Comme un air de famille (partie 7)

— Qu'est-ce que t'as encore foutu ? aboya-t-il dès qu'ils se furent éloignés de la cantine.

Il lui tenait toujours le bras et il continuait à avancer rapidement, comme s'il était furieux.

Était-il en colère contre elle ? Pourtant, elle lui avait demandé pardon et elle avait même dit s'il te plaît, l'un des fameux mots magiques. Apparemment, ça ne fonctionnait pas des masses sur lui.

— Hé doucement ! Tu me fais mal ! s'exclama-t-elle en se forçant à refouler la colère qui commençait à poindre le bout de son nez malgré ses bonnes résolutions.

C'était déjà assez dur de lutter contre des réactions épidermiques et viscérales ancrées en vous depuis des années, alors s'il refusait d'y mettre un peu du sien...

— Et d'abord, je n'ai rien fait de mal ! reprit-elle en bougonnant. On va où, là ?

Liam poussa un soupir excédé et stoppa net sa progression. Surprise, Lihanna faillit trébucher. Il la rattrapa de justesse et la fit pivoter pour qu'elle lui fasse face.

— Ben c'est quoi l'urgence, alors ? demanda-t-il mi-irrité, mi-surpris. Vu ta tête, je me suis dit que t'avais fait une gaffe monumentale !

Hé !

Lihanna le foudroya du regard, vexée.

— Non. Contrairement à ce que tu sembles croire, je ne suis pas complètement stupide ! J'avais juste besoin de te parler.

Liam la regarda comme s'il ne comprenait pas ce qu'elle venait de dire.

— Non mais, sérieusement ? Pourquoi à chaque fois que tu veux juste me parler, tu t'y prends si mal ? demanda-t-il sincèrement surpris. Soit tu m'invites à un bal tout en sachant que ça me mettra dans une colère noire, soit tu me dévoiles les pouvoirs que tu voulais garder secrets, soit tu me donnes l'impression qu'une catastrophe imminente va arriver. Sérieux, Mac, fais simple la prochaine fois.

Pendant qu'il parlait, il lui avait lâché le bras et toute trace de colère avait disparu de ses yeux. Lihanna se renfrogna.

— Oh c'est facile, hein ! répliqua-t-elle butée, en croisant les bras sur sa poitrine. Tu fais comme si j'avais fait exprès ! Mais c'est toi qui ne me laisses pas le choix ! À chaque fois que je m'approche de toi, j'ai l'impression que tu vas me sauter dessus pour me bouffer et... et je ne sais pas comment me comporter normalement avec toi ! Ni même comment m'y prendre pour te parler sans que tu te sentes tout de suite agressé ! Bordel, Ruadhan ! Tu sais très bien que quoi que je dise, quoi que je fasse, ça ne sera jamais la bonne manière pour toi !

Waouh ! Heureusement qu'il n'y avait personne dans les couloirs. Elle n'avait pas eu l'intention de s'enflammer comme ça, mais Liam avait le don de la mettre dans de ces états...

Pendant tout le temps qu'avait duré son laïus – bon, seulement quelques secondes en réalité – il n'avait pas bronché. Il ne lui avait même pas servi son sempiternel sourire narquois.

— Ok, c'est bon, calme-toi, fit-il d'un ton bourru. Viens...

Il avanca dans les couloirs sans rien ajouter de plus.

Ils empruntèrent le chemin qui menait à l'étage où se trouvaient les dortoirs de sa classe, ainsi que la chambre de Liam. Elle aurait dû s'en douter, c'était l'endroit idéal pour s'isoler. Bizarrement, cela ne la mit pas aussi mal à l'aise que la dernière fois où elle était censée l'y rejoindre.

Elle remarqua encore une fois que – bien que le jeune homme provoque en elle des sentiments toujours aussi violents – elle n'était plus du tout dans le même état d'esprit. Même si elle ne pouvait pas s'empêcher de se disputer avec lui, elle était surtout terrorisée par ce qu'elle avait découvert ce matin et elle devait lui parler. Et tant pis si elle devait le faire dans un lieu aussi intime que sa chambre.

