Finalement, le petit déjeuner s'était très bien passé. Les triplés avaient vraiment passé un très bon moment et lorsque l'heure du départ avait sonné, l'humeur était au beau fixe.

Lihanna chevauchait en compagnie de sa sœur et d'Eiline, la seule fille de Ross. Cette dernière avait le même âge qu'elle, ce qui voulait dire qu'elles entreraient ensemble dans la Garde cette année.

Eiline était une belle jeune fille aux longs cheveux noirs, aux grands yeux gris et à la peau hâlée. De nature espiègle et enjouée, elle était tout de suite devenue amie avec Lihanna et Erin. Grandir entourée de quatre frères très protecteurs – dont Connor, son jumeau – ne devait effectivement pas être tous les jours facile. Lihanna comprenait que son amie ait parfois besoin de se retrouver entre filles. Néanmoins, elle savait aussi qu'Eiline adorait ses quatre frangins et qu'elle les défendrait bec et ongles si quelqu'un osait s'en prendre à eux. Enfin, sauf quand il s'agissait de sa propre relation avec Liam. Parce que – pour une obscure raison que Lihanna ne comprenait toujours pas – Eiline ne s'offusquait jamais quand elle traitait son frère de tous les noms.

Quoi qu'il en soit, pour en revenir à l'instant présent, le trajet à cheval qu'ils avaient entrepris ne durait pas longtemps. Eliëval, la capitale de la principauté Faë, ne se trouvait qu'à une heure de la côte. Il faudrait ensuite descendre jusqu'au bas des grandes falaises qui surplombaient la mer pour rejoindre le port principal de la principauté. De là, ils prendraient un bateau pour se rendre à Hériali, la capitale du Royaume.

Tout en chevauchant, Lihanna se perdit bientôt dans ses pensées et se remémora ce qu'elle avait dû apprendre par cœur en arrivant dans ce monde, sept années plus tôt :

Hériali, la capitale du royaume d'Hériale, se trouvait sur une île. Elle regroupait toutes les instances officielles du royaume : le palais royal, les ambassades, les bâtiments de la Garde, le tribunal royal, la banque royale... et tout un tas d'autres choses « royales ».

Le royaume d'Hériale était l'un des trois royaumes insulaires qui composaient le monde d'Orcam, les deux autres étant l'île d'Evarna et celle de Min'Kaness.

Hériale était ce qu'on aurait appelé sur Terre un État fédéral. Il était constitué de deux îles : l'une très grande, l'autre bien plus petite. Ainsi, la plus grande de ces deux îles était divisée en cinq principautés : Aëlia était la principauté Faë ; Paat'Mafra, celle des Sorciers ; Hal'Justeï appartenait aux Métaïrs ; Laguro, quant à elle, était la principauté des Fils de la Terre. La dernière de ces cinq principautés était celle de Pa'Auro. Elle avait un statut un peu à part, étant donné qu'elle n'appartenait à aucun Peuple. Elle était en majorité peuplée par ce que les Hérialiens appelaient – un peu péjorativement – des Métis. Lihanna préférait quant à elle le qualificatif de Peuples Libres.

Chacune de ces principautés avait son propre gouvernement. Les Faës et les Métaïrs étaient dirigés par des princes : la dynastie Kerid'El'Wen pour les premiers, celle des Te'Arlach pour les seconds. Les Sorciers et les Peuples Librespossédaient un conseil élu, dont un conseiller principal qui les représentait au sein du gouvernement fédéral. Quant aux Fils de la Terre, leur principauté était elle-même divisée en cinq clans qui dirigeaient la communauté à tour de rôle. Ross Ruadhan en était le chef actuel.

Ainsi, tous les dix ans, les dirigeants des cinq principautés se rendaient à Hériali – sur la plus petite des deux îles – pour élire le Roi d'Hériale. Et n'importe lequel de ces cinq dirigeants pouvait être élu à ce titre.

Et cette année, c'était peut-être son père qui allait remporter la mise...

Tirée de ses pensées par cette constatation qui lui broyait les tripes, Lihanna constata qu'elle était l'une des premières à avoir atteint les bateaux.

Elle se dirigea directement sur celui qui était réservé à la famille Kerid'El'Wen. Il s'agissait d'un magnifique voilier blanc qui étincelait de mille feux sous le soleil matinal. La mer translucide qui s'étendait devant elle était belle et calme, mais le peuple Faë possédant la maîtrise de l'Air, faire avancer les bateaux ne serait pas un problème.

Lihanna s'installa confortablement sur l'une des banquettes disposées sur le pont. Elle voulait s'imprégner une dernière fois de la beauté du paysage d'Aëlia. D'ici, elle voyait surtout les magnifiques falaises en pierres blanches et les plages de galets en contrebas. Mais en fermant les yeux et en respirant l'air si pur d'Aëlia, elle n'avait aucun mal à visualiser les collines vert émeraude, les forêts aux couleurs chatoyantes et les lacs aux eaux paisibles.

Par les Quatre... Cet endroit allait vraiment beaucoup lui manquer.

Quand toutes les personnes en route pour la capitale eurent embarqué, le capitaine de chaque navire fit appel à sa magie et une légère brise gonfla les voiles des bateaux. Au rythme où ils naviguaient, ils atteindraient Hériali – située à l'ouest – dans moins de deux heures. Aëlia était en effet l'une des deux principautés les plus proches de la capitale, avec celle de Hal'Justeï. Laguro – la principauté des Fils de la Terre – se trouvait à l'est d'Aëlia. Étant de grands amis, les Faës et les Fils de la Terre avaient décidé de faire le trajet ensemble.

Comme tout le peuple d'Hériale ne pouvait se rendre à la cérémonie – l'île-capitale ne pouvant accueillir tout le monde – seuls les dirigeants et leur famille, ainsi que les jeunes de dix-sept ans qui entraient dans la Garde et leurs proches, faisaient partie du voyage.

Lihanna partageait son bateau avec sa famille, leur suite et les Ruadhan. Entourée d'Erin et d'Eiline, elle se sentait enfin plutôt bien. D'ailleurs, qui savait quand elles auraient encore l'occasion de se retrouver ainsi ?

Elles discutaient donc avec légèreté, de tout et de rien, comme seules trois amies pouvaient le faire. Peu à peu, Lihanna se laissa aller et l'angoisse qu'elle ressentait quant aux évènements de la journée s'estompa légèrement. Si son père devenait roi, eh bien soit ! Il y avait sans doute pire dans la vie.

Et même si son entrée dans la Garde la tracassait toujours un peu, elle se rappela qu'elle n'y allait pas seule.

Forte de sa nouvelle détermination, elle offrit son visage à la caresse réconfortante du soleil. Oui, pensa-t-elle en sentant un sourire s'épanouir sur son visage, cette journée s'annonce plutôt bien, finalement !

Et ce n'était sûrement pas la présence hostile qu'elle ressentait qui allait lui gâcher le voyage.

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