En route pour la capitale (Partie 5)
Leur bateau avait fini par accoster dans le port d'Hériali. Lihanna n'était pas venue souvent dans la capitale et elle était à chaque fois subjuguée par la beauté de l'île. Le port était composé de deux immenses jetées en pierres blanches qui protégeaient ses eaux calmes et turquoise des vagues de la haute mer. Ces jetées étaient reliées entre elles par une arche gigantesque, décorée d'entrelacs aux motifs complexes et plusieurs tours de garde permettaient de surveiller les allers et venues des navires. Ce jour-là, le front de mer grouillait encore plus d'activité que d'habitude. On y trouvait une multitude d'échoppes qui proposaient les mets les plus divers et différentes boutiques où l'on pouvait acheter à peu près tout et n'importe quoi. Lihanna espérait qu'elle aurait un peu de temps à elle durant cette année pour pouvoir profiter de tout ce que cette ville avait à lui offrir.
Du port, on accédait directement à la ville elle-même, en empruntant une large rue pavée de pierres couleur crème. Toutes les habitations, toutes les boutiques et tous les bâtiments d'Hériali étaient d'un blanc immaculé avec des toitures en métal doré. Les seules autres touches de couleur venaient des drapeaux que les gens avaient accrochés à leurs fenêtres pour l'élection du nouveau roi. Ces drapeaux représentaient les quatre Peuples d'Hériale : blanc et or pour les Faës, rouge et or pour les Sorciers, bleu et or pour les Métaïrs et vert et or pour les Fils de la Terre.
La rue principale était noire de monde, de même que les ruelles aux alentours, toutes les personnes prenant la direction du palais royal où se déroulerait la cérémonie du couronnement. La majorité allait à pied, mais les dirigeants et leurs familles avaient eu droit à des chevaux. Une partie de la grande rue avait été dégagée pour leur permettre d'accéder au palais plus rapidement.
Sur sa jument grise, Lihanna remontait la rue au pas, dépassant un flot continu de personne. La plupart leur adressait des sourires chaleureux et agitait les mains pour les saluer. Mais dans la foule, Lihanna remarqua que certains lui jetaient des regards carrément hostiles. Était-ce parce qu'elle allait à cheval ou s'agissait-il d'autre chose ?
Perplexe, elle décida de ne pas s'attarder sur cette question et elle continua de s'imprégner de l'ambiance festive de la ville.
Les habitants d'Hériali étaient, dans leur grande majorité, des fonctionnaires qui travaillaient pour les instances royales. Le niveau de vie dans la capitale était donc plutôt élevé. De plus, bien que la ville soit quasiment surpeuplée, l'impression de salubrité des rues était impressionnante et Lihanna ne put s'empêcher de se demander combien de personnes travaillaient à l'entretien de cette immense ruche.
Les personnes qu'ils continuaient de dépasser étaient toutes richement vêtues. On aurait presque dit que la route était bordée d'un champ de fleurs aux couleurs chatoyantes – or, vert, rouge, bleu et blanc – et la jeune fille se félicita d'avoir choisi une tenue qui ne dénotait pas trop avec le dress-code local.
Ils finirent par atteindre la grande place vers le milieu de l'après-midi. Cette dernière était immense et déjà noire de monde. De forme rectangulaire, elle était bordée de bâtiments majestueux dans lesquels se trouvaient les instances royales du royaume d'Hériale : Garde, banque, ambassades et tribunal. Mais le plus imposant de tous était bien entendu le palais qui la dominait. Il était d'ailleurs tellement grand que les dirigeants des cinq principautés et leurs familles pouvaient y loger aisément.
D'un blanc immaculé, il brillait sous les rayons du soleil telle la neige en hiver. Un énorme escalier en pierres dorées permettait d'accéder à son parvis et ses trois grandes portes en or et en forme d'arches étaient grandes ouvertes, surveillées par des membres de la Garde tout de noir vêtus.