— Bon, lui dit-il en refermant la porte derrière lui une fois qu'ils furent entrés, que se passe-t-il ?

Lihanna jeta un rapide coup d'œil dans la pièce. Elle était très sobre et plutôt ordonnée. Seul son lit était défait. Cela voulait-il dire que...

Elle secoua la tête, chassant ses pensées déplacées et reporta son attention sur lui.

Après tout, s'il avait eu de la compagnie la nuit dernière, ce n'était pas son problème. Elle ne devait plus se laisser perturber.

— Mac ? l'interpella-t-il légèrement irrité. T'es avec moi ? Que voulais-tu me dire ?

Hein ? Ah oui !

Elle inspira profondément. Pour se donner une contenance, elle tira le livre qui était toujours caché sous sa cape et le lui tendit.

Liam saisit le bouquin, perplexe.

— « La dynastie des MacEwen. Les derniers souverains Th'Eos. », lut-il. Qu'est-ce que c'est ? lui demanda-t-il en fronçant les sourcils. Pourquoi tu me donnes ça ?

— Une preuve...

Liam la regardait toujours sans comprendre en tenant le livre devant lui.

— Une preuve de quoi, Mac ? s'impatienta-t-il. Je comprends rien à ce que tu dis...

Oh bon sang...

Maintenant qu'elle devait formuler ses pensées à voix haute, elle n'était plus très sûre d'en avoir envie. Cela rendait les choses plus réelles. Plus difficiles à accepter, aussi.

— Une preuve que je suis une Th'Eos, finit-elle quand même par répondre. Une descendante des MacEwen.

Il y eut un moment de flottement où Liam la dévisagea sans comprendre. Puis il retrouva l'usage de la parole.

— Qu'est-ce que tu racontes ? On en a déjà parlé, non ? C'est ridicule !

— Liam... commença-t-elle en fermant les yeux pour se donner du courage.

— Tu peux m'expliquer en quoi ce fichu bouquin sur une dynastie de mes deux serait une preuve de ton appartenance aux Th'Eos ? la coupa-t-il en balançant le livre sur la table, énervé.

Oups... Elle avait pourtant dit qu'elle en prendrait soin.

— Liam... murmura-t-elle en soupirant pour tenter de lui expliquer ce qu'elle avait découvert.

Mais le jeune homme ne l'écoutait pas.

— Bordel, Liha ! continua-t-il. Faut que tu arrêtes avec ça ! Ça devient presque maladif ma parole ! Tu. N'es. Pas. Une. Th'Eos ! martela-t-il avec force.

— Liam ! s'énerva-t-elle à son tour et il sembla enfin remarquer qu'elle essayait de lui parler.

— Quoi ?

— Lis-le, dit-elle en se radoucissant. S'il te plaît, Liam, lis-le...

Il poussa un soupir exaspéré.

— Maintenant ? Tu veux que je lise ce livre, maintenant ? Je ne vois pas en quoi...

— Regarde au moins le sommaire, le coupa-t-elle suppliante. Si rien ne te saute aux yeux, alors je te promets de te laisser tranquille avec ça.

Liam la regarda en secouant la tête comme s'il la prenait pour une folle. Puis il poussa un soupir résigné et se laissa tomber sur un fauteuil en saisissant le bouquin au passage.

Quand il l'ouvrit, Lihanna se crispa, guettant sa réaction. Intérieurement, elle priait pour qu'il ne fasse pas directement le rapprochement qu'elle même avait fait. Après tout, si cela lui semblait si évident à elle, c'était surtout parce qu'elle était directement impliquée et qu'elle s'était déjà auto-persuadée d'être un monstre. Mais Liam, lui, n'avait pas ses préjugés, alors...

Son espoir fut rapidement déçu quand elle le vit fermer les yeux et afficher une mine contrariée. Il referma rapidement le bouquin et la regarda droit dans les yeux.

— Ça ne veut absolument rien dire, affirma-t-il d'une voix décidée.

Euh... sérieux ?

Contre toute attente, elle éclata de rire. Liam fronça les sourcils et la regarda comme si elle avait perdu la tête, ce qui accrut encore son hilarité.

