Chapitre 7: Attraction

Le reste de la semaine se déroula dans une atmosphère assez étrange.

Ne pouvant toujours pas participer activement aux entraînements, Lihanna s'était contentée de regarder ses camarades s'entraîner. Comme il n'y était pas vraiment obligé, Liam ne lui avait pas adressé la parole une seule fois. On pouvait même carrément dire qu'il l'ignorait. Mais pour une fois, sa réaction ne l'avait pas mise dans une rage folle. Parce qu'à vrai dire – vu le regard qu'il lui avait lancé dans le couloir en début de semaine – elle n'était pas particulièrement pressée de s'entretenir avec lui.

Restait le cas Connor.

Depuis ce fameux soir, il agissait un peu comme si de rien n'était et elle avait finalement décidé de l'imiter.

À vrai dire, elle ne savait pas vraiment ce qui s'était passé ce soir-là. Enfin si – elle n'était pas complètement stupide – mais elle n'était pas sûre de comprendre ses motivations. Avait-il agi sous le coup d'une impulsion aussi soudaine qu'incompréhensible ? Ou bien, était-ce sa manière de lui prouver qu'il était en désaccord avec son frère quant à son opinion sur elle ? Ou encore – oui, cela commençait à faire beaucoup de questions – était-il réellement attiré par elle ? Si c'était le cas, elle ne l'avait vraiment pas vu venir.

Enfin bref.

Elle n'avait pas vraiment reparlé avec lui depuis et la situation lui allait très bien comme ça. Bien sûr, elle sentait planer entre eux une certaine gêne qu'il faudrait bien finir par dissiper. Après tout, ils étaient dans le même groupe et si la situation persistait, cela risquait de devenir légèrement incommodant pour tout le monde. Surtout si le chef dudit groupe avait une furieuse envie d'arracher la tête à deux de ses membres.

Donc oui, il fallait qu'ils parlent. Mais pas maintenant, cela pouvait attendre encore un peu.

La situation étant ce qu'elle était, Lihanna avait passé le reste de sa semaine en compagnie de Dilys et Arthur, ses deux coéquipiers. Ses deux nouveaux amis étaient de nature enjouée et leur bonne humeur était vraiment communicative. Elle commençait même à croire que le crédo de la Garde n'était finalement pas si hypocrite. Parce que oui, ces deux-là pouvaient sans problème devenir pour elle une seconde famille. D'autant plus qu'elle avait évité toute la semaine – autant que faire se peut – sa vraie famille. Elle n'avait pas eu envie de raconter ce qu'il s'était passé – ou plutôt ce qu'il ne s'était pas passé – entre elle et Connor. Et surtout pas à Eiline. La situation était encore beaucoup trop étrange et pas assez claire dans son esprit. Point positif, ils n'avaient même pas semblé remarquer qu'elle cherchait à les éviter. À vrai dire, ils étaient aussi occupés qu'elle à essayer de nouer des liens avec les membres de leur propre groupe et c'était aussi bien ainsi.

Bref, aujourd'hui, elle avait décidé de ne pas penser à tout ça. C'était son jour de repos et elle était bien résolue à ne pas se prendre la tête avec cette histoire qui lui refilait à chaque fois qu'elle y songeait une migraine carabinée.

Et puis, surtout, elle avait un programme et elle comptait bien s'y tenir. Elle voulait profiter de cette journée off pour commencer à lire les livres qu'elle avait empruntés à la bibliothèque. Plus elle y pensait, plus elle avait envie d'en apprendre davantage sur les Th'Eos et sur la Grande Guerre des Origines. Elle était persuadée que connaître cette histoire était très important et elle était plus motivée que jamais pour découvrir des choses qui lui permettraient de briser son lien avec Liam.

Mais avant de se plonger dans son programme des plus studieux, elle avait surtout envie de sortir prendre l'air.

Si les bâtiments de la Garde étaient gris et ternes, sa nouvelle maison disposait en revanche de son propre jardin, laissé libre d'accès aux apprentis. Il fallait d'abord traverser les aires d'entraînement, puis on débouchait sur un petit parc arboré avec quelques bancs en pierre et des massifs de fleurs rudimentaires. Un peu plus loin, on trouvait le potager et le jardin des simples et tout au fond du parc, les écuries et la basse-cour. La Garde n'était de loin pas autosuffisante, mais ce qu'elle produisait servait en général à améliorer l'ordinaire. Enfin, ça, c'était quand on disposait d'un vrai cuisinier. Ce qui – soit dit en passant – n'était vraisemblablement pas le cas à l'heure actuelle.

