Restons ennemis (partie 5)
En arrivant dans sa chambre, Lihanna tomba sur trois tornades occupées à remettre de l'ordre dans le chaos que sa perte de contrôle avait provoqué.
En l'apercevant sur le pas de la porte, sa sœur se précipita vers elle.
— Mais où étais-tu passée ? demanda-t-elle en la serrant dans ses bras. On est passé par la chambre de Liam en revenant de l'infirmerie, mais il nous a dit que tu étais partie après l'avoir aidé à ranger. Tu vas bien ? Rien de cassé ?
L'inquiétude qui transparaissait dans la voix de sa sœur lui donna soudain envie de hurler ou de s'effondrer en sanglots. Elle voulait tout lui raconter. Lui dire de ne surtout plus s'inquiéter pour elle, puisque c'était elle le danger. Elle voulait être réconfortée, prise dans les bras et dorlotée, jusqu'à ce qu'Erin lui dise de ne pas s'en faire, que tout allait s'arranger.
Mais elle ne pouvait pas. Elle ne voulait pas encore l'impliquer dans quelque chose qu'elle ne maîtrisait pas. Dans quelque chose qu'elle ne comprenait pas.
Parce que, si elle était une Th'Eos, Iain et Erin l'étaient également. C'était obligé.
Or, elle voulait les protéger. Et elle savait que plus un secret était partagé, plus il avait de chances de s'ébruiter et plus Iain et Erin seraient en danger.
Pourtant, ils avaient le droit de savoir. Mais pas avant qu'elle n'en sache plus elle-même et qu'elle comprenne le pourquoi du comment !
Et après tout, si le pire scénario qu'elle avait imaginé se révélait exact – à savoir qu'ils étaient une sorte de bombe à retardement créée des siècles auparavant par les Th'Eos en vue de détruire Orcam – il fallait simplement désamorcer cette bombe. Il suffirait d'éliminer l'un d'entre eux pour que la prophétie ne se réalise pas. Puisque « les Trois doivent être là... ». S'ils n'étaient plus que deux, la malédiction échouerait et ce monde serait sauvé. C'était simple pourtant, même si Liam ne voulait pas le comprendre.
L'un d'eux devait se sacrifier. Et ce serait elle.
Erin la serrait encore dans ses bras quand tout ce qu'elle venait de dire atteignit enfin son cerveau. Il était de plus en plus long à la détente ces derniers temps.
— Vous étiez à l'infirmerie ? demanda-t-elle affolée en se dégageant des bras de sa sœur. Quelqu'un est blessé ? Vous allez bien ?
Oh par les Quatre ! Si par malheur elle avait fait du mal à quelqu'un qu'elle aimait, elle ne se le pardonnerait jamais.
— Calme-toi, Liha ! intervint Eiline. Tout va bien. Iain s'est simplement pris un meuble sur le pied et on voulait vérifier que rien n'était cassé.
Lihanna sentit la nausée lui contracter l'estomac.
Putain ! Elle avait estropié son propre frère !
— Hé ! Mais tu es toute blanche, Liha ! Qu'est-ce qui t'arrive ? s'alarma Erin. Viens t'asseoir !
Oh bon sang !
Ses craintes venaient de se confirmer. Elle était un vrai danger pour ses proches.
— Iain est blessé... parvint-elle à murmurer quand sa sœur l'eut conduite sur son lit.
— Mais non, voyons ! s'exclama Erin soulagée. C'est ça qui te met dans cet état ? Il a juste le gros orteil enflé comme une patate !
— En réalité, c'est surtout son amour-propre qui en a pris un coup, continua Eiline en s'esclaffant. Cet imbécile a voulu faire le malin en tentant de redresser seul une armoire tombée à cause du tremblement de terre. Mais il a voulu le faire à mains nues, sans faire appel à ses pouvoirs et l'armoire lui a glissé des mains pour venir s'écraser sur son pied !
— C'était plutôt marrant d'ailleurs ! intervint Dilys en se laissant tomber sur le lit à côté d'elle. Au moins, ton frangin a bien détendu l'atmosphère en sautant partout en se tenant le pied...
Pour donner raison à sa coéquipière, elles éclatèrent de rire et Lihanna parvint à esquisser un pâle sourire.
Bon... Il fallait voir le bon côté des choses. Elle n'était qu'à moitié responsable de l'accident de son frère.
— Liha... reprit Erin plus sérieusement. Tu n'as vraiment pas l'air bien. Tu es sûre que ça va ?
Non. Ça n'allait pas très fort. Mais elle se força à sourire à sa sœur.
— Très bien ! répondit-elle avec une assurance qu'elle était loin de ressentir. Je suis juste encore un peu secouée par ce qui s'est passé. Et puis, j'étais inquiète pour vous...
— Eh bien, rassure-toi. On est tous en un seul morceau ! s'exclama joyeusement Eiline. N'empêche, je me demande ce qui a bien pu se passer tout à l'heure. On aurait dit que tous les éléments se déchainaient en même temps. Un vrai cataclysme...
