Liam fut réveillé par l'orage qui continuait de s'abattre dehors. Il s'était calmé, mais il entendait encore quelques coups de tonnerre retentirent au loin et la pluie battre contre les vitres de sa chambre.

Le feu dans l'âtre était presque éteint, mais il n'avait pas froid. Et pour cause... le corps nu pressé contre le sien lui transmettait toute sa chaleur.

Malgré lui, il esquissa un sourire de bien-être.

C'était fou comme il se sentait bien...

Juste après avoir fait l'amour, Lihanna et lui s'étaient endormis dans les bras l'un de l'autre, épuisés par leurs ébats et par des journées de recherches plus éprouvantes les unes que les autres.

Et pour la première fois depuis des lustres, il se sentait bien.

Il savait qu'il devait ce sentiment de plénitude à la jeune fille qui dormait encore blottie entre ses bras. À elle et pas une autre. Il avait beau essayé de se raisonner, de se dire que c'était normal d'être détendu après une bonne partie de jambes en l'air, jamais il n'avait été aussi heureux, jamais il n'avait ressenti ce plaisir à l'état brut. Et bizarrement, le fait que cela soit dû à Lihanna ne l'étonnait en fait pas tant que ça. Comme il le lui avait dit, il était persuadé qu'une espèce de divinité sadique était en train de s'amuser à le faire tomber amoureux de la fille qu'il détestait le plus et qui lui pourrissait la vie depuis plus de sept ans déjà.

Tout doucement, il se tourna légèrement pour pouvoir la regarder. Il ne voulait pas la réveiller – elle avait vraiment besoin de se reposer – juste... la regarder.

Ouais... C'était vraiment niais. Mais il n'y pouvait rien. Dès qu'il s'agissait d'elle, il n'était plus le même. Cette fille était capable de réveiller en lui le pire comme le meilleur. Ce qui signifiait la plupart du temps de se comporter comme un gros connard ou, dans de rares occasions comme celle-ci, comme un chevalier servant sérieusement atteint capable de soupirer des heures devant le visage serein de sa belle endormie.

Oui, oui... C'était pathétique.

Mais bordel ! Ce qu'elle pouvait être belle !

Il ne lui avait pas menti en lui disant qu'on l'avait envoyée auprès de lui juste pour le narguer. Une façon de lui dire dès qu'il la voyait : regarde mon grand, la femme de tes rêves existe, mais elle n'est pas pour toi !

Le pire, c'était que depuis quelques temps, la situation s'était encore compliquée. Parce qu'il ne se contentait plus de la trouver belle physiquement. Non. Peu à peu, il se rendait compte qu'il commençait à aimer tout chez elle. Même son caractère de merde qui cachait en fait – il s'en était vite aperçu – un extrême manque d'assurance. Lihanna n'était pas la petite peste qu'il s'était imaginé. Elle était vulnérable et cela le troublait bien plus qu'il n'aurait pu l'imaginer. Mais elle était forte aussi. Bien plus forte qu'elle ne le pensait. Et pour cela, il l'admirait.

Il adorait aussi la façon dont elle lui tenait tête. Peut-être parce qu'elle était l'une des rares à le faire, les autres filles se contentant généralement de minauder et battre des cils en sa présence.

Il était en train de tomber amoureux d'elle. Il le sentait. Sans doute l'était-il déjà, d'ailleurs. Et ça le faisait chier. Il ne voulait pas être amoureux de Lihanna. Il n'était pas prêt. Il ne pouvait pas l'accepter. Surtout... surtout qu'il n'était pas sûr que la réciproque soit vraie.

Bien sûr, sa petite Faë le désirait – ça il s'en était évidemment rendu compte – mais est-ce qu'elle l'aimait ?

Oh bon sang... Il avait envie de se mettre des baffes... Parce que même en admettant qu'ils soient tous les deux amoureux l'un de l'autre – ce qui était sans doute loin d'être le cas – cela ne changerait de toute façon rien à leur relation. On n'effaçait pas sept années de haine et de rancune tenace aussi facilement que ça... Si ?