Quoi qu'il en soit, se balader au grand air alors que le soleil venait à peine de se lever et que beaucoup de ses camarades avaient opté pour une grasse matinée, était un vrai bonheur.

Elle s'assit sur un banc et s'émerveilla des magnifiques teintes automnales que les arbres du parc arboraient en ce début de saison. Elle songea à Aëlia – sa principauté – qui devait elle aussi commencer à revêtir son manteau de couleurs rouges et ors chatoyantes. Elle eut un petit pincement au cœur en pensant que, cette année, elle ne verrait pas non plus son autre île – très loin là-bas sur la Terre – se parer de ses belles couleurs d'automne. À vrai dire, c'était la première fois depuis qu'ils étaient arrivés dans le monde d'Orcam qu'elle et sa famille n'avaient pas franchi le portail – le jour de l'équinoxe d'automne – pour aller fêter leur anniversaire en compagnie d'Allan et Enora. Et cela lui avait manqué. Beaucoup manqué.

Avec ce qui s'était passé ces derniers jours, elle n'avait pas encore eu l'occasion d'y songer. C'était vraiment étrange de se rendre compte comment de petites habitudes anodines – mais qui rythmaient votre vie depuis des années – pouvaient laisser un vide quand elles disparaissaient. Elle se surprit à souhaiter de tout son cœur qu'ils aient l'occasion de se rendre sur Terre le jour du solstice d'hiver – quand le portail entre ses deux mondes se rouvrirait une nouvelle fois – malgré tous les bouleversements qu'il y avait eu dans leur vie. Parce que même si elle adorait son nouveau monde, il fallait aussi avouer que la Terre et sa vie de jeune fille normale lui manquaient parfois.

— Bonjour !

Prise par surprise, Lihanna sursauta et mit quelques secondes à reprendre un rythme cardiaque un peu moins anarchique.

— Désolée si je t'ai fait peur, lui lança Erin en s'asseyant à ses côtés.

— Je n'ai pas vraiment eu peur. Tu me prends pour qui ? Mais... tu pourrais prévenir, c'est tout.

Sa sœur ricana et leva son visage vers le soleil pour profiter elle aussi de sa chaleur.

— Et comment ? En te disant bonjour ? C'est ce que j'ai fait, Liha.

Ha, ha ! Très drôle !

Lihanna allait répliquer, mais elle s'abstint et laissa le silence s'installer.

— Tu n'as plus ton bandage, constata soudain Erin, les yeux clos et la tête toujours levée vers le ciel.

— Non, je suis complètement rétablie. Je vais enfin pouvoir commencer à suivre les entraînements sans être obligée de rester assise dans un coin.

Se tournant enfin vers elle, Erin lui adressa un grand sourire

— C'est une bonne nouvelle, non ? J'avais vraiment l'impression que tu commençais à envisager sérieusement d'assommer Liam pour participer quand même...

Lihanna lui répondit par un petit soupir amusé puis offrit à son tour son visage à la caresse bienfaisante du soleil.

— À quoi tu pensais, quand je suis arrivée ? reprit Erin au bout d'un moment.

— Bah, à rien de spécial... commença-t-elle en haussant les épaules. À la Terre, à Allan et Enora... tu vois quoi, ce genre de choses...

Sa sœur la regarda d'un air étonné, puis elle esquissa un petit sourire nostalgique et secoua la tête.

— Oui, je vois très bien. Moi aussi, j'ai beaucoup pensé à eux ces derniers temps.

Erin sembla se perdre quelques instants dans ses pensées, puis elle reprit :

— Et sinon, quoi de neuf ? On ne s'est pas beaucoup parlé ces derniers jours et... et je me demandais si tout allait bien pour toi ?

Lihanna ramena ses jambes sur le banc pour s'asseoir en tailleur et pencha sa tête sur le côté. Elle observa sa sœur et chercha à comprendre le sens caché de sa question. Parce qu'elle le sentait, Erin voulait parler avec elle de quelque chose de bien précis. Et elle avait peur de deviner de quoi il s'agissait.

