Le Bal (Partie 3)
Lihanna regarda Liam s'éloigner, complètement perdue. Elle avait envie de lui courir après pour lui hurler dessus et se défouler, mais à quoi cela aurait-il servi ? Le jeune homme était vraiment en colère contre elle et pour une fois, elle lui donnait raison.
Qu'est-ce qui lui avait pris de vouloir mêler ses proches à tout cela ? Le lien ne les concernait même pas. Certes, ils savaient que Liam et elle souhaitaient le briser plus que tout au monde et ils auraient fait n'importe quoi pour les aider mais, après tout, il y avait bien plus grave dans la vie. Et enfreindre les règles de la Garde était très grave. Si on vous renvoyait dès votre première année, les conséquences pouvaient être désastreuses. Toute leur vie, ces gens étaient montrés du doigt comme des parias.
Les Hérialiens n'étaient pas tendres avec ceux qui déshonoraient leur Garde et ils se sentaient offensés quand une personne n'effectuait pas son apprentissage. Pour eux, cela voulait dire que cet individu n'avait même pas voulu apprendre les bases pour protéger le royaume. Et peu importait la raison de cet échec, ils ne cherchaient pas à comprendre. Tout le monde effectuait cette année dans la Garde, celui qui n'y arrivait pas faisait donc preuve de mauvaise foi et de mépris envers Hériale. Par la suite, cette personne ne trouvait aucun emploi, aucune place dans la société – ou alors un dont personne ne voulait – et ne fondait généralement pas de famille. Lihanna trouvait cela cruel, mais il n'en demeurait pas moins que c'était la réalité.
Bon sang...
Liam avait raison, si elle voulait bousiller sa vie, libre à elle. Mais en aucun cas elle n'avait le droit d'imposer cela aux autres, de les faire prendre autant de risques. Surtout pour quelque chose d'aussi égoïste qui ne concernait que Liam et elle.
— Une dispute avec votre cavalier ?
Elle sursauta. Quand elle se retourna pour voir qui était son nouvel interlocuteur, elle fut surprise de reconnaître l'ancien roi d'Hériale en personne, Ardal Te'Arlach. Le Métaïr la regardait avec des yeux pétillants de malice et un sourire chaleureux.
— Et qu'a donc bien pu faire ce jeune homme, pour que vous ayez l'air si triste, jeune fille ? demanda-t-il gentiment.
Lihanna regarda l'ancien roi et lui rendit un sourire désabusé. Pour une fois, Liam n'avait rien fait, au contraire. L'estime qu'elle avait pour lui remonta en flèche.
— Rien votre Majesté, soupira-t-elle dépitée par sa propre bêtise. C'est moi qui ai tout gâché. Encore...
Ardal Te'Arlach la détailla en fronçant les sourcils. Il ne devait rien comprendre à ce qu'elle venait de dire, pourtant, c'était la vérité. Elle avait vraiment tout gâché.
Si elle s'y était prise autrement, Liam ne se serait pas énervé et ils auraient pu travailler ensemble à briser leur malédiction. Elle aurait dû lui dire tout ce qu'elle savait et lui proposer son aide plutôt que de foncer tête baissée et lui imposer d'enfreindre les règles de son ordre. À la façon dont elle avait présenté les choses, il s'était sans doute senti attaqué, comme si elle se fichait royalement de ce qui pouvait bien lui arriver. Ce qui – soyons honnêtes – n'était pas tout à fait faux. Mais pas à ce point, tout de même !
— Eh bien, présentez-lui vos excuses, reprit doucement l'ancien monarque. Je suis sûr qu'il ne pourra pas en vouloir longtemps à une si jolie jeune fille !
Lihanna ne put s'empêcher de sourire.
Mouais... tu parles. Pour commencer – et même si ce n'était pas réellement important – Liam ne la trouvait même pas jolie...
— Je le ferai votre Majesté, répondit-elle néanmoins. Bien que je doute que cela suffise.
Oh bon sang...