— Je ne vois pas très bien ce qu'il y a de drôle... marmonna-t-il fâché.

Lihanna lui adressa un sourire amusé.

— Rien, répondit-elle en secouant la tête. Il n'y a absolument rien de drôle. Mais je trouve toujours ça tellement bizarre quand tu essayes d'être sympa avec moi. Excuse-moi.

— Je ne cherchais pas à être sympa avec toi, répliqua-t-il en bougonnant.

Mais un petit sourire étira le coin de ses lèvres quand il croisa son regard.

Oh la vache... Quand il lui souriait de cette façon...

— Quoi qu'il en soit, reprit-il en la ramenant dans la réalité avant que son esprit ne s'égare, je pensais ce que j'ai dit. Ça ne veut absolument rien dire. Ils ont les yeux violets et alors ? D'autres personnes ont aussi les yeux violets ! Et si ça se trouve, la couleur des leurs est complètement différente de la tienne...

— C'est la même, le coupa-t-elle. Et cite-moi une personne de ta connaissance qui ait les mêmes yeux que les miens.

Liam se renfrogna et croisa les bras sur sa poitrine.

— Le fait que je ne connaisse personne avec des iris telles que les tiennes ne signifie pas qu'elles n'existent pas, Lihanna. Et comment peux-tu être sûre qu'il s'agisse de la même couleur ?

Elle poussa un soupir et se laissa tomber sur le fauteuil en face de lui.

— Parce que je les ai vus...

Liam se redressa et afficha un air perplexe.

— Pardon ? Où ? Et quand as-tu pu voir des Th'Eos ?

Oh par les Quatre...

Elle se prit la tête dans les mains avant de répondre. De toute façon, cela ne servait à rien d'hésiter maintenant. Elle devait tout lui dire et tant pis si le fait de le faire à voix haute rendait les choses douloureusement réelles pour elle.

— Cette nuit, expliqua-t-elle. Dans une vision.

— Dans une... vision ? répéta-t-il incrédule. Mais, Liha... comment peux-tu être sûre qu'il s'agissait bien d'une vision et pas d'un simple rêve reflétant tes angoisses profondes ? Ça arrive, tu sais...

Lihanna secoua énergiquement la tête.

— Non, ce n'est pas ça. Au début, c'est ce que je croyais aussi. Jusqu'à ce que je tombe sur ce bouquin. Liam... les personnes présentent dans mon rêve, je n'en avais jamais entendu parler avant ce matin ! Et pourtant, elles existent, je ne les ai pas inventées !

Elle perçut le moment exact où il commença à croire en son histoire. Son cœur se serra. Pourtant, c'était ce qu'elle voulait. Qu'il connaisse toute la vérité et qu'il fasse un choix pour elle. La laisser vivre et l'aider à comprendre qui et ce qu'elle était réellement... ou la tuer sur-le-champ par principe de précaution.

— Il s'agit de Fergal MacEwen et de ses filles, Enya et Eiliana, reprit-elle désespérée. Ils sont dans le bouquin, Liam ! Fergal MacEwen était le dernier souverain Th'Eos ! Celui de la Grande Guerre des Origines ! Celui qui aurait toutes les raisons de vouloir détruire les quatre autres Peuples !

Elle ne pouvait plus rester assise, son angoisse avait repris le dessus. Elle avait vraiment du mal à respirer et...

Quelque chose se rompit en elle. Sans doute les dernières défenses qu'elle avait érigées pour se voiler la face. Elles tombaient en ruines devant l'évidence. Elle était une Th'Eos. Cela ne faisait plus aucun doute. Elle laissa sa peur exploser et ramper en elle jusqu'à la faire suffoquer.

L'air autour d'elle se mit soudain à crépiter. Des bourrasques de vent pénétrèrent dans la pièce, faisant s'ouvrir violemment les fenêtres qui claquèrent contre les murs et explosèrent en mille morceaux.

La violence du choc la tira quelques instants de sa torpeur. Elle prit conscience avec horreur de ce qui était en train de se passer, mais elle ne maîtrisait plus rien. Sa peur était en train de la contrôler.