— Tout va très bien, répondit-elle sur un ton peut-être un poil trop enjoué. Mais c'est vrai qu'on ne s'est pas beaucoup vues. Tu m'en veux ?

Erin leva les yeux au ciel avant de secouer la tête et de lui sourire. Mais le regard inquisiteur qu'elle lui lança prouva qu'elle avait vu juste. Sa sœur s'apprêtait à aborder avec elle un sujet dont elle n'avait – pour l'instant – absolument pas envie de parler : Liam.

— Alors, comment ça va avec Kenneth ? demanda-t-elle en changeant complètement de sujet pour lui couper l'herbe sous le pied

Erin plissa les yeux pour lui montrer qu'elle n'était pas dupe, mais elle lui répondit tout de même :

— Très bien, merci. C'est vraiment un formateur formidable. J'ai vraiment beaucoup de chance d'être avec lui.

Comme à chaque fois qu'elle parlait de Kenneth les beaux yeux gris-bleu de sa sœur pétillèrent de bonheur. D'ailleurs – c'était un peu vache – mais tout le monde savait que Kennethétait LE sujet à aborder si on voulait qu'Erin oublie tout le reste.

— C'est clair ! approuva Lihanna en affichant un sourire très – trop – éclatant. Et je suis bien contente pour toi !

Voyant qu'Erin trouvait son enthousiasme un peu trop débordant et qu'elle s'apprêtait à lui poser une question, elle enchaîna rapidement :

— Par contre, puisqu'on en parle, tu ne trouves pas ça bizarre qu'on se retrouve tous les trois avec au moins un Ruadhan dans notre équipe ?

L'objectif de ce nouveau changement de sujet était bien évidemment de détourner l'attention d'Erin. N'empêche, la réponse de sa sœur l'intéressait réellement. Cette dernière haussa les épaules avant d'acquiescer.

— Pour tout te dire, je me suis posée exactement la même question. Je trouvais la situation un peu trop belle pour être simplement due au hasard. Et il s'avère que j'avais raison, ajouta-t-elle avec un nouveau haussement d'épaules. Kenneth m'a expliqué que papa avait demandé au général d'augmenter la surveillance autour de nous – surtout après ce qui s'est passé au palais – tout en restant assez discrets. Papa voulait des gens en qui il avait toute confiance et le général a accepté de confier cette mission aux Ruadhan.

Bon... Finalement, elle n'était pas parano. Mais cela ne l'enchantait pas particulièrement de savoir que son père était responsable de la situation cauchemardesque dans laquelle elle se trouvait. À savoir : être coincée avec Liam.

Elle secoua la tête et esquissa une grimace de dépit :

— Mouais... tout s'explique. N'empêche, papa aurait au moins pu spécifier dans sa demande que nous mettre dans la même équipe Liam et moi n'était pas forcément la meilleure option pour me tenir éloignée du danger.

Erin ricana mais son regard se fit à nouveau acéré.

— J'imagine qu'il a effectivement oublié de mentionner ce léger détail au général Brewal quand il lui a fait sa demande. Mais d'ailleurs, j'aimerais beaucoup qu'on aborde un peu cette notion de dangerque tu ressens quand tu es en présence de Liam. Parlerais-tu d'un danger physique ? Émotionnel, peut-être ? Tu sais que tu peux tout me dire, n'est-ce pas ?

Ouais. Mais elle n'en avait pas du tout envie.

— Bien sûr, répondit-elle néanmoins. Mais je n'ai absolument rien à dire que tu ne saches déjà.

Pour ponctuer sa phrase et signifier que la discussion était close, elle reporta son attention sur les feuilles des arbres. Une légère brise les faisait ondoyer. Mais Erin n'en démordit pas :

— Liha...

— Ah oui, j'oubliais, la coupa-t-elle en se tapant le front avec sa main. Connor a essayé de m'embrasser.

Pour le coup, elle s'aperçut qu'elle devenait vraiment très douée en matière de changement de sujet. Elle sourit en constatant qu'Erin avait failli s'étouffer avec sa salive.

Bien fait.

