Chapitre 3.2
— Je n'en suis pas sûre, mais d'après ce que vous venez de dire... oui, il est possible que je sois une... Tes'Sara.
Sous le coup du choc, elle vit son père vaciller imperceptiblement et les yeux de Ross s'écarquiller légèrement.
Ben quoi ? Ils s'y attendaient oui ou non ? Faudrait savoir...
— Ce... ce qu'il s'est passé à la Garde, le matin de la disparition d'Erin, c'était... c'était bien toi, alors ?
Ah. En fait, vu le ton employé, ils espéraient plutôt qu'elle leur dise non.
Instinctivement, elle se rapprocha du jeune homme qui ne l'avait pas lâchée depuis tout à l'heure et – malgré tout ce qui était en train de se passer – elle nota avec plaisir qu'il avait fait de même.
— Je... je... oui, c'était moi.
Devant les mines choquées et surprises de ses amis, elle ajouta précipitamment :
— Mais je ne l'ai pas fait exprès ! Je... j'ai perdu le contrôle et...
— Que s'est-il passé ? la coupa brusquement son père. Co... comment ?
Le ton la fit sursauter. Aedan s'était toujours montré doux et protecteur avec elle. Même quand elle l'agaçait – ce qui arrivait en général assez souvent – il n'avait jamais vraiment élevé la voix. Elle comprenait maintenant pourquoi il était un Faë craint et respecté. Avec sa stature impressionnante, son visage fier et séduisant et ses yeux gris clair perçants, il était tout bonnement intimidant. Même pour sa fille.
Mais elle n'arrivait pas à savoir réellement dans quel état d'esprit il se trouvait. Était-il en colère ? Ou était-ce plutôt de la peur qu'elle percevait dans les intonations de sa voix sèche ?
Quoi qu'il en soit, là, maintenant, tout de suite, elle avait surtout envie de disparaître dans un trou de souris.
— Elle était avec moi, intervint soudain Liam de sa belle voix grave. Elle avait des questions à me poser sur ses pouvoirs. On devait mettre en place des séances d'entraînements pour l'aider à maîtriser ses émotions. Elle avait déjà fait quelques gaffes et j'avais peur qu'elle n'attire encore plus l'attention des Sang-Purs extrémistes sur elle. On a donc commencé à parler de sa maîtrise des quatre éléments et elle s'est soudain mise à paniquer. Et... et tout a été très vite. Les éléments se sont déchaînés et j'ai tout de suite vu que cela venait d'elle. Mais elle ne semblait plus elle-même. Elle était comme déconnectée, ses yeux étaient vides. Je l'ai appelée, j'ai crié son nom, mais elle ne réagissait pas. Alors je me suis précipité vers elle, j'ai saisi ses poignets et... plus rien. Elle est tombée dans les vapes et tout s'est arrêté aussi vite que ça avait commencé, comme tout à l'heure. À son réveil, elle était un peu sonnée et épuisée, mais elle se souvenait de tout.
Les yeux de son père passaient de Liam à elle, mais tous les autres le regardaient lui. Et rien que pour ça, elle avait envie de l'embrasser ! Pour ça et parce qu'il avait réussi à leur dire une partie de la vérité, en évitant soigneusement de mentionner ce qui l'avait réellement fait flipper ce matin-là. Et vu la tête qu'ils faisaient tous, pas sûr que mettre en plus le sujet Th'Eos sur le tapis eut été judicieux. Elle reconnaissait parfaitement l'expression de leurs visages, à présent. Et ils avaient peur.
Enfin, sauf Iain. Lui, il semblait visiblement en colère.
— Et vous n'en n'avez parlé à personne ? Pourquoi ?
Ross avait sans doute décidé qu'il valait mieux s'adresser à son fils, parce qu'il maintint obstinément son regard fixé sur ce dernier.
— À personne, répondit Liam visiblement agacé par le comportement de son père. Ce n'est pas toi qui me dis toujours que, plus il y a de personnes au courant, moins il y a de chances pour que le secret que l'on veut garder le reste ? Eh bien, c'est ce que je lui ai demandé de faire. Attendre et ne rien dire pour éviter que cela ne s'ébruite. Pour éviter que cela n'arrive à l'oreille des extrémistes et que ça la mette encore plus en danger qu'elle ne l'était déjà. Pour éviter de semer la peur dans le cœur des gens qui doutent encore que les triplés soient ici pour nous sauver. Et franchement, quand je vois la tête que vous faites tous en ce moment, vous, ses proches, je me rends compte que j'ai vraiment bien fait !
Sa dernière remarque, dure et acerbe, avait claqué dans l'air comme un fouet. Et elle sentait qu'il était en train de se maîtriser pour réfréner sa colère.
Si on lui avait dit qu'un jour ce serait elle et Liam contre tous, elle aurait sans doute éclaté de rire. Mais pour l'instant, elle avait surtout envie de pleurer. Parce que Liam n'avait pas tort et elle se sentait terriblement blessée par la réaction de ses proches. Elle devait faire un effort surhumain pour ne pas fondre en larme et fuir loin d'eux.
Eh bien... En se levant ce matin, après avoir passé une nuit de rêve, elle ne s'attendait absolument pas à ce que tout son monde s'écroule une nouvelle fois.
— Tu es injuste, Liam ! Lihanna sait très bien qu'on ne lui ferait jamais le moindre mal !
C'était Duncan qui venait de réagir et le ton outré du jeune homme la tira momentanément de ses sombres pensées. Les visages de ses amis n'exprimaient plus la peur qui l'avait tant blessée, mais le remord. Elle reprit du poil de la bête.