En tout cas, tant qu'il n'aurait pas de réponse claire à ce sujet, il était hors de question qu'il lui dévoile quoi que ce soit sur ses pseudo-sentiments. Il ne se ridiculiserait pas devant Lihanna MacCormac ! C'était clair et net !

Mouais, tu parles... Faudrait peut-être déjà commencer par éviter de lui faire l'amour comme si ta vie en dépendait, espèce d'abruti !

Oh bordel ! Il était vraiment mal barré.

Passablement furieux contre lui-même et par le tour que prenaient ses pensées, il eut un brusque mouvement d'humeur qui eut pour effet de réveiller sa compagne.

Mais au lieu d'ouvrir lentement les yeux et de s'étirer langoureusement comme toute fille comblée était censée le faire après des ébats aussi mémorables, la jeune fille sursauta violemment avec une expression paniquée et se jeta prestement sur lui, prête à l'étrangler de ses propres mains.

Eh bien... Il n'avait pas dû la combler si bien que ça finalement !

Blessé dans sa fierté masculine, Liam riposta immédiatement. Il saisit les mains de Lihanna et la plaqua sur le lit. Mais mû par son instinct de survie – seule explication logique pour expliquer le décuplement de ses forces – elle ne se laissa pas faire. Elle enroula ses jambes autour de lui et par une pression du bassin, elle parvint à retourner la situation. Ce fut donc à son tour de se retrouver plaquer contre le lit, une amazone folle furieuse assise à califourchon sur lui, l'empêchant de bouger.

En d'autres circonstances, il aurait pu trouver cette situation particulièrement excitante. Mais il était déjà tellement énervé et – pas la peine de nier – vexé comme un pou, qu'il n'y prêta pas du tout attention.

— Non mais c'est quoi ton problème ? lui cracha-t-il à la figure avec véhémence.

À sa grande surprise, il la vit écarquiller les yeux d'un air horrifié.

— Oh par les Quatre ! Liam ! s'exclama-t-elle en relâchant brusquement ses bras. Je... je suis désolée...

Semblant en effet se rendre seulement compte d'où elle se trouvait et découvrant par la même occasion sa nudité, elle saisit rapidement le drap pour venir le plaquer contre sa poitrine. Elle resta néanmoins assise sur lui.

En la voyant si troublée, Liam se détendit instantanément. Il la fixa donc nonchalamment avec un petit sourire en coin et croisa les bras derrière sa tête.

— Mouais... disons que je n'avais jamais pensé que tu puisses avoir des goûts si... exotiques, la taquina-t-il pour la provoquer. Mais si c'est ça qui t'éclates – la relation dominant-dominé j'veux dire – je veux bien essayer, tu sais...

Comme il s'y attendait, Lihanna le foudroya du regard.

— Ha ha ! Très drôle ! répliqua-t-elle sarcastique. Je t'ai déjà dit que j'étais désolée. Mais je n'ai pas l'habitude de me réveiller avec un intrus dans mon lit et que veux-tu, ce n'est pas ma faute si mon cerveau et mon corps semblent programmés pour te considérer comme un ennemi qu'il faut éliminer...

Mouais... à d'autres !

— Alors, techniquement, c'est mon lit, rétorqua-t-il sans se départir de son sourire moqueur. Et puis, cette nuit, je n'ai pas vraiment eu l'impression que ton corps me considérait comme un ennemi. Au contraire, on aurait plutôt dit qu'il me réclamait, encore et encore à cor et à cri...

À sa grande satisfaction il vit ses joues s'empourprer de colère et ses yeux pétiller d'indignation.

Oh par les Quatre ! C'était un grand malade, mais il adorait la voir ainsi ! Elle était tellement craquante quand elle s'énervait contre lui.

— Je... tu... grrrrr ! T'es vraiment qu'un pauvre type, Ruadhan !