Liam devait la mépriser encore plus qu'avant, si cela était possible. Alors, ses excuses, il n'en n'aurait sans doute rien à faire. Il devait penser qu'elle était une sale petite égoïste et – bizarrement – cela lui fit quelque chose. Trois fois rien, mais... Ouais... Elle n'avait pas vraiment envie que Liam la voie ainsi. D'habitude, son opinion lui importait peu, mais cette fois-ci, c'était différent. Elle avait eu tort et le reconnaissait. Alors, dès que possible, elle irait le trouver et elle lui présenterait de véritables excuses. Et cela, même si ça devait lui arracher la bouche.
— Liam Ruadhan est un bon garçon malgré son air taciturne et ses manières de rustre, commenta soudain le Métaïr. Ne vous inquiétez pas trop, Lihanna MacCormac-Kerid'El'Wen. Si vous êtes sincère, vous parviendrez à lui faire entendre raison. Mais bon, conclut-il avec un sourire amusé, je suppose que vous le connaissez mieux que moi !
Devant l'allusion d'une probable relation entre Liam et elle, Lihanna rougit violemment. Face à son air déconfit, Ardal Te'Arlach éclata de rire.
— Je vais arrêter de vous importuner avec mes remarques embarrassantes, Lihanna, dit-il de sa voix chaleureuse. Je voulais simplement venir vous féliciter en personne pour l'élection de votre père et votre entrée prochaine dans la Garde. Oh, et surtout, reprit-il avec un grand sourire, vous souhaiter un très joyeux anniversaire !
Eh bien !
La bonne humeur de cet homme était vraiment communicative, songea-t-elle alors qu'un sourire s'épanouissait sur ses lèvres. Pas étonnant que le peuple l'ait adoré en tant que roi. Quand il s'adressait à vous, la vie semblait tout de suite plus légère. On se sentait serein et protégé, mais aussi plus fort, plus courageux. Ardal Te'Arlach était vraiment quelqu'un d'exceptionnel. Il faisait partie de ces gens qui forçaient l'admiration. Il était honnête, courageux et juste mais, surtout, il aimait la vie et les gens. Et rien que pour cela, Lihanna le respectait énormément.
— Merci pour tout, votre Majesté, répondit-elle sincère. Cela ne va pas être facile pour mon père de succéder à un roi tel que vous. Même si, à vrai dire, il est aussi l'une des meilleures personnes que je connaisse.
Ardal lui sourit avec bienveillance, mais elle crut déceler une pointe de lassitude dans son regard aussi bleu qu'un ciel d'été.
— Aedan Kerid'El'Wen était vraiment le meilleur choix possible pour Hériale et je suis heureux de son élection. Il est vrai que la tâche qui l'attend désormais sera loin d'être facile. Mais ton père est jeune, intelligent et courageux, Lihanna. Je ne me fais pas trop de souci pour lui.
Son ton était rassurant, mais elle sentit – sans aucun doute possible – que l'ancien monarque était préoccupé.
— Vous faites allusion aux Sang-Purs, n'est-ce pas ? demanda-t-elle en connaissant déjà la réponse.
— Je vois que tu as hérité de l'esprit vif de ton père, jeune fille, rétorqua le Métaïr avec un sourire amusé. Oui, reprit-il plus sérieusement, je fais bien allusion à cette mouvance. Ces dernières années, je t'avoue qu'ils m'ont causé bien du souci et cela va maintenant devenir celui de ton père...
— Mais, votre Majesté, sont-ils réellement si dangereux ? Après tout, ils existent depuis des années et ils sont tout de même très minoritaires.
Ardal Te'Arlach fixa ses grands yeux bleus dans les siens, comme pour sonder son âme et voir si elle était digne d'entendre ce qu'il allait dire.
— Oui, finit-il pas répondre, ils sont très dangereux.
Ok...
Lihanna allait lui poser une autre question, mais il ne lui en laissa pas le temps.
— Le problème, vois-tu, c'est qu'il y a plusieurs branches de Sang-Purs, commença-t-il à expliquer. Il y a ceux qui ont, comme qui dirait, pignon sur rue. Ce sont des beaux parleurs qui servent à rameuter les foules avec des discours alarmistes. Ceux-là, siffla-t-il avec mépris, ne sont que des politiciens juste bons à s'écouter parler. Mais, même si de plus en plus de gens adhèrent à leurs propos, le danger ne vient pas vraiment d'eux.