Alors là, mon grand, je te trouve bien présomptueux pour oser prétendre que tu sais ce que je pense ! Je te signale que ça fait deux fois, aujourd'hui, que vous me regardez tous comme si j'étais le pire fléau qui n'ait jamais foulé le sol d'Hériale ! Alors, si tu veux vraiment connaître le fond de mes pensées, actuellement, ça se résume surtout à : ALLEZ VOUS FAIRE FOUTRE !
C'était en substance ce qu'elle voulait lui dire, mais Liam la devança :
— Ah ouais ? fit-il sarcastique. Tu penses vraiment qu'elle le sait ? Avec votre attitude ? Non mais sérieux Dun, dis-moi, c'était quand la dernière fois que tu l'as vue avec le sifflet coupé ? Et depuis quand préfère-t-elle venir se réfugier dans mes bras pour trouver du soutien, plutôt que dans ceux de n'importe lequel d'entre vous ?
Euh... à vrai dire, pour répondre à ta deuxième question, je dirais, depuis toujours. Mais je le cachais plutôt bien et puis, surtout, jusqu'à maintenant tu n'avais pas vraiment l'air très open...
Les deux frères, habituellement si proches, se défièrent du regard pendant quelques instants. Duncan finit par baisser les yeux, honteux.
Soudain, Lihanna sentit deux mains se poser sur ses épaules et elle se raidit immédiatement.
Réagissant au quart de tour, Liam pivota brusquement, l'attira à lui et la fit rapidement passer derrière son dos pour la protéger de l'intrus.
Waouh ! Il est sacrément sexy ce Liam chevaleresque, dîtes donc !
Mais il se détendit instantanément quand il la reconnut.
— C'est bon, Liam, le rassura Eana d'une voix douce. Je pense qu'ils ont compris où tu voulais en venir.
En voyant sa mère, Lihanna s'éloigna enfin du jeune homme et alla se jeter dans ses bras. Là, bien à l'abri dans son étreinte protectrice, elle laissa ses larmes couler librement.
— Que se passe-t-il ici ? l'entendit-elle demander d'une voix sèche alors qu'elle la tenait toujours serrée contre elle. Pourquoi ne sommes-nous pas encore partis à la recherche d'Erin ?
Sa mère n'était pas là ce matin, au début de la réunion et Lihanna ne l'avait pas entendue arriver. Qu'avait-elle donc entendu parmi tout ce qui s'était dit ?
— Parce qu'il me considère comme un monstre, répliqua-t-elle en se redressant pour les défier, les joues toujours baignées de larmes, mais la voix claire.
— C'est faux ! répliqua immédiatement son père. Mais oui, je ne te cacherais pas que tout cela nous fait peur. Écoute, ma chérie, continua-t-il d'une voix lasse, je ne vais pas t'expliquer maintenant ce que nous savons sur les Tes'Sara – ce serait beaucoup trop long et nous n'avons pas le temps – mais sache que leurs pouvoirs sont très dangereux et instables s'ils ne sont pas maîtrisés.
— Je n'arrête pas le temps... s'exclama-t-elle soudain.
Euh... Pourquoi avait-elle dit ça ?
— Pardon ?
— Je... je n'ai pas le pouvoir d'arrêter le temps. Je ne suis peut-être donc pas une Tes'Sara...
Ah bah oui, tiens ! Pourquoi n'y avait-elle pas pensé plus tôt ?
— Cela n'a rien à voir, ma chérie. Tous les Tes'Sara n'en sont pas capables.
Ah... Dommage.
— Mais, tu as un pouvoir sur le temps quand même...
C'était Kenneth qui venait d'intervenir. Il avait le visage fermé, mais elle ne voyait dans ses yeux aucune animosité. Alors... Pourquoi s'évertuait-il à enfoncer le clou ?
— Les phénomènes météo oui, mais...
— Non, je veux bien dire le temps. Tu as bien des visions du passé, non ?
Ouh là là... Elle commençait de nouveau à avoir mal à la tête. Mais dans quel genre de délires Kenneth était-il en train de partir ? Qu'est-ce que ses visions venaient maintenant faire dans cette conversation ?
— Euh, oui... mais ça n'a strictement rien à voir. C'est de la télépathie.
— Et alors, il s'agit bien aussi de maîtrise du temps en quelque sorte, non ?
Euh...
— Ce n'est pas la même chose, Kenneth, intervint alors son père à son grand soulagement. La télépathie est un pouvoir bien distinct de celui des Tes'Sara.
Sans savoir pourquoi, Lihanna eut l'impression qu'un grand poids s'enlevait de ses épaules.
— Mais ce que tu dis n'est pas complètement anodin non plus.
Ben voilà, c'était trop beau... Qu'est-ce qui clochait encore, nom d'un chien ?!
— Liha, ma chérie, les pouvoirs de télépathe que tu as révélés dans le bureau du général Brewal, sont également hors du commun.
— Et ?
— Et j'essaie de te parler par télépathie depuis tout à l'heure, mais les barrières que tu as érigées dans ton cerveau à la suite de ton entretien avec le professeur Te'Kelin sont tout bonnement impénétrables. Je me fracasse dessus avec une violence ! Je n'ai jamais rien vu de tel. Et pourtant, je suis doué.
Ah... Elle ne s'était même pas aperçue qu'elle les avait gardées à un niveau aussi élevé.
— Qu'est-ce que cela veut dire, Aedan ? demanda Eana, anxieuse. À quoi penses-tu ?
Son père la fixa quelques instants avec un regard indéchiffrable avant de répondre à sa mère.
— Je pense que notre fille est sans doute le mage le plus puissant qu'ait connu Hériale depuis des centaines d'années. Et ce n'est pas forcément une bonne nouvelle.
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