En arrivant dans le hall d'entrée, Lihanna leva les yeux, émerveillée. Le plafond était si haut qu'elle avait du mal à distinguer les fresques qui le décorait. Il était soutenu par d'immenses colonnes en marbre blanc, décorées d'entrelacs de fils d'or aux motifs végétaux. Le sol alternait dalles en marbre et dalles en métal doré. De part et d'autre de cette entrée monumentale, des escaliers permettaient d'accéder aux différents niveaux du palais.
Mais ce que Lihanna préférait se trouvait juste en face d'elle et elle sentit un sourire de ravissement pur étirer le coin de ses lèvres quand elle le vit. Car à l'intérieur même du palais, s'ouvrait un magnifique jardin, bordé de colonnades de style antique. À chaque fois qu'elle venait, elle était stupéfiée par ce pur prodige. Et puis, l'odeur des fleurs multicolores et des arbres fruitiers qui embaumaient, ainsi que le bruit de l'eau de la fontaine, avait toujours eu un effet apaisant sur elle. Et aujourd'hui, cet effet ne serait pas du luxe.
Rapidement, Lihanna et sa famille furent conduits au premier étage, dans les appartements réservés aux invités du Peuple Faës. Les quartiers des autres délégations se trouvaient également au même niveau et c'est donc là qu'ils prirent congé des Ruadhan. Ils se retrouveraient au moment de l'élection qui devait avoir lieu au coucher du soleil.
Au moment de se séparer, Lihanna croisa furtivement le regard de Liam, mais il afficha un air impassible et tourna rapidement les talons.
En tout cas, pour sa part, elle eut beaucoup de mal à ne pas afficher un sourire triomphant pendant le bref moment où leurs yeux s'accrochèrent.
Le jeune homme lui en voulait peut-être à mort, mais après tout, c'était déjà le cas avant. Alors, quelle importance ?
Fière d'elle, elle sourit en repensant à la tête qu'avait faite Liam au moment où il avait compris. Et voir son beau visage se décomposer sous le coup de la colère n'avait absolument pas de prix.
Oui, oui...C'était un peu sadique de se réjouir comme ça du malheur des autres, mais comme il s'agissait de Liam, elle s'en contrefichait.
Le mieux – ou le pire, elle n'avait pas encore fait son choix – dans cette histoire, c'était qu'il n'avait absolument pas pu refuser son invitation. Elle le savait. Il le savait. Parce que – même si elle le traitait régulièrement de gros abruti et ce avec raison – Liam avait tout de même quelques principes et il respectait le code d'honneur propre au royaume d'Hériale : on ne refusait pas à une princesse d'être son cavalier.
Enfin ça, c'était parce qu'elle avait fait sa demande devant témoins, sinon – elle n'était pas dupe – code d'honneur ou non, il l'aurait bien entendu envoyée bouler.
Quoi qu'il en soit, Liam n'avait pas eu le choix – d'autant plus que Ross et ses parents avaient eux aussi assisté à toute la scène – et c'était bien là le principal.
Ahhh... Quand il avait compris qu'elle le tenait, il lui avait adressé un regard assassin dont elle se souviendrait toute sa vie. Sachant qu'il ne pouvait pas faire autrement, il avait fini après un long – très, très, très long – moment, par accepter d'être son cavalier.
Bien sûr, personne n'avait compris ce qui lui était passé par la tête, mais comme ils n'avaient pas osé lui demander quoi que ce soit, elle n'avait pas – encore – eu à se justifier et pour l'instant, elle savourait sa victoire.
