle aurait tranquillement appris à maîtriser ses pouvoirs comme n'importe quel apprenti et son côté sombre et destructeur ne se serait peut-être jamais réveillé.

— Mais si tu tiens vraiment à nous cataloguer, appelle nous Os'Tra, Fils de la Terre, lança Emyr sarcastique.

(...)

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