— J'ai entendu l'un de nos professeurs parler avec un gradé quand on attendait Iain à l'infirmerie, continua Dilys. Il disait qu'au moins deux mages très puissants devaient avoir fait appel à une quantité phénoménale de pouvoir pour utiliser la magie élémentale à un si haut niveau. D'après ce que j'ai compris, seuls les plus calés sont capables de provoquer ce type de phénomènes météorologiques. Mais il ne comprenait pas pourquoi ils avaient fait cela. C'est plutôt flippant, non ?
Erin et Eiline acquiescèrent, mais Lihanna sentit des sueurs froides se répandre dans tout son être.
Oh bon sang...
Elle n'avait pas fait preuve d'arrogance tout à l'heure. Ses dons étaient exceptionnels. Et dangereux. Elle était sans doute l'un des mages les plus puissants d'Hériale. Et elle maîtrisait les quatre éléments. Si elle n'y prenait pas garde, elle était bien capable à elle toute seule de provoquer la fin de ce monde.
— Moi, je penche pour un défi entre deux mages mégalos, expliquait Erin quand Lihanna reprit enfin le cours de la conversation. C'est vraiment un truc de mecs ça... je suis sûre qu'ils ont voulu faire comme s'ils jouaient à lequel de nous deux a la plus grosse, mais au lieu de comparer leurs pénis, ils ont fait ça avec de la magie.
Euh... Était-elle en train d'halluciner ou Erin venait-elle réellement de parler de... pénis ?
— Quoi ?! s'exclama sa sœur, vexée par la tête que faisaient ses amies. Oui, les filles, je sais ce qu'est un pénis. Et oui, je peux prononcer ce mot, il n'y a rien de vulgaire. D'ailleurs, écoutez bien : pénis, pénis, pénis !
Que... ok.
Lihanna tenta tant bien que mal de retenir le fou rire qui était en train de la gagner. Ce qui était vachement compliqué quand deux autres personnes vous fixaient avec les larmes aux yeux.
— Oui ben, c'est bon là ! reprit Erin avec un air outré en voyant que ses amies se retenaient tant bien que mal de rire. Vous êtes pénibles ! Je ne suis pas si coincée que ça ! Si ?
Euh...
Pour être honnête, Lihanna ne savait pas trop quoi lui répondre. Sa sœur n'était pas coincée. Elle était douce et romantique. Et sage aussi. Sage comme dans sagesse, hein ! Pas...
Bref.
— Bien sûr que non... parvint-elle à articuler tout en essayant de maîtriser son fou rire.
Mais avant qu'elle n'ait pu ajouter quoi que ce soit, les yeux gris-bleu d'Erin pétillèrent de malice et elle éclata de rire.
— Eh bien, si vous pouviez voir vos têtes ! En même temps... je ne sais pas vraiment ce qui m'a pris de parler de ça...
— La frustration, rétorqua Lihanna après un court temps de réflexion.
— Comment ça ?
— Peut-être que fantasmer sur le pénis de Kenneth ne te suffit plus et que tu aimerais bien le voir en vrai...
— Liha !
Le petit sourire démentait son ton faussement offusqué. Lihanna lui donna un petit coup d'épaule complice.
— À vrai dire, tu sais quoi ? déclara-t-elle au bout d'un moment. Je pense surtout que c'est moi qui suis frustrée. Comme on n'est pas rentrés sur Terre cette année, je crois que je suis en manque de chaleur humaine.
— Pourquoi tu parles de la Terre ? demanda Dilys. Tu sais qu'il y a aussi des garçons dans le coin, n'est-ce pas ?
Lihanna grimaça et haussa les épaules.
— Tu veux dire que tu n'es jamais sortie avec un mec d'Hériale ? insista son amie. Pourquoi ?
— Non, jamais. J'ai toujours pensé qu'en tant que princesse, je ne pouvais pas non plus faire n'importe quoi. Comme m'octroyer des... moments de divertissements sans imaginer une relation suivie derrière, par exemple. Mon comportement laisse déjà à désirer, alors... Je ne sais pas... J'ai jamais tenté le coup avec un Hérialien.
Dilys la dévisagea bouche bée.
— Ok...
— Mouais... intervint Eiline avec un petit sourire taquin. Je ne suis pas sûre que ce soit la seule raison...
— Comment ça ? Je...
— Ne te vexe pas, ma Liha, la coupa-t-elle, mais je pense que même si tu avais l'occasion de sortir avec tous les mecs de la Garde, il n'y en a qu'un seul qui pourrait combler ta sensation de manque de chaleur humaine. En fait, tu es surtout frustrée de ne pas pouvoir voir ce pénis-là, tu ne crois pas ?
Hein ?!
— Je... Je ne vois pas du tout de qui tu veux parler.
Ce qui était faux, bien sûr. Elle voyait très bien, au contraire. Mais comme il s'agissait du type auquel elle ne devait plus penser...
Ses trois amies éclatèrent de rire. Elle se renfrogna.
— Mais de Liam, évidement. Qui d'autre ?
Lihanna se figea et se tourna d'un bloc vers la porte de la chambre.
Parce que ce n'était pas Eiline qui venait de lui répondre. Ni Dilys. Ni Erin.
(...)
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