Les appartements qu'elle occupait avec sa famille étaient décorés sobrement mais avec goût, dans un camaïeu de blanc et beige, le tout agrémenté de détails dorés. Elle partageait sa chambre avec Erin, ce qui n'était pas un problème. Les deux sœurs s'entendaient très bien et de toute façon ce n'était l'affaire que d'une nuit. Le peu d'affaires personnelles qu'elle avait emporté avaient été soigneusement rangées dans une armoire. Elle trouvait cela un peu ridicule – puisqu'il faudrait tout rempaqueter demain matin – mais comme ce n'était pas elle qui s'en chargerait, elle n'allait pas s'en plaindre.
— Tu peux m'expliquer ?
Lihanna sursauta, elle n'avait pas entendu sa sœur entrer.
—T'expliquer, quoi ? répliqua-t-elle innocemment.
Erin se dirigea vers son lit et soupira en se laissant tomber sur le matelas. Puis elle fixa ses beaux yeux gris-bleu sur elle. Elle semblait vouloir la sonder pour découvrir la réponse à sa question, mais son expression restait indéchiffrable.
— Tu es amoureuse de lui ! lança-t-elle soudain avec un grand sourire.
— Quoi ? s'exclama Lihanna qui avait failli s'étrangler sous le coup de la surprise. Non mais ça va pas ?!
— Alors quoi ? reprit sa sœur pas du tout impressionnée par la montée rapide de cette conversation dans les aigües.
Lihanna soupira et alla s'asseoir sur son lit. La couette d'un blanc immaculé était douce comme de la soie et le matelas ferme et confortable.
— Alors... commença-t-elle en bougonnant. Alors, c'est un peu compliqué.
— Essaye quand même.
Lihanna poussa un soupir à mi-chemin entre l'exaspération et la résignation.
— Ok. Mais je veux d'abord que tu saches une chose. Tout ça – ce qui s'est passé et ce qui risque d'arriver à ce foutu bal – tout ça donc, c'est votre faute !
— Ah oui ? rétorqua Erin en levant un sourcil interrogateur. Très bien, Liha, si ça peut te faire plaisir. Mais là, vois-tu, il va tout de même falloir que tu sois un petit peu plus claire. Pourquoi as-tu invité Liam au bal et en quoi est-ce notre faute ?
— Parce que vous en parliez. Donc, c'est vous qui avez tout déclenché.
C'était l'explication la plus naze qu'elle ait pu trouver. Mais si elle se murait dans le silence maintenant, est-ce qu'Erin lui ficherait la paix ?
— Toujours pas assez clair, Liha. Développe.
Raté...
Exaspérée, Lihanna la foudroya du regard. Même si elle savait depuis le début qu'elle devrait tôt ou tard expliquer son comportement, elle aurait préféré que ce soit tard.
— Je crois... commença-t-elle en continuant de fixer sa sœur d'un air agacé. Non, en fait, je suis sûre que Duncan allait me demander de l'accompagner.
Face à elle, Erin fronça les sourcils.
— Et... tu ne voulais pas y aller avec lui ?
— Non... Enfin... peut-être. Là n'est pas la question.
Cette fois-ci, Erin la regarda comme si elle débarquait d'une autre planète. Ce qui, soit dit en passant, n'était pas complètement faux.
— Le problème, expliqua-t-elle pour répondre aux interrogations de sa jumelle, c'est que je sais que Duncan m'aime bien.
— Et pas toi, la coupa Erin qui tentait vainement de comprendre – Lihanna le voyait à sa tête – le pourquoi du comment de cette conversation.
— Non ! Enfin, peut-être... ça non plus je ne sais pas ! Mais ça n'a pas d'importance pour l'instant.
Consciente qu'Erin commençait doucement à s'impatienter – elle l'avait remarqué au tic nerveux qui agitait ses doigts – elle poursuivit rapidement.
— Liam et moi, on est liés tu te souviens ? Et tant que cela durera, je ne me vois pas m'engager avec quelqu'un. Surtout s'il y a des chances que je m'attache à lui. Parce qu' au final, je finirais par souffrir, Duncan finirait par souffrir et – bien que cela reste à démontrer qu'il en soit en capable – même Liam finirait par souffrir. Un véritable drame, quoi. Et puis, au-delà de ces stupides histoires de cœur, il fallait de toute façon que je parle à Liam. Et en étant mon cavalier, il ne pourra pas m'éviter toute la soirée.