C'était une peur viscérale comme elle n'en avait jamais connu. Sournoise, oppressante et qui se répandait dans chaque parcelle de son corps, qui prenait possession de son âme.

Le fait d'en parler ouvertement avec Liam avait comme donné vie à ses angoisses. Elles étaient libres et s'étaient même amplifiées. Sans oublier ce foutu sentiment de culpabilité qui était en train de l'étouffer et de la réduire en miette. Elle n'était pas assez forte pour la supporter.

Elle n'était encore qu'une gamine, bon sang ! Une jeune fille insouciante, égoïste et... terrorisée par le poids des responsabilités qui pèseraient un jour sur elle.

Quand elle avait découvert qu'elle possédait la magie des quatre éléments, elle s'était réfrénée. D'instinct, elle avait su qu'elle n'était pas prête. Elle avait tenté d'utiliser ses pouvoirs le moins possible et toujours en petite quantité pour ne pas perdre les pédales. Bien sûr, il y avait eu quelques petits dérapages, mais rien de bien méchant.

Et puis, elle avait finalement trouvé une autre solution. Occulter ses peurs et focaliser son esprit sur autre chose que sa magie. Elle avait donc fait passer Liam au premier plan, le connectant à toutes ses émotions. Sauf à cette foutue peur qu'elle avait solidement muselée. Rancune, colère, désir... Toutes ses autres émotions étaient désormais liées à lui. Il s'agissait souvent d'émotions intenses, mais qui ne justifiaient pas un réel pétagede plombs.

Or, depuis ce matin, c'était le véritable chaos dans son esprit. En décidant de se recentrer et de mettre ses petites histoires personnelles de côté, elle avait laissé toute la place libre pour que ses véritables angoisses ressortent au grand jour. Elle était terrifiée par ce qu'elle pensait être. Par ce qu'elle était sûrement. Et elle ne contrôlait plus rien.

Comme pour lui donner raison, un coup de tonnerre raisonna soudain à l'extérieur et des nuages noirs commencèrent à s'amonceler autour des bâtiments de la Garde. Ils explosèrent rapidement en un déluge de pluie accompagné de bourrasques de vent de plus en plus violentes.

Lihanna entendait Liam l'appeler, mais elle ne parvenait pas à se calmer. Elle était complètement hors de contrôle et le sol se mit soudain à trembler sous ses pieds.

Liam tentait de s'approcher d'elle, mais le vent qui hurlait dans la pièce était trop fort. Le mobilier volait dans tous les sens et le jeune homme faillit être assommé par un fauteuil.

La peur qu'elle ressentît à cet instant – pour lui – amplifia encore le phénomène. Les bûches dans la cheminée s'embrasèrent et des flammes commencèrent à lécher le plafond.

Elle voyait la scène se dérouler comme une simple spectatrice, incapable d'agir sur ses propres émotions. Et tout allait si vite. L'instant d'avant elle discutait avec Liam et l'instant d'après, la fin du monde s'abattait sur eux. À cause d'elle. Elle qui ne maîtrisait plus du tout le pouvoir phénoménal qu'elle ne se doutait pas un seul instant de posséder. Submergée par toute cette magie qui affluait à travers son corps, comme heureuse de pouvoir enfin laisser libre cours à toute sa puissance. Comme si ses propres dons lui faisaient la démonstration de ce dont elle était capable.

Mais c'était catastrophique ! Si elle continuait, elle allait détruire la Garde et tuer des gens.

Y compris ceux qu'elle aimait.

Y compris Liam.

Elle allait devenir ce monstre qu'elle redoutait tant.

— Lihanna ! l'entendit-elle hurler.

Sa voix était toute proche. Elle commençait un peu à percer la bulle dans laquelle elle s'était enfermée sans le vouloir. Il fallait qu'elle se raccroche à ça. Il fallait qu'elle se raccroche à Liam. À ses sentiments pour lui.

Mais c'était si dur. La magie était si enivrante. Pourquoi devait-elle lutter au fait ?

Puis il la toucha. Et tout devint noir.

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