— Connor ? Notre Connor ? lui demanda-t-elle quand elle put à nouveau parler.

Elle acquiesça avec un petit sourire narquois. Erin se leva d'un bond et se tourna vers elle en lui jetant un regard suspicieux.

— Liha, tu ne mentirais pas à ta sœur pour éviter le sujet de tes sentiments pour Liam, n'est-ce pas ?

— Je t'assure que je ne te mens pas, se défendit-elle tout en se mettant sur la défensive. Et je n'ai aucun sentiment pour Liam, nom d'un chien !

Euh... merde... Pourquoi s'était-elle emportée comme ça ? Elle ne s'emportait jamais contre Erin.

— Tu l'aimes, n'est-ce pas ? demanda alors cette dernière d'une voix douce qui lui donna presque aussitôt envie de chialer.

— Erin... s'entendit-elle l'implorer d'une voix tendue. S'il te plaît...

Sa sœur poussa un soupir. Mais son expression changea rapidement et elle lui adressa un sourire de connivence.

— Ok. Donc, Connor a essayé de t'embrasser. Que s'est-il passé ? Tu ne l'as pas laissé faire ?

Lihanna remercia sa sœur de son tact par un sourire reconnaissant. Puis elle entreprit de lui raconter la scène qui s'était déroulée dans les couloirs. Après tout, elle lui devait bien ce petit potin anodin.

— Mais alors, pourquoi ne s'est-il rien passé ? demanda-t-elle à la – presque – fin de son histoire.

Ah. Merde. Elle allait finalement devoir lui parler un peu de Liam, après tout.

Oh bon sang ! Mais pourquoi tout ce qui se passait dans sa vie la ramenait-il systématiquement à lui ?

Et le pire dans tout ça, c'était qu'en y réfléchissant bien, elle avait relayé cette histoire de presque baiser dans un coin de sa tête pour éviter de penser à ce qu'elle ressentait vraiment. À savoir qu'elle se sentait coupable vis-à-vis de cet abruti. Et si ça ce n'était pas complètement tordu – et pathétique – qu'est-ce que c'était ? Parce qu'elle ne lui devait rien, nom de nom ! Et surtout pas de la culpabilité !

Pourtant, depuis que cet incident s'était produit – et allez savoir pourquoi – elle mourrait d'envie d'aller s'expliquer avec lui. Pas avec Connor, ni avec Duncan, hein. Non, bien sûr que non. Cela aurait été tellement plus logique. Non, elle voulait seulement s'expliquer avec lui.

Quand elle repensait à la façon dont il l'avait regardée après les avoir surpris son frère et elle... Oh par les Quatre ! Elle ressentait ce besoin stupide d'aller se justifier auprès de lui.

Elle ne comprenait pas ce qui était en train de se passer, mais elle avait l'impression que, depuis leurs retrouvailles, tout son corps et toute son âme recherchaient en permanence sa présence. Elle ne pouvait toujours pas l'encadrer bien sûr, mais elle avait un besoin presque maladif de le voir. Leur lien avait sans doute quelque chose à voir là-dedans, mais à quel niveau ?

Elle sursauta quand Erin – qui attendait toujours sa réponse – se racla la gorge.

— À vrai dire, commença-t-elle à expliquer en secouant la tête pour chasser ses pensées déplaisantes, il ne s'est rien passé parce qu'il a été interrompu. Liam et Duncan nous ont surpris.

Erin ne réagit pas tout de suite. Mais peu à peu, Lihanna vit toute une gamme d'expressions se succéder sur son joli visage. Celles qu'elle retint surtout furent la surprise – parce que c'était la première – et l'horreur – parce que c'était un peu fort.

Quoi qu'il en soit, toutes ses mimiques dignes d'une grande actrice furent balayées quand elle finit par éclater de rire. Lihanna se renfrogna.

Sérieux ? Qu'y avait-il de drôle dans tout ça ?

Erin finit par éclairer sa lanterne quand elle parvint à exposer – entre deux fous rires – ses conclusions :

— Oh bordel, Lihanna... Un jour, il faudra quand même que tu m'expliques comment tu fais pour parvenir à te mettre dans des situations qui sont – tu me l'accordes – plus merdiques les unes que les autres ?

****

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top