Soudain, l'incongruité de la situation lui sauta à la figure. Elle était là, en train de l'insulter comme si de rien n'était, mais assise à califourchon sur lui et entièrement nue... et il éclata de rire.

— Content de voir que tu es complètement redevenue toi-même, Princesse, lui dit-il quand son hilarité se fut calmée. Et de rien au fait, c'était un plaisir...

Pour toute réponse, elle le foudroya du regard.

— Ben quoi ? fit-il semblant de s'offusquer. C'est pas ce que tu voulais ? Tu ne te sens pas mieux ?

D'humeur joyeuse – allez savoir pourquoi – il lui adressa un sourire carnassier quand il vit qu'elle faisait de gros efforts pour rester calme.

— Ouais... c'est bon... maugréa-t-elle renfrognée. Je me sens beaucoup mieux.

— Non mais parce que si tu penses que ça n'a pas suffi, la taquina-t-il avec un sourire malicieux, je suis tout à fait prêt à me sacrifier à nouveau pour la bonne cause, tu sais...

— C'est bon, Liam, le coupa-t-elle agacée – mais il vit un petit sourire se dessiner furtivement sur ses lèvres – je pense que je vais pouvoir me contenter pendant un moment de ta seule présence. Je te ferai signe si un jour j'ai à nouveau besoin de tes... services.

Alors toi, ma grande, tu ne perds rien pour attendre... pensa-t-il en soutenant son regard moqueur. Mine de rien, il ondula légèrement du bassin pour lui montrer qu'elle n'était pas du tout en position de le provoquer sans en subir les conséquences.

Aussitôt, il vit ses joues s'empourprer et il lui adressa un petit sourire satisfait.

— Je... balbutia-t-elle troublée. Quelle heure est-il au fait ?

Liam poussa un petit soupir amusé par son brusque changement de sujet, mais il redevint sérieux.

— Il fait encore nuit noire, Liha, répondit-il d'une voix douce. Rendors-toi. Je te promets que je te réveillerai quand il sera l'heure de repartir à sa recherche.

Une bouffée de tendresse le submergea quand il vit une ombre de tristesse passer furtivement sur le visage de la jeune fille à l'évocation de sa sœur.

Et... Il avait une furieuse envie de la prendre dans ses bras !

Cela dût d'ailleurs se voir sur son visage, car une étincelle de surprise s'alluma dans les yeux couleur lavande qui le fixaient avec intensité. Elle fit alors une chose à laquelle il ne s'attendait absolument pas. Elle se pencha tout doucement vers lui et ses lèvres vinrent effleurer les siennes. Comme il ne réagissait pas, elle sembla hésiter puis elle finit par se décider et elle l'embrassa franchement, mais avec une extrême douceur.

Cette fois, son corps réagit au quart de tour et il lui rendit immédiatement son baiser. Ses bras quittèrent l'arrière de sa tête et ses mains vinrent se placer en coupe autour de son visage

Ils s'embrassèrent ainsi pendant un long moment et ce baiser, totalement différent des précédents, le troubla bien plus qu'il n'aurait pu se l'imaginer. Son cœur s'emballa et ces foutues bestioles ailées se mirent à danser la samba avec ses tripes. C'était...

Il n'avait jamais ressenti ça.

Puis la jeune femme mit un terme à ce baiser et il la sentit trembler contre son corps.

— Merci, souffla-t-elle tout contre ses lèvres.

Quand il croisa son regard, il vit qu'elle semblait aussi troublée que lui et cela lui fit un bien fou.

— De rien, murmura-t-il avec un petit sourire. Tout le plaisir était pour moi, Princesse... mais, pourquoi ?

Il vit ses beaux yeux se voiler légèrement. Elle secoua la tête et ses lèvres se tordirent sur une petite moue amusée.

— À vrai dire, je ne sais pas. J'ai soudainement eu une envie furieuse de t'embr... de te remercier.