Il s'interrompit quelques secondes avant de reprendre :
— Sache qu'il existe au sein des Sang-Purs des factions qui se sont radicalisées et dont la population n'entend pas forcément parler. J'avoue que c'était un choix de ma part. Bon ou mauvais... je ne saurais dire. Mais quoi qu'il en soit, eux, Lihanna, sont très dangereux. Ils n'hésitent pas à tuer pour leurs idées et le problème, c'est que l'on ne sait pas quiils sont. Ils se fondent dans la population et ils évoluent au sein de notre société sans que personne ne se doute de quoi que ce soit.
Surprise, Lihanna regarda partout autour d'elle. Ce que venait de lui dire Ardal Te'Arlach lui faisait froid dans le dos.
— Vous voulez dire que, n'importe qui dans cette pièce pourrait être un assassin Sang-Purs extrémiste ?
Le Métaïr acquiesça, avant de se reprendre et de lui adresser un sourire contrit.
— Toutes mes excuses, Lihanna, ce n'est ni le lieu ni le moment de t'importuner avec ces problèmes de politiciens ! Néanmoins, j'aimerais tout de même te donner un conseil, comme je l'ai fait avec Iain et Erin, tout à l'heure.
Lihanna hocha la tête en signe d'assentiment. Après tout, cela faisait maintenant deux fois au cours de cette éprouvante journée que le problème des Sang-Purs venait sur le tapis. Un conseil ne pouvait pas lui faire de mal, si ?
— Je veux que tu sois très prudente à partir d'aujourd'hui. Reste toujours sur tes gardes et méfie-toi de tout le monde.
Ah, carrément... Eh bien, l'ancien roi n'y allait pas avec le dos de la cuillère quand il donnait des conseils !
— Je sais que je suis un peu alarmiste... reprit-il.
Sans déconner...
— ... mais ton frère, ta sœur et toi, êtes devenus des cibles de premier choix pour ces fous furieux. Vous êtes le meilleur moyen d'atteindre votre père, de l'affaiblir. Et, crois-moi, c'est précisément ce qu'ils vont chercher à faire.
Mouais... Sa mère lui avait dit sensiblement la même chose. N'empêche... Une nouvelle rentrée scolaire dans un endroit qu'on ne connaissait pas n'était-il pas censé être le truc le plus anxiogène auquel un nouvel élève devait être confronté ? Pourquoi fallait-il qu'on lui annonce subitement qu'en plus de devoir lutter pour s'intégrer socialement – chose pour laquelle, soyons honnêtes, elle n'était pas franchement très douée – elle allait aussi devoir lutter – au sens propre – pour sa vie ?
— L'élection d'Aedan est un véritable affront pour eux, sois-en sûre, continua Ardal complètement hermétique à ses problèmes existentiels. C'est pourquoi il doit rester fort et impitoyable. Et il ne pourra le faire que si vous êtes en sécurité, correctement préparés à vous défendre et attentifs à ce qu'il se passe autour de vous. Prudence est mère de sureté, comme disaient les anciens, n'est-ce pas ? conclut-il avec un petit sourire.
Encore un peu décontenancée, Lihanna lui retourna un sourire hésitant.
— Je ferai attention, votre Majesté, acquiesça-t-elle néanmoins.
L'ancien souverain hocha la tête avec sérieux. Au moins, il semblait satisfait. Puis son expression redevint chaleureuse, comme si toute cette conversation n'avait jamais eu lieu. Il lui serra la main avec douceur et prit rapidement congé, non sans lui avoir souhaité une agréable fin de soirée.
Un peu désorientée après cette entrevue, Lihanna mit quelques minutes à reprendre ses esprits. Elle jeta un coup d'œil dans la salle de bal et vit que sa famille et ses amis s'y trouvaient encore. À l'exception de Liam. Elle voulut d'abord les rejoindre pour se changer les idées et profiter de la soirée, avant d se raviser. De toute façon, elle était désormais sans cavalier et tenir la chandelle ne lui disait rien du tout. Et puis... Elle se sentait un peu oppressée désormais, au milieu de toute cette foule.
Sa décision prise, elle se dirigea vers la sortie qui menait aux parties privatives du palais. Liam était sans doute remonté dans sa chambre en charmante compagnie, mais tant pis. Elle venait de décider que ses excuses ne pouvaient plus attendre une minute de plus.
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