C'était effectivement la seule solution qu'elle avait trouvée pour pouvoir discuter avec le jeune homme sans que tout cela ne se finisse en combat de boxe. Parce que même si elle n'en n'avait pas du tout envie, elle devait absolument lui parler. Or, Liam et elle ne savaient pas se parler. S'insulter, s'humilier et se crier dessus, oui. Se parler de façon civilisée, non. Elle y avait donc réfléchi pendant des jours et inviter le jeune homme au bal lui était vite apparu comme étant la solution. Car à la vue de tout le gratin d'Hériale, aucun d'eux ne pourrait se permettre de se comporter comme les chiffonniers mesquins et puérils qu'ils étaient en réalité l'un envers l'autre. Bien sûr, jusqu'à ce matin, cette invitation était restée clairement hypothétique, puisqu'elle n'avait pas trouvé le moyen de la formuler au principal intéressé. Mais, grâce à la haine qu'il lui vouait, Liam lui avait lui-même donné l'occasion de mettre son plan à exécution. Et – cerise sur le gâteau – elle avait même pu le mettre au passage dans une colère noire. Et elle adorait ça !
Enfin bref. Tout ça pour dire qu'elle était plutôt fière d'elle. Alors, pourquoi Erin l'observait-elle avec une lueur amusée dans le regard ?
— Eh bien... laisse-moi résumer, tu veux ? Tu penses que le gentil et beau Duncan a des sentiments pour toi et qu'il allait te demander de l'accompagner au bal ?
Méfiante, Lihanna acquiesça. Cette partie n'était absolument pas la plus importante de son explication, mais soit. Erin était une grande romantique.
— De ton côté, tu as peut-être des sentiments pour lui, mais tu n'en es pas sûre. Du coup, pour lui éviter d'avoir – peut-être, un jour – le cœur brisé, tu t'es dit qu'il serait plus raisonnable d'inviter – et cela totalement contre son gré – le méchant,mais néanmoins très sexy, Liam ? Le mec qui te déteste le plus au monde et qui a menacé de te tuer si tu l'approchais ?
Euh...ouais, vu comme ça... Sa victoire sur le jeune homme pouvait paraître moins évidente.
— Menace en l'air si tu veux mon avis, rétorqua-t-elle néanmoins en haussant les épaules. Mais surtout, tu oublies le plus important dans ton résumé ! Il fallait que je parle à Liam. En privé...
— Donc, tu l'as invité au bal ? Pour lui parler ?
— Oui.
Cette fois-ci, Erin éclata de rire.
Mais, qu'est-ce qu'il y a de si drôle, à la fin ? Elle avait gagné une manche contre son ennemi juré, pas écrit le sketch le plus drôle de l'année. Erin aurait dû l'applaudir ! Non ?
— Je suis rassurée, s'exclama soudain sa sœur entre deux hoquets dus à son fou rire. C'est donc en toute connaissance de cause que tu vas passer la soirée la plus pourrie de ta vie !
Que... quoi ? Ouais, bon... peut-être...
Mais ce n'était pas grave. Elle avait gagné, elle avait gagné, elle avait gagné...
Comme sa sœur continuait de glousser comme une poule épileptique et sous acide, Lihanna décida qu'il était temps de mettre un terme à cette conversation. Erin n'arriverait jamais à se focaliser sur la partie qui faisait d'elle la gagnante de cette bataille. Elle lui balança donc un coussin en pleine figure. Ce qui, bien sûr, ne fit qu'accroître son hilarité.
— Pardon, Liha, hoqueta Erin devant sa mine renfrognée. Mais si tu savais à quel point j'ai hâte que ce bal commence...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top