— D'accord, rétorqua-t-il en lui caressant le visage dans un geste tendre dont il ne se serait jamais cru capable avec elle. Dans ce cas, n'hésite pas à me remercier ainsi dès que cette furieuse envie se fera sentir.

Cette fois-ci, elle lui sourit franchement et son cœur se gonfla de joie.

— Liha...

— Liam... commença-t-elle en même temps.

Tous deux écarquillèrent les yeux de surprise. C'était bien la première fois qu'ils étaient sur la même longueur d'onde.

Enfin, c'était ce que Liam espérait.

— Vas-y, soupira-t-il amusé, honneur aux dames.

Elle acquiesça timidement.

Oh bon sang... Elle semblait si fragile pour une fois.

— Et si... murmura-t-elle hésitante, et si on faisait comme si je ne me sentais toujours pas mieux. Comme si ce qui s'était passé tout à l'heure n'avait pas suffi. Juste pour cette nuit.

Oui, c'est bon... pensa-t-il soulagé. Ils étaient bien sur la même longueur d'onde.

    — Tu veux dire, la taquina-t-il pour la forme, si on faisait comme si tu avais encore besoin de mes services ?

— Ou plutôt comme si j'avais eu droit aux services d'un apprenti et qu'il me fallait ceux d'un expert pour me guérir totalement.

Par les Quatre ! Cette fille allait le tuer ! Son petite sourire en coin était tout bonnement irrésistible.

— Je vois... rétorqua-t-il d'une voix étrangement basse. Faisons comme si, alors...

D'un geste rapide il la saisit par la taille et il eut la satisfaction de la voir écarquiller les yeux de surprise. Tout aussi prestement, il la souleva légèrement et fit basculer leurs deux corps de manière à se retrouver allongé au-dessus d'elle.

Lihanna poussa un petit cri, puis elle éclata de rire. Et il se dit que ce son était sans doute le plus doux qu'il n'ait jamais entendu de toute sa vie.

— Si mademoiselle veut un expert, dit-il d'une voix rauque en plantant ses yeux dans les siens. Mademoiselle aura droit aux soins du meilleur expert de tout le royaume...

Oh par les Quatre ! Comme il aimait voir ses beaux yeux améthyste s'assombrirent ainsi sous l'effet du désir. C'était vraiment grisant.

— Liam... commença-t-elle dans un souffle.

Mais il ne lui laissa pas le temps de finir, assez parlé pour aujourd'hui. Il écrasa ses lèvres sur les siennes pour lui faire oublier tout ce qui n'était pas lui. Et comme il l'espérait, sa petite Faë répondit ardemment à son baiser et immédiatement, son corps s'arqua contre le sien. Liam dut se faire violence pour ne pas se laisser emporter par la passion comme la première fois.

Sa princesse voulait un expert, elle allait avoir un expert.

Cette fois-ci, il allait lui faire l'amour lentement, en prenant tout son temps. Il allait explorer chaque parcelle de son corps pour découvrir ce qui la faisait vibrer et il allait recommencer jusqu'à ce qu'elle le supplie de la posséder.

Cette nuit, Lihanna MacCormac-Kerid'El'Wen était à lui et il allait le lui prouver. Demain, il aviserait.

Et pour la deuxième fois cette nuit-là leurs corps s'unirent. Et quand leur plaisir explosa, un coup de tonnerre retentissant éclata et la foudre frappa avec une force redoutable.

Mais ils n'entendirent et ne virent rien. Car cette fois-ci, cela se passa à des centaines de kilomètres de la chambre où ils s'abandonnaient totalement l'un à l'autre.

Au milieu de la mer séparant l'île d'Hériale de celle de Min'Kaness, l'éclair au pouvoir phénoménal pulvérisa un immense iceberg qui se trouvait là depuis des années, entraînant ainsi la fonte du gigantesque bloc de glace et d'une partie de la banquise qui se trouvait à proximité.